Suite:
Esteban avait eu du mal à fermer l'oeil de la nuit. Il sentit Zia s'éveiller à ses côtés; il l'avait contemplée intensément pendant les longues heures où il avait cherché en vain le sommeil, essayant de se distraire ainsi des réflexions qui tournaient dans sa tête sans vouloir le laisser en paix. Il avait du finalement réussir à dormir trois ou quatre heures mais s'était réveillé dès l'aube, en proie aux mêmes pensées obsédantes. Dès qu'elle fut tout à fait consciente, Zia remarqua son air soucieux. Elle pensait deviner ce qui préoccupait son compagnon, mais elle préféra l'interroger : il n'y avait rien de pire que de garder ses inquiétudes pour soi. Esteban ne fit pas de difficultés pour lui répondre, il était soulagé de pouvoir enfin partager ses craintes avec elle. La veille, il avait refoulé ses pensées en espérant trouver le sommeil, et quand il avait compris son erreur, il était trop tard : Zia dormait profondément et il n'aurait voulu la déranger pour rien au monde.
E : Hier soir, je me suis rendu compte de notre impuissance, nous pouvons bien entendu aider nos amis lorsque nous sommes là, mais nous ne pouvons être partout à la fois… ce qui est arrivé ici il y a deux ans en est la preuve, quelle que soit l’étendue de nos moyens, et même si certains de nos amis nous comparent à des envoyés des dieux, nous ne pouvons pas empêcher qu'un malheur n'advienne… depuis hier je ne cesse de m’inquiéter pour le vieux pic, ou encore pour Mariko, Ichiro et Yoshi, et tous les autres qui nous ont aidés à leurs risques et périls…
Zia resta pensive un instant.
Z : Je te comprends, mais nous ne pouvons pas nous dédoubler, ni changer le passé, je suis triste pour Morca, autant que toi, elle a perdu sa mère et cela l'a plongée un état de rage infini qui lui a fait commettre quelque chose d’horrible, et tout comme moi tu connais cet état… je n’oublierai jamais ta rage il y a cinq ans de cela. La seule chose que nous pouvons faire, c'est les aider du mieux que nous pouvons aujourd’hui, car cette fois nous sommes là…
E : Tu as raison, mais même après que nous les ayons aidés aujourd’hui, qu’est-ce qui nous assure que ça ne se reproduira pas et même plus tôt que nous le pensons, je ne sais pas si je pourrais supporter de ramener Morca après notre mariage et finalement de voir que toutes ses sœurs ont disparu…
Zia posa sa main sur la joue d’Esteban tout en se rapprochant et resta ainsi un moment avant de lui répondre :
Z : Moi non plus, mais il faut voir les choses en face, nous ne pouvons pas être présent en permanence, mais si cela arrivait, au moins nous lui aurions évité de subir le même sort…
E : C'est censé me rassurer?
Z : Esteban, il est inutile d'essayer de maîtriser ce qui ne dépend pas de nous ! Nous allons les aider, et ensuite, Morca est libre de choisir d'accepter notre invitation, ou de rester auprès de son peuple si elle juge que la situation n'est pas assez stable pour nous accompagner. Et tu sais, en trois mois tout peut encore changer ! Qui sait également comment cette journée finira?
E : Hum.....je sais, la situation est sans issue....à moins que nous chassions définitivement de ce continent ces maudits conquistadors!
Z : Qui seraient peut-être remplacés par d'autres hommes tout aussi acharnés à s'emparer du bien d'autrui...
E : Oui, peut-être, et c'est ce que je ne supporte pas!
Z : Allons, faisons notre possible pour les aider, concentre-toi sur cette journée, c'est tout ce qui importe pour le moment.
Esteban soupira ; il savait que Zia avait raison, même s'il ne parvenait pas à l'accepter. Quelques instants plus tard, tous deux se mirent en quête de Tao et Indali. Ils avaient pensé les trouver dans le laboratoire, mais la pièce était vide. ils constatèrent que les portes des chambres de leurs amis étaient ouvertes.
E : Bon, on dirait qu'ils ne nous ont pas attendus !
Z : Mais où sont ils donc allés?
E : Oh je m’attends à tout maintenant, Tao a peut-être embauché Indali pour l'aider à confectionner quelques surprises pour nos adversaires, ils doivent être en train de récolter des plantes, ou que sais-je....
Zia sourit.
Z : Ils ont peut-être autre chose en tête, tu ne crois pas?
E : Hum....peut-être bien, mais tu connais Tao.... Bon, allons les chercher, on a des navires à détruire, détourner ou effrayer, je ne sais pas encore… et je ne veux pas décoller sans les avoir au moins prévenus !…
Quand ils sortirent du condor, ils virent Paola en train de donner des cours de combat aux jeune filles de la tribu, ils pensèrent à lui demander si elle avait vu leurs amis, mais se ravisèrent en se souvenant qu’il ne valait mieux pas déranger Paola pendants ses cours.
Ils continuèrent de chercher un moment, et finirent par se rendre au temple ; en montent les escaliers ils entendirent les voix de Tao et Indali, et d'après ce qu’ils entendaient, ils étaient en train de réparer le mécanisme du totem. Au moment où ils arrivèrent, Indali remettait le masque à sa place, les réparations étaient visiblement terminées.
Tao les aperçut.
T : Bonjour vous deux !
Indali fit de même après s’être retournée.
T : Vous nous cherchiez ?
Z : Oui… on va partir s’occuper du « petit problème ». Mais vous feriez peut-être mieux de rester au village.
E : Attends, d’abord je veux demander à Morca comment elle préférerait qu’on s’en occupe… c’est à elle de décider quelle est la meilleure solution pour la protection de son peuple…
T : Indali, qu'en penses-tu ? Veux-tu nous accompagner? Cela peut être amusant....mais effrayant aussi,tu peux rester au village comme l'a suggéré Zia, c'est sans doute plus sage.
I : Si tu y vas, alors je viens aussi, je ne suis pas moins courageuse que toi !
T : Alors, retournez au condor avec Indali, moi je vais consulter Morca, de toute manière il faut que je lui annonce la fin des réparations. Ce ne sera pas long, je vous retrouve au condor !
Ils sortirent du temple, Tao se dirigea vers les appartements de Morca. Toutes les guerrières étaient à l'exercice afin d'être prêtes au combat, aussi il ne rencontra personne. En arrivant près de la porte, il entendit de léger pleurs, et stoppa net. Le souvenir de son erreur avec Indali lui revint douloureusement en mémoire ; il hésita : devait-il renoncer à la déranger et rebrousser chemin ? Mais c'était trop important, Esteban avait raison, ils devaient la consulter avant d'entreprendre quoi que ce soit. Il prit une profonde inspiration, se présenta à la porte, toussa pour manifester sa présence, puis demanda la permission d'entrer, mais personne ne lui répondit. Sans doute ne l'avait-elle pas entendu. Il s'enhardit alors à entrer malgré tout, car il commençait aussi à s'inquiéter pour Morca. Ce qu'il vit le cloua sur place. Morca lui tournait le dos; elle était assise sur une chaise, mais comme affaissée sous l'effet d'une souffrance intolérable, penchée sur le côté; elle tenait une lettre à la main, sûrement celle de sa mère. Tao se rendit compte à quel point leur retour avait remué douloureusement le passé. Cette lettre, elle l’avait très probablement gardée précieusement, comme sa seule possibilité d'être encore en contact avec sa mère. En ces moments cruciaux pour l'avenir de la tribu, elle avait dû venir chercher un peu de réconfort, une inspiration peut-être....mais le récit qu'elle avait dû leur faire avait manifestement ravivé son chagrin.
21_Morca sur son fauteuil la lettre de sa mère a la main (Chaltimbanque).png
Il fit un pas en avant, espérant qu'elle se rendrait compte de sa présence. Elle l'avait sans doute entendu, car ses sanglots cessèrent, et elle se redressa, lentement, en prenant le temps d’essuyer ses quelques larmes afin d'offrir à son visiteur un visage plus digne. Quand elle se tourna vers lui, seuls ses yeux brillants attestaient qu'elle avait pleuré.
Mo : Oh, Tao, c'est toi... qu'y a-t-il ? On dirait que tu es préoccupé.
T : Je....je suis venu pour te parler...à propos des conquistadors....et des réparations mais....j'ai peur de t'avoir dérangée....
Mo : ce n'est rien, Tao, tout va bien, tu ne me déranges pas.
Elle s'efforça de sourire pour le rassurer.
T : j'ai cru....que tu repensais au passé....je suis désolé que nous t'ayons rappelé de mauvais souvenirs.... il est inutile de te cacher devant moi, je ne te jugerai pas…
Mo : je suis touchée par ta sollicitude, Tao, mais il est de mon devoir de rester digne de ma fonction. Je me suis laissée dominer par mon chagrin, c'est vrai, mais je n’ai plus ce droit. Et ne t'excuse pas, ce n'est pas ta faute si je suis toujours aussi triste qu'il y a deux ans. Mais je dois penser avant tout à mon peuple.... que voulais-tu me dire exactement ? Je t'écoute, parle !
Tao voulait insister, mais il ne valait mieux pas. L'incident semblait clos pour Morca.
T : Je venais t’annoncer que les réparations sont terminées, et aussi que nous allons partir nous occuper des conquistadors, mais nous voulions te consulter avant : comment veux-tu que nous agissions exactement…? C’est toi qui sais ce qui est le mieux pour ton peuple…
Morca lui répondit en essayant de rester stoïque, car une partie d’elle ne voulait qu’une seule chose, éliminer ces monstres qui avaient pour but de les réduire en esclavage, mais une autre part d’elle savait que ce n’était pas la meilleure chose à faire, elle n'avait pas été élevée ainsi, même si elle faisait partie du peuple des Amazones. Sa mère ne lui avait jamais montré l'exemple d'une cruauté sanguinaire, et pourtant, quand elle pensait aux conquistadors, son cœur s'enflammait d'une haine capable de se déchaîner avec la pire violence. Elle ne se reconnaissait pas, mais elle devait admettre que cette rage destructrice faisait désormais partie d'elle, depuis deux ans....Elle fit un effort pour se maîtriser et réponde calmement à Tao.
Mo : Tout ce qui importe, c’est qu’ils puissent rapporter à leurs chefs ce qui les attend s’ils viennent à nouveau dans les parages....
T : Très bien, dans ce cas, à tout à l’heure, tu peux compter sur nous!
Il s'empressa de rejoindre ses amis, soulagé d'en finir avec cet entretien qui l'avait mis mal à l'aise plus qu'il ne voulait se l'avouer.
Il s’assit à sa place et Esteban décolla…