Voili voilà, votre patience va enfin être récompensée...
Cette fois, c'est une collaboration à six mains: il y a très très longtemps Isaguerra s'était proposée avec enthousiasme pour participer à l'aventure et tenait à écrire le chapitre consacré au Japon. Et puis le temps a passé, les chapitres précédents ont enflé, la vie nous a occupés...Isaguerra a imaginé une trame, a commencé à écrire le chapitre, puis a passé la main. J'ai développé la trame en m'efforçant d'être fidèle aux idées d'Isaguerra, donc si cela vous paraît noir, il ne faut pas m'en tenir pour seule responsable! Enfin, le début, ça va...Seb a supervisé le travail et empêché que j'écrive trop de bêtises. Mais comme le chapitre n'est pas fini, vous n'êtes à l'abri de rien! Et je préviens qu'il n'y a pas à chercher de précision historique.
Bonne lecture.
Chapitre 21: Le Soleil se lève à l'Est.
Partie 1
Le vol avait été long et ennuyeux, Esteban le ressentait franchement, son corps était tout engourdi. De temps en temps il lâchait le manche à tête de serpent d'une main afin de détendre ses doigts, tout comme il étendait ses jambes à certains moments. La fatigue accumulée lors des derniers jours n'arrangeait guère les choses. Il regrettait presque ses exploits de danseur lors du bal, cette nuit-là avait été bien courte. Chez les Chaldis, on avait aussi fêté leur retour comme il se devait, et on ne pouvait se dérober à l’hospitalité du peuple du désert. Zia avait veillé à l’installation de Nacir chez ses nouveaux hôtes, qui se firent un point d’honneur à le mettre à l’aise. Le jeune homme, qui était d’humeur maussade depuis qu’il avait dû quitter Bruxelles sans revoir Isabella, avait retrouvé un peu de gaieté grâce à cet accueil. Au moins ne serait-il plus confiné dans le condor, dans une pièce où personne ne passait, tandis qu’il se trouvait maintenant sous une tente pleine de vie, où chacun vaquait à ses occupations, où des visiteurs se présentaient régulièrement. Il n’allait pas s’ennuyer, et en une journée il avait déjà lié connaissance avec la plupart des membres de la tribu. Zia lui avait assuré qu’il pourrait bientôt remarcher, et il avait déjà hâte de s’initier au pilotage des zephtis et d’explorer les alentours. Quant à la princesse, elle avait d’autant plus apprécié cette halte qu’elle souffrait depuis leur départ d’un mal de l’air inattendu, qui lui avait gâché tout le plaisir du vol. Elle avait tenté en vain de cacher son malaise à ses amis, et quand il avait fallu se rendre à l’évidence, ils avaient failli faire demi-tour pour la ramener. Elle avait protesté et insisté pour qu’ils n’en fassent rien, autant par orgueil que par désir de partir à la découverte de nouveaux horizons coûte que coûte, déclarant qu’une escapade à l’autre bout du monde valait bien la peine de souffrir quelques désagréments passagers. Les explorateurs qui avaient franchi les mers avaient eux aussi dû surmonter bien des obstacles. Esteban et Zia avaient souri en se remémorant leur premier voyage à bord de l’Esperanza. Marie avait donc passé tout le trajet allongée en prenant son mal en patience, et avait accueilli l’escale dans le désert comme une délivrance. Son amabilité et sa soif de découverte avaient conquis ses hôtes, qui avaient répondu de bonne grâce à ses questions, sans se douter qu’ils avaient affaire à la fille d’un empereur. Marie en effet avait tenu à ce qu’on la présente comme une jeune fille de bonne famille, sans plus, afin d’être traitée comme tout le monde, et elle en était ravie. Elle était passée en un jour des fastes d’un bal royal à une soirée chaleureuse sous une simple tente, au milieu de nulle part, et cette liberté la grisait. Même les regards curieux ou interrogateurs qu’elle s’attirait par son apparence, ses questions, ses manières, ne la gênaient pas, car elle n’y sentait aucune arrière-pensée. Elle bénissait son père de l’avoir laissée partir, et songeait avec amusement combien ses serviteurs devaient se sentir désoeuvrés sans elle, tandis qu’elle se sentait si libre sans eux. La veille, Zia s’était d’ailleurs inquiétée : l’absence de son amie n’allait pas manquer d’être remarquée et de susciter bien des commentaires. Certains se douteraient sûrement qu’elle serait partie à bord du condor avec eux. Marie avait répondu que son père savait ce qu’il faisait, et que s’il l’autorisait à partir, il saurait bien trouver une explication qui ferait taire les rumeurs. Du reste, pendant le bal, nul n’avait osé se montrer indiscret, impoli ou méprisant envers eux. Elle ajouta que si son père avait pris une décision si soudaine, au lieu d’attendre qu’ils soient revenus chercher Isabella pour le mariage, et elle par la même occasion, ce n’était sûrement pas parce qu’il brûlait d’impatience d’établir des liens avec le Japon. Cela n’avait été qu’un prétexte, et une occasion pour qu’elle quitte le château au plus tôt. Il prenait des risques en l’autorisant à partir, d’autant plus qu’Esteban lui avait dit que le Japon n’était pas un pays si sûr, mais elle savait qu’il avait pertinemment pesé ces risques et avait préféré la savoir auprès d’eux qu’auprès de lui. L’empereur était toujours en guerre, et de nouveaux ennemis pouvaient s’ajouter à ceux qui étaient déjà trop nombreux. Craignait-il de devoir livrer des otages prochainement ? Se méfiait-il de Philippe, qui s’était montré arrogant envers son père et hostile envers Marie, lors de sa dernière visite ? Elle en était réduite aux hypothèses, mais faisait confiance à son père, autant qu’il leur faisait confiance, à eux, au point de leur confier sa propre fille. Zia n’avait pas osé lui dire qu’ils venaient de vivre des moments éprouvants et qu’ils avaient dû lutter contre un ennemi dont ils avaient longtemps ignoré l’existence, et dont ils n’étaient pas sûrs qu’il ne se manifeste pas à nouveau. Elle préféra continuer à croire qu’en quittant l’Espagne et l’Europe, ils mettaient une distance infranchissable entre cet ennemi et eux. Mais les paroles de Marie lui rappelaient qu’un danger invisible et imprévisible peut toujours survenir, à tout moment. « Enfin, la vie elle-même est un risque, n’est-ce pas ? » avait conclu Marie, « alors, il ne sert à rien de rester cloîtrée dans un château en attendant que la mort vienne vous surprendre ! » Zia avait souri, et oublié ses craintes. Si elle avait tenu à inviter Marie, c’était exactement parce qu’elle souhaitait que son amie connaisse autre chose que cette vie de cour morne et contraignante, et elle comptait bien lui faire profiter au maximum de son escapade.
Esteban finit par laisser échapper un bâillement mais même en portant sa main devant sa bouche il ne put en camoufler le bruit.
E : Désolé...
Zia, qui revenait dans le cockpit, s'approcha de lui et l'enlaça par derrière :
Z : Heureusement que nous arrivons dans peu de temps.
E : Je ne te le fais pas dire, je suis épuisé.
In : Ça se voit. Enfin ça s'entend surtout.
Indali avait prononcé ces mots en riant légèrement. Elle fut bientôt accompagnée dans sa gaieté par Zia, Tao, et le pilote.
Z : Esteban, aurais-tu une idée approximative du temps de vol qu'il nous reste avant d'atterrir ?
E : Je ne sais pas. Je dirais entre vingt et trente minutes. Pourquoi ?
Z : Pour savoir si j'allais chercher Marie maintenant ou si j'attendais un peu.
In : Elle ne va toujours pas mieux ?
Z : Non.
T : C'est vraiment pas de chance qu'elle souffre du mal de l'air. Elle a raté quelque chose.
In : Ça arrive, et puis il vaut mieux qu'elle se repose et qu'elle ne voie pas que l'on est encore en plein ciel, ça ne ferait qu'aggraver son mal.
Z : Oui, incontestablement. Je vais la laisser dormir jusqu'à ce qu'on arrive.
E : Ça me paraît être une bonne idée.
Vingt-trois minutes plus tard le Condor arrivait en vue de Kagoshima. Esteban se tint à bonne distance de la ville : il était inutile d’attirer l’attention. Lors de leur dernière venue, il y a trois ans, il leur avait été impossible de dire au revoir à leurs hôtes à cause des soldats du Daimyo Shimazu. Cela les avait beaucoup ennuyés de ne pas saluer une dernière fois Mariko, Ichiro et Yoshi mais leur sécurité passait avant la politesse. Enfin, c'est ce qu'Esteban avait prétexté pour se donner bonne conscience, même si c'était le plus affecté pour avoir eu à agir ainsi. Et en raison de cet incident, ils avaient convenu tous trois, lui, Zia et Tao, de couper les ponts avec leurs amis japonais pendant un certain temps en espérant que le Daimyo oublie l’affront qu’il avait subi à cause d’eux. S’ils étaient revenus les voir et que le seigneur avait eu connaissance de l’amitié qui les unissait à ses trois sujets, ces derniers l’auraient sans nul doute payé chèrement. Cela leur coûtait énormément à tous les trois de devoir sacrifier leur amitié mais ils ne pouvaient se permettre de mettre en danger leurs amis - une fois de plus -.
Pendant le trajet cela avait été la plus grande inquiétude d’Esteban et Tao. Il était peu probable que le Daimyo ait oublié son humiliation. Et si des soldats repéraient le Condor au loin et allaient prévenir leur souverain ? Seraient-ils capables de défendre et protéger les trois femmes qui les accompagnaient ? Il fallait être de la plus grande prudence : la sécurité de tant de personnes qui leur étaient chères en dépendait. Zia saurait se débrouiller, cela ne faisait aucun doute, même s’il espérait qu'elle n'ait pas à se servir de ses capacités, mais pour Indali et Marie c'était une autre histoire. Aucune d'elles ne connaissait le Japon, ses coutumes et le danger potentiel qu'il représentait pour eux tous.
Esteban, après avoir fait un grand détour derrière les collines qui entouraient la baie de Kagoshima, posa le Condor non loin des ruines qui, autrefois, leur avaient permis de récupérer le Tsuba du Seigneur Shimazu, au plus près de la forêt pour éviter que l’oiseau soit trop visible de la mer. Pendant que Zia allait chercher la jeune princesse qui dormait dans une des cabines, ses camarades descendirent. Indali posa avec émotion le pied sur cette terre nouvelle qui lui était apparue depuis le ciel comme flottant sur l’immensité de l’océan. Le volcan l’avait impressionnée : assurément, le monde était plein de merveilles aussi attirantes que redoutables. Dans la cabine, en voyant la pauvre Marie encore recroquevillée sur elle-même, Zia ne put s'empêcher de repenser à son fiancé lors de leur premier voyage en mer, lui-même recroquevillé sur le lit de la cabine de celui qu'elle considérait depuis dix ans comme un père. Elle sourit à ce souvenir mais se reprit en entendant la jeune fille gémir : rire du mal des autres n'est pas correct. La jeune femme s'installa alors à côté de son amie et commença à interpréter une chanson qu'une femme de son village lui chantait lorsqu'elle était enfant et qu'elle était souffrante. Cette chanson, Zia ne l'avait jamais oubliée, c'était en partie grâce à ses paroles qu'elle avait surmonté l'épreuve qu'avait été son enlèvement. En plus de détendre sa jeune amie, la mélodie faisait du bien à Zia : cela lui rappelait Raya, cette femme qui la lui avait enseignée. Peu après, Marie s’éveilla. Il ne lui fallut que quelques secondes pour réaliser qu’ils étaient posés. Elle se sentait soudain parfaitement bien, et sauta du lit, impatiente. Zia la retint en riant.
Z : Attends, tu es encore toute pâle !
Ma : Nous sommes bien arrivés au Japon, n’est-ce pas ?
Z : Oui, mais prends ton temps, nous n’allons pas repartir tout de suite !
Ma : J’ai besoin d’air frais !
Et elle courut vers le cockpit, impatiente de respirer l’air du bout du monde. Ses amis la virent apparaître en haut de l’échelle, puis descendre le plus vite qu’elle pouvait sans même avoir pris le temps de se chausser. Dès qu’elle eut posé un pied à terre, elle se campa sur ses deux jambes et prit une profonde inspiration, avant de respirer à plein poumons. Tout le monde rit.
E : Bienvenue au Japon, Marie, ça fait plaisir de te voir en forme !
Ma : Merci, cela devrait aller maintenant que nous sommes sur la terre ferme. Et merci Zia de t’être occupée de moi.
Z : Il n'y a pas de quoi
E : Elle sait s’y prendre, n’est-ce pas ?
A son tour, Esteban repensa à la façon dont sa future femme avait tenté de l'apaiser quand il était en proie à son mal de mer. Marie acquiesça, tout en regardant tout autour d’elle, attentive au moindre bruit, à la moindre odeur, s’imprégnant de ces sensations nouvelles et si différentes de celles éprouvées en plein désert. L’air était doux, et la forêt flamboyait des couleurs automnales.
E : Si nous allions sur la falaise ? La vue est époustouflante. Puis nous vous montrerons quelque chose qui en vaut la peine.
La côte déchiquetée qui s’enfonçait dans la mer étincelante offrait un spectacle impressionnant, devant lequel les deux jeunes femmes ne manquèrent pas de s’extasier. Mais soudain, Indali remarqua l’absence de Tao. Depuis Bruxelles, ils étaient toujours ensemble. Pourtant, toute à l’excitation de la découverte, elle n’avait pas remarqué qu’il leur avait faussé compagnie. Elle s’en inquiéta immédiatement.
In : Où est Tao ?
Esteban poussa un léger soupir.
E : Je sais où il est. Je vais le chercher.
Z : On vous rejoint. Je vais leur expliquer.
Alors Esteban partit vers les ruines pour rejoindre son meilleur ami pendant que Zia commençait à expliquer à ses deux amies ce qui leur était arrivé ici-même il y a dix ans.
Esteban retrouva son naacal assis sur les marches où avait eu lieu le drame dix ans auparavant... Le temps avait passé mais Tao semblait toujours autant affecté qu'au premier jour. Ce qui était tout à fait logique, car Tao considérait cet homme comme un professeur, un père et celui-ci lui avait menti dès leur première rencontre et ce sans vergogne.
Esteban s'approcha de Tao et s'assit à ses côtés.
E : Ça va mon vieux ?
T : Oui... Comme à chaque fois que l'on vient ici...
E : Je sais, c'était stupide de te demander ça.
T : J'en ai marre. Ça va faire dix ans et je n’arrive toujours pas à m'en remettre. Quand on n’est pas ici ça va j'arrive un peu à oublier mais dès que je vois cet endroit je...
E : Arrête, je sais très bien ce que tu ressens mon vieux. Tu n'y étais pour rien et tu n'y es toujours pour rien. Ambrosius nous avait tous bernés, tous les six. Sept avec Pichu.
T : Toujours le mot pour rire..T’es lourd parfois…Mais tu te rends compte que je n'arrêtais pas de prendre sa défense ?
E : Et alors ? On s'en fiche. Tu t'es planté sur son compte et nous aussi. On l'a démasqué, on l'a combattu et on l'a arrêté. Fin de l'histoire. Maintenant il n'est plus de ce monde. Oublie-le.
Tao regarda son meilleur ami et lui adressa un léger sourire.
T : Tu te rends compte qu'on a cette même discussion chaque fois que l'on vient ici ?
E : Je sais mais peu importe. On continuera de l'avoir tant que tu n'iras pas mieux à ce sujet.
T : Après ce qui s’est passé avec l’autre malfaisant et cette espèce de sorcière, je ne sais pas si je vais réussir à évacuer ça.
E : C’est vrai, sur ce coup là on s’est bien fait avoir aussi…Mais c’est une autre histoire. Qui sera plus facile à oublier, crois-moi.
T : Peut-être…ça dépend pour qui.
Z : Esteban a raison, Tao.
Les filles venaient de les rejoindre.
Z : Il faut que tu arrêtes d'y penser, ça ne sert à rien de ressasser le passé.
T : Je sais bien mais c'est plus fort que moi.
Z : Vis au présent. Maintenant tout a changé. Nous avons grandi, tu es devenu un grand inventeur : nos ancêtres seraient fiers de toi. Et puis tu as Indali aussi, je sais qu'elle est une excellente élève et que ça te procure un grand plaisir de pouvoir être son professeur…
T : Arrête de nous taquiner !
In : C'est vrai que sans un professeur comme toi je n'aurais pas progressé aussi vite, dans tous les domaines. Tu es un excellent professeur, Tao.
T : De rien. Mais dans certains domaines, tu es bien plus douée que moi…
Elle éclata de rire.
In : C’est sûr et certain !
Et elle déposa un baiser sur sa joue.
In : Mais tu apprends vite aussi…
Il surprit le regard malicieux de Marie et rougit.
Ma : Ne t’inquiète pas, Tao, je ne suis pas du tout choquée, j’observe et je m’instruis moi aussi !
T: Euh, oui,bien, bien, et si on allait voir l'Otsuro Bune ?
Ma : L'Otsu- quoi ?!
E: L'Otsuro Bune. La chose qui en vaut la peine dont je vous parlais justement tout à l’heure.
In : Qu'est ce que c'est ?
T : Vous verrez bien !
Il avait retrouvé toute sa bonne humeur et entraîna Indali vers la forêt. Une fois sur place, Indali et Marie stoppèrent net, tout comme l’avaient fait les trois enfants dix ans auparavant, en voyant la capsule dorée au milieu du cours d'eau qu'ils avaient longé. L'objet se tenait sous un Torii Shinto d’un rouge rutilant. Trois petites chutes d'eau faisaient entendre leur mélodie apaisante. La lumière qui perçait la végétation constellait la surface dorée de petits halos se mouvant au gré de la brise qui faisait frémir et bruire les feuilles. A ces taches de lumière répondaient les taches de couleur flamboyantes qui transformaient la forêt en un tableau aux tons chaleureux, déclinant toutes les gammes de rouges, de jaunes et de bruns imaginables.
Mar : C'est magnifique !
In : Je confirme. J'en ai vu de belles choses depuis que nous voyageons ensemble, vous me surprenez à chaque fois…cet endroit est vraiment superbe…il s’en dégage quelque chose de spécial, d’apaisant… merci, merci de nous avoir emmenées ici !
Ma : Aucun jardin d’Europe ne peut rivaliser avec cette splendeur. Quant à cette chose…
T : La sphère dorée ? C’est l’otsurobune.
Ma : Qu’est-ce que c’est exactement ? Et comment l'avez vous trouvée ?
E : Grâce au Condor. Pendant nos voyages précédents, il a eu la capacité de nous guider jusqu’à divers endroits.
Mar : Il vous a guidés ?
T : Absolument. Le Condor est capable de nous guider de lui-même vers plusieurs lieux, dès que l’on approche de ceux-ci.
Ma : C'est impressionnant.
Z : Et surtout ça surprend les premières fois.
Ma : J'imagine, oui. Donc, vous n’avez pas trouvé par hasard cet…ot..otsu…Oh, dites moi simplement ce que c’est, je vous prie !
E : L’ot-su-ro-bu-ne ? C’est quelque chose qui sert à sauver des vies…
Mar : Ah ? Comme une sorte d’amulette ? Il parait que dans le nouveau monde on se sert beaucoup d’objets comme protections magiques…Mais celui-ci est très gros !
E : Hum…ce n’est pas vraiment ça, non…
In : Nous ne sommes pas dans un endroit sacré ? On en a pourtant l’impression.
Z : Tu as raison, Indali. Ce portique marque l’entrée d’un sanctuaire, il sert à matérialiser la frontière entre le monde physique et le monde spirituel.
Mar : Un sanctuaire ? Je ne vois aucun édifice.
Z : Pour les Japonais, la Nature elle-même peut être sacrée, par exemple la forêt abrite des esprits.
Mar : Des esprits ? Tout cela n’est guère chrétien, mais cela ne retire rien à la beauté de l’endroit. J’espère juste que ces esprits sont bienfaisants.
Tao se mit à rire.
T : Non, ils vont se jeter sur toi si tu oses franchir la porte !
Z : Tao, arrête tes bêtises !
Mar : Tout d’abord, messire Tao, je ne me risquerais pas à mettre le pied dans cette eau, qui doit être glaciale, pour franchir ce portique, et je vous fais remarquer que vous ne m’avez toujours pas expliqué comment cet objet peut sauver des vies. C’est vous le savant du groupe, si je ne me trompe ?
Zia et Esteban échangèrent un coup d’œil complice. Indali tenta d’étouffer un rire. Tao, pris au dépourvu, réfléchit quelques instants.
T : Je peux évidemment tout vous expliquer, majesté. Imaginez que vous soyez en danger sous la mer… L’otsuro-bune est une sorte de nacelle de sauvetage, à l’intérieur de laquelle plusieurs personnes peuvent pendre place, et qui vous ramènera à la surface, où elle peut flotter, comme un bateau.
Ma : Comment ? Vous me comptez des sornettes ! En danger sous la mer ? Comment pourrait-on se trouver dans une pareille situation ? Et cet objet est bien trop lourd pour flotter ! Il est en or, n’est-ce pas ? Oh !
Elle s’interrompit soudain et réfléchit quelques secondes.
Ma : Votre oiseau brille du même éclat…et pourtant il vole dans les airs…Et cet objet serait creux lui aussi ?
T : Tout juste ! Vous ne voulez pas vous approcher, mais vous voyez bien d’ici ces sortes de fenêtres rondes. Croyez-moi, chère princesse, il est bien des choses que vous ignorez, qui paraissent impossibles, et pourtant le sont. C’est cela le miracle de la science et de la technologie !
In : Mais cela ôte un peu de son charme à la poésie du lieu…
Ma : Ce n’est pas grave, j’accepte vos explications, messire Tao, et je vous en remercie. Tout de même, c’est difficilement croyable.
T : Mais c’est vérifiable !
Ma : Je ne suis pas sûre d’avoir envie de vérifier une telle chose. Je préfère rester sur la terre ferme, pour le moment du moins.
Esteban et Zia sourirent. Marie se révélait très perspicace mais savait rester prudente. Veiller sur elle ne serait pas trop difficile, en revanche ils sentaient qu’ils devaient mieux se préparer à répondre à ses questions.
E : Sage décision ! Et après avoir découvert cet endroit à l’ atmosphère magique et mystérieuse, que diriez-vous de faire la connaissance de nos amis Japonais ? C’est ici que nous avons rencontré Yoshi. C'était... Peu commun comme rencontre.
Ma : Il est sorti de cette nacelle de sauvetage ?
Tous se mirent à rire de bon cœur avec Marie.
E : Non, non, bien sûr !
In : Cela me fait penser à notre rencontre. Elle n'était pas mal non plus.
E : C'est vrai. Un point pour toi.
Zia raconta à Marie ce qu'il s'était passé lors de leur rencontre avec l'Indienne.
E : La différence est que, Indali, Gunjan et les autres enfants vous pensiez que nous étions des magiciens alors qu'ici nous avions juste pénétré sur un territoire sacré et Yoshi avait cherché à nous effrayer. Assez maladroitement je dois dire. Vous vous souvenez de son masque ?
Il résuma la scène à l’intention de Marie, en imitant la manœuvre d’intimidation du vieillard.
T : Très réussi, Esteban. Tu fais le malin maintenant, mais heureusement pour nous qu'il a vu vos médaillons ou tu aurais fini par croire à l’existence des esprits frappeurs, quand tu aurais reçu deux ou trois bons coups de bâton !
Z : C'est vrai que les médaillons nous ont bien aidés à gagner sa sympathie. D'ailleurs on ferait mieux de nous rendre chez lui sans plus tarder, ce n'est pas correct d'arriver trop tard et nombreux chez des amis.
En chemin, Marie émit quelques scrupules. Elle appréhendait de se rendre chez des inconnus, dans un pays totalement inconnu. Quand ils s’étaient arrêtés chez les Chaldis, elle était tellement soulagée de ne plus être en vol qu’elle n’avait pas songé à s’inquiéter des convenances et de l’accueil qu’on lui réserverait. Mais à présent, il en était autrement. Elle avait eu le temps de se rendre compte que ce pays était bien plus déstabilisant qu’elle ne l’imaginait, et elle redoutait sa première rencontre avec des Japonais, surtout après ce qu’Esteban avait dit de sa rencontre avec Yoshi.
Ma : Vous êtes sûrs que nous ne devrions pas nous annoncer avant de nous rendre chez ces gens ? Peut-être qu’ Esteban pourrait d’abord leur rendre visite. Nous pouvons attendre au condor, et venir plus tard.
Z : C’est tout à ton honneur de t’inquiéter ainsi. Il est vrai que notre visite à l’improviste n’est guère convenable, surtout après les avoir laissés sans nouvelles pendant trois ans.
E : Hum…Nous verrons bien, vous pourrez m’attendre à quelque distance si cela vous met plus à l’aise, et nous pourrons toujours retourner au condor ensemble avant la nuit le cas échéant. Dans la mesure du possible, pendant notre séjour je préfère éviter que notre groupe ne se sépare inutilement. Mais je suis assez confiant sur l’accueil qu’ils nous réserveront.
Il disait cela autant pour se rassurer que pour rassurer les autres. Les paroles de Zia avaient réveillé sa mauvaise conscience.
Ma : Ça ne les dérangera pas que nous soyons là, Indali et moi ?
Z : Les Japonais sont très hospitaliers.
T : Ne vous en faites pas.
In : Vous avez sans doute raison.
T : J'ai toujours raison.
E : Même quand tu as tort.
Esteban avait dit ça en donnant un coup dans l'épaule de son meilleur ami tout en le dépassant, histoire de se défouler. L'intervention de l'élu et la réaction du naacal arrachèrent un sourire aux trois jeunes femmes. Tao bougonna en faisant rouler son épaule droite qui, grâce à Môssieur Esteban, lui faisait mal.
T : Décidément, tu es toujours une brute.
E : Oh, t'exagères, ou tu es en sucre.
T : Je dois être en sucre alors. La prochaine, fois, évite de me déboiter l’épaule pour rien !
E : Désolé…je crois que je suis un peu nerveux.
Tao n’ajouta rien. Il comprenait ce qui tourmentait son ami. Pendant trois ans, il avait répété à Esteban que ça avait été mieux ainsi, qu'ils étaient tenus de les protéger tous les trois – Mariko, Ichiro et Yoshi – et que continuer à venir les voir pouvait les mettre en danger. D'autant plus qu'Ichiro ne devait pas être vu comme un traître aux yeux du Daimyo sachant qu'il était un de ses soldats.
Après un quart d’heure de marche, ils arrivèrent enfin en vue de leur lieu d'hébergement d'autrefois et qui allait de nouveau l'être... Enfin, qui aurait dû l'être...
Tout n'était plus que ruines. Le jardin zen que Yoshi affectionnait tant et que Tao avait si souvent saccagé par mégarde était maintenant encombré d’une végétation rampante qui s’étalait tout à son aise jusqu’à la maison en un épais tapis Il en émergeait ici ou là quelques pierres permettant de circuler, autrefois, à travers le sable, et maintenant recouvertes d'une mousse d'un vert chatoyant. La maison, quant à elle, n'était guère dans un meilleur état : certaines planches avaient moisi et s'étaient brisées avec le manque d'entretien, l'un des murs était désormais orné d'un magnifique trou béant, une partie du toit s'était effondrée dans la maison, les escaliers permettant d'y entrer n'étaient même plus praticables.
Devant une telle désolation, la stupeur avait saisi les jeunes gens. Que s'était-il passé ? Où étaient leurs amis ? Avaient-ils été dénoncés pour avoir caché leur présence au Seigneur ? Que leur était-il arrivé ?
Esteban fut le premier à réagir. D’un pas décidé, il pénétra dans la bâtisse espérant comprendre ce qui avait bien pu se passer pendant leurs trois années d'absence. Mais l'état des lieux ne fit que confirmer ce qu'il avait compris dehors : plus personne ne vivait ici et ce depuis longtemps. Néanmoins il fouilla la pièce dans l'espoir de trouver ne serait-ce qu'un minuscule indice donnant une idée d'où pouvaient être ses amis mais la seule chose qu'il trouva fut de la poussière.
Il ressortit, dépité.
E : Il n'y a plus rien....
T : Vous croyez que...
Z : Tao ! Ne pense pas des choses pareilles !
T : Excuse-moi mais autant penser au pire tout de suite !
Z : Je sais...
E : On n’a qu'à faire une descente au port, on y interrogera les gens : ils pourront peut être nous en dire plus.
T : Excellente idée pour se faire remarquer !
E : Tu veux faire comment ? On ne va pas repartir sans savoir !
T : Non bien sûr mais…
Z : Il faut penser à la sécurité de tous.
E : C’est vrai. Je suis désolé, Marie, Indali, mais nous allons devoir vous ramener au Condor.
Ma : Je comprends parfaitement. Ne vous en faites pas pour nous. Vous ne vous attendiez pas à cela. C’est à moi d’être désolée pour vous, et pour vos amis. Mais n’est-ce pas trop dangereux pour vous de vous montrer ? J’ai cru comprendre que vous préfériez rester discrets.
T : Les villageois nous connaissent et certains nous ont déjà aidés, ne vous en faites pas, mais c'est trop dangereux pour vous qui n'avez aucune connaissance des us et coutumes du pays.
In : Moi aussi je comprends, j’ai simplement peur pour vous. Soyez prudents, je vous en prie !
Z : Rien ne nous assure qu’il y ait danger. Je doute que des hommes aient pu détruire cette maison de cette façon, mais tant que nous n’en aurons pas eu l’assurance, il faut rester sur nos gardes, et vous mettre à l’abri. Rentrons au condor.
Tout le monde acquiesça et reprit en silence le chemin emprunté pour venir.
Elles avaient beau affirmer le contraire mais Indali et Marie étaient très déçues de devoir rester enfermées dans le Condor. Elles auraient tant voulu continuer leur découverte de ce pays, de ses coutumes et de ses habitants. En restant enfermées, elles savaient que cela serait impossible. Il y aurait tant de choses qu'elles ne pourraient pas voir. Elles se consolaient en pensant que leur enfermement ne serait que temporaire, mais elles redoutaient que ce ne soit pas le cas et qu’il leur faille de toute façon quitter le Japon sans en découvrir davantage. Les merveilles entrevues étaient si alléchantes ! Marie se mit à prier qu’il ne soit rien arrivé à ces personnes qu’elle avait craint de déranger en leur rendant visite. Puis elle pria pour le salut de ses amis.