Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2
Posté : 09 avr. 2022, 14:19
Allez, encore un petit carré pour le week-end, le chapitre sera fini en 8 parties, il faut déguster en prenant son temps!
Partie 4.
Quelques heures plus tard, Isabella se promenait dans le parc du château en compagnie de Gomez. Le soleil d’automne commençait à décliner. Vaincue par la fatigue, elle n’avait pas résisté au sommeil avant le retour de Liselotte, et cette dernière avait impatiemment attendu son réveil, partagée entre l’envie de raconter son exploit, et la crainte de déplaire. Elle avait longuement préparé sa défense, inutilement. Isabella était trop mécontente contre elle-même de s’être endormie, pour songer à s’emporter contre Liselotte, et ne la félicita pas non plus. La déception fut rude, mais la servante se consola quand sa maîtresse l’envoya avertir Gomez de la retrouver dans le parc. Si elle ne la félicitait pas pour son initiative, elle avait malgré tout besoin d’elle comme intermédiaire. Elle ne se doutait pas qu’Isabella profitait des minutes qui la séparaient de l’entrevue pour faire prévenir l’empereur et le chef de la garde de ce qu’elle faisait. Elle s’était ensuite postée bien en vue près de la fontaine du premier parterre. Elle avait eu tout le temps de l’observer tandis qu’il s’approchait, cherchant à déceler dans sa démarche, son attitude, quelque indice de son état d’esprit. Elle en avait conclu qu’il n’était pas tranquille. Une chose l’intriguait surtout, une légère boiterie qu’elle n’avait jamais remarquée auparavant. Elle le trouva aussi particulièrement engoncé dans son manteau, et il lui parut se pencher en avant avec une raideur inhabituelle pour la saluer. Elle décida de lui en faire tout de suite la remarque.
I : Je suis désolée de vous faire sortir si tard, la fraîcheur est bien vive, mais j’aime à me promener aux derniers rayons du soleil, en solitaire.
Go : Cela ne me dérange pas, au contraire, nous serons plus à l’aise pour parler.
I : Mais votre long voyage semble vous avoir épuisé, et je crains que vous ne soyez tout à fait remis de votre fatigue.
Go : Vous plaisantez ? J’ai mangé, bu et dormi plus que nécessaire en attendant de vos nouvelles, et me voilà tout disposé à satisfaire votre curiosité !
I : Etes-vous sûr ? J’ai cru remarquer que vous boitiez un peu.
Go : Oh ? L’humidité de ce pays, sans doute, ma jambe semble y être sensible. A moins que je ne sois descendu un peu trop vivement de cheval ce matin.
I : Vous étiez pressé d’arriver, je suppose…
Go : Bien sûr ! On l’est toujours quand il s’agit de porter des nouvelles à l’empereur ! Si j’avais su que vous étiez là également, je n’aurais pas manqué de vous rendre visite, mais j’avais cru comprendre que vous iriez avec vos amis…
I : J’ai décidé de rester encore un peu en Europe. Je n’avais pas envie de les embarrasser de ma présence, et puis, je me suis dit que je pourrais apprendre quelque chose, d’une façon ou d’une autre. Mais mon séjour jusqu’à présent a été bien morne, et l’empereur me tient à l’écart de ses affaires, alors que je lui ai fourni plusieurs renseignements, et conseillé de redoubler d’attention dans sa surveillance du Prince, en lui décrivant nos ennemis, leur mode opératoire…et j’ignorais qu’il vous avait mandé pour lui faire un rapport. Je sais qu’il reçoit régulièrement des courriers de son ancien secrétaire, Gonzalo Pérez, qui est maintenant le secrétaire particulier de Philippe. Jusqu’à présent, je pensais que ces courriers ne contenaient rien d’important, du moins c’est ce qu’il m’a laissé entendre.
Go : Eh bien, disons que je me suis permis d’intervenir à titre personnel…quant aux courriers de Gonzalo Pérez, ils ne contenaient pas la vérité.
I : Tiens donc…qu’avez-vous découvert de si important pour venir vous-même en référer à l’empereur ? Un courrier n’aurait pas suffi ?
Go : Ne vous moquez pas ! Mettriez-vous en doute la gravité de la situation ?
I : L’empereur ne m’a pas paru particulièrement alarmé ce matin.
Go : Dites plutôt qu’il n’a pas voulu vous alarmer !
I : Expliquez-vous alors.
Go : Je vois bien qu’il le faut…mais je compte sur votre discrétion. Voyez-vous, j’ai omis certains détails dans mon rapport ce matin.
I : Le rapport que vous avez fait à l’empereur n’était donc que le prétexte de votre venue.
Go : Vous êtes redoutable !
I : Non, c’est vous qui tournez autour du pot sans savoir comment vous allez vous en sortir. Je vous croyais plus fin.
Go : Si nous marchions un peu ? A rester ainsi debout, je crains que vous ne preniez froid.
Isabella acquiesça. Ils s’éloignèrent du château en direction des bosquets. La démarche de Gomez était toujours aussi raide, et il semblait boiter davantage. La jeune femme se demanda s’il ne le faisait pas exprès, ou s’il ne cherchait plus à dissimuler sa boiterie maintenant qu’elle l’avait remarquée. Elle ne se rappelait pas l’avoir vu boiter le matin, mais elle était loin, le jour pointait à peine. Il rompit brusquement le silence qui s’était installé.
Go : Votre frère a été agressé. Une blessure légère. Mais il ne se remet pas comme prévu, il est tombé malade depuis, peut-être à cause de cette blessure.
Elle ne manifesta aucune émotion particulière. Croyait-il vraiment que ce genre de nouvelle l’intéressait ? Toutefois, l’annonce de la maladie piqua sa curiosité.
I : Vous soupçonnez un empoisonnement ?
Go : En quelque sorte….et je n’ai pas envie de subir le même sort.
Elle le laissait patiemment livrer ses informations par bribes, consciente qu’il tentait de jouer avec ses nerfs.
I : Vous avez donc fui.
Go : Cela vous paraît lâche…les symptômes dont souffrent votre frère n’ont rien de plaisant, voyez-vous.
I : Ils n’ont pas l’air si graves, puisqu’il n’est pas mort, à moins qu’il ne le soit à l’heure où nous parlons.
Go : Je ne le crois pas, les médecins n’ont pu se prononcer avec certitude quant à l’issue, ils semblaient penser que le mal progresserait avec lenteur, entraînant une déchéance, pendant des mois, voire plus.
I : Je lui souhaite dans ce cas de mourir le plus rapidement possible. Vous savez que je ne le regretterai pas, pourquoi me raconter cela ? Ce serait une vengeance ?
Go : De nos ennemis, oui, j’en suis quasiment sûr. Ce Gonzales, ou Garrido, peu importe, est peut-être mort, et je n’ai trouvé aucune trace de sa mère, mais j’ai découvert qu’il y avait encore un membre de la famille à Barcelone, le père.
Elle constata avec déplaisir que l’annonce de l’hypothétique mort de Gonzales ne la laissait pas indifférente. Elle se revit dans la taverne, le jour où le jeune métis lui avait fait le récit de sa vie.
I : Je sais, il m’avait raconté son histoire. Son père avait abandonné sa mère pour partir aux Amériques, en l’emmenant avec lui. Ils s’étaient brouillés au retour.
Go : C’est apparemment le cas, effectivement. Je ne sais pas ce qu’il est advenu de cette Hava quand ils sont partis, sa dernière trace m’a mené à un de ces établissement peu fréquentable des bas-fonds de Barcelone qu’aime à fréquenter votre frère. Il est même probable qu’il ait rencontré cette femme. Quant au père, il a chassé son fils, une histoire de rivalité amoureuse si on en croit les indiscrétions des voisins. J’ai fait surveiller sa maison, et je n’ai remarqué aucune visite suspecte. Par contre, je n’étais pas le seul à la faire surveiller. Impossible pourtant de remonter à la source, ceux qui ont intérêt à surveiller les agissements du père sont encore plus habiles que moi.
I : Hava…
Elle n’avait jamais songé à elle comme une femme abandonnée, trahie, comme si le récit de Gonzales ne correspondait pas à la réalité. Gomez venait de la confronter à cette réalité, et elle en fut contrariée. Elle chassa vite la pensée que cette femme ait pu subir quoi que ce soit de la part de son frère.
Go : C’est fort probable. Son mari a encore un jeune fils. Peut-être veut-elle s’en prendre à lui ? Je n’ai pas voulu attendre toutefois pour vérifier si cette hypothèse est juste.
I : Roberto s’est fait agresser entre temps…
Go : Exactement. Et le père aussi. Légère blessure, là encore, à quelques pas de chez lui. Puis des symptômes similaires à ceux de votre frère. Cette femme semble avoir le goût de la vengeance, si vous voulez mon avis.
Se vengeait-elle de ce que lui avaient fait subir ces deux hommes, Roberto et son mari ? Elle se souvint que Gonzales lui avait raconté que son père s’était remarié aux Amériques et qu’il avait eu un enfant de sa deuxième femme. Chassée, remplacée, violentée, elle avait des raisons de vouloir se venger ! L’idée qu’Hava pouvait être une victime révolta Isabella. Pourquoi Gomez lui racontait-il tout cela ?
I : Tout cela relève de la vengeance personnelle, cela n’a rien à voir avec nous ! Avec l’empereur !
Go : Vous concevez pourtant qu’elle puisse s’en prendre à moi pour avoir gêné les manœuvres de son fils, et peut-être provoqué sa mort.
I : Ce sont vos problèmes ! Si je me souviens bien, vous n’avez été guidé dans cette affaire que par votre propre intérêt, et un esprit de revanche !
Go : Je reconnais que je n’ai pas apprécié que Gonzales me double auprès de Philippe, avec ses manigances pour se mettre le prince dans la poche, en lui faisant miroiter un équipement militaire qui lui permettrait de mettre fin aux guerres menées par l’Empereur, trop coûteuses à son goût, peu efficaces. L’Empereur ne veut pas en entendre parler, mais s’il s’avère que son fils a raison et a fait le bon choix, Philippe pourra arguer de sa victoire pour prendre le pouvoir plus tôt. Il ronge son frein en attendant que son père officialise son titre de Duc de Milan, il en a assez d’être assisté par un conseil de régence sans pouvoir décider seul des affaires de l’Espagne. Malgré toute l’admiration qu’il a pour son précepteur et conseiller Juan de Zuniga, l’ami de son père, il aimerait voler de ses propres ailes.
I : Je suis au courant ! Vous aviez vous-même l’intention de favoriser les projets de Philippe, et comme il vous a préféré quelqu’un de plus compétent, vous essayez de rentrer en grâce auprès de l’empereur en espionnant son fils. C’est pathétique. Mais cela ne m’apprend rien.
Gomez perçut l’irritation de son interlocutrice, qui s’arrêta brusquement. Elle se campa face à lui, bras croisés. Il avait assez joué.
Go : On lui a livré un prototype de ces fameuses machines de guerre à carapace. En parfait état de marche. Vous vous doutez bien de qui il peut s’agir.
Prudemment, il avait décidé de ne plus prononcer le nom d’Hava ou de Gonzales.
I : Voilà donc ce que vous êtes venu annoncer à l’empereur.
G : Oui. Et ni Juan de Zuniga, ni aucun des autres membres du conseil de régence ne sont au courant. Seul Gonzalo Pérez l’est. Et il n’en a rien dit.
I : Un problème de courrier ?
Go : Même s’il se décide à informer l’empereur, cela ne change rien au fait que ce soit un traître. C’est lui qui a organisé la transaction. Il aura du mal à cacher sa responsabilité ou à se disculper.
I : Vous avez une preuve ? Charles Quint lui fait toute confiance, et l’a justement chargé de surveiller son fils….
Go : Quelqu’un le fait chanter. Certaines rumeurs l’accusent d’avoir conçu son fils Antonio alors qu’il avait déjà été ordonné prêtre. On dit aussi qu’Antonio serait le fils du Prince d’Eboli, qui lui aurait demandé d’endosser cette paternité pour éviter à son fils d’être un bâtard. D’autres racontent que Pérez ne serait pas de sang pur, que c’est un descendant de marranes. On n’apprécie pas qu’un descendant de juifs convertis soit aussi proche du pouvoir. Charles Quint n’a jamais ajouté foi à ces rumeurs, et lui accorde toute sa confiance, car il pense que ce n’est que par pure jalousie que certains veulent nuire à la réputation de cet homme, qui soutient sa vision de l’Empire et pense que l’ennemi principal, ce sont les princes protestants, pas Soliman le Magnifique. Moi, je parie qu’une de ces rumeurs est vraie. Quelqu’un sait laquelle, a des preuves et fait pression sur lui. Philippe ne peut rien dépenser sans que le conseil de régence soit au courant, or il a payé pour recevoir le prototype. J’ai des témoins qui affirment avoir été payés pour accompagner Philippe et son secrétaire lors de la réception du prototype.
I : Comment peuvent-ils être sûrs qu’il s’agissait du Prince et de son secrétaire ? Je trouve Philippe bien imprudent de s’exposer ainsi.
Go : Il doit jouer serré, ou les membres du conseil seront au courant.
I : S’ils ne le sont pas déjà, ce sont des imbéciles.
Go : Ne sous-estimez pas Philippe, ni Pérez. Et ne me sous-estimez pas non plus. D’après la description faite par mes témoins, et la façon dont les deux hommes se sont adressés l’un à l’autre, il ne peut s’agir que d’eux, malgré tous leurs efforts pour dissimuler leur identité. N’oubliez pas que j’ai servi Philippe, et qu’il a appris de moi quelques ruses.
I : Tout repose donc sur votre expertise et vos témoins…c’est un peu léger. Et comment Philippe a-t-il trouvé de quoi payer le prototype, et soudoyer les hommes qui l’accompagnaient ? Vous savez bien qu’il n’est pas libre de ses dépenses. Et vous-même, comment avez-vous fait ?
Go : Eh eh, j’ai toujours ma petite réserve…le commerce des médaillons est très lucratif… Pérez, en tant que secrétaire particulier de Philippe, s’est débrouillé pour lui trouver la somme, mais il n’a pas été très discret : j’ai pu le prendre en filature sans qu’il me remarque jusqu’à la boutique d’un joailler. Je le soupçonne d’avoir vendu quelques bijoux, mais je ne sais lesquels : je comptais rendre une visite discrète après la fermeture au joailler en question, histoire de le cuisiner un peu à ma façon, en toute tranquillité, mais la boutique avait été incendiée et le brave homme avait péri avec toute sa famille. Bien sûr, les coupables ont tout emporté avant de mettre le feu.
I : Hava….
Go : C’est fort probable, et c’est très malin : ainsi ils ont l’or et les bijoux !
I : Pérez aurait pu donner les bijoux directement.
Go : Sans doute une exigence de ces bandits, histoire de ne pas s’embarrasser à revendre les bijoux.
I : Bon, si je résume, l’empereur sait que son fils lui a désobéi, que son secrétaire est de mèche, et il garde son sang-froid. Vous a-t-il dit ce qu’il allait faire ?
Go : Mettre au courant le conseil, bien entendu. Ainsi Philippe ne pourra plus rien faire, et tant pis pour Pérez.
I : Vous allez porter le courrier ?
Go : J’ai laissé entendre à sa majesté que ce n’était pas très prudent. J’ai pu être suivi, on a pu découvrir que j’espionnais les affaires de Philippe, malgré mes précautions. Il vaut mieux que je disparaisse quelque temps, d’autant plus que je n’ai pas envie de subir le sort de votre frère.
I : Vous pourriez profiter de l’hospitalité de Charles Quint.
Go : Je préfère agir selon mes méthodes. Je suis une proie trop facile ici. On ne peut compter sur personne. Tenez, votre servante, qui décide de se mêler de ce qui ne la regarde pas….
I : Si vous ne faites confiance à personne, quel crédit dois-je accorder à vos informations ?
Go : Vous vouliez savoir, vous savez. Charles Quint confirmera mes dires, bien entendu, à part ce que je vous ai raconté sur Hava, Roberto et le père de Gonzales.
I : Vous avez dit que cette femme était animée par la vengeance. Mais quel intérêt a-t-elle à fournir des machines de guerre à Philippe et à lui extorquer de l’argent ?
Go : Bah, elle doit avoir ses raisons, et ce n’est pas mon affaire. Je crois en avoir assez fait pour mon pays. A vous de creuser plus avant, si cela vous inquiète tant. Mais si vous voulez mon avis, j’éviterais de chercher à croiser à nouveau la route de ces criminels.
I : J’ai bien peur de ne pas pouvoir choisir…
Partie 4.
Quelques heures plus tard, Isabella se promenait dans le parc du château en compagnie de Gomez. Le soleil d’automne commençait à décliner. Vaincue par la fatigue, elle n’avait pas résisté au sommeil avant le retour de Liselotte, et cette dernière avait impatiemment attendu son réveil, partagée entre l’envie de raconter son exploit, et la crainte de déplaire. Elle avait longuement préparé sa défense, inutilement. Isabella était trop mécontente contre elle-même de s’être endormie, pour songer à s’emporter contre Liselotte, et ne la félicita pas non plus. La déception fut rude, mais la servante se consola quand sa maîtresse l’envoya avertir Gomez de la retrouver dans le parc. Si elle ne la félicitait pas pour son initiative, elle avait malgré tout besoin d’elle comme intermédiaire. Elle ne se doutait pas qu’Isabella profitait des minutes qui la séparaient de l’entrevue pour faire prévenir l’empereur et le chef de la garde de ce qu’elle faisait. Elle s’était ensuite postée bien en vue près de la fontaine du premier parterre. Elle avait eu tout le temps de l’observer tandis qu’il s’approchait, cherchant à déceler dans sa démarche, son attitude, quelque indice de son état d’esprit. Elle en avait conclu qu’il n’était pas tranquille. Une chose l’intriguait surtout, une légère boiterie qu’elle n’avait jamais remarquée auparavant. Elle le trouva aussi particulièrement engoncé dans son manteau, et il lui parut se pencher en avant avec une raideur inhabituelle pour la saluer. Elle décida de lui en faire tout de suite la remarque.
I : Je suis désolée de vous faire sortir si tard, la fraîcheur est bien vive, mais j’aime à me promener aux derniers rayons du soleil, en solitaire.
Go : Cela ne me dérange pas, au contraire, nous serons plus à l’aise pour parler.
I : Mais votre long voyage semble vous avoir épuisé, et je crains que vous ne soyez tout à fait remis de votre fatigue.
Go : Vous plaisantez ? J’ai mangé, bu et dormi plus que nécessaire en attendant de vos nouvelles, et me voilà tout disposé à satisfaire votre curiosité !
I : Etes-vous sûr ? J’ai cru remarquer que vous boitiez un peu.
Go : Oh ? L’humidité de ce pays, sans doute, ma jambe semble y être sensible. A moins que je ne sois descendu un peu trop vivement de cheval ce matin.
I : Vous étiez pressé d’arriver, je suppose…
Go : Bien sûr ! On l’est toujours quand il s’agit de porter des nouvelles à l’empereur ! Si j’avais su que vous étiez là également, je n’aurais pas manqué de vous rendre visite, mais j’avais cru comprendre que vous iriez avec vos amis…
I : J’ai décidé de rester encore un peu en Europe. Je n’avais pas envie de les embarrasser de ma présence, et puis, je me suis dit que je pourrais apprendre quelque chose, d’une façon ou d’une autre. Mais mon séjour jusqu’à présent a été bien morne, et l’empereur me tient à l’écart de ses affaires, alors que je lui ai fourni plusieurs renseignements, et conseillé de redoubler d’attention dans sa surveillance du Prince, en lui décrivant nos ennemis, leur mode opératoire…et j’ignorais qu’il vous avait mandé pour lui faire un rapport. Je sais qu’il reçoit régulièrement des courriers de son ancien secrétaire, Gonzalo Pérez, qui est maintenant le secrétaire particulier de Philippe. Jusqu’à présent, je pensais que ces courriers ne contenaient rien d’important, du moins c’est ce qu’il m’a laissé entendre.
Go : Eh bien, disons que je me suis permis d’intervenir à titre personnel…quant aux courriers de Gonzalo Pérez, ils ne contenaient pas la vérité.
I : Tiens donc…qu’avez-vous découvert de si important pour venir vous-même en référer à l’empereur ? Un courrier n’aurait pas suffi ?
Go : Ne vous moquez pas ! Mettriez-vous en doute la gravité de la situation ?
I : L’empereur ne m’a pas paru particulièrement alarmé ce matin.
Go : Dites plutôt qu’il n’a pas voulu vous alarmer !
I : Expliquez-vous alors.
Go : Je vois bien qu’il le faut…mais je compte sur votre discrétion. Voyez-vous, j’ai omis certains détails dans mon rapport ce matin.
I : Le rapport que vous avez fait à l’empereur n’était donc que le prétexte de votre venue.
Go : Vous êtes redoutable !
I : Non, c’est vous qui tournez autour du pot sans savoir comment vous allez vous en sortir. Je vous croyais plus fin.
Go : Si nous marchions un peu ? A rester ainsi debout, je crains que vous ne preniez froid.
Isabella acquiesça. Ils s’éloignèrent du château en direction des bosquets. La démarche de Gomez était toujours aussi raide, et il semblait boiter davantage. La jeune femme se demanda s’il ne le faisait pas exprès, ou s’il ne cherchait plus à dissimuler sa boiterie maintenant qu’elle l’avait remarquée. Elle ne se rappelait pas l’avoir vu boiter le matin, mais elle était loin, le jour pointait à peine. Il rompit brusquement le silence qui s’était installé.
Go : Votre frère a été agressé. Une blessure légère. Mais il ne se remet pas comme prévu, il est tombé malade depuis, peut-être à cause de cette blessure.
Elle ne manifesta aucune émotion particulière. Croyait-il vraiment que ce genre de nouvelle l’intéressait ? Toutefois, l’annonce de la maladie piqua sa curiosité.
I : Vous soupçonnez un empoisonnement ?
Go : En quelque sorte….et je n’ai pas envie de subir le même sort.
Elle le laissait patiemment livrer ses informations par bribes, consciente qu’il tentait de jouer avec ses nerfs.
I : Vous avez donc fui.
Go : Cela vous paraît lâche…les symptômes dont souffrent votre frère n’ont rien de plaisant, voyez-vous.
I : Ils n’ont pas l’air si graves, puisqu’il n’est pas mort, à moins qu’il ne le soit à l’heure où nous parlons.
Go : Je ne le crois pas, les médecins n’ont pu se prononcer avec certitude quant à l’issue, ils semblaient penser que le mal progresserait avec lenteur, entraînant une déchéance, pendant des mois, voire plus.
I : Je lui souhaite dans ce cas de mourir le plus rapidement possible. Vous savez que je ne le regretterai pas, pourquoi me raconter cela ? Ce serait une vengeance ?
Go : De nos ennemis, oui, j’en suis quasiment sûr. Ce Gonzales, ou Garrido, peu importe, est peut-être mort, et je n’ai trouvé aucune trace de sa mère, mais j’ai découvert qu’il y avait encore un membre de la famille à Barcelone, le père.
Elle constata avec déplaisir que l’annonce de l’hypothétique mort de Gonzales ne la laissait pas indifférente. Elle se revit dans la taverne, le jour où le jeune métis lui avait fait le récit de sa vie.
I : Je sais, il m’avait raconté son histoire. Son père avait abandonné sa mère pour partir aux Amériques, en l’emmenant avec lui. Ils s’étaient brouillés au retour.
Go : C’est apparemment le cas, effectivement. Je ne sais pas ce qu’il est advenu de cette Hava quand ils sont partis, sa dernière trace m’a mené à un de ces établissement peu fréquentable des bas-fonds de Barcelone qu’aime à fréquenter votre frère. Il est même probable qu’il ait rencontré cette femme. Quant au père, il a chassé son fils, une histoire de rivalité amoureuse si on en croit les indiscrétions des voisins. J’ai fait surveiller sa maison, et je n’ai remarqué aucune visite suspecte. Par contre, je n’étais pas le seul à la faire surveiller. Impossible pourtant de remonter à la source, ceux qui ont intérêt à surveiller les agissements du père sont encore plus habiles que moi.
I : Hava…
Elle n’avait jamais songé à elle comme une femme abandonnée, trahie, comme si le récit de Gonzales ne correspondait pas à la réalité. Gomez venait de la confronter à cette réalité, et elle en fut contrariée. Elle chassa vite la pensée que cette femme ait pu subir quoi que ce soit de la part de son frère.
Go : C’est fort probable. Son mari a encore un jeune fils. Peut-être veut-elle s’en prendre à lui ? Je n’ai pas voulu attendre toutefois pour vérifier si cette hypothèse est juste.
I : Roberto s’est fait agresser entre temps…
Go : Exactement. Et le père aussi. Légère blessure, là encore, à quelques pas de chez lui. Puis des symptômes similaires à ceux de votre frère. Cette femme semble avoir le goût de la vengeance, si vous voulez mon avis.
Se vengeait-elle de ce que lui avaient fait subir ces deux hommes, Roberto et son mari ? Elle se souvint que Gonzales lui avait raconté que son père s’était remarié aux Amériques et qu’il avait eu un enfant de sa deuxième femme. Chassée, remplacée, violentée, elle avait des raisons de vouloir se venger ! L’idée qu’Hava pouvait être une victime révolta Isabella. Pourquoi Gomez lui racontait-il tout cela ?
I : Tout cela relève de la vengeance personnelle, cela n’a rien à voir avec nous ! Avec l’empereur !
Go : Vous concevez pourtant qu’elle puisse s’en prendre à moi pour avoir gêné les manœuvres de son fils, et peut-être provoqué sa mort.
I : Ce sont vos problèmes ! Si je me souviens bien, vous n’avez été guidé dans cette affaire que par votre propre intérêt, et un esprit de revanche !
Go : Je reconnais que je n’ai pas apprécié que Gonzales me double auprès de Philippe, avec ses manigances pour se mettre le prince dans la poche, en lui faisant miroiter un équipement militaire qui lui permettrait de mettre fin aux guerres menées par l’Empereur, trop coûteuses à son goût, peu efficaces. L’Empereur ne veut pas en entendre parler, mais s’il s’avère que son fils a raison et a fait le bon choix, Philippe pourra arguer de sa victoire pour prendre le pouvoir plus tôt. Il ronge son frein en attendant que son père officialise son titre de Duc de Milan, il en a assez d’être assisté par un conseil de régence sans pouvoir décider seul des affaires de l’Espagne. Malgré toute l’admiration qu’il a pour son précepteur et conseiller Juan de Zuniga, l’ami de son père, il aimerait voler de ses propres ailes.
I : Je suis au courant ! Vous aviez vous-même l’intention de favoriser les projets de Philippe, et comme il vous a préféré quelqu’un de plus compétent, vous essayez de rentrer en grâce auprès de l’empereur en espionnant son fils. C’est pathétique. Mais cela ne m’apprend rien.
Gomez perçut l’irritation de son interlocutrice, qui s’arrêta brusquement. Elle se campa face à lui, bras croisés. Il avait assez joué.
Go : On lui a livré un prototype de ces fameuses machines de guerre à carapace. En parfait état de marche. Vous vous doutez bien de qui il peut s’agir.
Prudemment, il avait décidé de ne plus prononcer le nom d’Hava ou de Gonzales.
I : Voilà donc ce que vous êtes venu annoncer à l’empereur.
G : Oui. Et ni Juan de Zuniga, ni aucun des autres membres du conseil de régence ne sont au courant. Seul Gonzalo Pérez l’est. Et il n’en a rien dit.
I : Un problème de courrier ?
Go : Même s’il se décide à informer l’empereur, cela ne change rien au fait que ce soit un traître. C’est lui qui a organisé la transaction. Il aura du mal à cacher sa responsabilité ou à se disculper.
I : Vous avez une preuve ? Charles Quint lui fait toute confiance, et l’a justement chargé de surveiller son fils….
Go : Quelqu’un le fait chanter. Certaines rumeurs l’accusent d’avoir conçu son fils Antonio alors qu’il avait déjà été ordonné prêtre. On dit aussi qu’Antonio serait le fils du Prince d’Eboli, qui lui aurait demandé d’endosser cette paternité pour éviter à son fils d’être un bâtard. D’autres racontent que Pérez ne serait pas de sang pur, que c’est un descendant de marranes. On n’apprécie pas qu’un descendant de juifs convertis soit aussi proche du pouvoir. Charles Quint n’a jamais ajouté foi à ces rumeurs, et lui accorde toute sa confiance, car il pense que ce n’est que par pure jalousie que certains veulent nuire à la réputation de cet homme, qui soutient sa vision de l’Empire et pense que l’ennemi principal, ce sont les princes protestants, pas Soliman le Magnifique. Moi, je parie qu’une de ces rumeurs est vraie. Quelqu’un sait laquelle, a des preuves et fait pression sur lui. Philippe ne peut rien dépenser sans que le conseil de régence soit au courant, or il a payé pour recevoir le prototype. J’ai des témoins qui affirment avoir été payés pour accompagner Philippe et son secrétaire lors de la réception du prototype.
I : Comment peuvent-ils être sûrs qu’il s’agissait du Prince et de son secrétaire ? Je trouve Philippe bien imprudent de s’exposer ainsi.
Go : Il doit jouer serré, ou les membres du conseil seront au courant.
I : S’ils ne le sont pas déjà, ce sont des imbéciles.
Go : Ne sous-estimez pas Philippe, ni Pérez. Et ne me sous-estimez pas non plus. D’après la description faite par mes témoins, et la façon dont les deux hommes se sont adressés l’un à l’autre, il ne peut s’agir que d’eux, malgré tous leurs efforts pour dissimuler leur identité. N’oubliez pas que j’ai servi Philippe, et qu’il a appris de moi quelques ruses.
I : Tout repose donc sur votre expertise et vos témoins…c’est un peu léger. Et comment Philippe a-t-il trouvé de quoi payer le prototype, et soudoyer les hommes qui l’accompagnaient ? Vous savez bien qu’il n’est pas libre de ses dépenses. Et vous-même, comment avez-vous fait ?
Go : Eh eh, j’ai toujours ma petite réserve…le commerce des médaillons est très lucratif… Pérez, en tant que secrétaire particulier de Philippe, s’est débrouillé pour lui trouver la somme, mais il n’a pas été très discret : j’ai pu le prendre en filature sans qu’il me remarque jusqu’à la boutique d’un joailler. Je le soupçonne d’avoir vendu quelques bijoux, mais je ne sais lesquels : je comptais rendre une visite discrète après la fermeture au joailler en question, histoire de le cuisiner un peu à ma façon, en toute tranquillité, mais la boutique avait été incendiée et le brave homme avait péri avec toute sa famille. Bien sûr, les coupables ont tout emporté avant de mettre le feu.
I : Hava….
Go : C’est fort probable, et c’est très malin : ainsi ils ont l’or et les bijoux !
I : Pérez aurait pu donner les bijoux directement.
Go : Sans doute une exigence de ces bandits, histoire de ne pas s’embarrasser à revendre les bijoux.
I : Bon, si je résume, l’empereur sait que son fils lui a désobéi, que son secrétaire est de mèche, et il garde son sang-froid. Vous a-t-il dit ce qu’il allait faire ?
Go : Mettre au courant le conseil, bien entendu. Ainsi Philippe ne pourra plus rien faire, et tant pis pour Pérez.
I : Vous allez porter le courrier ?
Go : J’ai laissé entendre à sa majesté que ce n’était pas très prudent. J’ai pu être suivi, on a pu découvrir que j’espionnais les affaires de Philippe, malgré mes précautions. Il vaut mieux que je disparaisse quelque temps, d’autant plus que je n’ai pas envie de subir le sort de votre frère.
I : Vous pourriez profiter de l’hospitalité de Charles Quint.
Go : Je préfère agir selon mes méthodes. Je suis une proie trop facile ici. On ne peut compter sur personne. Tenez, votre servante, qui décide de se mêler de ce qui ne la regarde pas….
I : Si vous ne faites confiance à personne, quel crédit dois-je accorder à vos informations ?
Go : Vous vouliez savoir, vous savez. Charles Quint confirmera mes dires, bien entendu, à part ce que je vous ai raconté sur Hava, Roberto et le père de Gonzales.
I : Vous avez dit que cette femme était animée par la vengeance. Mais quel intérêt a-t-elle à fournir des machines de guerre à Philippe et à lui extorquer de l’argent ?
Go : Bah, elle doit avoir ses raisons, et ce n’est pas mon affaire. Je crois en avoir assez fait pour mon pays. A vous de creuser plus avant, si cela vous inquiète tant. Mais si vous voulez mon avis, j’éviterais de chercher à croiser à nouveau la route de ces criminels.
I : J’ai bien peur de ne pas pouvoir choisir…