Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

C'est ici que les artistes (en herbe ou confirmés) peuvent présenter leurs compositions personnelles : images, musiques, figurines, etc.
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Marcowinch
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Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par Marcowinch »

TEEGER59 a écrit : 18 avr. 2021, 12:26 :Mendoza: : Non, Tao. Tu viens avec moi. Cette décision peut te sembler ingrate, or je vais avoir besoin de tes lumières. C'est l'évidence même!
:Tao: : Mais...
:Mendoza: : Mais rien du tout! Dans la vie, on ne fait pas toujours ce que l'on veut, mon garçon. Et quoi que tu en penses, cette solution est de loin la plus sensée. Nous ne pouvons embarquer tout le monde à bord du condor, c'est un fait! Il faut donc nous séparer en prenant compte des talents de chacun. Tu sais invoquer une porte d'énergie, toi? Non! Alors je t'emmène. Et puis, pour lire le Muen, tu as plus de pratique que Zia. Maintenant, assez perdu de temps en bavardage. Il se fait tard et tu dois te reposer après l'attaque que tu viens de subir. File!
Raide comme la justice, notre Mendoza ! Je l'ai trouvé très dur avec Tao dans ce passage. :cry:
J'espère que ce n'est du qu'à l'influence de cette saleté de dague...
Sinon un excellent chapitre, très sensuel ;)
*** :Tao: :Zia: :Esteban: Ma fanfic MCO : La Huitième Cité :) :Esteban: :Zia: :Tao: ***
J'espère qu'elle vous plaira :D

:Esteban: Bah voyons, Pattala ! C'est pas dans ce coin-là que vit la jolie Indali ? :tongue:
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IsaGuerra
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Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par IsaGuerra »

:Mendoza: : Il faut dire que j'appréhende un peu sa réaction.→ Pourquoi je ris à ça ? :roll:

:Mendoza: : Gaspard, tu sais quoi? Tu prends ton élan et tu vas t'écraser le crâne contre un mur, d'accord? → Petite pique sympathique :lol: :lol:
→ Sympa ce petit moment où l'on parle de rêve ^^

→ Ah bah enfin on a progressé sur leur relation ! Et tant mieux ça fait du bien de voir Mendoza et Isabella comme ça :x-):

→ Pour ce qui est des montages, le dernier de ce chapitre est mon préféré

Vivement la suite en espérant qu'il y ait d'autres moments Mendoguerra mignon (ou très sensuels) ^^
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TEEGER59
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Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par TEEGER59 »

Suite.

CHAPITRE 13: Le grand départ.

Le soleil s'était levé dans sa gloire de brousse, apparaissant de la ligne du plateau de Manica et colorant l'horizon d'un halo bleu pâle aux traînées orangées qui se densifia peu à peu.
Une fois les bêtes installées à paître dans l'enclos, à charge du palefrenier de s'occuper d'elles convenablement dès son réveil, Mendoza revint vers le village. À l'intérieur de l'enceinte, se repérant au bruit semblable à celui d'un troupeau de cerfs en rut, il retrouva Gaspard exactement à l'endroit où il l'avait quitté la veille, ce dernier allongé sur sa natte. Il ronflait plus fort encore que Sancho et Pedro réunis... en bavant, de surcroît. Le mercenaire réprima un sourire. Du pied, il remua le militaire.
:Mendoza: : C'est l'heure de l'exercice. Bouge-toi, soldat!
Le ronflement de José-Maria changea de tonalité, mais il ne s'éveilla pas, grommelant dans son sommeil.
Le Catalan se rendit au puits, remplit un seau et revint auprès de lui. Après quoi, il déversa le contenu du récipient sur le pauvre capitaine d'armée.
Se redressant d'un bond, les yeux papillonnants, le visage dégoulinant, celui-ci s'exclama:
:Gaspard: : Hein, quoi, qui! Ils attaquent? Formez les rangs, les p'tits derrière, moi devant!
:Mendoza: : Rassure-toi, grosse baderne, personne n'attaque, c'est juste que c'est l'heure d'aller courir. Avec ce que tu as bu hier, ton corps est comme une fiole à poison. Lève-toi!

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Gaspard grimaça:
:Gaspard: : Et en quoi ça te concerne, face-de-limande? Je n'ai aucune envie d'être un athlète comme toi, moi.
:Mendoza: : En quoi ça me concerne? Eh bien, je veux pouvoir compter sur toi pour veiller sur le reste de ma petite troupe durant mon absence. Quant à tes envies, espèce d'ivrogne, tu m'expliqueras ça tout en courant. Ou pas. Allez, passe devant, mon gros, que je te surveille! Je te préviens, pas question que tu plonges dans un fourré pour te cacher en plein parcours.
Après un détour à l'abreuvoir afin que le barbu se débarbouille et se rince la bouche, sur les instructions du navigateur, les deux hommes commencèrent leur échauffement en démarrant à petites foulées autour de la muraille principale. Ils la longèrent jusqu'à croiser le sentier qui descendait jusqu'à la rivière, à côté de laquelle démarrait la forêt claire.
Le trajet emprunté, décidé par l'Espagnol, englobait les différents enclos du Grand Zimbabwe. Au cinquième tour, Gaspard commença à transpirer abondamment et sa tunique fut bientôt trempée, de même que le haut de son pantalon.
Au bout du dixième, il se mit à verdir, ce qui, sur un homme portant du rouge, se révélait du plus bel effet.
Il fit encore une vingtaine de pas avant de se jeter vers un buisson, de se courber en deux et de vomir ses excès de la veille. Mendoza le rejoignit et lâcha d'un ton enjoué, un grand sourire aux lèvres:
:Mendoza: : Dis, mon vieux Gaspard, tu te souviens de cette période, quand j'étais le prisonnier du seigneur Takahisa Shimazu et que tu t'étais déclaré mon geôlier? Tu te souviens comme le daimyo nous avait fait trimer Sancho, Pedro et moi, dans la rizière, à charrier ces seaux de boue afin de dégager la nef d'Ambrosius? Après notre évasion, de nouveau enfermés au château d’Izaku, tu m'avais dit qu'il voulait me voir pour me couper la tête? Tu exultais! Et à la suite de cet entretien qui ne s'était pas passé comme tu l'espérais, comme tu me hurlais dans les oreilles pendant que tu me raccompagnais dans ma cellule? Ça te rappelle quelque chose? Moi, je n'ai rien oublié de tout ça et m'est d'avis que j'ai enfin ma revanche! À ton tour de souffrir!
Toujours courbé en deux, l'officier crachouilla:
:Gaspard: : Tu n'es... Tu n'es... Tu n'es... beuheuaarh!
À peine redresser pour apostropher l'ancien belligérant revanchard, Gaspard se plia à nouveau et lâcha une abondante gerbe. Il finit par se remettre d'aplomb.

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Il essuya tant bien que mal sa bouche d'un revers de poignet et désigna Juan du doigt:
:Gaspard: : Tu n'es... Tu n'es qu'un...
Incapable de se retenir, le capitaine vomit une troisième fois dans les fougères.
:Mendoza: : Ah... cinq mots... tu progresses, Gaspard. Encore un bon quart d'heure et tu pourras sans doute faire une phrase. Au passage, je te félicite pour cette impressionnante prestation, je n'avais jamais vu un tel dégradé de couleur jaillir d'un estomac. Chapeau bas, mon vieux!
Cette fois, le militaire prit le temps de se relever, de respirer lentement, jusqu'à ce que les nausées cessent. Enfin, il foudroya le marin de son regard ombrageux et gronda:
:Gaspard: : Tu sais ce que tu es, Mendoza... tu n'es qu'un pendard! Plus rancunier que Gomez, la pire engeance des commandants que j'ai connu, rien d'autre!
D'une voix particulièrement satisfaite, le Catalan répondit:
:Mendoza: : Je suis entièrement d'accord... Entendons-nous bien: d'accord sur le fait que Gomez soit un immonde cafard. En ce qui me concerne, tu connais l'adage: qui aime bien châtie bien. Allez, va te laver, ça ne te fera pas de mal... ne serait-ce que tes vêtements... Quelle odeur! Ils sentent la fosse d'aisance!
:Gaspard: : Espèce de cuistre! Maudit sois-tu, Mendoza, tu n'es qu'un forban!
:Mendoza: : Oui, eh bien le forban, il va te casser le nez si tu continues sur ce registre!
:Gaspard: : C'est ça! Et puis arrête un peu d'afficher cet air béat! D'ailleurs, pourquoi es-tu d'aussi bonne humeur, aujourd'hui?
Moustique dévisagea son interlocuteur. L'insistance qui filtrait dans sa voix le mit en garde.
:Mendoza: : Pour rien...
:Gaspard: : Nom d'une barrique! Toi, tu as pris un pain sur la fournée, c'est ça?
Le chaud sourire que lui offrit l'Espagnol avait teneur de réponse.
L'officier se racla la gorge avant de reprendre:
:Gaspard: : Mendoza, la señorita et toi... vraiment? Je... comment...
:Mendoza: : Tu crois que je suis du genre à étaler ma vie privée, Gaspard? Ce qui s'est passé la nuit dernière entre elle et moi ne concerne que nous. Et si ça peut te rassurer, je ne lui veux que du bien.
:Gaspard: : Ça tombe bien pour toi, parce que si tu lui fais du mal, je te tue!
:Mendoza: : Si je fais du mal à Laguerra, je le jure sur mon âme, je me poignarde moi-même!
Le militaire n'insista pas, peut-être parce qu'à sa grande surprise, il ne pouvait que reconnaître la sincérité du navigateur.
Les deux capitaines, les deux ennemis d'antan se toisèrent sans aménité. En l'instant présent, chacun des deux hommes pouvait se demander d'où venait cette vieille querelle.
:Mendoza: : Maintenant que ta curiosité est satisfaite, tais-toi donc et cours!

Leurs parcours achevé, le corps saisi d'une agréable fatigue, ils retournèrent au village. Le militaire avait cessé de maugréer et d'insulter son compatriote, constatant qu'il se sentait finalement en bien meilleur état qu'à son réveil.
Laissant Gaspard à ses propres ablutions, le mercenaire se rendit dans la salle d'eau afin d'effectuer une toilette rapide mais soigneuse. Ensuite, il se contempla dans le miroir. La barbe qu'il s'était autorisé à laisser pousser depuis le départ des Élus pour le monde des cités d'or continuait de lui manger le visage, ornant ses joues d'une forêt de poils qui faisait ressortit le noir de ses iris. Saisi d'une pulsion qui en disait long, il prit également le temps de se raser.
Tout en maniant avec dextérité son coupe-choux, il songea à cette nuit d'amour avec Laguerra. Car il s'agissait bien de cela, d'amour et non le luxure. Cette dépense physique qu'il s'était permise pouvait en outre être considérée comme un remède. Il se rendait compte avec encore plus d'acuité que les jours précédents, qu'il y avait une autre vie après la trahison de Marinché. Loin des yeux, loin du cœur: il prit conscience que l'Amérindienne perdait de plus en plus de sa substance, sa mort probable aidant, renforcée par le fil irrépressible du temps. Que les sentiments qu'il avait ressenti pour elle s'étiolaient. Ce constat ne pouvait que renforcer sa détermination.
:Mendoza: : Marinché, je te répudie de mon cœur et de mon esprit. Je ne demande qu'une chose: t'oublier. Et je suis en train de réussir.
Une fois propre et délassé, son désir pour l'aventurière enfin assouvi, il gagna ensuite la case cuisine qui lui avait été dévolue, alluma un feu et, piochant dans les provisions disponibles, prépara deux pots: l'un contenant du café, l'autre du thé. Puis il découpa une mangue ngowe en quartiers.
Peu après, Laguerra le rejoignit, vêtue de sa seule tunique, les yeux encore un peu ensommeillés. Elle remarqua tout de même une différence chez lui et s'exclama:
:Laguerra: : Tu t'es rasé! Et je pense savoir pourquoi tu l'as fait, c'est trop gentil de ta part.
Il ne put s'empêcher de l'enlacer, de lui offrir un baiser profond. Il ne ressentait aucune once de cette gêne qui pouvait parfois atteindre les amants au réveil, après une première nuit. Se retrouver avec elle ne demandait aucun effort, ne causait aucune peur, c'était tout simplement naturel et donc merveilleux.
:Mendoza: : As-tu bien dormi?
:Laguerra: : Oui. Merci de ta sollicitude. Tu es le plus parfait des chevaliers servants!
La tonalité cristalline de sa joie s'envola dans les airs.
:Mendoza: : À ton service!
Joignant à ses mots une courbette, il ajouta:
:Mendoza: : Le petit déjeuner t'attend. Je te préviens, je l'ai préparé moi-même, c'est une première. Tu es du genre à boire du thé, n'est-ce pas? Du noir?

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:Laguerra: : Mendoza, tu vas continuer à me dorloter longtemps comme ça?
:Mendoza: : Pourquoi? Tu trouves ça désagréable, princesse?
:Laguerra: : Non! Seulement je n'ai pas l'habitude d'être traitée de la sorte.
Un sourire à peine réprimé creusa davantage les deux fossettes déjà bien marquées du marin.
:Laguerra: : Enfin je les retrouve! De vrais nids à baisers...
Ils mangèrent en silence, leurs regards entrelacés, leurs doigts s'effleurant.
Rêveuse, l'alchimiste saisit un petit morceau de fruit qu'elle fit glisser dans sa bouche.
La sonnerie d'un olifant brisa leur intimité. Le village s'éveillait. Isabella s'empressa d'aller faire un brin de toilette.
Au moment où elle allait sortir, le Catalan demanda:
:Mendoza: : Laguerra?
:Laguerra: : Oui, Mendoza.
:Mendoza: : C'était bon hier? Je veux dire pour toi...
:Laguerra: : Crois-le ou non, mais je n'ai pas feint une seule seconde le plaisir que tu m'as donné.
Sans attendre de réponse, la jeune femme sortit de la pièce de son pas élastique, une démarche bien à elle à laquelle elle parvenait à donner une charge érotique. Le navigateur la crut et cette pensée flatta son orgueil de mâle, il devait se l'avouer.

☼☼☼

Dans la hutte voisine, les enfants, eux aussi, s'étaient éveillés tôt. Ils venaient de finir leur petit déjeuner et commençaient à réunir leurs affaires.
Brandissant un sac de toile, Zia décréta:
:Zia: : Tenez, vous en aurez probablement besoin. Vous vous souvenez qu'on a dû les utiliser lorsque nous étions entrés dans la Montagne de la Lune. Et comme vous vous rendez dans un temple...
Prenant les lampes portatives des mains de l'inca, Tao répliqua:
:Tao: : Bonne idée!
Pichu observait les préparatifs avec inquiétude. Il avait compris que ce regain d'activité n'était pas normal. En temps ordinaire, son maître ne se levait pas si tôt. Le perroquet ne le quittait pas d'une semelle en piaillant depuis l'aube.
:Pichu: : Tao!
Le naacal lui gratta affectueusement la tête.
:Tao: : Zia prendra soin de toi, Pichu. Tu n'as aucune raison de t'inquiéter.
:Zia: : Exactement!
Sur un petit carnet figurait la liste de tout ce dont avait besoin les garçons en prévision de leur voyage. Elle rayait les objets les uns après les autres à mesure qu'ils enfournaient leurs sacs.
Fronçant les sourcils, l'Élue remarqua:
:Zia: : Vous avez vos bonnets? Vous risquez d'avoir froid si vous devez passer une nuit dans le désert d'Arabie.
:Esteban: : Nos vêtements chauds sont dans le condor.
:Zia: : Et vos couvertures?
:Esteban: : De même!
Zia leur avait prodigué ses conseils tout au long de leurs préparatifs. Si les garçons l'avaient écoutée, ils seraient partis avec cinq coffres en cuir remplis de tout et de rien. Elle faisait preuve de beaucoup de sollicitude envers eux.

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Rayant une ligne de plus sur sa liste, elle déclara:
:Zia: : Couvertures, c'est bon! Caleçons, idem! Une carte de la région, aussi! Les capuchons...
Affolé par la quantité de ce qu'il allait emporter, Tao sourit:
:Tao: : Arrête tes bêtises!
Ce n'était pas comme s'ils se lançaient à l'assaut de l'Himalaya. L'emplacement supposé du temple d'Ishtar se trouvait probablement non loin de la ziggourat d'Akkad, dans vallée de la Diyala.
Les baluchons se remplissaient et Pichu, plus inquiet que jamais, gémissait et collait constamment son bec contre la joue du jeune savant.
:Tao: : N'oublie pas, Zia. Des fruits, mais surtout pas d'avocat, ça le tuerai. Et de la viande, genre ver de terre ou escargot, pas plus de deux fois par semaine. Tu peux aussi lui donner des graines. Là aussi, prudence! Comme les gangues sont souvent toxiques, les perroquets sont particulièrement sensibles aux poisons. Un bol le matin, un autre le soir, toujours mélangé avec un œuf cru.
:Zia: : Il mange mieux que nous!
:Tao: : C'est très bien comme ça. À ce propos, j'ai oublié de mentionné ceci: ne lui donne pas de rhubarbe. Les effets sont les mêmes que pour l'avocat...

☼☼☼

Tandis que le Muen énumérait le régime alimentaire de son compagnon à plumes, Mendoza venait de passer son baudrier d'épée. Laguerra le rejoignit, bouclant son ceinturon.
Ils allèrent l'un à l'autre d'un mouvement si simple qu'il ne semblait pas relever de leur volonté, ni même de leur conscience. Quand ils se furent rejoints au milieu de la pièce, le capitaine posa l'une de ses mains sur l'épaule féminine qu'elle couvrit entièrement et attira vers lui la jeune femme. De l'autre, il dégagea avec une douceur surprenante la mèche qui dansait devant son front.
Puis, la bouche gourmande du bretteur s'approcha du visage de l'Espagnole. Le corps de l'aventurière s'infléchit pour se lier comme pour se fondre à la masse de chair et de muscles qui l'appelait. Ils échangèrent un nouveau baiser. Isabella se dégagea, un peu essoufflée:
:Laguerra: : Oui, hier, c'était franchement merveilleux, capitaine. Et j'aimerais tant pouvoir recommencer tout de suite! Mais tu sais comme moi que ce n'est pas possible.
La réalité avait reprit ses droits, et pourtant la magie de cette nuit de passion était encore présente en eux. Allait-elle déboucher sur autre chose? Le capitaine refusait de se poser la question, respectant ainsi ses nouvelles résolutions. Isabella avait revendiqué son indépendance. Il ne pouvait que respecter cette attitude. Pas question de s'emballer, ainsi qu'il l'avait fait avec la complice du docteur Laguerra. Pas question d'atermoiements, il se l'était juré et il avait bien l'intention de tenir parole.
Du reste, sa quête s'imposait à lui, bien concrète, largement assez pour balayer le reste. Le sérieux, la gravité de ce qui l'attendait, revinrent d'eux-mêmes planer dans la case où les amants s'étaient installés, à même le sol, l'un en face de l'autre, chacun perdu dans ses pensées.
Ils révisèrent leur voyage respectif et leurs préparatifs jusqu'à ce que le son d'un second olifant résonne.
:Mendoza: : Le moment est venu, ma belle. Viens!
Ayant vérifié qu'il n'avait rien oublié, le capitaine sortit, suivi de sa compagne.

Le ciel brillait d'un azur chatoyant, traversé par une équipée de nuages blancs qui naviguaient paresseusement tels des navires au long cours. Le village se mettait à bruisser d'activité et les cris s'envolaient dans l'air si léger du matin.
Le moment du départ était arrivé.
Sans vouloir l'avouer, Athanaos était heureux. Il avait enfin retrouvé son enfant et il allait revoir Bhārata* que la beauté du monde n'avait jamais réussi à lui faire oublier. Dans les colonies Portugaises, c'était au moins un vrai pays chrétien où l'on ne chantait pas la messe après avoir louangé des divinités païennes!
Enfin, c'est ce qu'il croyait...
Estéban ne pensait à rien. Il allait où irait Mendoza auquel il s'était attaché, or il était tout de même inquiet à l'idée d'être séparer de Zia. D'un autre côté, il était content de partir. Il aimait trop l'aventure pour se satisfaire vraiment des plaisirs d'une vie paisible au sein d'une nature aimable. Certes, les choses étaient devenues plus passionnantes avec l'irruption de l'aventurière dans la vie du marin, Laguerra qu'il appelait en lui-même "grande sœur" mais il était bien que l'on allât maintenant vers d'autres horizons...
Zia écoutait la nature. Le vent s'était levé et portait avec lui les rumeurs du village. Elle pouvait apercevoir les fumées légères de la forge qui, serrées dans la ceinture des remparts, évoquaient le cratère d'un volcan qui s'éveille. La voix d'Estéban, celui-ci tenant sa main dans la sienne, lui parvint comme dans un songe...
:Esteban: : Ne me diras-tu pas au revoir, Zia?
:Zia: : Si! Mais avant, prends ceci.
:Esteban: : Pourquoi me donnes-tu ton pendentif?
:Zia: : On ne sait jamais. Vous pourriez en avoir besoin pour ouvrir la porte du temple. Moi, je garde le double médaillon. Il suffira amplement pour créer une porte d'énergie.
Obéissant à une soudaine impulsion, l'inca s'approcha et, un court instant, posa ses lèvres sur la joue de l'Élu.
:Zia: : À bientôt, Estéban.
Sanglé dans sa tenue habituelle, recouvert de sa cape, ses deux lames rangées au fourreau, Mendoza était fin prêt.
Cheminant côte à côte, les deux amants se dirigeaient vers l'entrée du village. Soudain, le capitaine s'arrêta et prit la jeune femme à part.
:Mendoza: : Laguerra?
:Laguerra: : Mmmm?
:Mendoza: : Puis-je te dire quelque chose au sujet de votre destination finale?
:Laguerra: : Je t'écoute.
Il se pencha vers elle, sans trop savoir comment aborder le sujet. Comment faire pour ne pas la braquer?

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Elle lui lança un regard pénétrant et annonça, sans lui laisser le temps de parler:
:Laguerra: : Je sais ce que tu vas me dire capitaine... Tu penses qu'il vaudrait mieux ne pas nous rendre directement au fort. Tu estimes que le père d'Estéban sera très certainement le bienvenu, mais pas moi, vu que j'étais le bras droit d'Ambrosius. Je me trompe?
:Mendoza: : Euh... non, c'est bien ça.
:Laguerra: : Pourtant, le Radjah devra m'accepter telle que je suis. Et puis, avec mon physique accommodant...
:Mendoza: : Ne fais pas la maligne, Laguerra. Tu n'as rien d'une femme accommodante et tu le sais parfaitement. Tu fais d'ailleurs tout ce qu'il faut pour cela! Il vaudrait mieux que vous vous rendiez au village d'abord.
Ils se dévisagèrent quelques instants en silence. Isabella préféra céder.
:Laguerra: : Bien, je suivrai ton conseil! Mais tu sais, je ne pense pas être mieux accueillie, là-bas... Je te rappelle que j'ai contraint les paysans à quitter leurs enfants afin de travailler à la fabrique...
Il sembla à la duelliste que son compagnon esquissait un sourire triomphal qu'il tentait de camoufler, mais elle n'eut pas le temps d'en avoir la certitude car il enchaîna d'une moue:
:Mendoza: : Accompagnée de Zia et d'Athanaos, cela ne devrait poser aucun problème. Ils sont en excellents termes avec les villageois de Patala.
Ils reprirent leur marche, se séparant un moment pour faire leurs adieux chacun de leur côté.
L'Espagnol salua ses hôtes un à un, puis ses compagnons. Il savait qu'il laissait tout de même derrière lui des amitiés: Sancho l'avait embrassé en pleurant et Pedro l'avait serré dans ses bras... en lui murmurant qu'il y avait trois ou quatre émeraudes cachées dans le condor. Mais Mendoza n'était pas triste: il pensait aux pouvoirs de l'Élue. Grâce à eux, la distance qui allait le séparer de ses lieutenants n'était pas un problème et qu'ils les reverrait dès que le besoin s'en ferait sentir. Et puis il était trop habitué aux départs fréquents pour que celui-là lui fut pénible.
Après un solide déjeuner, Gaspard fit son apparition, une tartine de terrine dans une main, un morceau de saucisson dans l'autre.
Les deux hommes se tenaient pile l'un face à l'autre. Le navigateur effectua alors un geste lent, très particulier, empreint d'une véritable grâce, écartant trois doigts en levant la main droite vers le haut en direction de l'officier.
Il venait d'accomplir le salut militaire.
:Mendoza: : Te voilà, Gargantua! J'espère que tu n'as pas changé d'avis et que tu préfères te rendre à Patala?
:Gaspard: : Tu penses bien, Mendoza. Je suis prêt à parier qu'on s'amuse plus en Inde. Je n'ai aucune envie d'aller crapahuter dans le désert.
Le capitaine fouilla dans son aumônière, en ressortit une bourse de cuir qu'il lança au barbu.
:Mendoza: : Tu en auras peut-être besoin.
José-Maria ouvrit l'escarcelle, vérifia son contenu et se fendit d'un sifflement appréciateur.
:Gaspard: : Mon seigneur est trop bon!
Le mercenaire n'avait rien montré de son soulagement à entendre la réponse de son compatriote. Pouvoir compter sur lui pour veiller sur ses deux "petites femmes" n'avait pas de prix.
:Gaspard: : Bon vent, face-de-limande.
:Mendoza: : Bonne chance, grosse baderne.
Depuis leur affrontement au lac des pétrifiés, ces deux-là s'étaient rendus compte qu'ils partageaient le même sens de l'honneur. Et leurs paroles hargneuses étaient largement démenties par le regard amical qu'ils échangeaient.
Le salut fut réitéré, scellant l'ébauche de cette relation particulière qui, peut-être, était en train de naître.
Une fois sorti de l'enclave, Mendoza se dirigea vers l'oiseau d'or, en songeant que s'il quittait deux fidèles amis, il en gagnait un autre... si étonnant que cela puisse paraître. Du moins, pour sa part, c'est ainsi qu'il commençait à considérer Gaspard, tout en étant conscient que ce dernier éprouvait de tendres sentiments à l'égard de l'aventurière et qu'il serait jugé comme fou si une telle accointance éclatait au grand jour.
Le capitaine se rangea ensuite devant le roi Neshangwe. Celui-ci dit:
Neshangwe: Adieu, Mendoza. Que votre voyage soit paisible... mais pas trop. Ce serait ennuyeux.
Souriant, le marin répondit:
:Mendoza: : Je supporterai un peu d'ennui.
Neshangwe: Dans ce cas, puissiez-vous trouver la paix...
Le monarque considéra la vallée, tandis que des ombres se formaient sous les arbres et les quelques habitations. Il poursuivit:
Neshangwe: La paix intérieure vient de l'esprit. Elle n'a pas ni lieu ni moment précis. Nos dieux ont donné à chaque être la possibilité de la trouver. Ils sont si peu nombreux, ceux qui savent où la chercher. Elle se tient dans l'esprit des hommes.
Le navigateur tendit la main:
:Mendoza: : Nous nous reverrons un jour dans les environs, Votre Majesté.
Neshangwe: Au revoir, Mendoza. Et faites bien attention aux trésors que vous cherchez... Vous pourriez bien finir par les trouver.
:Mendoza: : Je l'ai déjà trouvé...
Ils échangèrent une poignée de main et le Catalan s'éloigna sans se retourner.
Le capitaine avait gardé l'aventurière pour la fin. Lorsqu'il arriva devant elle, il se sentit tout drôle. Se séparer soudain de la jeune femme lui faisait bizarre.
Pour sa part, la bretteuse brûlait toujours de l'accompagner mais, selon l'illogique logique du cœur, elle n'osait le formuler à voix haute. De plus, elle s'était promis de ne pas s'imposer à lui et entendait bien tenir ce serment. Toutefois, elle se jeta dans ses bras, se plaquant contre lui comme une enfant inquiète:
:Laguerra: : Tu seras prudent, hein?
Le marin l'enserra tout en caressant sa chevelure.
:Mendoza: : Non, je vais me lancer nu et désarmé contre une bande de Chaldis enragés! Enfin, Laguerra, je le suis toujours, tu le sais.
:Laguerra: : Peut-être, mais j'avais besoin de l'entendre de ta bouche.
Elle recula et le fixa, comme jamais elle ne l'avait regardé. Se rapprochant à nouveau de lui, elle souffla:
:Laguerra: : Après ce qui s'est passé cette nuit, nous pouvons nous appeler par nos prénoms, dorénavant.
Sans se soucier d'être vue des autres, elle l'attira contre elle et lui offrit un baiser intense, au terme duquel elle lui mordit légèrement la lèvre inférieure.

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Avant qu'il ne puisse réagir, de quelque façon que ce soit, elle se dégagea.
Cette effusion fut si rapide et d'une telle décence que personne n'éprouvait aucun scrupule, aucune gêne à y assister. Leurs gestes, par leur naturel, leur qualité, les plaçaient à l'abri et au-delà de l'indiscrétion.
Deux amants que leurs tâches différentes allaient séparer se disaient au revoir en s'embrassant. Rien de plus. Qu'y avait-il à cacher? Mais ce que l'amour pouvait apporter à deux êtres, une fois et pour toujours, en tendresse, en intégrité et en certitude, tout ce qu'un homme et une femme pouvaient souhaiter et obtenir l'un de l'autre pour endormir leurs plus profondes angoisses et servir l'un à l'autre de complément prédestiné, l'assistance le voyait inscrit de la façon la plus pure et la moins discutable dans les mouvements et les expressions d'Isabella et de son compagnon.
Le regard de Sancho épingla Mendoza, chargé de malice.
Ce dernier se sentait les lèvres brûlantes. Une délicieuse morsure qui le prenait totalement par surprise. Un peu abruptement, il demanda à son lieutenant:
:Mendoza: : Quoi?
:Sancho: : Oh, ri... rien, Mendodo... Mendoza. Rien du... du tout. Esté... Estéban t'attend.
Moins expansifs que leurs ainés, les Élus se contentaient toujours de se tenir tendrement la main.
:Mendoza: : Merci Sancho. Mais où es Tao?... Tao?
:Tao: : Je suis là!
Le naacal apparut enfin, surgissant à grands pas énergiques, son encyclopédie calée sous son bras.
:Tao: : Vous êtes prêts? On y va!
La tension faite d'angoisse et de menace était toujours là, bien présente, chassant la sensation de plénitude du mercenaire. Cette chape pesante qui enflait encore, à laquelle s'ajoutaient les relents de la guerre éminente. Cette chape qui ne tarderait pas à exploser, tel était le sentiment de l'Espagnol. Il échangea un dernier regard avec Isabella, tentant de lui insuffler un regain d'énergie et de confiance. Plus que jamais, il ressentait le besoin impérieux de la protéger.
:Mendoza: : Adiós. Hasta muy pronto, hermosa mía... Je croise les doigts très fort pour ne pas être éloigné de toi trop longtemps.
:Laguerra: : Tu sais que je suis d'un tempérament indépendant. J'aime bien avoir des moments de solitude... j'en ai besoin même. Alors ne te tracasse pas pour moi, je m'en sortirai.
Il rit.
:Mendoza: : Je ne sais pas si ça doit me rassurer. Ton manque de diplomatie me fait peur. Je suis certain que tu vas en profiter pour faire des bêtises.
:Laguerra: : Je serai très sage, promis... enfin j'essaierai.
Et parce qu'elle ne voulait pas qu'il devinât les larmes qui lui venaient aux yeux, elle se dégagea et lui tourna le dos afin d'aller chercher ses armes.
Mendoza agrippa l'échelle et monta dans l'appareil. Une fois à bord, il remisa son inquiétude, rangea Isabella dans un coin de son esprit. Il était en mission, à présent, et même si celle-ci lui déplaisait, il l'accomplirait du mieux possible. Il se révélait incapable de faire autrement.
Peu après l'envol du condor, Pichu vint se poser sur l'épaule de Zia qui activa une porte magique. Le rideau d'énergie se mit à enfler, à chatoyer du pouvoir invoqué par la jeune sorcière. Cette dernière se concentra sur sa première destination. Après une dernière embrassade, un dernier regard échangé, tous franchirent le rai de lumière derrière lequel ils disparurent.
Sancho et Pedro ressentirent un grand vide, soudain. Mais plutôt que de se morfondre du départ de leurs amis, ils préférèrent rejoindre leur compagne.

☼☼☼

Gomez se tenait devant un homme de petite taille, légèrement enrobé. Les cheveux très noirs, lustrés, taillés courts sur les côtés, longs derrière la nuque, l'individu avait les yeux surlignés d'un khôl noir, les lèvres fardées, les ongles laqués. Une robe ample, d'un gris chatoyant et décorée de petites runes cabalistiques, couvrait sa silhouette replète. Des bagues à cabochon ornaient chacun de ses doigts. Il ne lui manquaient que des pendants d'oreilles.
La salle dans laquelle se tenaient les deux hommes était un long rectangle aux murs couverts de rayonnage en bois, chargés de fioles, de vases, de bocaux, de verres, de pots. Une paillasse d'alchimiste reposait dans un coin, couverte de matériel. Le maître des lieux se tenait assis derrière son bureau.
Imposant dans son manteau tricolore, le commandant Gomez déclara:
:Gomez: : Maître Nāgārjuna, vous savez qui m'envoie... Quelque chose ne va pas, le traitement semble cesser de faire effet, la fièvre baisse et le sujet commence à recouvrer ses esprits.
Nāgārjuna ricana, pas le moins du monde surpris:
Nāgārjuna: Mais c'est tout à fait normal, seigneur. La puissance magique qui régit la potion n'est que temporaire, et cela n'a rien d'un hasard car je l'ai voulu ainsi.
:Gomez: : À quoi jouez-vous, Nāgārjuna?
Nāgārjuna: Je ne joue pas, bien au contraire.
Cinza fit un pas en avant, les poings serrés:
:Gomez: : J'ai bien envie de vous...
L'autre le coupa d'un ton sec:
Nāgārjuna: Je vous le déconseille, seigneur. Vous êtes au cœur de mon repaire. Ici, mes pouvoirs sont supérieurs à votre lame. Vous seriez abattu avant d'avoir pu lever la main sur moi. Comprenez bien que je ne crains en rien vos talents d'épéiste.
Gomez recula d'un pas, prudent.
L'apothicaire reprit d'une voix plus douce:
Nāgārjuna: Accordez-moi toute votre attention, je vous prie... L'effet de cette drogue que je vous ai livrée n'est que temporaire, je vais vous en exprimer la raison sans détour... J'ai simplement voulu prendre une assurance sur la vie. C'est plutôt simple à comprendre. Je ne sais pas quels sont vos buts concernant le sujet, et je m'en moque. Mais je suis loin d'être naïf, et je tiens à la vie... Or, je sais que je représente pour vous, disons, une sorte de maillon faible. Il pourrait vous venir à l'esprit de m'éliminer pour couper tout lien entre le poison et votre complice. Sauf que si vous commettiez cette erreur, le sujet finirait par sortir de sa fièvre, ce qui pourrait plutôt se révéler gênant pour vous, il me semble. D'autre part, s'il m'arrivait quelque chose, une série de lettres détaillant nos relations et nos échanges seront déposées au bureau du gouverneur de Goa.
:Gomez: : Vous jouez avec le feu, Nāgārjuna.
Ce dernier sourit largement:
Nāgārjuna: Pas le moins du monde! Ce serait le cas, en revanche, si je n'avais pas pris cette précaution à votre encontre. Attention, seigneur, ne vous leurrez pas, je n'exerce aucun chantage, nous restons en affaire, comme avant. J'ai été fort bien payé pour mes services et cela me suffit amplement. Je vous fournirai d'autres potions actives, régulièrement, sans vous compter le moindre supplément. Je suis le seul à pouvoir les fabriquer, vous le savez fort bien, c'est bien pour cela que vous êtes venu me trouver. Du reste, je n'ai aucun intérêt à vous trahir puisque alors je me dénoncerais moi-même comme complice au premier chef.
:Gomez: : Le docteur Laguerra n'aimera pas cela.
Cinza ajouta pour lui-même:
:Gomez: : Notre maître non plus, d'ailleurs.
Nāgārjuna: Peu me chaut, du moment qu'il accepte mes conditions et il n'a pas vraiment le choix, n'est-ce pas? Car pour résumer, si je tombe, votre complice tombe également.
La bouche pincée, le commandant grommela:
:Gomez: : Je transmettrai le message.
Nāgārjuna: Je n'en attendais pas moins de vous, seigneur.
Nāgārjuna ouvrit l'un des tiroirs de sa table de travail et en sortit une fiole oblongue qu'il lui tendit:
Nāgārjuna: Voici votre dose. Revenez me voir lorsqu'elle cessera ses effets et vous en aurez une nouvelle. À présent, je ne vous retiens pas.

Lorsque Gomez rentra en droite ligne faire son rapport à Fernando, ce dernier le prit de court en éclatant d'un rire gras:
:Docteur: : Ainsi donc, Nāgārjuna s'avère être un roué gredin!
Le docteur se tenait assis derrière son bureau. Au lieu de tempêter comme on aurait pu s'y attendre, il présentait tous les signes de l'amusement.
:Gomez: : Fernando, je ne comprends pas... Il se joue de nous et tu ris?
:Docteur: : Oui, en effet. On dit que rire est le propre de l'homme, Cinza, ne le sais-tu pas? Oh, mais je te sens énervé contre l'apothicaire, apaise-toi donc. Pour le moment, Nāgārjuna ne présente aucun problème, au passage dois-je te rappeler qu'il nous a toujours bien servi? Tant qu'il continuera à nous fournir son élixir, il nous reste utile, il le sait bien. Et nous n'avons pas à craindre qu'il nous dénonce sinon il s'incriminerait lui-même, il te l'a également dit.
:Gomez: : Tu vas donc le laisser s'en tirer ainsi? Pourtant, quoi qu'il ait affirmé, il demeure une épée suspendue au-dessus de nos têtes et je suis certain que, contrairement à ses propos, un jour ou l'autre, il tentera de nous faire chanter.
:Docteur: : Je partage ton opinion. Mais si ce Nāgārjuna croit s'être protégé de nous, crois-moi, il se trompe. Et lorsqu'il s'en rendra compte, il sera trop tard... Pour le moment, nous avons besoin de lui pour garder Sher Shah Suri dans son état actuel, c'est un fait. Toutefois, nous ne pouvons garder le maître du Bihar indéfiniment alité. Il nous faudra bien en finir avec lui, définitivement. L'administrateur Francisco Roiz et le gouverneur Nuna da Cunha me laissent à présent les coudées franches mais je sais bien que, jamais, Fahrid Khan ne sera un soutien pour moi. Quand sera venu le moment de régler le problème, Nāgārjuna ne servira plus à rien et je me ferai un plaisir de le faire arrêter comme ami des Thugs. Je le ferai passer pour l'un des chefs de la confrérie, et je le mettrai aussitôt au secret. Évidemment, tu te chargeras de son interrogatoire... tu lui feras avouer où il a caché les documents dont il a parlé pour se couvrir, je n'en doute pas. Nous les récupérerons, puis nous l'éliminerons. Rien de plus simple...
Gomez soupira:
:Gomez: : Je préfère ça. Mais pourquoi attendre d'en finir avec le maître du Bihar?
:Docteur: : Si ce chef de guerre Afghan renommé, considéré comme tolérant envers les Hindous et les colons mourrait, d'autant plus d'une mort violente, je pense que le roi Jean III finirait par s'alerter. Oh, il ne viendrait pas en personne, mais il enverrait certainement sa propre commission d'enquête et cela, Ambrosius n'en veut à aucun prix. Il ne m'a pas tout dévoilé de sa stratégie mais sache que nous n'avons plus longtemps à attendre... Il n'a, en revanche, pas encore décidé de la manière dont il se débarrasserait de Fahrid Khan. Je voudrais pour lui quelque chose de particulier, à la fois artistique et infiniment douloureux, je voudrais qu'il ait le temps de regretter de s'être dressé contre nous. Mais assez de cette conversation... D'ici quelques jours aura lieu la fondation de l'évêché de Goa, tu m'y accompagneras. Tout doit être parfait ce jour-là. Alors tu viendras avec tes hommes, tu vois ceux dont je veux parler... Ils resteront évidemment dehors et si quelqu'un voulait déranger le bon déroulement de la cérémonie, ils devront s'en occuper.
:Gomez: : Aucun problème sur ce point, Fernando.
:Docteur: : À la bonne heure! À présent laisse-moi, j'ai encore une masse de dossiers à consulter.

À suivre...

*
*Bhārata est le nom de l'Inde en sanskrit.
Modifié en dernier par TEEGER59 le 09 janv. 2022, 18:20, modifié 4 fois.
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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Marcowinch
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Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par Marcowinch »

TEEGER59 a écrit : 23 avr. 2021, 00:49 Rayant une ligne de plus sur sa liste, elle déclara:
:Zia: : Couvertures, c'est bon! Caleçons, idem! Une carte de la région, aussi! Les capuchons...
Affolé par la quantité de ce qu'il allait emporter, Tao sourit:
:Tao: : Arrête tes bêtises!
Content de voir que nos amis repartent à l'aventure et qu'ils sont cette fois très bien équipés ! ;)
Un excellent chapitre, avec de grands dangers se profilant à l'horizon avec Gomez et sa clique...
*** :Tao: :Zia: :Esteban: Ma fanfic MCO : La Huitième Cité :) :Esteban: :Zia: :Tao: ***
J'espère qu'elle vous plaira :D

:Esteban: Bah voyons, Pattala ! C'est pas dans ce coin-là que vit la jolie Indali ? :tongue:
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Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par IsaGuerra »

→ José-Maria ce nom me fera toujours rire
il se mit à verdir, ce qui, sur un homme portant du rouge, se révélait du plus bel effet. → Oh un sapin de Noël au beau milieu de de l'Afrique ! :lol:

→ Zia qui prépare les garçons, on dirait moi quand j'organise un voyage ! Toujours trop :x-):

→ Esteban & Zia : Que c'est mignooon
→ La relation Mendoza/Gaspard que tu instaures me fait mourir de rire c'est excellent : Gargantua, grosse baderne, Mon seigneur, etc...

:Laguerra: : Je serai très sage, promis... enfin j'essaierai.→ On va insister sur le j'essaiera :lol: :lol:

→ Je ne sais pas pourquoi mais j'ai l'impression que Fernando est un excellent joueur d'échec ! Toujours un ou plusieurs coups d'avance

Encore un bon chapitre et un bon départ vers l'aventure !
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« J'ai de bonnes raisons de faire ce que je fais » Isabella Laguerra
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Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par Chenille99 »

Ça y est Mendoza et Laguerra ont enfin franchi le pas !
J'aime bien la relation qui se développe entre Mendoza et Gaspard, ils parviennent à mettre leurs inimitiés de côté
Je sens qu'il va arriver plein de péripéties à Eteban, Tao et Mendoza, j'ai hâte de voir ce que tu nous réserves 😀
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Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par TEEGER59 »

Merci pour vos retours.
La suite bientôt.
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par TEEGER59 »

Suite.

CHAPITRE 14: Afrique adieu.

À mesure que le condor filait vers le nord, les forêts du Zimbabwe cédèrent la place à la savane du pays Maasaï, au-delà de laquelle on apercevait le Kilimandjaro.
La première escale eut lieu avant le coucher du soleil, à proximité de celui-ci.

53.PNG

Il n'y avait plus de brume de chaleur. Le ciel n'était que pureté, légèreté. Les lumières et les ombres avaient repris leurs jeux à la surface du sol et contre la paroi immense de la montagne étincelante. Sur le sommet en forme de table, fantastique dalle plate et blanche comme un autel dressé pour ses sacrifices à la mesure des mondes, la neige immobile, éternelle, commençait à vivre d'un bouillonnement mystérieux et devenait une écume tantôt creusée, tantôt crêtée de vermeil, d'orange, de nacre et d'or.
Une troupe de gazelles se trouvait au milieu de ce somptueux décor. Leurs cornes très minces et rejetées loin en arrière, presque à l'horizontale, avaient la courbure d'une aile.
Mendoza les accompagna du regard et fit:
:Mendoza: : Pose-toi près de la nef, Estéban. Il y aura peut-être encore des choses utiles à récupérer, comme des cartes ou des grenades à fumée... La dernière fois, nous n'avons eu guère le temps de nous en occuper.
Tao railla:
:Tao: : Ouais, tu étais plutôt soucieux quant au sort de Laguerra, même si tu nous affirmais le contraire.

54.PNG

Le capitaine esquissa un sourire puis donna une petite tape sur la nuque du jeune savant, avant que celui-ci ne s'engage dans le bec de la machine.
Descendant à son tour, Juan soupira:
:Mendoza: : Tu me manques déjà, Isabella...
Une fois à terre, au moment où le trio marchait vers le vaisseau d'Ambrosius, deux hommes sortirent du couvert des épineux.
Deux Maasaï.
Qu'ils étaient issus de cette race, le capitaine en fut certain tout de suite malgré son peu d'expérience. Il ne pouvait plus les oublier ni les méconnaître.
Il y avait dans cette démarche princière, paresseuse et cependant ailée, cette façon superbe de porter la tête, la lance et le morceau d'étoffe rouge qui, jeté sur une épaule, drapait et dénudait le corps à la fois. Il y avait cette beauté mystérieuse des hommes noirs venus du Nil en des temps et par des chemins inconnus. Il y avait dans les mouvements et les traits cette bravoure insensée, inspirée. Et surtout, cette liberté orgueilleuse, absolue, indicible d'un peuple qui n'enviait rien ni personne parce que les solitudes hérissées de ronces, un bétail misérable et les armes primitives qu'il façonnait dans le métal tiré du lit sec des rivières comblaient tous ses soins et qu'il était assez fier pour ne point laisser sur la terre des hommes ni maison ni tombeau.
Les deux Maasaï qui venaient d'apparaître longeaient maintenant la lisière du bois en direction des deux machines volantes, front haut, nuque droite et du même pas rapide, nonchalant et léger. L'un pourtant était un vieillard et l'autre un morane.
Cela signifiait qu'il appartenait à l'âge fixé depuis des siècles par la coutume de la race, où les jeunes guerriers, quand il sortaient de l'enfance et devenaient la gloire du sang et la fleur du clan, n'avaient rien d'autre à faire pendant quelques années que d'être braves, d'être beaux et le montrer. Le signe par excellence de cet état privilégié était leur chevelure.
Les moranes étaient les seuls, dans l'Afrique Orientale, où les indigènes, hommes et femmes, allaient la tête rasée du premier au dernier de leurs jours, ils étaient les seuls, pour toute la durée de leur printemps tribal, à laisser croître dans toute sa force et sans y porter le fer leur toison crépue. C'est pourquoi, dès qu'elle avait enveloppé leur front, ils ne cessaient de la soigner avec persévérance. Ils tiraient de certaines plantes une sève par l'effet de laquelle les cheveux consacrés poussaient plus vite et devenaient plus drus. Ils les tressaient en nattes d'une finesse de liane et les entrelaçaient l'une à l'autre en une profonde masse crépelée. Puis, ils les nourrissaient de graisse de vache. Elles devenaient toutes serrées, toutes brillantes. Alors, ils les enduisaient, les recouvraient de boue rouge et d'argile. Et ce n'était plus une chevelure qui couronnait les jeunes hommes. C'était une fauve et merveilleuse matière qui ressemblait à la fois à un nid de serpents pétrifiés, à un buisson ardent et à un casque de cuivre dont le heaume en pointe descendait jusqu'aux sourcils sauvages et qui se rabattait sur la nuque d'ébène.
Le vieillard et le morane approchait de l'oiseau d'or. Mendoza se souvint alors de la formule de bienvenue que lui avait appris le chef Tankanda. Il dit:
:Mendoza: : Kouahéri.
À leur tour, les garçons les saluèrent.
Le morane attendit de voir ce que le vieillard allait faire. Celui-ci fixa ses yeux droit dans ceux de l'Espagnol. Évidemment, il n'était pas son égal. Né d'un autre sang, il n'y avait pas d'homme sous le ciel qui pût valoir un Maasaï. Mais le mercenaire était un Blanc, étranger sur cette terre. La dignité n'interdisait pas, à son égard, la politesse. Avec une bonne grâce hautaine, le plus âgé rétorqua:
:D : Kouahéri.
Sans aucune expression ni dans la voix ni sur les traits, le jeune guerrier répéta:
:twisted: : Kouahéri.
Le vieil homme se tenait aussi droit que la haute lance qu'il avait plantée devant lui d'un coup sec.
Son compagnon s'appuya des deux mains sur la sienne. Comme il l'avait gardée contre son flanc, ce mouvement lui fit courber mollement le torse et le cou. Entendait-il prouver de la sorte que là où même un vieux chef Maasaï avait à se montrer courtois, le privilège de sa chevelure lui donnait à l'insolence droit et devoir? Ou savait-il d'instinct que son attitude était celle qui convenait le mieux à son étonnante beauté?
Ce jeune corps d'éphèbe et d'athlète, sur lequel une peau noire et lustrée moulait des muscles longs, fins et doux, mais d'une vigueur extrême, rien ne pouvait en faire autant valoir la moelleuse puissance et l'éclat charnel que cette nonchalance et légère torsion. Quant au visage qui semblait illuminé du dedans par des reflets d'or, avec sa bouche forte et vermeille, son nez droit et dur, ses vastes yeux tout brillants de langueur, tout brûlants de violence, et la masse enfin, d'un métal vivant et rouge qui le coiffait, il prenait, reposant sur un bras nu et ployé à demi, la tendresse du sommeil et la cruauté d'un masque.
À tant de beauté et dans sa sève la plus riche, dans sa plus vive fleur, tout était permis, tout était dû. Le morane se laissait admirer, innocent, subtil et féroce comme une panthère noire qui étire au soleil ses membres de meurtre et de velours.
:Mendoza: : Je m'appelle Mendoza. Et voici Estéban et Tao. Et vous?
Le jeune Maasaï dédaigna de répondre. Le vieillard dit à sa place:
:D : Jelani*.
Il ajouta:
:D : Moi, je suis Imamu*.
Puis, il posa une question brève:
Imamu: Pourquoi êtes-vous revenus?
Ils avaient bien sûr eu vent de l'histoire de l'oiseau d'or qui vole et de la jeune fille qui commande aux criquets.
:Mendoza: : Nous ne pouvons voler de nuit. Nous allons donc la passer ici, parmi les bêtes...
Imamu: Tant que vous ne braconnez pas, vous êtes les bienvenus...
Ne chassant pas, sinon le lion pour des rites d'initiation, les Massaï préservaient les animaux sauvages et leurs feux transformaient une brousse peu pénétrable en un tapis régulier d'herbes basses.
Après un silence, Mendoza demanda à son tour:
:Mendoza: : Et vous? Que faites vous ici?
Imamu: Nous cherchons des pâturages pour le troupeau et un campement pour les familles.
Une joue contre son bras et celui-ci contre sa lance, le morane, entre deux longs cils mis-clos, contemplait avec paresse et superbe l'homme à la cape bleue.
Le silence s'établit de nouveau. Mais cette fois, personne ne savait plus quoi dire. Le vieux Maasaï leva la main en signe d'adieu. À ce mouvement, l'étoffe misérable jetée sur son épaule glissa et découvrit entièrement son corps. Le trio aperçut alors un énorme sillon qui, depuis la naissance du cou jusqu'à l'aine, labourait une chair maigre et sèche. C'était une cicatrice monstrueuse dont les bourrelets, les crevasses et les lèvres avaient la couleur de la viande boucanée et du sang caillé.
Imamu remarqua leurs regards et dit:
Imamu: Le cuir des meilleurs boucliers n'arrête pas les griffes du lion.
Il arracha sa lance du sol et la considéra pensivement. L'arme était très longue et pesante, mais merveilleusement équilibrée. Effilée aux deux bouts, saisie en son milieu par un cylindre de métal modelé à la main du guerrier, elle pouvait aussi bien servir de javelot. Imamu fit osciller la lance d'une main et passa l'autre le long de sa blessure terrible. Il dit:
Imamu: C'était le temps où les Blancs ne se mêlaient pas des jeux des moranes.
Jelani ouvrit les yeux sous son casque d'or rouge et sourit. Ses dents étaient régulières, aiguës et d'un éclat carnassier. Ce sourire sans pitié disait au vieil homme:
Jelani: Obéis aux Blancs si tu veux. Il y a longtemps que tu as cessé d'être un morane. Moi, je le suis et dans toute mon audace. Ma seule loi, c'est mon bon plaisir.
Les deux Maasaï s'éloignèrent de leur pas nonchalant, ailé. À une certaine distance, leurs silhouettes, la lance à l'épaule, furent semblables par la sécheresse des lignes et la beauté du mouvement aux dessins qui ornaient la grotte du sorcier Jonasi.

55.PNG

:Esteban: : Que fait-on, Mendoza?
:Mendoza: : Allons faire un tour dans la nef, comme convenu. Ensuite, nous ferons du feu avant qu'il ne fasse nuit noire... Demain, nous repartirons dès l'aube...
Un large sourire complice éclaira le visage de Tao.
:Tao: : Suivez-moi. Je vais vous montrer les plus beaux jouets de Zarès.

☼☼☼

Le jour déclinait rapidement et la lune ornait déjà le ciel comme un joyau brillant d'un éclat irisé.
À l'intérieur de l'épave, après un court instant de contemplation, le naacal fit:
:Tao: : Une si belle collection de livres... quel dommage!
:Mendoza: : Malheureusement Tao, nous ne pouvons pas tout embarquer.
Le jeune homme portait sur son visage les stigmates du dépit et d'une once de désespoir.
:Tao: : Ces ouvrages auraient pu enrichir la bibliothèque du roi Neshangwe... Je ne pensent pas que les Maasaï puissent en apprécier le contenu. Je ne sais même pas s'ils savent lire...
:Mendoza: : Eh bien, ils en feront un autre usage. Certainement comme combustible...

56.PNG

Le naacal s'approcha de la table en bois massif, recouverte de tout un fatras de pièces plus ou moins identifiables. Puis, d'un grand revers du bras, il balaya le tout dans un fracas assourdissant, dérangeant au passage les quelques criquets encore présents.
Véritable toupie jaunâtre, le Muen se mit à aller et venir, déposant tantôt un sac, tantôt une caisse, jetant divers objets par-dessus son épaule ou à travers la pièce.
Enfin, il s'empara de la chaise renversée, sur laquelle il grimpa pour mieux dominer le contenu qu'il avait rassemblé.
Se frottant les mains, il clama:
:Tao: : Alors, qu'est-ce que nous avons là...?
Du grand sac, Tao sortit une dizaine de pots en grès de la taille d'une pomme.
:Tao: : J'avais presque oublié ces choses... des engins de guerre qu'affectionnait ce fou furieux d'Ambrosius. De quoi infliger les pires dégâts possibles... Mais bon, quand nous étions à Pékin, je n'avais aucune raison de me méfier de lui, donc je faisais ce qu'il me demandait de faire. Je ne pensais pas ressortir ces trucs-là un jour. Aux grands maux...
Estéban l'interrompit:
:Esteban: : Tao?
:Tao: : Oui?
:Esteban: : Mais qu'est-ce que c'est, à la fin?
:Tao: : Oh, oui. Désolé... Eh bien... Il y a un éclat de gemme volcanique à l'intérieur. Si on fait pivoter la partie supérieure d'un quart de tour, ça la rend instable. Les petites têtes métalliques que vous voyez là sont des déclencheurs qui vont exciter la matière fissible de l'éclat, qui à son tour...
:Esteban: : Tao!
:Tao: : Oui, ça explose quoi!
Ce dernier se lança dans une tirade en prononçant ses mots à une vitesse folle:
:Tao: : On fait un trou dans le sol, on active l'engin, on le dépose délicatement et on le recouvre de terre. Et le premier qui marche dessus fait sauter le tout, dans l'équivalent d'une boule de feu dans un rayon d'une toise!
Le naacal illustra ses propos en mimant une explosion de ses doigts, tout en imitant le son de la déflagration, dans une pluie de postillons.
Exprimant son dégoût, l'Élu lâcha:
:Esteban: : Bwah!
Ébahi, Mendoza regardait le savant jeter le sac sur le côté, sans sourciller quant aux explosifs s'entrechoquant. Après tout, ils avaient résisté à plusieurs atterrissages forcés.
:Tao: : Ce n'est pas assez pour faire sauter une armée entière, mais suffisamment pour briser une charge et filer une belle frousse dans les rangs d'en face. Ensuite, qu'est-ce qu'il y a... Ah oui!
Tao extirpa un petit coffre en acajou d'une caissette en bois. Il l'ouvrit et la présenta à ses compagnons. Douze pointes en orichalque, finement forgées pour contenir deux petites ampoules, l'une contenant le métal à l'état liquide, l'autre de l'eau, y étaient délicatement rangées en quinconce. En plus de l'incontestable talent de l'apprenti artisan, ces pointes, prévues pour s'adapter sur un fût de flèche ou de carreau, vibraient d'une puissance certaine. Le mercenaire passa la main près des objets, et sentit dans sa paume le picotement caractéristique d'une arme dévastatrice.
:Mendoza: : C'est très impressionnant, Tao. C'est toi qui as créé cela?
:Tao: : J'ai forgé les pointes, oui. Les ampoules, c'est la même chose que dans les globes explosifs, mais raffinée. Un travail d'une précision et d'une délicatesse extrêmes. C'est... enfin c'était...
Le Muen hésita, la voix légèrement étranglée comme à l'évocation d'un souvenir douloureux. Le temps parut se figer. La nef, le bazar environnant, Estéban, Mendoza, tous disparurent dans un flou artistique. Il ne demeurait que ces pointes.
Le Catalan le sentit aussitôt. Il savait que Tao n'avait toujours pas digéré la trahison de celui qui fut son mentor. Il s'approcha prestement de lui, sa cape venant se replacer sur ses reins dans un mouvement soyeux. Le marin posa sa grande main sur son épaule. Un sourire sincère, réconfortant et paternel s'afficha sur son visage alors qu'il murmura doucement:
:Mendoza: : Tu sais mon garçon, tu n'es pas obligé de nous donner les détails...
:Tao: : Je sais, Mendoza. Toutefois... tu seras mon roi d'armes lorsque l'Ordre du Condor verra le jour, alors... tu as le droit de savoir. Toi aussi, Estéban.
L'Atlante voulut protester. Le Muen au caractère bien trempé ne lui en laissa pas l'occasion.
:Tao: : Comme vous vous en doutez, c'était l'œuvre d'Ambrosius. Ce sont des pointes explosives!
:Mendoza: : Explosives?
:Tao: : Exactement! L'effet est plus réduit que les globes, ce qui rend les ampoules beaucoup plus stables. C'est l'impact de la pointe de flèche, avec assez de vélocité, qui déclenchera une explosion plus localisée, mais dévastatrice.
:Esteban: : Tu es surprenant, Tao! Bien utilisé, cela peut vraiment changer la donne.
Estéban referma le petit coffre avec respect.
Le naacal précisa:
:Tao: : Assure-toi de les confier au meilleur archer que tu trouveras, Mendoza! Il faut un œil de faucon pour utiliser de telles flèches.
:Mendoza: : Je pense déjà avoir la personne adéquate sous la main. Y-a-t-il autre chose, Tao?
:Tao: : J'y travaille! Je dois monter ma dernière surprise directement sur le condor. Mais ça peut attendre. Je verrai cela une fois à Patala...
Quelque peu réconforté par l'optimiste communicatif du jeune inventeur, Estéban repartit avec le coffret contenant les pointes explosives. Tao emporta les pots de grès et certains ouvrages dont le livre des sept langages, celui que Tian Li avait traduit au monastère Shaolin.
De son côté, le mercenaire s'empara de quelques cartes, choses toujours utiles pour le navigateur qu'il était.

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Il jeta un dernier coup d'œil à la nef en soupirant. Ce dernier sentait qu'il n'avait plus rien à faire en un lieu où les hommes étaient plus étranges, secrets et inaccessibles que les bêtes sauvages.

☼☼☼

Quelques heures plus tôt, tandis que le trio survolait l'Afrique Orientale, leurs huit compagnons découvrirent la Grande Muraille de Chine qui se dressait devant eux.
Li Shuang ne s'était pas trompé. Traversant la porte d'énergie invoquée par Zia, ils avaient à peine fait quelques pas qu'ils pénétraient dans un autre monde.
Au sommet de la crête où ils se trouvaient, se dressait un ovoo.
Interloqué, Synésius demanda:
Synésius: Qu'est-ce que signifie ce petit tas de pierres, Li Shuang?
Li Shuang: Cette pile conique est érigée par des pèlerins en reconnaissance de leurs voyages effectués jusqu'ici en sécurité.
D'un ample mouvement de la main, le Chinois ajouta:
Li Shuang: Bienvenue chez moi!
Les trois Français, qui n'avaient jamais quitté leur pays, admiraient la vue.

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L'alchimiste rousse s'exclama:
Hortense: Regardez un peu où nous sommes! Se retrouver à l'autre bout du monde en si peu de temps, c'est extraordinaire!
En direction du sud, sur des lieues et des lieues à la ronde, les voyageurs ne voyaient que des collines torturées. À cette hauteur, celles-ci avaient en de nombreux endroits été dénudées par les vents et la pluie, si bien qu'on avait l'impression d'apercevoir l'épine dorsale de la Terre.
De l'autre côté, se faufilant entre ces crêtes déchirées comme un serpent de pierre blanchi par l'âge, la Grande Muraille, la plus massive et la plus longue construction humaine s'étendait sur près de mille trois cents lieues au nord du pays et devait empêcher les ennemis de passer. Chaque tour était espacée d'une centaine de toises, ses fondations en granit avaient une largeur de six. Entre ses remparts s'étendait une route pavée que des générations de soldats avaient arpentée, tandis que l'intérieur de la construction était rempli de terre. Elle avait été érigée à la main, par plus de trois cent mille hommes, pierre par pierre, une charrette de terre après l'autre.
Au bout d'un instant, Gaspard fit:
:Gaspard: : Je ne voudrais pas paraître rabat-joie, or il est temps de partir.
Laguerra hocha la tête mais mit de nouveau sa main droite en visière au-dessus de ses yeux pour sonder une dernière fois l'horizon.
Li Shuang: Le señor Gaspard a raison, mes amis. Le temps est clément et la journée est loin de s'achever. De plus, votre expédition a déjà pris suffisamment de retard. Inutile de me raccompagner, je connais le chemin.
:Athanaos: : Es-tu sûr, Li Shuang?
Li Shuang: Bien évidemment, Athanaos. La vieillesse ne me tutoie pas encore. Et puis, énormément de travail vous attend, en Inde. Je ne voudrais pas vous retenir plus qu'il ne faut.
Voyant que l'aventurière scrutait toujours les alentours, Gaspard lui demanda:
:Gaspard: : Avez-vous aperçu quelque chose, señorita?
:Laguerra: : Juste ces cavaliers, là-bas.
Li Shuang: Ce sont des Mongols, ma chère.
:Laguerra: : D'où pensez-vous qu'ils viennent?
Li Shuang: Observez attentivement les flancs des collines. Ceux qui n'ont pas de yourte vivent en majorité dans des abris et des grottes car il y fait chaud en hiver et frais en été. Comme ces habitations sont de la même couleur que la terre qui les entoure, il faut une vue perçante pour les repérer.
Hortense: Sainte Marie, mère de Dieu... Sont-ils dangereux?
:Zia: : Non... J'ai eu affaire à eux, Hortense. Ils ne sont pas méchants.
Hortense: Tu as eu de la chance, Zia.
:Laguerra: : J'espère que Mendoza en aura tout autant, de son côté...
:Gaspard: : Je suis sûr qu'il va bien, señorita. C'est un homme plein de ressources, vous savez. À mon avis, en ce moment précis, il doit faire une bonne sieste dans le condor. Il m'a semblé bien fatigué, ce matin. Il avait l'œil chassieux...
Y-avait-il là une allusion de la part du militaire? Était-il au courant de ce qui s'était passé entre Juan et elle? Le capitaine s'en était-il vanté, lui, qui d'ordinaire était si taciturne? La bretteuse n'en savait rien mais elle pouvait voir que les prunelles de Gaspard brillaient de malice. En songeant à la nuit qu'elle avait passée avec Mendoza, elle faillit laisser échapper un gloussement.
:Laguerra: : Tout a changé. Désormais, c'est lui et moi. Ensemble.
Un concept tout à fait nouveau, surprenant, mais tellement agréable. Et lorsqu'elle songea au plaisir, aux sensations éprouvées qu'elle avait connues dans les bras du capitaine, elle n'eut qu'une envie, qu'il revienne au plus vite afin de recommencer.
:Laguerra: : Où allons-nous vivre, tous les deux? Au village ou au fort? Il n'est plus question de galion, à présent... Et puis, comment allons-nous faire avec l'Ordre de Tao? Juan peut-il vraiment mettre fin à cette menace qui pèse encore sur nous? Et comment? Et Ambrosius, là-dedans?
Laguerra n'avait de réponse à aucune de ces questions. Faire régner la paix sur terre, quelle utopie! Juan-Carlos Mendoza était décidément un être hors du commun, qui ne ressemblait à aucun de sa connaissance. Son homme. Elle adorait le considérer ainsi. Et si quelqu'un pouvait réussir un tel exploit, si tant est que ce fût possible, elle décida que c'était bien lui.
Se forma en elle l'idée qu'elle l'aiderait de son mieux, dans son projet insensé. Elle l'épaulerait mais sans pour autant oublier de régler ses comptes et d'assouvir sa vengeance.
Car guerre ou pas, elle n'en démordrait pas, Zarès, cette pourriture de nain roux, devait payer.
Ces dernières pensées s'évanouirent dans son esprit lorsque Gaspard lui attrapa le poignet. Lui adressant un grand sourire, il relança:
:Gaspard: : Allez, ne vous en faites pas pour Mendoza. Il ne lui arrivera rien.
Gênée, elle opina.
:Laguerra: : J'espère que vous avez raison. Vous avez une pierre?
:Gaspard: : Quoi? Vous ne m'imaginez tout de même pas capable de croire en de telles superstitions?
:Laguerra: : Allons... Ne soyez pas si obtus, Gaspard. Je vous connais assez... Si je me souviens bien, ce n'est pas vous qui ne vouliez pas ouvrir le tombeau de la princesse Rana'Ori à Kûmlar? Mmmm?
Les lèvres de l'officier se serraient, puis se gonflaient doucement pour former cette fameuse moue Espagnole que, naguère encore, à Ormuz, avant leur rapprochement, la jeune femme trouvait insupportable.

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:Gaspard: : Si... Mais ce sont là deux choses bien différentes...
:Laguerra: : Eh bien moi, je pense que nous ne pouvons pas nous permettre de négliger une quelconque aide, que nous y croyions ou non.
Souriant à l'officier, son petit nez se redressa légèrement pour lui donner un air mutin.
Gaspard ramassa une pierre de la taille d'un poing. La duelliste s'en saisit et se pencha au-dessus du curieux monument afin de la placer.
Elle se redressa en faisant craquer ses vertèbres et s'étira sur la pointe des pieds. Ses bottes, délicatement cambrées, relevaient la courbure des ses jambes longues et fines. Sa taille mince était mise en valeur par son corset lacé aux creux parfait de sa chute de reins. Son décolleté laissait entrevoir la naissance d'une poitrine généreuse mais ferme, son mouvement, étirant ses bras et créant un gouffre entre ses seins, était comme une invitation à venir se perdre dans la vallée paradisiaque de sa peau nacrée.
Se sentant détaillée par Gaspard, la jeune femme poussa un soupir mais ne dit rien. Elle se cambra même un peu plus, histoire de lui chauffer un peu les sangs. Après tout, une part d'elle restait la provocante fille du docteur Laguerra.
:Laguerra: : Les hommes! Il y en un toujours un pour ne voir chez la femme qu'un bout de viande afin de satisfaire son plaisir...
Les yeux du barbu louchaient sur le fantasme parfait de tout mâle et ne semblaient ne plus pouvoir s'en détacher.
Durant le bref entretien entre les deux anciens lieutenants de Zarès, Li Shuang, un sourire creusant ses traits, s'adressa d'un ton très doux à Zia:
Li Shuang: Merci jeune fille.
:Zia: : Merci de quoi?
Li Shuang: De m'avoir ramené.
:Zia: : Ce n'était pas grand-chose.
Li Shuang: Si. Et je pèse mes mots.
Li Shuang serra doucement, tendrement la main de l'inca. Elle répondit à son étreinte du mieux qu'elle put alors qu'elle n'avait qu'une envie, s'abandonner dans ses bras pour mieux l'embrasser. Mais elle savait que les Orientaux, pour se saluer, se contentaient simplement d'incliner la tête à distance. Ils évitaient de se toucher et ne s'embrassaient pas en public, même par amitié. Cette poignée de main était déjà beaucoup pour le Chinois.
:Zia: : Au revoir, Li Shuang.
L'Élue s'éloigna de quelques pas en direction d'une cuvette. Hors de question d'user de sa magie à la vue de tous. Une fois à son faîte, son visage avait pris une tonalité minérale. De son regard ne filtrait plus que la concentration. Elle se mit à esquisser d'invisibles arabesques dans les airs. Comme pour suivre les mouvements de ses mains, jaillirent du sol de longues racines qui s'entremêlèrent, se tortillèrent, pour dessiner un grand portail en forme d'ogive végétale décorée de feuilles d'un vert lumineux, et de fleurs d'un jaune clair. Au cœur de cette arche naquit une lueur aussi intense que l'éclat du soleil, qui grandit jusqu'à occuper tout l'espace entre les racines. Zia prit son menton entre les doigts de sa main droite, pensive.
:Zia: : C'est tellement mieux qu'une porte ordinaire... ou qu'une gigue ridicule...
Pendant que la jeune sorcière usait de ses pouvoirs, l'Asiatique faisait maintenant face à Athanaos. Ce dernier sourit:
:Athanaos: : Li Shuang. Je te remercie encore pour ton aide à Chambord.
Li Shuang: Athanaos, merci pour la balade...
Les deux amis se saluèrent, se regardant bien en face. Entre eux, il n'y avait pas besoin de mots. Qu'ils le veuillent ou non, ils pouvaient se comprendre sans avoir besoin de parler.
S'élevant de la cuvette, la voix de Zia retentit:
:Zia: : Le portail ne restera pas stable longtemps! Vite, il faut y aller, à présent!
Le Chinois salua le reste de la troupe de la main et il n'y eut que Gaspard pour éviter son contact. Hortense, confiante, se précipita la première à travers le rideau doré, entraînant Hippolyte par la main. Habitué à la magie, Synésius suivit.
:Athanaos: : Isabella!
D'une voix ferme, le père d'Estéban l'appelait, tandis que Gaspard disparaissait à son tour de l'autre côté. Toujours plantée devant l'ovoo, la fille du docteur Laguerra, jusque-là perdue dans ses pensées, courut les rejoindre.
Menée par la mère du Bako, l'équipe d'alchimistes quitta le pays. Juste avant de disparaître dans la lumière du portail magique, Zia lança un dernier regard au gardien du ventre de Bouddha.

☼☼☼

Une fois arrivée à la deuxième étape de ses transferts magiques, Zia se sentait un peu lasse. Le portail les avait déposés, ses compagnons et elle, en pleine nature.
La jungle était immense. Feuillus et conifères gigantesques se côtoyaient et masquaient l'horizon telle une forteresse de bois et de verdure. Chênes, cyprès, cèdres, tecks, tous les arbres prenaient des proportions titanesques, leur cime atteignant parfois les douze toises de haut. Écorces fines et craquelées sur un tronc élancé, souples et grises telle un peau de rhinocéros, ou encore creusées de sillons ocre, ils offraient tous une sculpture unique, noyant les formes et les ombres.
En levant les yeux, les voyageurs pouvaient admirer des feuillages tantôt impénétrables, créant une voûte de ténèbres insondables. Allant du vert foncé au marron clair, les formes multiples des feuilles se mariaient pour créer le plafond d'une cathédrale végétale.
En tendant l'oreille, le moindre son témoignait de la vie qui rythmait les lieux. D'abord le craquement léger d'une brindille sous des pas, puis le murmure d'un ruisseau courant sous les racines noueuses. Le bourdonnement des insectes qui exploraient les troncs crevassés, ou volaient en nasse impénétrable. Le chant d'une multitude d'oiseaux voletant furtivement entre les branches, laissant apercevoir parfois les reflets de leur plumage coloré. Ou encore les cris perçants des singes, qui observaient avec crainte et curiosité tout ce qui se rapprochait de leur territoire.

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On pouvait croire ces lieux féeriques, offrant leur beauté immémoriale et leur témoignage de vie palpitante à tous les sens des promeneurs. Mais, au sein de cette canopée, peu de gens osaient se balader.
Car elle avait des gardiens.
Au détour du tronc majestueux d'un chêne millénaire, ou tapis dans un taillis, les tigres veillaient. Chasseurs ultimes, ils étaient à l'image de leur domaine. Atteignant un bon mètre au garrot, des crocs longs comme des dagues, une robe orange foncé rayée de noir, camouflage efficace parmi la flore, seul le reflet de leurs yeux dorés prévenait, bien trop tard, leur proie de leur présence. Servant de monture à Durga dans la mythologie Hindoue, ils étaient les seigneurs de ces bois, les sentinelles du cœur de ce monde.
Telle était la jungle Indienne, labyrinthe de verdure architectural qui recouvrait entièrement, à l'infini disaient certains, le sultanat de Delhi, et abritait le fort de Patala.
Les tigres n'étaient pas les seuls à veiller sur les parages.
De rares villages forestiers se dissimulaient dans la végétation.
Des habitations d'argile, de paille, de terre et d’agrégats recyclés, bâties dans une clairière naturelle, abritaient une population d'agriculteurs: les Jats.
Qu'ils soient Hindous, Musulmans ou Sikhs, hommes et femmes étaient d'une constitution robuste, à l'image des seigneurs végétaux qui les hébergeaient. Ils étaient vêtus de soie légère teinte de multiples couleurs, suivant une tradition séculaire, tantôt pieds nus, tantôt chaussés, certains portaient également des colliers, bracelets ou même des coiffes enturbannées. Leur peau, mate et tannée par le soleil, avait la couleur du blé mûr, parfois décorée de dessins complexes, tatoués ou peints sur le visage, les mains, voire même le corps tout entier. Les visages étaient plutôt allongés, les traits fins, les yeux en amande et les oreilles légèrement en pointe.
Les Jats étaient des Vaishyas, des paysans et bergers, membres de la société Indienne, traditionnellement divisée en quatre grandes classes sanctionnées par leur religion. Dans une perspective liée au système de castes, il leur incombait de nourrir les classes supérieures, eux se situant au troisième échelon, derrière les Brahmanes* et les Kshatriyas*.
C'était un jour comme un autre pour les villageois... Ou presque.
La société patriarcale venait de se réunir pour célébrer le Namakarana, la cérémonie de baptême dans l'Hindouisme. Comme le voulaient les traditions, à l'ouest, près du bassin où trônait la statue du dieu-singe Hanumān, un grand feu sacrificiel fut allumé. Il illuminait le fond du village, projetant des ombres dansantes sur les troncs géants environnants.
La cinquantaine d'individus mâles que comptait la communauté s'étaient réunis à la frontière entre la clarté du feu et de l'obscurité de la voûte des arbres. Les femmes se tenaient juste derrière, tenant leur progéniture par la main ou sur leurs épaules.
Accroupi sur l’herbe face au sud, Somappa, le nouveau père, faisait face à son épouse, Renuka. Celle-ci tenait leur nourrisson âgé d'une dizaine de jours.
Les deux parents étaient vêtus de nouveaux vêtements, leur enfant caché dans un morceau de tissu propre après avoir été immergé dans le bassin.
Des prières furent prononcées jusqu'à ce que Renuka confie la petite fille à son père. Un anneau doré fut placé dans un récipient en cuivre contenant du beurre clarifié, puis les offrandes furent jetées dans le foyer.
Un chant rauque s'élevait en chœur vers le ciel, résonnant à travers la voûte des branchages qui semblait à son tour se pencher au-dessus de l'assistance pour mieux assister au rituel.
Puis, l’objet doré fut retiré des flammes, lavé et attaché autour du cou du bébé par son père. Ce dernier enduit alors sa main de ghi, la réchauffa au-dessus du feu, toucha ensuite le front de sa fille, renifla sa tête et donna une bénédiction. Puis il lui attribua le doux nom de Shrusti.
L'arrivée des étrangers, traversant le pont de la rivière Ghaggar, fut enfin repérée.

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En dépit de la présence de l'ancien bras droit de Barbe-rouge et de trois alchimistes, personne ne se montrait menaçant. Le principe primordial de vie d'un Hindou était la non-violence envers tous les êtres. En vertu de l'Ahimsā, ils furent donc accueillis avec bienveillance, contrairement aux craintes de Mendoza.
Tout en marchant, les nouveaux venus furent observés par une centaine de regards, parfois respectueux, parfois craintifs. Gaspard, en particulier, devint le centre de l'attention. L'officier attira très vite des dizaines de curieux, en particulier les enfants qui, sans se laisser impressionner, s'approchèrent pour le toucher ou lui tirer les cheveux. Amusé, il se prêta au jeu, allant jusqu'à mimer quelques grimaces qui déclenchèrent de grands éclats de rire. Isabella s'arrêta, surprise, pour regarder José-Maria soudain transformé en nourrice facétieuse. Le voir se comporter ainsi fit pouffer l'aventurière tout autant que lorsqu'il entama son pas de danse au pays Maasaï. Athanaos se joignit à elle.
Zia observait, les yeux ronds. Elle ne se souvenait pas d'avoir vu un jour le capitaine Espagnol se comporter autrement que comme une brute épaisse. Elle se souvint de la fois où il avait voulu les embrocher, Tao, Estéban et elle, dans la nef d'Ambrosius alors qu'ils venaient de sortir de la Montagne de la Lune. Et le voici qui mimait des animaux à grands renforts de gestes, de bruits et de mimiques, pour la plus grande joie des petits amassés autour de lui.
Tout en amusant la galerie, Gaspard constata que le village vibrait d'un élan particulier, bon enfant, d'un élan vigoureux et communicatif, d'un élan dû à la découverte de cette nouvelle terre, de ce paradis qu'il fallait encore dompter: le parfum de la liberté, épicé et sauvage.
Coloniser une telle zone représentait un défi envoûtant, riche en possibilités. Ici, plus que nulle part ailleurs l'on pouvait oublier les échecs ou les déceptions du passé, et se forger un destin plus enviable.
Patala, un nouvel éden, de nouveau espoirs pour l'officier.
Il remarqua également que la jeune inca était connue. Elle répondit à certains salut d'un geste ou d'une parole amicale.
Puis, il observa un très vieil homme aux longs cheveux gris tressés, vêtu d'un ample vêtement blanc venir à leur rencontre, accompagné d'un jeune garçon et d'une belle jeune fille qui fit:
:?: : Salut à toi, Zia.
Baissant la tête sans quitter son amie des yeux, la jeune sorcière répondit:
:Zia: : Salut à toi, Indali... Bonjour Gunjan.
Le cornac joignit ses mains et inclina la tête avant de balayer les alentours du regard.
Gunjan: Vos autres compagnons ne sont pas avec vous?
Indali: En effet, je ne vois pas Tao...
L'Indienne se dépêcha d'ajouter:
Indali: ... et Estéban.
:Zia: : Ils ont eu un petit contretemps. Sancho et Pedro ne viendront pas. En revanche, Estéban, Mendoza et Tao nous rejoindront plus tard.
Indali cacha tant bien que mal sa déception.
Tandis que les jeunes gens s'entretenaient, le vieil homme se tourna vers les adultes.
Au milieu du labyrinthe de rides creusant son visage, les deux petites billes noires qu'étaient les yeux de l'homme se posèrent sur le groupe. Un sourire dessina de nouvelles marques d'infinie sagesse autour de sa bouche. Puis Darshan, sage du village des Jats, parla:
:idea: : Athanaos, le prophète voyageur. Je te retrouve encore plus troublé que lors de ta dernière visite, mon ami. Voici que les Esprits nous imposent à tous deux de dures épreuves.
:Athanaos: : En effet, Darshan le sage. Et je viens à nouveau recueillir tes conseils.
Le vieil homme s'approcha de l'inca avec ce même sourire bienveillant:
Darshan: Zia, fille du grand prêtre Papacamayo. Shiva, Brahmā et Vishnou m'ont révélé ton visage quand vous avez passé le Grand Rideau, chère enfant. Ils m'ont soufflé que tu incarnerais l'espoir de notre peuple, toi qui a déjà sauvé le monde.
L'Élue regarda Indali, intriguée de constater que le sage, qu'elle n'avait jamais rencontré auparavant, connaissait son nom, mais aussi celui de son défunt père. Quant à être un espoir, elle ne sut quoi répondre.
Mais le vieil homme n'attendait rien d'elle. Il marcha lentement jusqu'à Hortense, toujours ce formidable sourire que seuls les vieux, très vieux initiés à une réelle spiritualité pouvaient afficher. Un sourire qui disait juste: "Là où tu vas, je suis déjà revenu."
Darshan: Aaaah... Marguerite qui ne veut plus qu'on l'appelle comme ça... Fuir son nom, c'est fuir qui nous sommes vraiment, alchimiste du feu. Tu brûles de passion pour l'avenir, mais tu crains encore le passé...
Hortense renifla. Elle avait toujours eu horreur de ces vieux-là, justement. Ceux qui croient avoir tout vu, tout fait, et qui prennent tout le monde de haut, assis sur leur montagne de soi-disant sagesse. Mais elle ne pouvait pas nier que Darshan avait raison. Diplomate, elle se retint d'émettre une remarque bien sentie. Le vieux pouvait être capable de lire dans les pensées, alors elle fit le vide en elle et lui rendit son sourire, sans pouvoir contenir un air moqueur. Le sage s'en moquait éperdument, son attention à présent dirigée sur la fille du docteur Laguerra. Décidée à conserver un minimum d'anonymat, l'aventurière prit les devants en disant d'une voix tranchante:
:Laguerra: : Merci Darshan le sage, je connais mon nom.
Ce dernier partit d'un petit rire craquant comme du bois sec:
Darshan: Envoûtante, mystérieuse... Oui Isabella, je sais qui tu es car les membres de la Trimūrti me l'ont soufflé à l'oreille. Ils me disent aussi que vous venez animés de bonnes intentions envers les Hindous. Hélas, vous apportez aussi dans votre sillage le sang et la mort...
Athanaos intervint:
:Athanaos: : Au contraire. Nous ne voulons qu'aider votre peuple et préserver l'humanité entière d'une terrible menace.
Darshan: Le vent et la terre m'ont montré en rêve un homme sans visage, ses poings couverts de sang frais, le sang des colons de l'ouest et des Hindous.
:Athanaos: : Oui, oui! Il s'agit probablement d'Ambrosius et de ses mercenaires. Ce sont eux qui menacent ton peuple et les autres. C'est pourquoi nous devons nous entretenir avec le Radjah.
Darshan, Indali et Gunjan observèrent Athanaos longuement, sans un mot ni un geste. Puis le vieux sage parla:
Darshan: Nous devons méditer et apaiser la colère des dieux. Nous allons vous loger pour la nuit. Vous resterez ici jusqu'à ce que Sûrya* se lève demain.
Et le vieux sage s'éloigna. Le père d'Estéban voulut lui parler de la création du nouvel Ordre mais il n'écoutait plus. Athanaos parlait dans le vide.
L'aventurière s'approcha d'Hortense, toutes deux peu rassurées par la tournure que prenaient les événements. Isabella chuchota:
:Laguerra: : J'ai comme un mauvais pressentiment...
Hortense: Le vieux est peut-être très sage, mais il n'a pas conscience du danger que représente Ambrosius. Il est enfermé dans ses traditions et sa religion. Sans un signe des dieux, il ne bougera pas.
:Laguerra: : Alors on va lui donner un signe. Après tout, nous avons avec nous l'espoir des Hindous, non?
Zia se tourna vers elles, sentant qu'elle était concernée. Les deux femmes alchimistes la regardaient avec un sourire complice. S'il fallait méditer jusqu'au lendemain matin, cela leur laissait l'après-midi et la soirée à venir pour les convaincre d'être prudents.
Indali annonça:
Indali: En attendant, une grande fête se prépare. Joignez-vous à nous.

À l'approche de la nuit, l'aventurière se retrouva avec les autres, autour du grand feu, assise en tailleur sur un tapis de laine tissée, au milieu d'une trentaine d'indigènes.
Elle avait passé l'après-midi avec Zia, à arpenter le village de leurs hôtes. Les Jats comptaient effectivement une bonne centaine d'âmes.
Les alchimistes avaient été placés de part et d'autre du vieux Darshan, Synésius et Athanaos à sa droite, Hortense et Hippolyte à sa gauche. À côté du prophète voyageur venait l'inca. Isabella et Gaspard, quant à eux, étaient assis non loin du magicien au couvre-chef bleu.
Alors que des écuelles remplies de légumes leur étaient servies, plusieurs hommes et femmes, vêtus de tuniques multicolores décorées de perles et autres colifichets, se regroupèrent autour du feu. Tous portaient un grand collier de fleurs.
Des tambours dameru et mridang commencèrent à résonner en rythme et, derrière le cercle, des voix s'élevèrent. Les danseurs se mirent à se mouvoir, en gestes saccadés, d'abord disgracieux, en tournant autour du brasier. Dans tout le village se fit entendre l'écho du chant, repris par quelques personnes, puis par des dizaines de gorges. L'effet était hypnotique.
Sur une brusque impulsion, Zia s'était levée et avait fait quelques pas en direction des danseurs, fascinée par leur chorégraphie. Elle interrogea le vieux sage des yeux. Brillant d'une joie toute enfantine, ses prunelles clamaient:
:Zia: : J'aimerais me joindre à eux.
Darshan dut être touché par sa candeur car à son tour il se leva et s'approcha de la jeune fille avec un grand sourire. Il tira de sa besace un collier et le lui passa autour du cou. Il désigna ensuite les danseurs de la main.
L'Élue se tourna vers Laguerra et Athanaos, qui hochèrent la tête avec amusement.
Comme chez les Dogon, bondissant comme un cabri, la mère du Bako rejoignit le cercle et se mit à bouger au rythme des percussions effrénées.

À suivre...

*
*Jelani: Prénom Maasaï signifiant "puissant".
*Imamu: Prénom Maasaï signifiant "chef spirituel".
*Brahmanes: Caste des prêtres, enseignants et hommes lettrés.
*Kshatriyas: Caste des rois, princes, et guerriers.
*Sûrya: Dieu du soleil en Inde.
Modifié en dernier par TEEGER59 le 02 mai 2021, 21:28, modifié 1 fois.
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par Marcowinch »

Un superbe chapitre ! :) Je suis admiratif devant le soin que tu apportes aux détails, notamment les descriptions des paysages et des coutumes, qui rendent ton récit très vivant.
*** :Tao: :Zia: :Esteban: Ma fanfic MCO : La Huitième Cité :) :Esteban: :Zia: :Tao: ***
J'espère qu'elle vous plaira :D

:Esteban: Bah voyons, Pattala ! C'est pas dans ce coin-là que vit la jolie Indali ? :tongue:
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Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par IsaGuerra »

→ Tao qui se perd toujours dans ses explications à rallonge j'adore
cette pourriture de nain roux → Ça ça me fait toujours rire mdrr
José-Maria soudain transformé en nourrice facétieuse → Parfaite image en tête là merci !

Un joli chapitre avec un beau texte et des montages très réussis ^^
« On le fait parce qu'on sait le faire » Don Flack
« Ne te met pas en travers de ceux qui veulent t'aider » Sara Sidle

« J'ai de bonnes raisons de faire ce que je fais » Isabella Laguerra
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