Suite.
CHAPITRE 32.
L'heure du déjeuner approchait. Sans tarder, Alfonso avait rejoint le palais de Requesens. Il entra sans bruit dans les appartements de son seigneur, le nouveau propriétaire.
Vêtu uniquement de hauts-de-chausses bouffants, un homme athlétique jouait seul à la paume dans un tripot, une salle conçue pour ce jeu. Ses membres se mouvaient harmonieusement, sans effort apparent, faisant rebondir l'éteuf sur les quatre murs.
Sans s'annoncer, Beyra, resté dans la galerie couverte en surplomb entourant la salle de jeu, demeura un long moment à contempler le corps magnifique en action, une étrange expression peinte sur le visage. Il pouvait rester ainsi des heures sans rien faire d'autre que d'admirer la beauté virile de l'ancien vice-roi de Catalogne.
Ce dernier acheva sa partie solitaire et saisit une serviette pour essuyer son torse. Pedro Folc de Cardona, l'actuel archevêque de Tarragone. Également héritier d'une des familles les plus illustres car ses ascendants étaient issus de la deuxième maison la plus importante de la Couronne d'Aragon, juste après les rois catholiques.
Grand, large d'épaules, la taille bien prise, il avait un visage altier au teint parfait, des traits nobles, ciselés, encadrés d'une abondante chevelure ondulée d'un châtain lumineux. Il était l'un des plus beaux éphèbes de la cité et il ne l'ignorait pas.
Ses yeux s'éclairèrent en constatant enfin l'arrivée de son homme de confiance.
PFC: Alfonso, c'est toi! Descends, je te prie...
Beyra s'exécuta.
PFC: Parle, mon ami... Comment se portent nos petites affaires?
Sa voix était d'une tonalité élégante, profonde, enjouée. Personnalité éduquée et influente, il était un protecteur de la culture en soutenant les artistes et en publiant des livres, dont une version des Usages de 1505. Mais sous ses airs de grand mécène, Alfonso gérait en son nom un important réseau de trafic d'antiquités.
A.B: Aucun problème de ce côté-là. Les bénéfices devraient augmenter de vingt pour cent. Il y a toujours une forte demande durant la
Feria.
PFC: Ah! Excellent... Alors parle-moi donc de cette histoire, la réunion s'est-elle bien déroulée?
Avisant l'air hésitant du grand brun, Pedro quitta son ton badin:
PFC: Alors, qu'est-ce que c'est que cette histoire? Annonce! Je n'ai rien compris aux élucubrations de Diego.
A.B: Il croit effectivement avoir vu
Moustique. Il venait de s'approvisionner chez son vendeur de
mambe, dans le centre, lorsqu'il l'a vu marcher dans la foule.
Moustique... L'évocation de ce surnom surgi d'un passé qu'il croyait définitivement enterré ébranla visiblement Cardona.
PFC: Délire de drogué! Ses névroses le font divaguer. Il a cru voir un fantôme, c'est tout... Pauvre Diego! Lui autrefois si brillant. Inutile de s'inquiéter de ce pauvre fou.
La mine grave, Alfonso rétorqua:
A.B: Je le croyais au début. Plus maintenant, après avoir eu un petit échange... musclé avec lui. Je ne l'avais jamais vu dans cet état! Diego est devenu un débris, c'est d'accord, mais pas un imbécile. Et n'oublie pas la mort de Pero. C'était peut-être le premier de la liste... Mon instinct me dit qu'il se passe quelque chose.
Nettement confiant, l'archevêque répondit:
PFC: Il est impossible que ce soit Mendoza. Il est mort... de ma propre main. Je lui ai dessiné un second nombril, si tu vois ce que je jeux dire. Non, il doit y avoir une autre explication. Occupe-t'en. Je n'ai vraiment pas besoin de ça en ce moment, j'ai suffisamment à faire avec le Conseil provincial! La situation avec la France peut dégénérer à tout moment. Nous devons nous préparer à riposter si nos ennemis nous attaquent. Et nous aussi, faisons partie des effectifs.
En effet, il devait commander l'host, mille hommes de guerre, deux cent chevaux et six pièces d’artillerie, en cas de conflit. De nouveau contrarié, Pedro Folc de Cardona jeta sa serviette à travers le tripot. Il reprit, les mâchoires serrées:
PFC: Je déteste l'idée de quitter la capitale. Maudite guerre! Et comment allons-nous faire pour notre réseau?
A.B: Le cas est réglé, Pedro. J'ai un homme qui veillera sur nos intérêts si nous devons nous absenter. Il a trop peur de moi pour tenter quoi que ce soit.
PFC: C'est bien, Alfonso. Heureusement que tu es là. Je sais que je peux me reposer sur toi.
A.B: Pour cette histoire avec
Moustique...
PFC: Je t'ai dit que je ne voulais plus en entendre parler!
Beyra était le seul homme capable de braver la colère de l'archevêque. Il continua:
A.B: Je propose néanmoins que l'on parte du principe que c'est du sérieux, cette histoire. Car, si ce n'est pas Mendoza, il se pourrait tout de même que quelqu'un en ait après toi, non? Et ce quelqu'un peut également avoir découvert des choses sur le passé. Il y va de ta sécurité, Pedro, et c'est mon devoir d'y veiller.
PFC: Que proposes-tu? Comment être sûr?
Le député avait pleine confiance en Alfonso. Ce dernier avait réponse à tout. Bien souvent, une réponse définitive.
A.B: Prenons des mesures pour te protéger, nous n'y perdrons rien. Je vais faire doubler la garde. Dorénavant, tu te déplaceras en carrosse avec une escorte. Diricq ne te quittera pas. Et je vais me charger de faire circuler le signalement de
Moustique en ville. Je sais qu'elle est bondée, mais on verra bien... Ça ne fera pas de mal à mes hommes de se remuer.
PFC: Fais à ta guise. De toutes manières, le
Conseil va occuper tout mon temps.
A.B: Je vais mettre sur l'affaire mon contact de la Fraternité, Cadell. Il devrait nous trouver quelque chose. Tranquillise-toi, Pedro. Je m'occupe de régler cette affaire.
PFC: Parfait, je suis soulagé. Viens me rejoindre, ce soir. Nous ferons quelques passes à l'épée. Et amène des courtisanes. Des nouvelles. Ah, n'oublie pas de faire surveiller ma sœur. On ne sait jamais...
A.B: Ce sera fait. Ton neveu et ses hommes s'en chargeront. À ce soir... Et... oui, je sais, tu voudras aussi du vin. Je m'en charge.
Depuis toujours, Alfonso Beyra devançait les moindres désirs de son maître. Même les plus malsains. Il avait décidé de ne pas parler du message qu'il avait reçu de Galceran Cadell. Le signalement donné par
le bâtard correspondait parfaitement à celui de
Moustique. Encore que n'importe quel homme brun de haute taille, pouvait porter une cape bleue et rouge.
Pedro avait été clair. Il ne voulait plus entendre parler de cette histoire. Mieux valait donc ne plus l'inquiéter avec ce problème. Ces temps-ci, le député devenait de plus en plus irritable. Alfonso préférait le préserver. Il allait s'occuper de cet imposteur, ce soir même, chez Cadell. Et si c'était bien Mendoza... voilà qui promettait. Beyra s'occuperait de son cas et irait ensuite porter sa tête à Pedro. Il était prêt à tout pour lui. Pour l'un de ses sourires, pour obtenir son approbation. Cardona était sa raison d'être, son soleil. Cardona qu'il adorait d'une passion aussi incandescente qu'inavouée.
☼☼☼
Après le départ de son second, Pedro Folc de Cardona annula sa leçon quotidienne d'escrime. Il se mit à faire les cent pas, la mine soucieuse. Comment croire à cette éventuelle réapparition, pour le moins inattendue et pour le moins inopportune... C'était impossible! Un frisson d'inquiétude le saisit, chassant un instant son habituelle assurance. L'ancien vice-roi se sentait soudain menacé. Il détestait cette sensation.
Devait-il en parler à
l'autre? Non. Ils avaient instauré une certaine distance à mesure que leurs pouvoirs respectifs grandissaient au sein de la hiérarchie de l'Empire. Ils évitaient de se fréquenter, sauf quand l'autre lui donnait une mission. En général, éliminer un gêneur. Alors Pedro envoyait Alfonso.
En vérité, le député se souciait fort peu de politique. Au faîte de son pouvoir, il avait préféré se plonger sans vergogne dans les divers plaisirs de la chair. Heureusement, un programme quotidien d'exercices de musculation et de massages lui permettait de conserver et d'entretenir sa splendide silhouette.
La longue période de paix lui avait permis de délaisser sa charge, tout en donnant le change. Mais à présent, les choses bougeaient et balayaient toute cette tranquillité. La guerre entre la France et l'Empire couvait à nouveau et Pedro allait devoir rattraper toutes ces années gaspillées en multiples plaisirs. Si la huitième guerre d'Italie éclatait, il allait devoir mener le régiment d'élite au cœur du duché de Savoie. Quelle responsabilité soudaine pour lui, archevêque de Tarragone!
Non, mieux valait ignorer cette inepte histoire de
Moustique revenu d'entre les morts. Alfonso allait s'en charger. Comme toujours... Ils se comprenaient si bien, tous les deux.
Pedro s'étira. Un bon massage lui ferait le plus grand bien. Il gagna sa chambre pour se dévêtir, passer une serviette propre autour de ses reins, et prit la direction de la salle d'eau.
Il s'arrêta à mi-chemin et fit demi-tour, jusqu'au mur où reposait un râtelier d'armes pour y prélever un poignard, qu'il glissa dans une autre serviette. Alors enfin, il repartit rejoindre son masseur.
Dorénavant, il ne se déplacerait plus sans une arme. Où qu'il aille.
CHAPITRE 33.
Quelque part dans Calais.
Mary: Tiens, voilà tes informations. C'est tout ce que j'ai pu trouver.
Mary jeta un dossier soigneusement plié sur le lit. Le gouverneur du Languedoc s'exclama:
Anne: Mais c'est parfait, ma tigresse!
Ils se trouvaient dans une chambre d'auberge. Le duc s'empressa de ranger dans son manteau le dossier apporté par la jeune femme. Celle-ci cracha:
Mary: Paye-moi, à présent!
Anne: Tiens, voilà cinq sachets. Tu les as bien mérités.
Les mains sur les hanches, l'épouse de Charles Brandon annonça:
Mary: J'en veux sept!
Anne: Tu marchandes? Fort bien. Mais tu devrais songer à ralentir un peu avec le
mambe.
Mary: Mêle-toi de tes affaires, Anne!
Anne: Oh, je m'inquiète de ta santé, c'est tout...
Elle s'énerva:
Mary: C'est ça, chante-moi une ballade romantique, pendant que tu y es!
Montmorency se moquait bien de la réaction de son amante. De même qu'il se moquait du prix qu'elle avait demandé. Plus elle en consommerait, plus elle s'enferrait dans les tourments de cette substance. D'ailleurs, il trouvait sa résistance remarquable. Tout autre individu que la jeune femme serait déjà complètement asservi. C'était loin d'être le cas de la sœur du roi Henri.
Mary rangea les sachets dans les poches de son pourpoint en agneau. Cachant sa déception, le maréchal demanda:
Anne: Alors, tu n'en prends pas, finalement?
Mary: Non, je préfère la garder pour plus tard, quand je serai seule et tranquille, puisque tu veux tout savoir.
Anne: Dis-moi... ces informations, tu peux en avoir d'autres?
Mary: Ce n'est pas impossible. Mais pas tout de suite. Je dois me faire oublier. Et puis, j'en ai assez de parler. Si nous passions à plus important?
Elle ôta son pourpoint tout en poursuivant sans le regarder:
Mary: Trouve quelque chose de nouveau. J'ai besoin de me défouler, ce soir.
Sans attendre, elle s'allongea sur le lit. Anne la contempla un bon moment, se repaissant de sa beauté si sensuelle, de son comportement si provocant.
Anne: Ça tombe bien parce que j'avais en tête quelque chose d'un peu spécial.
Il siffla entre ses doigts.
Comme s'il n'attendait que ce signal, ce qui était le cas, un robuste gaillard fit son entrée dans la pièce. Il faisait partie du service de sécurité du duc de Montmorency. Mary ne lui fit ni chaud ni froid mais attendant ses ordres, le Seigneur de Nançay ne pouvait s'empêcher de la regarder.
Après un léger moment de surprise, la jeune femme dit:
Mary: Tiens donc, tu as besoin d'un renfort! Ou alors, cela veut dire que tu ne restes pas...
Anne: En effet, ma tigresse. J'ai du travail en retard et François est un maître exigeant. Mais ce n'est que partie remise! Songe que je paierai généreusement de nouveaux renseignements sur ce que tu sais... En attendant, La Châtre est là pour te tenir compagnie...
Mary: Eh bien, tant pis pour toi si tu dois t'en aller! Je me contenterai de celui-là.
Le duc faillit se raviser et rester pour profiter de l'appétit de sa maîtresse. Mais il ne pouvait pas. Il devait absolument voir le roi et trouver avec lui un moyen de vérifier les informations fournies par sa nouvelle espionne. Il soupira de frustration mais se morigéna. Il aurait l'occasion de se rattraper. Mary était toujours prête à partager de nouvelles expériences. Il susurra à l'oreille de son sous-fifre:
Anne: Je te laisse la place. Ne la ménage surtout pas, elle aime ça!
Au moment où il franchissait le seuil de la chambre, il entendit résonner la voix chantante de la duchesse qui s'élevait par-dessus l'épaule du capitaine déchu en train d'ôter à contrecœur ses vêtements.
Mary: Tu as entendu, toi? Vas-y franchement!
À Barcelone.
Galceran Cadell trottinait dans la rue, de fort bonne humeur, sa démarche dandinante laissant transparaître une profonde satisfaction.
Pourtant, le début de la journée avait été chargé pour celui dont les grasses matinées représentaient le plus inoffensif des vices. Au moins, cela lui avait donné l'occasion de tester ce nouvel onguent miton-mitaine sans grande efficacité pourtant recommandé par ce cher Gomez.
Ce matin, il avait été convoqué par Alfonso Beyra, suite à son message. Ensemble, ils avaient évoqué le cas de cet étranger. Satisfait des propos du
bâtard, Alfonso lui avait jeté une bourse d'or en lui donnant des instructions. Ce soir, quand l'homme à la cape bleue viendrait chercher ses renseignements, il aurait une mauvaise surprise, bien mauvaise.
Ensuite, Cadell s'était rendu à son bureau de la Fraternité pour apprendre de son intendant des finances que la
Feria s'annonçait des plus fastes pour la guilde des Voleurs. Déjà trente pour cent d'augmentation des bénéfices, et la semaine de Noël n'était que dans trois semaines!
Porté par cette vague de réussite, Cadell avait quitté son officine pour se rendre aux bains. Évidemment, ceux fréquentés par les gens de qualité. Là, il s'était longuement fait masser. Ensuite, pris d'une impulsion, il s'était rendu dans l'échoppe d'un barbier où, grâce au brou de noix, Galceran s'était fait teindre les cheveux d'un divin châtain sombre.
À présent délassé,
le bâtard aspirait à un bon repas. En gourmet qui se respecte, il avait établi ses habitudes à
L'hôtel de Bou, un des meilleurs établissements de la capitale, dont il apercevait l'enseigne au bout de la rue. Après, il irait probablement rendre visite à ce cher commandant Gomez et lui faire admirer sa nouvelle teinture.
Un peu en retrait marchaient deux hommes trapus, vêtus de justaucorps de cuir, crâne rasé et barbe courte, blonde pour le premier, grise et torsadée pour le second. Gonzalo de Ayora et Sancho Garcia étaient ses gardes du corps. Les anciens
Monteros de Espinosa* veillaient à sa sécurité depuis trois ans, avec une efficacité tout à fait satisfaisante.
Galceran était vêtu de l'une de ses tenues les moins voyantes. Il avait choisi de la porter avec ses bottes grises, son manteau fait de losanges roses et bleus ainsi que son pendentif Aigue-Marine. Il n'était pas stupide, le Cadell, et savait que son apparence pour le moins outrancière, reflétant réellement ses goûts, lui offrait un parfait camouflage. Qui aurait soupçonné cet homme étique, efféminé, d'être un des maîtres principaux de la Fraternité? Connu comme marchand, il était censé tenir une boutique d'antiquités, où il ne mettait en vérité que rarement les pieds.
Après avoir brièvement salué le restaurateur,
le bâtard monta directement dans son cabinet particulier, laissant à ses gardes le soin de faire barrage en bas de l'escalier. Galceran avait apporté quelques croquis de son tailleur car il avait décidé de renouveler sa garde-robe pour cet hiver. Quelles teintes choisir pour aller avec la nouvelle couleur de ses cheveux? Et quelles matières? Quelque chose de fluide, évidemment. Des questions primordiales qui occuperaient son repas.
Après quoi, il devrait planifier la réception du beau brun ténébreux. Bien sûr, il s'était bien gardé de dire à Alfonso Beyra qu'il comptait tout de même donner à cet homme les renseignements qu'il avait demandés. Cadell ne livrerait l'Apollon que lorsque celui-ci l'aurait payé. Double bénéfice!
Il espérait que Madariaga ne serait pas trop abîmé dans l'histoire. Malgré son sale caractère, le vieux râleur représentait un trop bon élément pour les intérêts de la Fraternité.
Galceran s'installa confortablement sur la banquette. L'atmosphère feutrée du cabinet, ses tentures décorées de scènes de chasse et de paysages forestiers, l'odeur sucrée de l'encens qu'il préférait, celle du bois de pin verni des murs favorisaient à merveille son délassement. Il posa ses esquisses à portée de main et s'abîma dans la lecture du menu. Allait-il prendre la truite saumonée au beurre de rose citronné ou les roulés de veau à la florentine?
Une haute silhouette, vêtue d'une chemise blanche immaculée, surgit de derrière une tenture.
Le bâtard sursauta de surprise, laissant échapper la carte des mets.

: Bien le bonjour, messire Cadell. Comment vous portez-vous? Je viens chercher mes renseignements. Oui, je sais, je suis un peu en avance. Je ne vous dérange pas au moins?
Interloqué, Galceran Cadell ne sut que répondre. Il se mit à se tortiller sur son siège, cherchant vainement une échappatoire. Mendoza s'approcha de la porte d'entrée devant laquelle il s'attarda quelques secondes, avant de reprendre:

: Au fait, quelle belle teinture vous avez choisi! Je prends ça pour un compliment. Mais vous semblez bien nerveux, messire. Comment se fait-il que vous transpirez ainsi? Vous avez des bouffées de chaleur? Y aurait-il un problème?
G.C: Mais pas du tout! Je... je n'ai pas encore les renseignements que tu désirais. Ils sont dans mon bureau. Passe me voir ce soir, comme convenu.
De son inquiétant regard sombre, Mendoza transperça l'homme fardé. Son visage dur n'annonçait rien de bon. Plus question de le traiter avec déférence, le tutoiement s'imposait.

: Tstt-tstt-tstt. Ce n'est pas bien de me mentir, Cadell. Et pas conseillé. Tu vas avoir grand mal à te maquiller si je te coupe les doigts...
G.C: Non, euh... je plaisantais, bien sûr. J'ai ce que tu veux. Le carnet rose, dans ma sacoche.
De son pied botté, le
Yeoman plaqua le torse de l'homme contre le dossier de la banquette. Saisissant la serviette, il trouva sans peine le petit calepin qu'il ouvrit. Sur la dernière page, les noms y figuraient, ainsi que les adresses, accolées. Celles de Diego d'Ordongnes et de Catalina de Cardona n'avaient d'ailleurs pas changé. Il aurait pu s'en douter. Pedro résidait au palais Requesens. Cela non plus n'était pas surprenant. Alfonso et Diricq étaient censés partager un logement dans le quartier commerçant mais le Catalan doutait qu'ils y passent beaucoup de temps. Ils devaient plutôt habiter dans les quartiers du député.
Toujours prisonnier de la botte du mercenaire, Cadell suait maintenant à grosses gouttes, ruinant son maquillage. Que faisaient ses hommes? Et les serveurs? Ils allaient bien finir par entrer!
Un coup frappé à la porte, la poignée que l'on tourne sans succès. Un bruit de pas qui s'éloignent. Tentant de reprendre contenance,
le bâtard souffla:
G.C: Mes gardes vont venir.
Il tenta de repousser le pied du capitaine mais la charge s'avéra trop lourde pour lui. Mendoza ricana:

: Cela m'étonnerait qu'ils parviennent à franchir cette porte. Je t'assure que nous ne serons pas dérangés.
En effet, il avait tout simplement bloqué l'entrée avec deux cales fournies par Manuel
le manuel. Un procédé des plus sommaires mais combien efficace.
L'Espagnol agita le carnet devant le nez de Cadell et annonça presque joyeusement:

: Parfait, messire! Ce sont bien les informations que j'attendais.
Il le glissa dans sa botte gauche. L'arrivée de plusieurs personnes se fit entendre sur le palier. Des jurons s'élevèrent derrière la porte que l'on tentait une nouvelle fois d'ouvrir. Celle-ci persistait à résister. Galceran tenta:
G.C: Comme tu vois, j'ai tenu mes engagements. Tu vas donc pouvoir me payer.

: Oh non, je t'avais prévenu, Cadell. Tu as voulu me trahir. Je tue!
Tandis que les coups et les jurons redoublaient de l'autre côté de la porte, Juan se pencha sur l'homme impuissant. Crochetant ses narines, il tira brusquement son nez vers le plafond. De son autre main, il sortit sa dague de sa botte droite. La lame qu'il brandit effectua un rapide arc de cercle avant de retrouver son fourreau. Elle ne passa qu'une seule fois en travers de la trachée offerte du
bâtard mais cela suffit amplement. La mort de Galceran Cadell se déroula sans aucune élégance. Vagissants, crachants et bavants, ses derniers instants se révélèrent plutôt lamentables.

: Adios, messire Cadell...
La porte menaçait de céder. Plusieurs hommes devaient s'acharner dessus. Le
Yeoman ouvrit la fenêtre et passa sur le balcon.
Il courait dans la rue à perdre haleine. Une dizaine d'hommes étaient à ses trousses. Des spadassins de Cadell, de Beyra ou du Guet. Peu importait pour l'instant. Les promeneurs s'écartaient prudemment sur son passage, peu désireux de se frotter à ce gaillard au visage si rébarbatif.
L'Espagnol dépassa un croisement, puis un deuxième. Il manqua la rue qu'il avait sélectionnée comme voie de repli. Au lieu de quoi, il s'engagea dans une ruelle transversale. Mal lui en prit. Au bout d'une cinquantaine de toises, un tournant. Celui-ci donnait sur une impasse.
Un sifflement venu des toits retentit. Mendoza leva la tête pour voir une corde à nœuds descendre du ciel. Une voix moqueuse et familière résonna du haut des murs de la ruelle:
Patakon: Alors fiston, tu te dépêches? C'est franchement pas le moment de faire la sieste!
Manuel était-il partie prenante du piège? Malgré la sympathie qu'il commençait à éprouver pour le voleur, le capitaine ne pouvait pas ne pas se poser la question.
Il n'avait pas vraiment le choix, en fait. Il saisit fermement la corde et commença son ascension. Un bras maigre mais cordé de muscles fermes l'aida à prendre position sur la corniche.
En pleine forme,
Patakon tonitrua:
Patakon: Qu'est-ce que j'avais dit! Cadell t'a vendu. Un de mes informateurs l'a vu ce matin sortir de chez Alfonso Beyra. Le sale empoudré! J'espère que tu t'en es occupé!
Sans gaieté de cœur, le mercenaire passa son pouce en travers de son cou. Le voleur jugea la réponse suffisamment éloquente.
Ses moustaches relevées par un franc sourire, il s'écria:
Patakon: À la bonne heure! Ce porc n'aurait pas dû ainsi bafouer la Fraternité. Ton acte relève l'honneur de la Guilde, Mendson... Tu sais, tu as de la chance que j'aie décidé de veiller sur toi et que je connaisse les toits comme ma poche! Je me doutais que tu aurais besoin d'un peu d'aide. Viens, fiston! Il est temps de changer d'air.
Madariaga roula sa corde qu'il fit disparaître sous sa tenue. Il ajouta:
Patakon: Je passe devant. Si j'ai bien compris, tu vas vouloir rendre visite dans les quartiers nobles. Je connais un chemin sûr. C'est par là.
Mendoza le suivit alors que s'élevaient des exclamations de rage venues d'en bas.
CHAPITRE 34.
L'après-midi s'étirait paresseusement. Catalina de Cardona habitait dans un magnifique hôtel particulier à trois étages, demeure familiale située dans le plus beau quartier de la ville, au nord-est de la capitale, proche des murs du palais de Requesens. Malgré le temps écoulé, Mendoza se remémorait bien le tracé rectiligne des avenues pavées de pierres, où se croisaient quelques luxueux carrosses aux laques brillantes.
Bien moins fréquentés que le
Barri Gòtic, les hauts quartiers de
La Ribera affichaient avec un faste certain la richesse de leurs propriétaires. Les architectes de la ville avaient fait preuve d'ingéniosité afin que chacune des opulentes demeures reflète un caractère unique tout en préservant l'harmonie de l'ensemble. La pierre de taille claire de la meilleure qualité, les façades travaillées à la main, les colonnades décorées, les jardins particuliers rehaussés d'arbres rares ou de statues, les sculptures et les fontaines mélodieuses taillées dans le marbre blanc le plus pur rivalisaient d'esthétisme. Sans oublier la présence rassurante des patrouilles chargées de veiller à ce que rien ne dérange la quiétude des mieux lotis.
Voitures et carrosses remplaçaient allégrement la foule bruyante du quartier commerçant. Avec sa chemise blanche bien coupée, Mendoza pouvait déambuler sans s'inquiéter, passant aisément pour un noble en promenade.
Le climat avait changé. Le rouge soleil d'automne n'habillait plus les remparts de flamme et de sang... Il était bien pâle aujourd’hui, chassant les vestiges de l'été de la Saint-Martin jusqu'à l'année prochaine. Juan rabattit sa capuche, mais il se moquait du temps.

:
Catalina. (Pensée).
Il lui fallut dix minutes pour repérer les sentinelles postées discrètement autour du domicile de la jeune femme. Trois hommes, des coupe-jarrets, dont la mise jurait avec la vêture soignée des résidents. Ils étaient manifestement peu motivés par leur tâche de surveillance. Cette négligence ne leur coûta qu'une perte de connaissance temporaire.
Le Catalan assomma le premier sous un porche, lui laissant une belle bosse sur le crâne. Il donna un violent coup de pied dans l'entrejambe du second et écrasa son poing sur le nez du troisième, qui s'était établi près d'une fontaine. Le tout en moins de cinq minutes. Il les avait bâillonnés et ligotés en un clin d’œil pour éviter qu'ils ne donnent l'alerte.
Il profita d'une échauffourée dans la rue, provoquée par une bande d'ivrognes braillards, (en réalité des comparses du précieux
Patakon), pour entrer en douce dans la propriété et se camoufler parmi les arbres. Il gagna l'arrière de la façade sans rencontrer personne et entreprit de grimper à la vigne vierge aux belles couleurs flamboyantes.
Sous peu, les poivrots s'esquiveraient, entraînant les éventuelles patrouilles sur leur passage.
Du toit d'ardoises soigneusement assujetties, le capitaine n'eut qu'à se laisser glisser sur un des larges balcons du dernier étage, où, il le savait, se situaient les appartements de la sœur de Pedro. Ainsi, la jeune femme n'avait pas quitté la demeure familiale.
Catalina, la femme qui lui avait fait oublier définitivement Carlotta. Catalina, celle qu'il aurait du épouser après ses classes.
Elle était bien là. Dans sa chambre, en plein rituel. Occupée à lisser sa longue chevelure rousse, elle ne remarqua pas son arrivée. Un déshabillé d'étoffe bleu moiré, évanescente, fluide, rehaussait la finesse de sa taille.
Mendoza ressortit de la pièce et visita l'étage à pas de loup sans voir personne. Il ne prêta que peu d'attention au riche décor, vérifiant par contre que nul ne dérangerait leur tête-à-tête. Selon la tradition, la plupart des domestiques devaient avoir obtenu leur congé pour profiter de la
Feria. Les deux seuls serviteurs qu'il croisa dans les cuisines, un couple inoffensif, il les boucla dans le cellier, sans brutalité. Satisfait, il retourna à la chambre de Catalina.
Le souvenir que le bretteur avait gardé de sa promise ne lui rendait pas justice. Toujours occupée à la même tâche, la jeune femme avait encore embelli avec les années. Malgré la trahison, l'Espagnol du s'avouer à nouveau conquis par son indéniable beauté. Son visage ovale au teint de lait, ces traits d'une pureté inégalable. Et ces yeux semblables aux reflets d'un lac, un soir de lune...
Catalina, muse de nombreux poètes, "l'amie des miroirs" comme on la surnommait à la cour.
De toutes les femmes croisées par le
Yeoman, elle était bien la plus belle. Seule l'inconnue aperçue hier soir dans la rue pouvait peut-être rivaliser. La rousse Catalina et l'aventurière brune. Physiquement, il n'aurait pu les départager.
☼☼☼
Contemplant son reflet, la jeune femme humecta sa bouche carmine, conçue pour offrir le baiser le plus doux. Le Catalan se souvenait encore de cette caresse exquise et il en avait les entrailles nouées.
Catalina s'examina une dernière fois dans son miroir. Pleinement satisfaite, elle lâcha un rire cristallin.

:
Ce rire! (Pensée).
Catalyseur de tous ses malheurs, il transporta le mercenaire dix ans en arrière. Au temps de l'insouciance, des amis et de l'Amour.
Les braises de cet amour, un amour qu'il croyait ruiné, dépassé, se ravivèrent. Il ôta sa cape et fit un pas en avant, sans pouvoir se contrôler.
La jeune femme se retourna et le reconnut. Ses yeux s'écarquillèrent d'une surprise qu'elle parvint toutefois à maîtriser. Sa voix soyeuse électrisa Juan.
C.C: Tu viens enfin me tuer? Comme tu dois me détester...
Au contraire de Galceran Cadell, elle s'exprimait d'un ton calme, ne trahissant aucune peur, aucune nervosité. Mendoza souffla:

: Telle était mon attention, mais...
Il ne put terminer sa phrase.
Catalina se jeta à ses pieds. L'échancrure de sa robe dévoila la naissance de sa poitrine ferme et rebondie. Elle s'écria:
C.C: Oh, Juan-Carlos! J'ai peine à croire que tu me sois revenu. Je suis si heureuse de te revoir. Si tu savais comme je m'en suis voulu... Je t'aime! Depuis toujours! Pedro m'avait forcée à te trahir. Il... Il... m'a fait des choses... c'était horrible. Mais peu importe puisque tu es vivant. Que Dieu en soit remercié!
Elle releva la tête, le suppliant de la voix et du regard.
C.C: Pourras-tu me pardonner, mon aimé? Le pourras-tu? Nous étions si jeunes... Je ne savais pas ce que je faisais. Je n'ai compris qu'après, à quel point tu comptais pour moi. J'ai prié, tous les jours, j'ai chéri ton souvenir. Et à présent, tu es là... Oh, Dieu Tout-Puissant!
Ils se regardèrent.
"Prends-moi, Juan", le suppliaient les yeux humides.
La belle jeune femme se rejeta en arrière, se détournant pour cacher ses pleurs.
Le Mendoza d'autrefois aurait pu tout oublier. Pardonner. Quand il était encore un homme bon, compréhensif, idéaliste, ne vivant que pour l'honneur. Si naïf, en définitive...
Avant.
Jusqu'alors aussi acéré qu'une hache de bourreau, l'austère visage de l'homme à la cape bleue s'adoucit.
Constatant sa réaction, Catalina enchaîna avec un rire cristallin:
C.C: Oh, mon Juan, évidemment que tu vas me pardonner! Car c'est le destin qui nous a finalement réunis. Ne le comprends-tu pas? Il nous offre une seconde chance. Tu vas voir, je vais t'aimer comme jamais on ne l'a fait! Tu vas venir t'installer ici avec moi. Non, mieux encore, nous allons partir dans mon domaine à La Roda. J'ai tant à te dire... À expliquer... Nous allons pouvoir rattraper le temps perdu.
Catalina redoubla de son rire charmant. Ce rire particulier qui avait ponctué chaque cauchemar de l'Espagnol. Ce rire autrefois adoré qu'il avait appris à haïr. Synonyme de la trahison qui avait bien failli entraîner sa mort, cette fameuse nuit d'autrefois...
Ce rire qui l'électrisait encore, malgré lui.
Le capitaine se baissa pour empoigner la jeune femme et la redressa. Celle-ci en profita pour user de ses charmes. Sa bouche entrouverte se rapprocha de celle du bretteur, s'y posa.
Et tandis que leurs lèvres se joignaient, que leurs langues se mêlaient, un frisson très agréable traversa Catalina. La boule qui lui glaçait le ventre depuis l'arrivée de Juan avait totalement fondu.
La jeune femme se lova dans ses bras, calant son bas-ventre contre la jambe du
Yeoman. Il reconnut l'odeur de lavande que laissait son baume pour les cheveux. Son désir pour elle s'attisa soudainement. Plaquée contre lui, elle sentit sa rigidité et ondula des hanches pour l'entretenir, un sourire éblouissant ourlant ses lèvres parfaites.
C.C: Dis donc, "Moustique", vu ce que je sens là, je constate que je ne te laisse pas indifférent... (Pensée).
Déjà éveillée par le baiser, son envie à elle monta d'un cran, avivée par ce relent d'interdit et de danger. Sans prévenir, elle fit glisser sa main sur le ventre du Catalan, tâtonnant jusqu'à caresser sa virilité qu'elle se mit à flatter.
Mendoza ne put s'empêcher de lâcher un gémissement. Les sens en feu, les paupières closes, il la laissa faire tandis qu'elle entreprit de dégrafer son pantalon. Finalement, il s'écarta d'elle et se rhabilla en souriant.

: Plus tard. Je t'ai apporté un présent, Catalina. À la mesure de mes sentiments pour toi!
Alors qu'elle fit un pas en avant, intriguée, Juan fouilla dans son aumônière, dévoilant une petite fiole de verre opalescent, hermétiquement fermée.
Il fit lentement danser le flacon dans la lumière, expliquant à la jeune femme manifestement intéressée:

: C'est un cadeau très rare: une fleur appelée "couscouille". Il n'en existe pas de pareille par ici. Je l'ai trouvée il y a longtemps en montagne. Je l'ai cueillie pour toi, cette fleur, et je l'ai soigneusement conservée, espérant qu'un jour j'aurais la chance de te l'offrir. Tu vois, moi non plus je ne t'ai pas oubliée.
De sa main libre, il caressa la joue soyeuse de la jeune femme. Telle une chatte, elle se prêta à son toucher mais son intérêt était capté par la fleur.

: Tu devrais la sortir de son flacon. Elle est encore vivante, tu sais? Elle met plusieurs années pour fleurir. Vas-y prends-la en main...
Happée par le magnétisme du délicat végétal, Catalina ne vit pas que son interlocuteur avait enfilé une paire de gants. Elle ne voyait plus que la couscouille. Habituée depuis sa plus tendre enfance aux égards et aux cadeaux, elle ne s'en lassait pas. Et cette fleur recelait un pouvoir si puissant!
Totalement captivée, Catalina ne prêtait plus aucune attention à Juan. Ce dernier détourna la tête un instant, passant la main sur son visage, puis se redressa.
La jeune femme ne put se contenir plus longtemps. Elle ouvrit la fiole et fit glisser la fleur dans sa paume. Une petite fleur chétive, aux pétales flétris d'un bleu profond, mais rappelant par sa forme, le capuchon d'un moine. Elle était dotée d'une tige largement feuillée d'un vert très vif.
Un mélange de fragrances subtiles envahit la pièce. La traîtresse s'extasia:
C.C: Elle est si belle! Et ce parfum. Tu sens?

: Je vois, ma chérie, qu'elle te plaît! Je m'en félicite... tu n'imagines pas à quel point! Maintenant, assieds-toi. Là, devant moi. Écoute...
Ils s'installèrent sagement sur le lit, face à face.
D'une main, Catalina gardait la fleur sur son cœur. Elle regarda Juan, manifestement étonnée par un tel traitement. L'espace d'un instant, sa mine altière se fit perplexe, puis calculatrice, avant de retrouver tout son charme. Le
Yeoman poursuivit:

: Voilà, Catalina. Tu vas tout savoir sur cette fleur. Elle est vraiment particulière, vois-tu. En vérité, je t'ai menti. Ce n'est pas une couscouille mais une aconit. On les confond souvent à cause de leurs feuilles. Si la première se relève inoffensive, ce n'est pas le cas de la seconde. C'est une plante redoutable, l'une des plus dangereuse de la flore.
Mendoza sourit cruellement en voyant le si beau visage de son amante se décomposer. Elle avait compris et savait que toute la fleur était vénéneuse. Elle en avait déjà entendu parler. C'était le plus actif des poisons. La confection de bouquets avec cette espèce s'avérait dangereuse si on ne portait pas de gants.
Catalina leva sa main libre qui fusa vers le visage du capitaine. Ce dernier était toujours aussi vif. Par pur réflexe, il intercepta aisément son geste et l'empoigna pour l'immobiliser. Il la tira vers lui sans ménagement et continua impitoyablement ses explications:

: Tu vas ressentir les premiers symptômes très vite, Catalina: la plante engendre sueur, salivation et troubles de l'équilibre jusqu'à la mort. Une mort par paralysie des différents systèmes vitaux, respiratoire et circulatoire. Il n'existe aucun antidote à cette toxine.
Tétanisée par ce qu'elle venait d'entendre, la jeune femme s'était figée.

: C'est ça, ma vengeance! Ma chère Catalina, elle est à la mesure de ta trahison. De ce que j'ai souffert. Au revoir,
mon trésor, ou plutôt adieu.
Et sur cette tirade, Mendoza la rejeta sur le lit. Il récupéra sa cape et quitta la pièce sans un remords, sans même un regard en arrière.
En descendant le lierre de la façade, il put entendre un hurlement féminin résonner par le balcon. Un trémolo d'horreur, de rage et de désespoir.
C.C: Je te hais! Tu entends? Je te hais, Juan-Carlos Mendoza... Sache que je ne t'ai jamais aimé! Je me suis bien amusée à tes dépens, avec mon frère. Puisses-tu être englouti par les ténèbres! Noon! Reviens...! Dis-moi que ce n'est pas vrai!
Dans la rue
Montcada, le mercenaire fut rejoint par
Patakon, non loin de la chapelle romane Saint Marc. Le vieux bandit annonça d'emblée:
Patakon: Personne ne te suit, j'ai vérifié. Au fait, ça s'est passé comme tu voulais, ta visite?
L'Espagnol se contenta de répondre:

: Ça s'est passé
exactement comme je voulais.
Madariaga n'était pas du genre à s'effrayer. Il avait affronté bien des périls dans son aventureuse carrière. Pourtant, la tonalité sauvage de sa voix, la fixité polaire du regard de son jeune compagnon lui donnèrent la chair de poule.
Constatant le recul de son interlocuteur, Mendoza ajouta d'un ton adouci:

: Trouve-nous un endroit tranquille... sous peu, le coin risque de grouiller de gardes.
À suivre...
*
Monteros de Espinosa: Gardes spéciaux de la cour de Barcelone.