Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2
Posté : 02 avr. 2022, 18:24
Chapitre 22: Une affaire de femmes.
Partie 1.
Le Maître veut le voir, soit ! Il va pouvoir s’expliquer, il en a assez de ressasser son échec dans les jupes de sa mère. Elle l’a soigné avec dévouement, mais cela a renforcé son sentiment d’impuissance. Et il lui en veut. Sans elle, son échec ne serait pas total. Il n’aurait pas raté Mendoza en haut de la tour, non, si elle ne l’avait pas empêché…Il ne comprend que trop bien ce qui a pu motiver son geste, même si elle lui a donné ses raisons. Il a choisi de les croire, il a suivi le plan pour piéger Mendoza à Barcelone. Il ne peut s’empêcher de penser qu’il a été blessé par la faute de sa mère. Et elle le retient de se venger contre les deux gêneurs qui ont tout ruiné. Elle lui donne plus de raisons de haïr ce Roberto qui lui a fait tant de mal, en lui racontant ce passé qu’elle a toujours tu, ce passé douloureux, quand son mari l’a abandonnée lâchement, et qu’elle n’a eu d’autre recours que de livrer son corps à des brutes, à ces porcs d’Espagnols ! Et pourtant elle le dissuade de tuer le pire d’entre eux. Le grand plan…est-ce qu’ils pourront jamais le réaliser ? Est-ce qu’il y croit encore ? Il aimerait juste trucider l’infâme Roberto, il aimerait sentir encore une fois les lèvres d’Isabella se poser sur les siennes, il aimerait la savoir saine et sauve, délivrée de son fardeau, prête à s’offrir à lui, dans une nouvelle vie, où Mendoza n’existerait plus. Où son image ne surgirait plus dans ses cauchemars pour lui rappeler qu’il n’a gagné sa confiance que pour mieux le trahir. Le tuer, à présent, ne peut plus être un soulagement. Gonzales sait qu’il n’a haï cet homme que parce qu’il possédait ce que lui-même désirait. Il a cru que cette haine l’aiderait à accomplir sa mission, il a bien failli réussir…mais par trois fois Mendoza s’en est sorti contre toute attente.
Ma : Entrez !
La voix est toujours aussi assurée. Elle a quelque chose de profondément dérangeant pour le jeune métis, une arrogance qui lui rappelle ses professeurs de l’université. Il sait pourtant que le Maître n’a nul mépris pour lui, le fils d’Hava. Du moins, il en était ainsi jusqu’à présent. Il pénètre dans le bureau plongé dans la pénombre. Le Maître se tient debout près de la fenêtre. Sa silhouette épaisse, drapée dans une bure vert brunâtre, se confond presque avec la tenture mordorée. Derrière lui, le soleil couchant jette un éclat rougeâtre. Dans la pièce sombre, cette tache de couleur est la seule source de lumière. Gonzales s’avance de quelques pas mais se tient à distance respectueuse. Ce n’est que la troisième fois qu’il est face au Maître. La première fois, c’était avec sa mère. Pour entrer aux ordres du Maître. La deuxième fois, c’était pour recevoir ses instructions avant de débuter sa mission. Le Maître ne dit rien. Le silence s’installe. Gonzales sait qu’il devrait dire quelque chose, saluer, il a pensé mille fois à ce moment, et le voilà paralysé comme un enfant qui sait qu’on va le gronder. Il baisse la tête. Il n’aurait jamais cru perdre ses moyens !
Ma : Eh bien, que vous arrive-t-il, Alfonso ? Ah ! Je sais….Vous croyez que je n’ai toujours pas digéré vos échecs…vos échecs, oui…tant de peine pour un si piètre résultat…
Il l’appelle par son prénom, comme sa mère. Mais il n’est pas son père !
Ma : Ce Mendoza est vraiment coriace, n’est-ce pas ? Pour la statuette, passons, je trouverai bien un autre moyen, vous y étiez presque, c’est vrai que vos adversaires ne sont pas ordinaires….on ne peut entièrement vous blâmer. Quant à Mendoza, bah, cela pimente davantage le jeu, ne trouvez-vous pas ?
Gonzales relève la tête. De ses yeux dorés, il fixe le Maître, sans se soucier de paraître lui manquer de respect.
Ma : Vous paraissez troublé…surpris ? contrarié ? Je vous semble prendre cette affaire trop à la légère ? Vous pensez peut-être que je me moque de vous, mais croyez bien qu’il n’en est rien !
Il quitte le recoin de la fenêtre et s’approche du jeune homme.
Ma : Vous avez souffert, beaucoup souffert. Mais vous saviez ce que vous risquiez. Votre orgueil surtout en a pris un coup. Mais croyez-moi, de telles expériences forgent un homme. Asseyons-nous, je vous prie.
Il désigne deux fauteuils dans le fond de la pièce. Gonzales n’hésite pas. Il commence à bouillir de rage. Être assis lui évitera de bondir à la gorge de son interlocuteur. Comme s’il n’était pas un homme ! Comme s’il n’avait pas souffert, avant ça ! Comme si son père ne lui avait pas tenu de pareils discours, en l’humiliant sous prétexte de lui forger le caractère !
Ma : Vous m’en voulez de parler ainsi, je le vois bien. Votre mère m’a prévenu. Vous croyez être fort, vous avez assez vécu, et de terribles choses, pour vous estimer armé contre la cruauté de la vie. Mais vous pensez aussi que cette force permet de vaincre tous les obstacles, vous croyez en votre propre puissance. Et vous êtes puissant. Mais pas encore assez. Vous vous êtes heurté à plus puissant que vous. Réfléchissez : à qui, à quoi devez-vous votre échec ? Vous avez si bien manœuvré…Mais pourquoi la mort n’a-t-elle pas voulu de Mendoza ? pourquoi votre mère vous a-t-elle empêché de le tuer ensuite ? pourquoi votre plan a-t-il échoué à Barcelone ? Vous ne savez pas ?
G : Et vous, savez-vous pourquoi ma mère m’a empêché de le tuer ?
Ma : Mais oui, bien sûr !
G : Que vous a-t-elle donc dit ?
Ma : Que pensez-vous qu’elle m’ait dit ?
Le jeune homme retient sa réponse. Il met la vie de sa mère en danger, sur un coup de tête. Il ne connait pas assez cet homme pour savoir comment le manipuler.
Ma : Votre silence vous honore. Il est bon de reconnaître ses erreurs. J’en ai beaucoup fait, moi-même, autrefois. Votre mère m’a avoué qu’elle avait cédé, disons, à une attirance bien naturelle, et je la comprends…Est-cela qui vous tracasse ?
Est-ce un piège ? Sa mère aurait délibérément avoué pareille honte ? Il n’arrive pas à faire le tri dans ses questionnements, l’un d’eux fuse malgré lui.
G : Pourquoi m’a-t-elle caché qu’elle vous en avait parlé ?
Ma : Caché, caché, elle a omis de le faire…ce n’est pas un sujet facile. De toute façon, si vous n’aviez pas abordé la question, je l’aurais fait. Afin que vous compreniez bien ce qu’elle n’a su vous dire.
G : Je peux comprendre son …moment de faiblesse, l’excuser, mais elle m’a par la suite empêché de le tuer !
Ma : Et vous pensez que cela signifie qu’elle aurait des…sentiments pour cet homme que vous considérez comme votre ennemi, votre rival même…qui vous a ravi le cœur de deux femmes, dont votre mère…
G : C’était ma mission ! Elle n’avait pas à interférer ! Elle est responsable !
Ma : De votre échec ? A Barcelone aussi ? Et qui vous dit qu’elle n’a pas agi selon ma volonté ?
G : Vous lui avez demandé de l’épargner ? Quand ? Pourquoi ? Et pourquoi se jouer ainsi de moi ? Vous m’envoyez en mission, et vous changez les règles en cours de route ? Pour mieux m’humilier ? Est-ce vous aussi qui avez saboté à dessein ma mission à Barcelone ? Pourquoi ?!
De rage, Gonzales s’est dressé, les yeux brillants.
Ma : Maîtrisez-vous, vos mains tremblent. Vous n’avez pas encore compris, c’est normal. Je n’ai rien demandé, votre mère a simplement compris la leçon, elle. La mort n’a pas voulu de Mendoza. Il aurait pu mourir, le destin en a voulu autrement. Il n’y avait aucune certitude quant à l’issue de ce plan. Le but était surtout de créer une diversion, ne l’oubliez pas. Que cette noyade ait pour effet de nous débarrasser de ce diable d’homme, c’était une simple option. Votre mère en a pris son parti. Ensuite, la situation a changé. Elle vous a déjà parlé, n’est-ce pas, de sa conception de la vengeance ? Donner la mort n’est pas le plus intéressant dans l’affaire, et je suis entièrement de cet avis. Je sais que vous comprenez.
Il a appuyé sur les derniers mots en fixant son interlocuteur droit dans les yeux. D’un geste, il lui enjoint de se rassoir. Gonzales obtempère.
Ma : Il eût été dommage de mettre fin aux souffrances de Mendoza, cela aurait été lui rendre un trop grand service, ne trouvez-vous pas ? Hava l’a immédiatement compris, alors que vous étiez aveuglé par votre haine, et votre sens du devoir. Elle vous a justement empêché de bâcler votre mission. Elle savait qu’elle aurait du mal à vous faire comprendre cela, aussi est-ce moi qui m’en charge.
G : Mais Barcelone ?
Ma : Ah, Barcelone….Voyez-vous, j’ai omis de préciser un point : rien n’est plus plaisant que de jouer avec le destin. C’est un jeu parfois agaçant, mais si stimulant ! il vous apprend à ne pas vous laisser abattre, à rebondir après un échec. Dans la partie que nous jouons, nous planifions des actions, et parfois nous rencontrons des obstacles. Il serait prétentieux de croire que nous pouvons tout maîtriser, mais nous nous efforçons de la faire. Le destin, ou le hasard, ou le sort, sous différentes formes, la nature, les sentiments, les intérêts contradictoires ou convergents, les alliances qui se font et se défont, se chargent de nous rappeler que nous luttons souvent en vain pour imposer notre volonté. Mais nous nous obstinons, et c’est cela qui nous maintient en vie, c’est cela qui en fait tout le prix, tout le sens. Je ne m’avoue jamais vaincu. Et je trouve une grande satisfaction à continuer d’essayer de vaincre les obstacles que le destin, le sort, le hasard- à moins qu’on appelle cela Dieu- ne cesse de dresser contre ma volonté. Et c’est lorsque je parviendrai à imposer cette volonté que je serai pleinement satisfait. Mais alors, que me restera-t-il ? Où sera passé le sel de la vie ? Souvent nous maudissons le sort, quand nous devrions le remercier. Mendoza n’est pas mort ? A la bonne heure ! Vous devriez vous en réjouir comme moi…Pensez qu’il assistera à notre victoire, en se croyant le plus misérable et le plus méprisable des hommes.
G : Si du moins nous parvenons à notre but.
Ma : Eh oui ! Il est vrai que notre tâche est rude, mais si nous ne parvenons pas à l’accomplir, au moins aurons-nous essayé, et y aurons-nous pris beaucoup de plaisir. Défier Dieu ! Quoi de plus exaltant ! Cela ne vaut-il pas la peine de souffrir un peu ? Au fait, comment va votre blessure ?
G : La cicatrisation complète est en bonne voie.
Ma : Parfait ! Vous allez pouvoir m’aider à régler les derniers détails de notre opération. J’ai besoin de votre science médicale, la mienne n’égale pas la vôtre.
G : Vous avez pourtant fait des miracles avec ma mère et ses compagnes d’infortune.
Ma : Bah, un coup de chance, je peux vous l’avouer maintenant, je me faisais la main. La nature a été de notre côté, fort heureusement.
G : Oui…fort heureusement.
Ma : Quelle femme exceptionnelle…Une rencontre si stimulante….tout le plan est parti de là.
G : Je suppose que vous auriez trouvé un autre défi quoiqu’il arrive.
Ma : Sans doute. Mais pas aussi beau, aussi grand, aussi noble. Ta mère a redonné sens à ma vie, vois-tu…
Il recommence ses familiarités déplaisantes. Gonzales commence à se fatiguer de garder en apparence un calme olympien. Cet homme le fascine et le révulse à la fois. Il comprend à présent d’où lui vient son assurance, mais il ne peut adhérer complètement à sa vision des choses, à sa façon de considérer la vie comme un jeu, une partie d’échecs avec le destin, la mort…Et l’entendre ainsi évoquer leur plan comme une noble cause, alors qu’il ne prend manifestement rien au sérieux ! Pour sa mère, pour lui, c’est une cause qui vaut la peine qu’on risque sa vie, mais pour cet homme ? En quoi cela le concerne-t-il ? Pourquoi sa mère lui accorde-t-elle une totale confiance, au point de lui avouer ses secrets les plus intimes ?
Ma : M’as -tu entendu ?
Il réalise soudain que le Maître le fixe, l’air étonné.
Ma : Je disais qu’il était temps de songer à toi, à ton fils, à son avenir.
Gonzales le regarde sans comprendre. Il lui semble distinguer dans la pénombre un sourire sur le visage du Maître. Comment doit-il l’interpréter ? Se moque-t-il aussi de cela ? De ces liens sacrés qu’il n’a pu nouer avec son enfant ? Il croit entendre son père lui répéter, en emportant le nouveau-né, qu’il faut bien que quelqu’un donne un avenir à cet enfant. Sa vue se brouille, ses oreilles se mettent à bourdonner.
Ma : Gonzales !
Il réalise qu’il n’est plus qu’à quelques centimètres du corps du Maître. Sa cicatrice le lance. La poigne du Maître est la seule chose qui l’a empêché de se jeter sur lui. Une main il lui enserre fermement l’avant-bras, l’autre est plaquée contre sa poitrine. Doucement, le Maître le fait reculer, le soutenant à présent, jusqu’au fauteuil.
Ma : Pardonnez-moi, mon garçon, j’ai trop présumé de vos forces, et j’ai suivi ma pente…je n’ai pas réalisé que notre conversation pouvait ne pas vous être aussi agréable qu’elle l’est pour moi. Un reste d’égoïsme…Tenez, un petit remontant nous fera du bien à tous les deux.
Le jeune homme accepte le verre, et le boit d’un trait. Il ne parvient plus à réfléchir à quoi que ce soit, mais il est apaisé par le ton du Maître, et par la boisson. Ainsi cet homme est capable d’être sérieux, et d’arrêter de jouer à ce jeu qui est sa prétendue raison de vivre.
Ma : Si j’ai pu dire quelque chose qui vous a froissé, je m’en excuse. Mais ne vous méprenez pas, je vous en prie. J’ai une admiration sincère envers votre mère, et je veux l’aider à reconquérir sa dignité perdue. Elle mérite d’être heureuse, mais son passé la tourmente, et vous savez comme moi ce que cela signifie. Ce n’est pas une affaire personnelle, pas seulement. C’est l’affaire d’un peuple, c’est une injustice faite à des hommes et à des femmes, à des enfants innocents. Un peuple qui a cru être le peuple élu, et que Dieu a abandonné. Cette injustice, je la réparerai, nous la réparerons. Et ceux qui en sont les instigateurs, ou de simples instruments, paieront, et Dieu se pliera à ma volonté, à notre volonté. Je ne laisserai personne continuer à vous faire du mal, et ton fils, tu pourras l’élever, le voir grandir ! La couronne va commencer à cracher son or, tu n’auras plus à survivre sans pouvoir subvenir aux besoins de ton enfant ! Et puis, il faut le mettre à l’abri ! Il est encore tout jeune, il oubliera vite ses premières années, vous rattraperez le temps perdu…et tu te vengeras de ton père, c’est bien ce que tu veux ?
Ses paroles sont une douce musique, et qu’importe que cet homme soit fou et croie qu’il peut rivaliser avec Dieu, lui imposer sa volonté, seuls les fous sont capables d’accomplir de grandes choses ! Sa mère a raison, le Maître est leur espoir, il faut le suivre, malgré les revers, les échecs, car sa volonté est inébranlable, rien ne peut l’atteindre, il se joue des obstacles, tombe et se relève, continue à avancer ! Le jeune homme acquiesce : oui, il veut se venger de son père, récupérer son enfant, l’enfant d’Anahi…
Ma : Le prototype est prêt. N’en déplaise à ces idiots qui croient protéger le Prince contre lui-même, Philippe est déjà en notre pouvoir. Le temps de lui soutirer quelques largesses, et nous lancerons notre opération. Profite de ce répit avant la tempête pour régler tes comptes avec ton père. Je t’aiderai.
Gonzales n’en doute pas, n’en doute plus, pas plus qu’il ne doute de la loyauté de sa mère, de son amour pour lui, son fils. Il n’est plus en colère, ni contre elle, ni contre lui-même, ni contre le Maître, il est apaisé, prêt à accomplir les desseins de celui qui sait comment être le plus puissant.
Partie 1.
Le Maître veut le voir, soit ! Il va pouvoir s’expliquer, il en a assez de ressasser son échec dans les jupes de sa mère. Elle l’a soigné avec dévouement, mais cela a renforcé son sentiment d’impuissance. Et il lui en veut. Sans elle, son échec ne serait pas total. Il n’aurait pas raté Mendoza en haut de la tour, non, si elle ne l’avait pas empêché…Il ne comprend que trop bien ce qui a pu motiver son geste, même si elle lui a donné ses raisons. Il a choisi de les croire, il a suivi le plan pour piéger Mendoza à Barcelone. Il ne peut s’empêcher de penser qu’il a été blessé par la faute de sa mère. Et elle le retient de se venger contre les deux gêneurs qui ont tout ruiné. Elle lui donne plus de raisons de haïr ce Roberto qui lui a fait tant de mal, en lui racontant ce passé qu’elle a toujours tu, ce passé douloureux, quand son mari l’a abandonnée lâchement, et qu’elle n’a eu d’autre recours que de livrer son corps à des brutes, à ces porcs d’Espagnols ! Et pourtant elle le dissuade de tuer le pire d’entre eux. Le grand plan…est-ce qu’ils pourront jamais le réaliser ? Est-ce qu’il y croit encore ? Il aimerait juste trucider l’infâme Roberto, il aimerait sentir encore une fois les lèvres d’Isabella se poser sur les siennes, il aimerait la savoir saine et sauve, délivrée de son fardeau, prête à s’offrir à lui, dans une nouvelle vie, où Mendoza n’existerait plus. Où son image ne surgirait plus dans ses cauchemars pour lui rappeler qu’il n’a gagné sa confiance que pour mieux le trahir. Le tuer, à présent, ne peut plus être un soulagement. Gonzales sait qu’il n’a haï cet homme que parce qu’il possédait ce que lui-même désirait. Il a cru que cette haine l’aiderait à accomplir sa mission, il a bien failli réussir…mais par trois fois Mendoza s’en est sorti contre toute attente.
Ma : Entrez !
La voix est toujours aussi assurée. Elle a quelque chose de profondément dérangeant pour le jeune métis, une arrogance qui lui rappelle ses professeurs de l’université. Il sait pourtant que le Maître n’a nul mépris pour lui, le fils d’Hava. Du moins, il en était ainsi jusqu’à présent. Il pénètre dans le bureau plongé dans la pénombre. Le Maître se tient debout près de la fenêtre. Sa silhouette épaisse, drapée dans une bure vert brunâtre, se confond presque avec la tenture mordorée. Derrière lui, le soleil couchant jette un éclat rougeâtre. Dans la pièce sombre, cette tache de couleur est la seule source de lumière. Gonzales s’avance de quelques pas mais se tient à distance respectueuse. Ce n’est que la troisième fois qu’il est face au Maître. La première fois, c’était avec sa mère. Pour entrer aux ordres du Maître. La deuxième fois, c’était pour recevoir ses instructions avant de débuter sa mission. Le Maître ne dit rien. Le silence s’installe. Gonzales sait qu’il devrait dire quelque chose, saluer, il a pensé mille fois à ce moment, et le voilà paralysé comme un enfant qui sait qu’on va le gronder. Il baisse la tête. Il n’aurait jamais cru perdre ses moyens !
Ma : Eh bien, que vous arrive-t-il, Alfonso ? Ah ! Je sais….Vous croyez que je n’ai toujours pas digéré vos échecs…vos échecs, oui…tant de peine pour un si piètre résultat…
Il l’appelle par son prénom, comme sa mère. Mais il n’est pas son père !
Ma : Ce Mendoza est vraiment coriace, n’est-ce pas ? Pour la statuette, passons, je trouverai bien un autre moyen, vous y étiez presque, c’est vrai que vos adversaires ne sont pas ordinaires….on ne peut entièrement vous blâmer. Quant à Mendoza, bah, cela pimente davantage le jeu, ne trouvez-vous pas ?
Gonzales relève la tête. De ses yeux dorés, il fixe le Maître, sans se soucier de paraître lui manquer de respect.
Ma : Vous paraissez troublé…surpris ? contrarié ? Je vous semble prendre cette affaire trop à la légère ? Vous pensez peut-être que je me moque de vous, mais croyez bien qu’il n’en est rien !
Il quitte le recoin de la fenêtre et s’approche du jeune homme.
Ma : Vous avez souffert, beaucoup souffert. Mais vous saviez ce que vous risquiez. Votre orgueil surtout en a pris un coup. Mais croyez-moi, de telles expériences forgent un homme. Asseyons-nous, je vous prie.
Il désigne deux fauteuils dans le fond de la pièce. Gonzales n’hésite pas. Il commence à bouillir de rage. Être assis lui évitera de bondir à la gorge de son interlocuteur. Comme s’il n’était pas un homme ! Comme s’il n’avait pas souffert, avant ça ! Comme si son père ne lui avait pas tenu de pareils discours, en l’humiliant sous prétexte de lui forger le caractère !
Ma : Vous m’en voulez de parler ainsi, je le vois bien. Votre mère m’a prévenu. Vous croyez être fort, vous avez assez vécu, et de terribles choses, pour vous estimer armé contre la cruauté de la vie. Mais vous pensez aussi que cette force permet de vaincre tous les obstacles, vous croyez en votre propre puissance. Et vous êtes puissant. Mais pas encore assez. Vous vous êtes heurté à plus puissant que vous. Réfléchissez : à qui, à quoi devez-vous votre échec ? Vous avez si bien manœuvré…Mais pourquoi la mort n’a-t-elle pas voulu de Mendoza ? pourquoi votre mère vous a-t-elle empêché de le tuer ensuite ? pourquoi votre plan a-t-il échoué à Barcelone ? Vous ne savez pas ?
G : Et vous, savez-vous pourquoi ma mère m’a empêché de le tuer ?
Ma : Mais oui, bien sûr !
G : Que vous a-t-elle donc dit ?
Ma : Que pensez-vous qu’elle m’ait dit ?
Le jeune homme retient sa réponse. Il met la vie de sa mère en danger, sur un coup de tête. Il ne connait pas assez cet homme pour savoir comment le manipuler.
Ma : Votre silence vous honore. Il est bon de reconnaître ses erreurs. J’en ai beaucoup fait, moi-même, autrefois. Votre mère m’a avoué qu’elle avait cédé, disons, à une attirance bien naturelle, et je la comprends…Est-cela qui vous tracasse ?
Est-ce un piège ? Sa mère aurait délibérément avoué pareille honte ? Il n’arrive pas à faire le tri dans ses questionnements, l’un d’eux fuse malgré lui.
G : Pourquoi m’a-t-elle caché qu’elle vous en avait parlé ?
Ma : Caché, caché, elle a omis de le faire…ce n’est pas un sujet facile. De toute façon, si vous n’aviez pas abordé la question, je l’aurais fait. Afin que vous compreniez bien ce qu’elle n’a su vous dire.
G : Je peux comprendre son …moment de faiblesse, l’excuser, mais elle m’a par la suite empêché de le tuer !
Ma : Et vous pensez que cela signifie qu’elle aurait des…sentiments pour cet homme que vous considérez comme votre ennemi, votre rival même…qui vous a ravi le cœur de deux femmes, dont votre mère…
G : C’était ma mission ! Elle n’avait pas à interférer ! Elle est responsable !
Ma : De votre échec ? A Barcelone aussi ? Et qui vous dit qu’elle n’a pas agi selon ma volonté ?
G : Vous lui avez demandé de l’épargner ? Quand ? Pourquoi ? Et pourquoi se jouer ainsi de moi ? Vous m’envoyez en mission, et vous changez les règles en cours de route ? Pour mieux m’humilier ? Est-ce vous aussi qui avez saboté à dessein ma mission à Barcelone ? Pourquoi ?!
De rage, Gonzales s’est dressé, les yeux brillants.
Ma : Maîtrisez-vous, vos mains tremblent. Vous n’avez pas encore compris, c’est normal. Je n’ai rien demandé, votre mère a simplement compris la leçon, elle. La mort n’a pas voulu de Mendoza. Il aurait pu mourir, le destin en a voulu autrement. Il n’y avait aucune certitude quant à l’issue de ce plan. Le but était surtout de créer une diversion, ne l’oubliez pas. Que cette noyade ait pour effet de nous débarrasser de ce diable d’homme, c’était une simple option. Votre mère en a pris son parti. Ensuite, la situation a changé. Elle vous a déjà parlé, n’est-ce pas, de sa conception de la vengeance ? Donner la mort n’est pas le plus intéressant dans l’affaire, et je suis entièrement de cet avis. Je sais que vous comprenez.
Il a appuyé sur les derniers mots en fixant son interlocuteur droit dans les yeux. D’un geste, il lui enjoint de se rassoir. Gonzales obtempère.
Ma : Il eût été dommage de mettre fin aux souffrances de Mendoza, cela aurait été lui rendre un trop grand service, ne trouvez-vous pas ? Hava l’a immédiatement compris, alors que vous étiez aveuglé par votre haine, et votre sens du devoir. Elle vous a justement empêché de bâcler votre mission. Elle savait qu’elle aurait du mal à vous faire comprendre cela, aussi est-ce moi qui m’en charge.
G : Mais Barcelone ?
Ma : Ah, Barcelone….Voyez-vous, j’ai omis de préciser un point : rien n’est plus plaisant que de jouer avec le destin. C’est un jeu parfois agaçant, mais si stimulant ! il vous apprend à ne pas vous laisser abattre, à rebondir après un échec. Dans la partie que nous jouons, nous planifions des actions, et parfois nous rencontrons des obstacles. Il serait prétentieux de croire que nous pouvons tout maîtriser, mais nous nous efforçons de la faire. Le destin, ou le hasard, ou le sort, sous différentes formes, la nature, les sentiments, les intérêts contradictoires ou convergents, les alliances qui se font et se défont, se chargent de nous rappeler que nous luttons souvent en vain pour imposer notre volonté. Mais nous nous obstinons, et c’est cela qui nous maintient en vie, c’est cela qui en fait tout le prix, tout le sens. Je ne m’avoue jamais vaincu. Et je trouve une grande satisfaction à continuer d’essayer de vaincre les obstacles que le destin, le sort, le hasard- à moins qu’on appelle cela Dieu- ne cesse de dresser contre ma volonté. Et c’est lorsque je parviendrai à imposer cette volonté que je serai pleinement satisfait. Mais alors, que me restera-t-il ? Où sera passé le sel de la vie ? Souvent nous maudissons le sort, quand nous devrions le remercier. Mendoza n’est pas mort ? A la bonne heure ! Vous devriez vous en réjouir comme moi…Pensez qu’il assistera à notre victoire, en se croyant le plus misérable et le plus méprisable des hommes.
G : Si du moins nous parvenons à notre but.
Ma : Eh oui ! Il est vrai que notre tâche est rude, mais si nous ne parvenons pas à l’accomplir, au moins aurons-nous essayé, et y aurons-nous pris beaucoup de plaisir. Défier Dieu ! Quoi de plus exaltant ! Cela ne vaut-il pas la peine de souffrir un peu ? Au fait, comment va votre blessure ?
G : La cicatrisation complète est en bonne voie.
Ma : Parfait ! Vous allez pouvoir m’aider à régler les derniers détails de notre opération. J’ai besoin de votre science médicale, la mienne n’égale pas la vôtre.
G : Vous avez pourtant fait des miracles avec ma mère et ses compagnes d’infortune.
Ma : Bah, un coup de chance, je peux vous l’avouer maintenant, je me faisais la main. La nature a été de notre côté, fort heureusement.
G : Oui…fort heureusement.
Ma : Quelle femme exceptionnelle…Une rencontre si stimulante….tout le plan est parti de là.
G : Je suppose que vous auriez trouvé un autre défi quoiqu’il arrive.
Ma : Sans doute. Mais pas aussi beau, aussi grand, aussi noble. Ta mère a redonné sens à ma vie, vois-tu…
Il recommence ses familiarités déplaisantes. Gonzales commence à se fatiguer de garder en apparence un calme olympien. Cet homme le fascine et le révulse à la fois. Il comprend à présent d’où lui vient son assurance, mais il ne peut adhérer complètement à sa vision des choses, à sa façon de considérer la vie comme un jeu, une partie d’échecs avec le destin, la mort…Et l’entendre ainsi évoquer leur plan comme une noble cause, alors qu’il ne prend manifestement rien au sérieux ! Pour sa mère, pour lui, c’est une cause qui vaut la peine qu’on risque sa vie, mais pour cet homme ? En quoi cela le concerne-t-il ? Pourquoi sa mère lui accorde-t-elle une totale confiance, au point de lui avouer ses secrets les plus intimes ?
Ma : M’as -tu entendu ?
Il réalise soudain que le Maître le fixe, l’air étonné.
Ma : Je disais qu’il était temps de songer à toi, à ton fils, à son avenir.
Gonzales le regarde sans comprendre. Il lui semble distinguer dans la pénombre un sourire sur le visage du Maître. Comment doit-il l’interpréter ? Se moque-t-il aussi de cela ? De ces liens sacrés qu’il n’a pu nouer avec son enfant ? Il croit entendre son père lui répéter, en emportant le nouveau-né, qu’il faut bien que quelqu’un donne un avenir à cet enfant. Sa vue se brouille, ses oreilles se mettent à bourdonner.
Ma : Gonzales !
Il réalise qu’il n’est plus qu’à quelques centimètres du corps du Maître. Sa cicatrice le lance. La poigne du Maître est la seule chose qui l’a empêché de se jeter sur lui. Une main il lui enserre fermement l’avant-bras, l’autre est plaquée contre sa poitrine. Doucement, le Maître le fait reculer, le soutenant à présent, jusqu’au fauteuil.
Ma : Pardonnez-moi, mon garçon, j’ai trop présumé de vos forces, et j’ai suivi ma pente…je n’ai pas réalisé que notre conversation pouvait ne pas vous être aussi agréable qu’elle l’est pour moi. Un reste d’égoïsme…Tenez, un petit remontant nous fera du bien à tous les deux.
Le jeune homme accepte le verre, et le boit d’un trait. Il ne parvient plus à réfléchir à quoi que ce soit, mais il est apaisé par le ton du Maître, et par la boisson. Ainsi cet homme est capable d’être sérieux, et d’arrêter de jouer à ce jeu qui est sa prétendue raison de vivre.
Ma : Si j’ai pu dire quelque chose qui vous a froissé, je m’en excuse. Mais ne vous méprenez pas, je vous en prie. J’ai une admiration sincère envers votre mère, et je veux l’aider à reconquérir sa dignité perdue. Elle mérite d’être heureuse, mais son passé la tourmente, et vous savez comme moi ce que cela signifie. Ce n’est pas une affaire personnelle, pas seulement. C’est l’affaire d’un peuple, c’est une injustice faite à des hommes et à des femmes, à des enfants innocents. Un peuple qui a cru être le peuple élu, et que Dieu a abandonné. Cette injustice, je la réparerai, nous la réparerons. Et ceux qui en sont les instigateurs, ou de simples instruments, paieront, et Dieu se pliera à ma volonté, à notre volonté. Je ne laisserai personne continuer à vous faire du mal, et ton fils, tu pourras l’élever, le voir grandir ! La couronne va commencer à cracher son or, tu n’auras plus à survivre sans pouvoir subvenir aux besoins de ton enfant ! Et puis, il faut le mettre à l’abri ! Il est encore tout jeune, il oubliera vite ses premières années, vous rattraperez le temps perdu…et tu te vengeras de ton père, c’est bien ce que tu veux ?
Ses paroles sont une douce musique, et qu’importe que cet homme soit fou et croie qu’il peut rivaliser avec Dieu, lui imposer sa volonté, seuls les fous sont capables d’accomplir de grandes choses ! Sa mère a raison, le Maître est leur espoir, il faut le suivre, malgré les revers, les échecs, car sa volonté est inébranlable, rien ne peut l’atteindre, il se joue des obstacles, tombe et se relève, continue à avancer ! Le jeune homme acquiesce : oui, il veut se venger de son père, récupérer son enfant, l’enfant d’Anahi…
Ma : Le prototype est prêt. N’en déplaise à ces idiots qui croient protéger le Prince contre lui-même, Philippe est déjà en notre pouvoir. Le temps de lui soutirer quelques largesses, et nous lancerons notre opération. Profite de ce répit avant la tempête pour régler tes comptes avec ton père. Je t’aiderai.
Gonzales n’en doute pas, n’en doute plus, pas plus qu’il ne doute de la loyauté de sa mère, de son amour pour lui, son fils. Il n’est plus en colère, ni contre elle, ni contre lui-même, ni contre le Maître, il est apaisé, prêt à accomplir les desseins de celui qui sait comment être le plus puissant.