DESTINÉE (- suite non-officielle de la saison 4)

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Le Flamand
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Re: DESTINÉE (- suite non-officielle de la saison 4)

Message par Le Flamand »

kally_MCO a écrit : 02 avr. 2021, 22:12
Le Flamand a écrit : 01 avr. 2021, 19:49 Je ne sais par où commencer. La qualité du scénario, de l'écriture et des échanges entre les personnages est excellente ! Je ne puis que faire l'éloge de ton œuvre. J'ai hâte de pouvoir lire la suite !
Commence par le début, beau gosse !
Ça y est, je rougis. Sans rire, un grand merci pour ce commentaire élogieux.
En espérant qu'elle te plaise, plumeau ^^
Naturellement ! Mais il y a des instants où les mots se perdent. Il faut alors savoir les trouver.
Décidément, tu as beaucoup tendance à rougir ! Ne me remercie pas. Rares sont les topics où je laisse un commentaire, et qui plus est élogieux. Si je viens commenter ici, c'est que ton travail est excellent. ;)
Elle me plait déjà, si tu parviens à garder de la constance dans la qualité. ^^
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kally_MCO
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Re: DESTINÉE (- suite non-officielle de la saison 4)

Message par kally_MCO »

I, PARTIE 2.

- Bon, euh, la volaille, lâcha Gaspard, gêné. C'est pas que je ne t'aime pas... loin de là ! Mais... tu ne veux pas laisser mon épaule respirer un peu ?

Le dos appuyé contre le tronc d'un grand arbre, l'ancien marin soupira en fixant l'oiseau. Il continuait de scander son nom, ignorant royalement sa demande. La chaleur humide de l'air fit souffler l'Espagnol, qui leva des yeux plissés vers le ciel. Détournant le regard, il battit des paupières. La lumière éclatante du soleil, boule chargée d'énergie ardente, illuminait la terre des Shonas qui - contrairement à l'ami de Laguerra - ne semblaient nullement rebutés par ce spectacle aveuglant.

Loin de tous, isolé avec un Pichu très affectueux au milieu de l'herbe et de la poussière, Gaspard laissa son dos glisser sur le tronc robuste, posant ses fesses sur le sol. Il avait mal au crâne, la vue encore un peu trouble et la gorge sèche, pâteuse. L'étrange boisson marron dont il avait largement abusé la veille, en compagnie de Neshangwe, les seconds de señor-la-cape et bon nombre d'autochtones, continuait de torturer son esprit nébuleux.

Le barbu aux sourcils broussailleux secoua la tête avec une grimace avant de souffler une seconde fois.

- Gaspard ! Gaspard ! Gaspard, ami !

- Baisse d'un ton, la volaille, Gaspard a très mal à la tête.

Ses yeux fatigués se posèrent sur deux Zimbabwéens armés d'arcs et de flèches imposantes. Il esquissa une grimace, pris de frissons désagréables. C'était à cet endroit précis qu'il avait commis l'erreur de laisser la señorita Laguerra seule avec Mendoza pour aller chasser, ne pouvant reculer devant le défi explicite lancé par le navigateur afin de l'éloigner - erreur qui avait bien failli s'avérer fatale pour Isabella. Il s'était comporté comme le dernier des idiots. Morbleu !

Isabella Laguerra.
Cette femme brillante et intrépide pour laquelle il couvait un amour insolite, en pleine croissance, aussi déstabilisant que revigorant. L'ancien capitaine d'armée avait trente ans. Il n'avait jamais, de son vivant, rien éprouvé de tel pour une femme. Certes, il avait, durant sa jeunesse, été attiré par plusieurs beautés espagnoles, françaises, indiennes, italiennes... Mais jamais, au grand jamais, il n'était tombé amoureux d'une femme pour ce qu'elle était, ce qu'elle représentait et lui apportait de façon indirecte et naturelle. L'édifice de son amour avait entamé son autoconstruction après leur visite dans la cité de Kûmlar, même s'il nourrissait déjà quelques sentiments pour l'aventurière. Elle était loyale, brave, ingénieuse, sympathique... Sa peur de la perdre prenait toujours le dessus sur tout le reste quand la situation devenait critique, l'inondant de détermination, de tendresse et de courage. Son affrontement avec Zarès sur la nef, leur combat face aux Olmèques, son inconscience suite à la morsure d'une vipère...

Sa jalousie envers Mendoza, qui n'était en aucun cas un frein à son dévouement pour Isabella, pas plus que leur nouvelle relation indéfinie, secouait constamment ses membres, ardente et obstinée. Mais Gaspard se refusait toute pensée fâcheuse en cet instant. Après tout, les rapports entre le mercenaire et Laguerra semblaient pour le moins tendus, et ce depuis huit jours, ce qui ravissait l'ancien bras droit de Gomez, qui n'avait pas manqué de le faire remarquer au marin l'avant-veille. Ce dernier, les dents serrées, s'était contenté de le foudroyer du regard.

- Gaspard, Gaspard ! Ami, ami, ami !

- Oui, oui, moi aussi, je t'apprécie beaucoup, fit distraitement l'Espagnol en le caressant.

Il fronça les sourcils en scrutant l'horizon. Ses projets d'avenir avaient changé du tout au tout en moins de trois semaines. Aider le jeune Tao à fonder sa curieuse entreprise lui semblait étonnement plus attrayant et agréable que de devoir servir un Empereur, Gomez ou Messire Ambrosius qui avait, de toute évidence, complètement perdu la tête.

- Ma cervelle bouillonne, l'oi...

La fin de sa phrase fût avalée par un cri aigu. Pris au dépourvu, Gaspard se releva hâtivement avant de lâcher une longue expiration. Il secoua la tête, enfonçant son front dans sa paume.

- Insectes ! Insectes ! Gaspard, peur ! Peur ! Danger ! chantonna joyeusement le perroquet, presque moqueur.

- Ne dis pas n'importe quoi, la volaille ! Ces drôles de... de bestioles rampantes m'ont surpris, c'est tout ! C'est ce liquide visqueux et assommant qui me fait agir ainsi, j'ai l'impression qu'un petit malin s'amuse à donner des coups de pied dans ma boite crânienne ! Par tous les diables !

Pour appuyer ses propos, vertigineux, le conquistador encadra son front de ses mains. Les paupières fortement pressées, il ne fit pas attention aux exclamations de Pichu, qui battit des ailes pour le survoler.

- Oh, Gaspard ! Mon Pichu ! Enfin, je vous retrouve !

Le souffle court, le rival du capitaine rouvrit les yeux avant de les écarquiller, sa bouche formant un petit cercle. Un doux sourire ourlant ses lèvres, Tao se planta devant lui. Le garçon, essoufflé, émit un rire franc et léger quand son meilleur ami à plumes vola jusqu'à lui pour le câliner. Son sourire gagna en largeur et il déposa un chaste baiser sur son bec.

Gaspard papillonnait des cils, stoïque, les lèvres toujours entrouvertes. Ne sachant pas quoi faire ou dire, il jeta un bref regard à ses deux nouveaux compagnons, rassuré de constater que l'adolescent n'était pas accompagné des bouffons du stratège, déçu de voir qu'Isabella ne l'avait pas suivi.

- Tao, Tao, Tao !

- Toi aussi, tu m'as manqué, fit le naacal dans un rire. Même si j'ai l'impression que tu commences à préférer la compagnie de Gaspard, Pichu !

Le volatile, comme pour confirmer les paroles du Muen, se dégagea de l'étreinte de ce dernier pour se poster sur la tête du marin décontenancé. Les bras croisés, Tao souffla sans se départir de son sourire, qui se fit mutin.

- Bon, tu viens, Gaspard ?

- Quoi ? lâcha le concerné, sourcils froncés.

Il se gratta l'arrière du crâne, détaillant le jeune savant avec un air hébété.

- Les Shonas sont en train d'organiser une fête pour sa Majesté, c'est son anniversaire, je crois. Il y a beaucoup à faire, étant donné qu'elle aura lieu demain soir. Tout le monde est réuni et avec tout ce qu'ils ont fait pour nous, il est normal qu'on leur apporte un peu d'aide à notre tour. C'est pourquoi on m'a envoyé te chercher ! Enfin, vous chercher. Ne me regarde pas comme ça, Pichu, c'est toi qui as décidé de m'abandonner ce matin, je te signale.

Mains sur les hanches, Tao fit mine d'être offusqué avant de sourire d'un air badin. Son regard rencontra celui de l'ancien capitaine d'armée dont l'expression traduisait une profonde confusion. Cette vue amusa le naacal qui repensa instinctivement à leurs retrouvailles avec la duelliste et l'homme qui se tenait devant lui. Il avait été le seul à aller vers Gaspard pour l'interroger quant aux événements qui l'avaient amené lui et Laguerra à se retrouver prisonniers dans ce village, sans Ambrosius. Zarès, il s'agit de Zarès. Ambrosius n'existe plus. Pas. Il n'a jamais existé, Tao.

Jamais.

- Et en quoi penses-tu que je pourrais vous être utile, gamin ? demanda l'Espagnol, semblant avoir repris une partie de ses esprits.

Le Muen cligna des yeux, reprenant lui aussi contact avec la réalité.

- Je ne sais pas, pour l'instant, répondit-il avec honnêteté. Mais tu pourras sûrement aider, ne t'en fais pas ! Allons-y, on nous attend.

Le stoppant dans son élan, alors que des cris d'oiseaux perçaient harmonieusement l'air, Gaspard fronça légèrement les sourcils avant de croiser ses bras aux muscles imposants.

- Attends un peu, gamin. Et qui te dit que j'ai envie d'aider les Sho... les Sha-sho... les Nachos... les Shanos... les... enfin, bref, les villageois !

- Parce que c'est la moindre des choses, dit l'adolescent, ne comprenant pas l'utilité de sa question. Et on dit les Shonas, Gaspard. Bon, tu viens ?

Un sourire en coin vint fendre ses lèvres, tandis que le conquistador l'observait, les yeux plissés. Son expression perplexe fut brusquement balayée par une grimace. Une brève mais vive douleur étourdit le marin, qui grinça des dents. La vision brouillée par un halo lumineux bleu-mauve, il jura dans un souffle à l'odeur répugnante. Il ne boirait plus jamais.

- Ça va, Gaspard ? s'inquiéta le jeune savant en jouant avec la patte de Pichu.

- Oui, oui, ça va. Mais comme tu peux le voir, gamin, là, j'ai juste besoin d'une bonne grosse sieste et d'un repas bien chaud. Pas question que je fourre mon nez autre part que dans ma fidèle paillasse.

Tao laissa échapper un soupir. Soudain, une idée vint animer la lanterne de son esprit ingénieux.

- Bon, écoute...

- N'insiste pas, le môme.

- Mais attends ! Et si je persuadais Laguerra de t'offrir une danse et deux baisers sur la joue ?

Les petits yeux de Gaspard s'illuminèrent.

- Mais bon... étant donné ta fatigue et ton envie de rester seul, je comprendrais si...

- Eh bah, il fallait commencer par ça, moussaillon ! Allons-y ! Et plus vite que ça !

Ravi d'avoir remporté cette bataille, tout sourire, le naacal rit de bon cœur et s'élança vers le village, sa main dans celle de l'Espagnol. Ce geste affectueux le déconcerta l'espace de quelques secondes.

- L'amour ! L'amour ! L'amour !

- Tais-toi, l'oiseau !

*

- Les anneaux jumeaux ? Qu'est-ce que c'est ? Enfin, que représentent-ils ? Font-ils également partie de l'héritage de Mu ?

Suite au petit interrogatoire spontané d'Estéban, la princesse muenne considéra le jeune couple, l'air ailleurs. Après avoir humecté ses lèvres entrouvertes, Zia fixa les deux bijoux dorés, brillants, fins. Son regard émeraude détailla rapidement les murs nacrés qui délimitaient la pièce dans laquelle Rana'Ori recevait personnellement ses convives, à l'intérieur du palais royal. Des gravures d'animaux en tout genre ornaient le plafond dont le blanc virginal avait attiré l'œil de la jeune fille. Elle reconnut instantanément le lion de leur belle hôtesse, placé au centre de ses homologues.

Ses pupilles devièrent ensuite vers la blonde. Sa peau hâlée était éclatante de douceur et soulignait le jaune étincelant de ses iris. Sa fine bouche formait un sourire, et l'Inca ne put s'empêcher de penser que les traits de la princesse lui rappelaient son propre visage. Troublée, Zia battit des paupières avant de se tourner vers l'élu. Le tendre souvenir de leur premier et unique baiser caressa son esprit, illuminant son cœur généreux.

Alors que ses yeux étudiaient lentement ses taches de rousseur, la jolie brune songea que ces dernières semaines avaient été les plus incroyables de toute sa vie. Elle s'était enfin déclarée au garçon de ses rêves. Ils avaient, tous ensemble, réussi à éviter une catastrophe planétaire. La quête des sept cités d'or avait touché à sa fin. De nouveaux amis et compagnons de voyage, d'aventure, étaient apparus sur leur chemin, et ils formaient - et formeraient toujours, Zia comptait fermement y veiller - une famille aussi atypique que soudée. Sa poitrine se comprima une nouvelle fois, lui arrachant un léger soupir. Ils lui manquaient âprement.

J'espère que Tao avance dans son projet de nouvel Ordre et que Mendoza, Pedro et Sancho ont de quoi se détendre et passer du bon temps, ils méritent tout le bonheur du monde...

Quant à Laguerra, la belle Inca avait hâte de la revoir pour en apprendre davantage sur elle. Elle s’était réellement attachée à la jeune femme, ayant vu en elle des qualités remarquables et un instinct maternel dont elle avait – encore – besoin, dans un certain sens. Une figure féminine et un modèle qui lui manquait depuis que le navigateur l’avait enlevée et emmenée loin de la cour d'Espagne.

Interrompant les pensées de l'élue, Rana'Ori reprit la parole, le regard posé sur le jeune Atlante :

- Les anneaux jumeaux de Gygès font partie des sept bijoux fondateurs, fils du soleil.

- Les sept... attendez, quoi ? De quoi parlez-vous ? Ces objets ont-ils un lien avec les cités d'or ou les artéfacts muens ?

La grande blonde secoua doucement la tête.

- Les sept bijoux fondateurs font partie de l'héritage d'Atlantide, jeune élu. Ils font partie de l'héritage de tes ancêtres.

La bouche grande ouverte, ses cils papillonnant à une vitesse remarquable, Estéban se redressa légèrement. Sourcils froncés, Zia suivit le mouvement des mains de la princesse avec attention. Cette dernière, calme, les yeux fermés, fit glisser ses doigts sur la table avant de rouvrir les paupières quand sept halos de lumière différents et verticaux apparurent.

- Oh, mais c'est... c'est...

- Des lumino-projections, finit la jeune fille, suite à quoi il opina mécaniquement.

- En effet, mes enfants, sourit Rana'Ori en fixant la colonne de lumière rouge. Il y a plus de douze mille ans, ces bijoux ont été façonnés à Atlantide, puis dissimulés dans le grand coffre de la Destinée. Nous, Muens, n'avons pas d'informations précises quant à leurs pouvoirs, mais nous savons, chers élus, qu'ils sont assez puissants pour bouleverser, chambouler, modifier à jamais la face du monde. Clés d'un lieu légendaire et sacré, ils ont malheureusement été retrouvés par nos soldats durant la Grande Guerre de cent ans, et éparpillés aux quatre coins du globe des mortels. J'ai seulement pu récupérer et garder les deux anneaux de Gygès, que vous avez, en cet instant même, sous les yeux.

N'osant pas interrompre la princesse, le jeune couple se contenta de hocher la tête, les pupilles dilatées par l'attention. Suivant le regard de Rana'Ori, ils contemplèrent chacune des colonnes lumineuses, une à une, bercés par la voix apaisante de leur hôtesse...

- Les boucles d'oreilles d'Akuma, la broche d'Ényo, la barrette de Vesperia.

La rouge, la bleue, la verte.

- Le bracelet de Draupnir, le collier des Brísingar, la bague de Clover.

La blanche, la rose, la noire.

Estéban posa de grands yeux inquisiteurs sur la princesse. Mais que signifiait donc tout cela ?

- Enfin, les anneaux jumeaux de Gygès, lâcha Rana'Ori, les prunelles rivées sur le halo de lumière orange. L'unique bijou fondateur que je possède et que je vous cède.

Ses billes dorées se vissèrent sur les élus. La mine grave, la blonde aux cheveux interminables se releva, après avoir passé la main dans la crinière de son meilleur ami de toujours. Les lames de la mélancolie effleurèrent son noble cœur. Tyrias le lui avait volé. Tyrias refusait encore de le lui rendre. Lèvres pincées, anticipant la question de Zia qui avait posé ses mains sur la table, elle déclara sur un ton solennel :

- Estéban. Zia. Vous avez, avec l'aide de valeureux et loyaux compagnons, mené à bien la quête des sept mystérieuses cités d'or. Ce jour marque le début d'une nouvelle mission, une nouvelle quête. Êtes-vous prêts à l'accepter ?

*


Torse nu, des perles de sueur trempant ses mèches brunes, Mendoza traversait la cour du village. Il chercha sa hutte du regard avant de pousser un long soupir. Les préparatifs avaient débuté de bonne heure. L'agitation des habitants du Grand Zimbabwe, mêlée à leur excitation apparente, semblait avoir accru leur nombre et décuplé leur force, leur habilité. Tout n'était plus que chaleur, entrain et amusement, comme s'il ne s'agissait pas de travail mais, au contraire, d'une merveilleuse récompense, un réel plaisir pour les sens. Boissons alcoolisées, viande, fruits, fleurs, banderoles, instruments brillants de propreté... il y avait de tout. Sans même le vouloir, le regard du capitaine avait analysé ce décor florissant en l'espace de quelques secondes. Comme à l'accoutumée, rien n'échappait à ses pupilles expertes.

Depuis le départ de ses protégés, un profond sentiment de fierté habitait Juan-Carlos, baignant son âme d'une satisfaction empreinte de sérénité. Estéban n'était plus le bébé en pleurs qu'il avait réussi à sauver lors de ce fameux naufrage. Zia, quant à elle, s'était métamorphosée en une ravissante jeune fille, pleine de vie et de courage. Ils avaient grandi, évolué, développé des qualités remarquables qui le réconfortaient dans l'idée qu'il avait été un bon protecteur - et père de substitution. Sa relation avec les élus et le naacal avait changé du tout au tout, et Mendoza en tirait une joie sans prétention. Les trois adolescents avaient dorénavant leurs propres projets et étaient manifestement prêts à voler de leurs ailes d'anges obstinés.

Il secoua la tête pour repousser le fantôme persistant de l'alchimiste afin de se concentrer sur les cases qui l'entouraient, toujours à la recherche de la sienne.

Les voilà prêts. Mais qu'en était-il de sa vie ? Laguerra. Laguerra. Laguerra.

Clignant frénétiquement des yeux, exhalant un léger souffle, le mercenaire réitéra le même geste. Inattentif aux chuchotements, regards et gloussements aigus que son passage provoquait, il accéléra la cadence. Ses muscles luisants ne laissaient visiblement pas indifférent.

Éprouvant le besoin de se sentir utile et de dépenser une partie de son énergie, le navigateur avait entrepris de couper tout le bois dont les autochtones auraient besoin pour la fête.

Désormais, un petit bain s'impose. Par la malepeste, où est donc passée cette case ?

Neshangwe, entouré de trois jeunes musiciens, lui adressa un large sourire en guise de salutation. Celui que Mendoza affichait était crispé, mais le roi s'en accommoda.

Quelques minutes plus tard, le stratège époussetait soigneusement sa paillasse, un pain de savon posé au sol, à sa gauche. Les yeux dans le vague, il serra les poings avant de déglutir - chose qui s'avéra beaucoup plus laborieuse que prévu, du fait du solide nœud qui enserrait sa gorge.

La vue du pétale de fleur qui gisait sur la couche en face de lui l'avait brutalement rembruni. Isabella avait occupé cette place pendant une seule nuit.

Ses affaires en main, sa cape pendue à son épaule, Mendoza passa le seuil de la case, alors qu'une petite grimace déformait le bas de son visage. Sancho et Pedro, souriants, accompagnés de leurs nouvelles compagnes, vinrent se poster devant lui. Il haussa les sourcils.

- Eh bah, Mendo-Mendoza, on te-te cherchait !

- C'est vrai, ça. Ma jolie marmite et Naïa nous ont préparé de bons petits plats, et on s'est dit que tu aimerais aussi y goûter, vu que tu n'as rien avalé hier soir !

La phrase que voulut formuler le capitaine se désagrégea sur ses fines lèvres, balayée par son souffle entrecoupé.

Le corps mince et musclé de Laguerra compléta le tableau. Nyamita, les yeux pétillants, salua chaleureusement la jeune femme. La guérisseuse, plus réservée, se contenta d'un geste de la main. Courtoise, Isabella leur sourit. Tournant la tête, elle entrouvrit instinctivement les lèvres.

Leurs regards s'aimantèrent avec un naturel troublant. Comme à Patala. Comme dans la nef. Comme durant leur troisième duel. Les yeux de Mendoza la dévisagèrent sans plus attendre, avisés, attendris, patients. Son expression noyée de tracas, ses cernes violacées, ses lèvres moins rouges que d'ordinaire. En cet instant précis, il voulut brusquement la serrer contre lui pour la couvrir de baisers et de caresses. Une partie de lui était, cependant, toujours avide de réponses.

De son côté, la fille de Fernando sentait chaque parcelle de son anatomie se désintégrer sous le regard du navigateur. Il la fixait avec une telle intensité que si quelqu'un avait demandé à Isabella d'épeler son nom, elle en aurait été incapable. Inconsciemment, la duelliste laissa, à son tour, ses pupilles se balader sur le corps de Mendoza avec une lenteur désarmante.

En commençant par son pouls qu'il sentit s'accélérer, passant par ses muscles saillants, sculpture de toute beauté qui fondit instantanément. Remontant vers sa gorge sèche, sa bouche assoiffée pour ensuite s'attarder sur le dessin de son ventre habité de papillons brûlants. Terminant par ses côtes, nues elles aussi, qui s'embrasèrent. Par tous les diables.

Laguerra battit des paupières avant de secouer imperceptiblement la tête, sachant que sa contemplation se faisait beaucoup trop insistante. Ses iris de nouveau plantés dans ceux du mercenaire, elle déglutit et se mordit la lèvre, tiraillée. Rompant abruptement le charme, Gaspard et Tao débouchèrent dans la cour.

- Tiens, Laguerra, je te cherchais ! lança ce dernier avant d'attraper la main gantée de l'aventurière. Il faut que je te montre quelque chose, et Gaspard a besoin d'aide lui aussi, il veut bien apporter une petite contribution aux préparatifs !

La brune fit volte-face et se laissa entraîner, sans un mot. Dominé par un fervent sentiment de contrariété frustrante qu'il n'avait pas ressenti depuis ses premières retrouvailles avec la señorita dans la nef, Mendoza se résigna à suivre ses amis, silencieux. Enchanté, comme flottant sur un nuage de félicité, Pedro déposa un baiser humide sur la joue de Nyamita, qui riait à gorge déployée, sa main enlaçant la sienne. Sa bouche ornée d'une moue, le capitaine se demandait combien de temps il allait devoir attendre avant de se sentir à nouveau proche d'Isabella.

Mais quelle tête de mule.

Cette journée s'annonçait longue.
— Regarde toi : la finesse d'une enclume et la loyauté d'un bigorneau !
— Et toi, capitaine Mendoza, tu fais quoi d'honorable à part chasser les mouches avec ta cape ?!
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Re: DESTINÉE (- suite non-officielle de la saison 4)

Message par Xia »

Bon hen...
Merci pour le voyage Kally :D :D :D

Sincèrement, on s'y croirait ! Comme dit Teeger, ton style est fluide et c'est très agréable à lire !

Continue ainsi :-@
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Re: DESTINÉE (- suite non-officielle de la saison 4)

Message par TEEGER59 »

kally_MCO a écrit : 03 avr. 2021, 19:08 L'étrange boisson marron dont il avait largement abusé la veille, en compagnie de Neshangwe, les seconds de señor-la-cape et bon nombre d'autochtones, continuait de torturer son esprit nébuleux.
Du chibuku? :x-): señor-la-cape :arrow: :x-):
kally_MCO a écrit : 03 avr. 2021, 19:08 - Attends un peu, gamin. Et qui te dit que j'ai envie d'aider les Sho... les Sha-sho... les Nachos... les Shanos... les... enfin, bref, les villageois !
Les Nachos! Mais MDR!
kally_MCO a écrit : 03 avr. 2021, 19:08 - Mais attends ! Et si je persuadais Laguerra de t'offrir une danse et deux baisers sur la joue ?
Les petits yeux de Gaspard s'illuminèrent.
La fin justifie les moyens. Mais quelle cruauté, Tao! :lol:
kally_MCO a écrit : 03 avr. 2021, 19:08 - Estéban. Zia. Vous avez, avec l'aide de valeureux et loyaux compagnons, mené à bien la quête des sept mystérieuses cités d'or. Ce jour marque le début d'une nouvelle mission, une nouvelle quête. Êtes-vous prêts à l'accepter ?
Si vous ou l'un de vos collaborateurs étaient pris ou tué, le département d'État niera avoir eu connaissance de vos agissements! Bonne chance, les enfants. Ce message s'autodétruira dans 5 secondes.
kally_MCO a écrit : 03 avr. 2021, 19:08 Torse nu, des perles de sueur trempant ses mèches brunes, Mendoza traversait la cour du village.
Va-t-il couper du bois? :x-):
kally_MCO a écrit : 03 avr. 2021, 19:08 Les voilà prêts. Mais qu'en était-il de sa vie ? Laguerra. Laguerra. Laguerra.
Bah, oui! Si c'est comme dans ma fic, on est pas sorti de l'auberge! :tongue:
kally_MCO a écrit : 03 avr. 2021, 19:08 Ses muscles luisants ne laissaient visiblement pas indifférent.
Tu m'Elton, John!
kally_MCO a écrit : 03 avr. 2021, 19:08 Éprouvant le besoin de se sentir utile et de dépenser une partie de son énergie, le navigateur avait entrepris de couper tout le bois dont les autochtones auraient besoin pour la fête. En à peine trois heures, son labeur toucha à sa fin.
Et oui! :x-): Ça me rappelle vaguement quelque chose!
kally_MCO a écrit : 03 avr. 2021, 19:08 la duelliste laissa, à son tour, ses pupilles se balader sur le corps de Mendoza avec une lenteur désarmante.
Mais bon sang! Qu'est-ce que vous attendez?
kally_MCO a écrit : 03 avr. 2021, 19:08 Sa bouche ornée d'une moue, le capitaine se demandait combien de temps il allait devoir attendre avant de se sentir à nouveau proche d'Isabella.
Bah, nous aussi!

C'est toujours aussi bien écrit. Tu as un réel talent, Kally. Si tu ne sais pas quoi faire comme métier plus tard, tu dois absolument t'orienter vers une carrière littéraire.
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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Re: DESTINÉE (- suite non-officielle de la saison 4)

Message par Xia »

TEEGER59 a écrit : 03 avr. 2021, 20:26 C'est toujours aussi bien écrit. Tu as un réel talent, Kally. Si tu ne sais pas quoi faire comme métier plus tard, tu dois absolument t'orienter vers une carrière littéraire.
La volaille de Tao confirme et approuve :x-):
La terre n’appartient pas à l’homme, c’est l’homme qui appartient à la terre (Tatanka Iyotaka)

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Re: DESTINÉE (- suite non-officielle de la saison 4)

Message par kally_MCO »

Xia a écrit : 03 avr. 2021, 20:10 Bon hen...
Merci pour le voyage Kally :D :D :D

Sincèrement, on s'y croirait ! Comme dit Teeger, ton style est fluide et c'est très agréable à lire !

Continue ainsi :-@
Voyage ? Quel voyage ? Pourquoi personne ne m'a prévenue ?!
Oh, merci ^^'
Tant mieux alors, je déteste cette partie :tongue:
Des bisous baveux !
Xia a écrit : 03 avr. 2021, 22:50
TEEGER59 a écrit : 03 avr. 2021, 20:26 C'est toujours aussi bien écrit. Tu as un réel talent, Kally. Si tu ne sais pas quoi faire comme métier plus tard, tu dois absolument t'orienter vers une carrière littéraire.
La volaille de Tao confirme et approuve :x-):
Ohhhh, tu es un oiseau ?
TEEGER59 a écrit : 03 avr. 2021, 20:26
kally_MCO a écrit : 03 avr. 2021, 19:08 L'étrange boisson marron dont il avait largement abusé la veille, en compagnie de Neshangwe, les seconds de señor-la-cape et bon nombre d'autochtones, continuait de torturer son esprit nébuleux.
Du chibuku? :x-): señor-la-cape :arrow: :x-):
kally_MCO a écrit : 03 avr. 2021, 19:08 - Attends un peu, gamin. Et qui te dit que j'ai envie d'aider les Sho... les Sha-sho... les Nachos... les Shanos... les... enfin, bref, les villageois !
Les Nachos! Mais MDR!
kally_MCO a écrit : 03 avr. 2021, 19:08 - Mais attends ! Et si je persuadais Laguerra de t'offrir une danse et deux baisers sur la joue ?
Les petits yeux de Gaspard s'illuminèrent.
La fin justifie les moyens. Mais quelle cruauté, Tao! :lol:
kally_MCO a écrit : 03 avr. 2021, 19:08 - Estéban. Zia. Vous avez, avec l'aide de valeureux et loyaux compagnons, mené à bien la quête des sept mystérieuses cités d'or. Ce jour marque le début d'une nouvelle mission, une nouvelle quête. Êtes-vous prêts à l'accepter ?
Si vous ou l'un de vos collaborateurs étaient pris ou tué, le département d'État niera avoir eu connaissance de vos agissements! Bonne chance, les enfants. Ce message s'autodétruira dans 5 secondes.
kally_MCO a écrit : 03 avr. 2021, 19:08 Torse nu, des perles de sueur trempant ses mèches brunes, Mendoza traversait la cour du village.
Va-t-il couper du bois? :x-):
kally_MCO a écrit : 03 avr. 2021, 19:08 Les voilà prêts. Mais qu'en était-il de sa vie ? Laguerra. Laguerra. Laguerra.
Bah, oui! Si c'est comme dans ma fic, on est pas sorti de l'auberge! :tongue:
kally_MCO a écrit : 03 avr. 2021, 19:08 Ses muscles luisants ne laissaient visiblement pas indifférent.
Tu m'Elton, John!
kally_MCO a écrit : 03 avr. 2021, 19:08 Éprouvant le besoin de se sentir utile et de dépenser une partie de son énergie, le navigateur avait entrepris de couper tout le bois dont les autochtones auraient besoin pour la fête. En à peine trois heures, son labeur toucha à sa fin.
Et oui! :x-): Ça me rappelle vaguement quelque chose!
kally_MCO a écrit : 03 avr. 2021, 19:08 la duelliste laissa, à son tour, ses pupilles se balader sur le corps de Mendoza avec une lenteur désarmante.
Mais bon sang! Qu'est-ce que vous attendez?
kally_MCO a écrit : 03 avr. 2021, 19:08 Sa bouche ornée d'une moue, le capitaine se demandait combien de temps il allait devoir attendre avant de se sentir à nouveau proche d'Isabella.
Bah, nous aussi!

C'est toujours aussi bien écrit. Tu as un réel talent, Kally. Si tu ne sais pas quoi faire comme métier plus tard, tu dois absolument t'orienter vers une carrière littéraire.
Pas la foi de faire ça proprement.

- Aucune idée, j'ai écrit ce passage il y a presque deux mois :lol:
- Il est parfait, ce Gaspard :-@
- Ne jamais faire de promesses qu'on ne pourra pas tenir...
- MDRRR. Sympa pour eux !
- Déjà fait, un vrai fantasme, en effet !
- Pour des raisons différentes, mais oui, allons-y doucement.
- John :x-):
- Ouiii, tes montages frustrants.
- ... hum, c'est toi qui dis ça ? Je n'en suis qu'au premier chapitre, à ma décharge !
- Noël prochain, la séance de lavage buccale :x-):


Oh, merci. Venant de toi, ça me flatte et touche beaucoup. Disons que c'est flou, mais j'adore écrire, ça, c'est sûr.
— Regarde toi : la finesse d'une enclume et la loyauté d'un bigorneau !
— Et toi, capitaine Mendoza, tu fais quoi d'honorable à part chasser les mouches avec ta cape ?!
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Re: DESTINÉE (- suite non-officielle de la saison 4)

Message par Le Flamand »

À l'instar de l'avis général, le mien restera élogieux. Tu as un talent incontestable ! Dès les premières lignes, tes écrits nous emmènent immédiatement dans ton univers et auprès de nos amis. Rares sont les auteurs qui parviennent à induire cet effet-là

Je suis d'accord avec Julie. Si tu te questionnes encore sur ton avenir, peut-être devrais tu songer à une carrière dans l'écriture ! Bref, cette fois encore je suis subjugué par ta production. Je vais même finir par craindre de me faire remplacer par cette nouvelle génération que je pensais perdue dans l'abysse des fautes à répétition. :lol:
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Re: DESTINÉE (- suite non-officielle de la saison 4)

Message par kally_MCO »

II. Le Prince des Ténèbres

Lui, il était là, présent, debout, il marchait. Lui, il observait. Les Espagnols étaient tous les mêmes. Trop obnubilés par leur nombril pour s'intéresser aux passants, à leurs semblables. Pourtant, ils devraient. Les menaces, la mort, le risque, ils étaient partout. Les rues de Madrid, calmes, mais pleines. Lui, il n'aimait pas le jour. Il préférait la nuit. Lui, il n'était pas comme eux. Les mortels, les vivants surtout, il n'aimait pas ça. Il s'entendait mieux avec les cadavres, leurs fantômes. C'était plus drôle, plus simple aussi. Lui, il était drastiquement différent. Lui, il était tout. Lui, il n'était rien. Une ombre, une machine, un visage. Un visage aux orbes bleu cristal, sincères, translucides, rieurs. Le dernier visage que voyaient ses victimes. Lui, il s'en amusait, parfois. Il était doué, il le savait. Il s'avançait, toujours, encore, renaissant tel un phénix consumé par ses propres flammes, désormais fécondes, plus fortes. Gelées, bâtisseuses. Lui, il les sentait, les voyait. Ces crépitements humains, ces futilités, ces pensées diffuses. Lui, il sourit. Lui, il ne vivait pas ainsi. C'était si aisé de mentir, de faire miroiter des merveilles à ses homologues pour se sentir supérieur, fier, en vie, s'enivrer de belles fables, d'idéaux éphémères. Lui, il ne pouvait leur ressembler, non, jamais. Ce n'était pas dans sa nature.

Lui, il était arrivé. Elle n'avait pas changé. Il avait une excellente mémoire perceptive, procédurale. Épisodique surtout. Lui, il tourna la poignet. Ouverte, comme toujours, cette porte maudite. Il entra, constata que tout était bien rangé et propre. Lui, il sentit cette odeur fruitée, cette chaleur nourrie de senteurs de plats fraîchement cuisinés. Il monta les escaliers. Lentement, le pas feutré. Lui, il n'aimait pas ces couleurs vives. Il frappa à la porte. Debout, serein, il attendait.

- Entrez, Dolores.

La voix rauque et grasse de Nataniel Mendoza. Il s'engouffra dans la pièce, referma la porte, reconnut le corps fin de Gabriela Mendoza. Lovée contre son époux, couchée sur le grand lit en bois clair, un livre à la main. Subrepticement, il empoigna le poignard dissimulé dans son dos. Immobile, il attendait toujours.

Les deux Espagnols se redressèrent alors subitement, délaissant le matelas des rêves. Il sourit. Leurs yeux écarquillés. Le choc et la joie larmoyante sur le visage de la femme. L'étonnement et la fureur sur celui de l'homme. Tellement prévisible.

- Tu... oh, mon chéri, c'est bien toi ?

La señora Mendoza tendit la main, voulut s'avancer, mais Nataniel l'en empêcha, implacable. Ridicule.

- 'Ela, ne bouge surtout pas, dit-il avant de le foudroyer lui du regard. Par la malepeste, que fais-tu ici ? Tu... tu n'es plus...

- Il suffit ! s'exclama son épouse, les joues humides, tremblotante. Il est là... laisse-moi... laisse-moi donc l'enlacer. Doux Seigneur...

Lui, il inclina la tête. Il fit quelques pas vers eux, retenant un rire quand le bras hâlé du señor le força à s'arrêter, barrière bien fragile censée protéger sa tendre femme. Le spectacle était amusant.

Le regard farouche, son visage parsemé de rides profondes, ses phalanges blanchies. Cette dureté, ce besoin de garder le contrôle en toute circonstance, cette assurance inébranlable. Ce sentiment de malaise, surtout, l'incompréhension, la colère alliée à une confusion nerveuse.

Ses orbes quittèrent ceux de l'homme pour se planter dans les prunelles scintillantes d'espoir et de larmes de Gabriela.

- Où est-il ?

Une simple question. Trois mots banaux. Une voix posée. Un ton neutre, naturel, presque doux. Un calme absolu. Et pourtant, un tsunami ravageur, la rupture d'une corde extrêmement sensible. Interdit, le vieux couple échangea un bref regard lourd de sens, le cœur tambourinant.

- Où est-il ?

Lui, il n'aimait pas patienter. Pas dans ce type de situation. Pas après tout cela. Pas avec eux. Pas ici. Il analysa les murs en marbre, le sol tapissé, le plafond orné d'un imposant lustre en cristal. Il reposa ses pupilles sur la señora aux lèvres tremblantes. Son époux fulminait, il s'approcha de lui, prêt à lâcher son venin, à attaquer en cas de danger. Il était mignon.

- Je... Je ne sais pas, mon chéri. Nous n'en savons rien.

Elle tenta d'effleurer sa joue, échoua lamentablement. La vieille châtain déglutit en fronçant les sourcils. Dépassée, accablée, confuse. Le spectacle n'en était que plus drôle. L'être humain était une curieuse espèce.

- Voilà deux ans que nous n'avons pas vu ou eu des nouvelles de ton frère, déclara-t-elle, la gorge nouée, d'une voix plus distincte.

Il la regarda en plissant les yeux. Ses deux fentes cristallines étaient baignées d'agacement.

- Je veux le voir. Je veux savoir où il se trouve. Maintenant. Répondez.

- Mon grand, je t'assure que je ne...

- Où est-il, maman ?!

Ses lèvres se détachèrent l'une de l'autre, mais Nataniel la devança en prenant la parole, furibond :

- Il suffit, sale morveux ! Ta place est dans les tréfonds de l'enfer, dans un cachot, en prison ! Même si nous savions où se trouve Juan-Carlos, jamais nous ne...

La fin de sa courte tirade et le mouvement de ses jambes aux muscles vieillis par le temps furent interrompus. Un coup sec, précis, unique. Le corps du señor Mendoza retomba mollement sur le matelas beige. Ses yeux étaient écarquillés et son long nez surmonté d'un trou béant.

- SEIGNEUR !

L'épouse déchue, secouée par de violents sanglots, émit un cri. Son strident, effroyable, étiré. Il ne lui laissa pas le temps d'en pousser un deuxième. La lame fière, chatoyante et méticuleusement aiguisée passa sur la gorge délicate de Gabriela, dont il emprisonna la silhouette entre ses bras. Après avoir déposé deux baisers dans ses cheveux et deux autres sur son front, il réitéra le même geste avant d'allonger son corps sans vie sur le lit, près de celui de Nataniel. Il joignit leurs mains, réajusta la couverture, dégagea les mèches de cheveux qui voilaient leurs beaux visages. Il rangea ses armes, baisa la main gauche de son père, caressa la pommette de sa mère.

- Désolé, papa. Désolé, maman. Mais au moins comme ça, Juan et moi, on ne pourra plus vous décevoir.

Il s'extirpa de la grande demeure. Dehors, il faisait encore frais. Il sourit, se remit à marcher.

Lui, il avait mille vies. Lui, il était joueur, il était maître. Ils pensaient le connaître, il n'était qu'un sombre mirage. Les choses venaient tout juste de commencer.

*


Bon... on pourrait commencer par aller faire un tour en Espagne... non ! En Angleterre ou en Chine et après ça... mais le Nouveau Monde est aussi attrayant... Explorer un nouveau continent, ce serait formidable. Donc après l'Amérique du Sud et l'Allemagne, qui est selon Mendoza un assez beau pays, on pourrait passer quelques semaines en Égypte, pays des pyramides, je suis sûr qu'on y trouvera plein de choses intéressantes ! Bon, après avoir mis les reliques muennes en sécurité, rassemblé quelques alchimistes et mené à bien les premières recherches, nous partirons pour l'Espagne ! Mais... le continent africain est vaste et ses habitants si chaleureux, si enclins à écouter, aider, partager et apprendre... Oh, je pourrais aussi enseigner la langue de mes ancêtres, celle de ceux d'Estéban, et apprendre les cinq autres langages faisant partie du livre des Sept... mais quel idiot, tu n'y auras plus jamais accès, Tao ! Quelle galère.

- Nyamita, mon beau marin ! Nyamita. Pas Marmite, bon, à toi !

- Nyati... Myato... Nya... Mino... Tami... Mira... Mar... Amiti... Mar... Marmite ! Oh, bah, non ! bredouilla Pedro en se grattant le haut du crâne.

Tandis que le roi plaquait la paume de sa main contre la peau de son front pour la huitième fois en moins de deux heures, Mendoza fit paraître un demi-sourire, les rires de Sancho et Naïa animant la grande hutte dans laquelle les sept amis s'étaient installés pour se reposer en conversant tranquillement. La présence du lieutenant du mercenaire lui permettait de découvrir de nouvelles facettes de sa personnalité. C'était inopiné et agréable. La guérisseuse se sentait plus épanouie et en paix avec elle-même.

La princesse fit la moue, les bras croisés.

- Enfin, mon guerrier d'amour, ce n'est pourtant pas si compliqué ! Comment veux-tu que je songe aux préparatifs de notre mariage dans ces conditions ? Tu ne sais même pas prononcer mon prénom ! Bon... nous allons réessayer.

Le marin manqua de s'étouffer avec sa propre salive. Son visage se vida de toute trace de couleur, alors qu'un rire nerveux roula spontanément dans sa gorge sèche. Le frère de son amante était dans le même état de sidération.

- Mari... Mariage ?! firent les deux hommes, suite à quoi Nyamita roula des yeux.

- Oui, mariage. Mariage.

Le marin bègue et la guérisseuse s'esclaffèrent de plus belle. Tao souffla, le nez plongé dans ses notes. Le capitaine, quant à lui, hydratait tranquillement son organisme, amusé par ce spectacle follement comique.

- Mais enfin, Nyamita ! Il est beaucoup trop tôt pour parler de mariage ! Ce n'est pas vrai... Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça...

Neshangwe soupira, excédé et épuisé.

- Je suis d'accord avec ton frère, acquiesça précipitamment Pedro. Le mariage, l'engagement, tout ça... ça va un poil trop vite pour ton adorable aventurier, ma princesse aux tomates...

Les traits de la concernée se durcirent.

- Comment ça, trop vite ? Nous nous aimons, nous sommes ensemble et la vie est courte et imprévisible. Dans un mois, ça me semble parfait ! Capitaine Mendoza, jeune Tao, qu'en pensez-vous ?

- Eh bien, pour ma part...

Marquant une pause, l'Espagnol passa la main sur sa mâchoire, l'air pensif. Ses sourcils se froncèrent pendant quelques secondes. Il finit par offrir un sourire à l'Africaine, ignorant volontairement les appels de détresse silencieux du roi et de Pedro.

- Je ne peux que transmettre tous mes vœux de bonheur aux futurs mariés, et me réjouir pour eux. Votre Altesse a tout à fait raison, l'amour, le vrai, n'attend pas.

Neshangwe semblait au bord de l'évanouissement, un masque d'exaspération se peignant sur son visage qui luisait d'une désespérance non dissimulée. Pedro fusilla instinctivement Mendoza du regard, une marée de chaleur étouffante engloutissant son corps. Le bretteur, un bras négligemment posé sur sa jambe gauche pliée, haussa les épaules avant de sourire. Il prit une autre gorgée d'eau.

- Dans un mois, cela me semble parfait, dit calmement la compagne de Sancho.

- Oh, bah ça-ça, oui ! Le fu-fu-futur prince du village !

- Merci à vous, capitaine Mendoza, sourit Nyamita avant de presser la main de son amant.

- Si on ne peut même plus compter sur son ancien capitaine... maugréa le marin, dépité.

Levant les yeux au ciel, la sœur du roi lança à l'intention de Tao :

- Et toi, mon grand, qu'en penses-tu ?

Le naacal releva abruptement le menton, comme déboussolé. Il papillonna des cils, secoua la tête, souffla et répondit en fronçant les sourcils :

- Euh... oui, oui... je pense aussi que marier Gaspard et Mendoza est une excellente idée.

Les anciens seconds de ce dernier pouffèrent, tandis que les trois Africains se jetaient des regards perdus. Le stratège se redressa, ses pupilles vissées sur le visage de l'adolescent fatigué. Lèvres pincées, Mendoza le fixa pendant quelques secondes avant de faire la grimace.

Un peu plus loin, Isabella s'occupait de nettoyer ses armes. Habile, elle passa ses doigts nus sur la surface brillante de son pistolet, puis sur le pommeau de son épée, la garde épaisse et solide, la lame éclatante de beauté, résultat d'un travail ardu et méticuleux...

- Mais...

Mendoza s'inclina légèrement, sourire aux lèvres, l'épée de la fille du docteur à la main. Ses yeux noirs reflétaient sincérité, douceur et respect. Il était également sûr que Laguerra pouvait y déceler une lueur mutine.

- Il y a de la place... à bord du Grand Condor.

Avec moi.

Décontenancée, l'escrimeuse demeura silencieuse, interdite, face à cette proposition quelque peu surprenante. Patient et confiant, le capitaine étudiait son visage, en passant par la finesse de ses traits, les taches parsemant ses joues roses, s'arrêtant pour admirer sa chevelure soyeuse et brillante, et terminer par ses iris envoûtants. Lumineux et sombres, à la fois. Énigmatiques et déconcertants.

Quelques secondes plus tard, Laguerra, un sourire étirant ses lèvres, empoigna son arme. Une fois remise à sa place, elle détourna le regard, contemplant le plan d'eau qui s'offrait à eux. L'air humide du désert épousait leurs silhouettes respectives. Les enfants n'étaient pas loin, et le capitaine touchait, pour la première fois de sa vie, à un plaisir nouveau. Une sensation délicieuse, fraîche. Un sentiment personnel et complet.

Sans jamais quitter la señorita des yeux, le beau stratège reprit la parole, brisant le mutisme dans lequel Laguerra semblait s'être volontairement plongée :

- Dois-je interpréter votre silence comme un refus catégorique ?

Son ton était badin. Une lueur de défi, où perçait néanmoins sérieux et incertitude, faisait briller les billes noires de Mendoza.

Son ancienne adversaire, ses dents mordillant le bas de sa bouche, tourna une expression légèrement surprise vers lui. Elle semblait plus jeune, plus apaisée, et cette vue suffisait à attendrir l'Espagnol. Après quelques secondes de silence, durant lesquelles Mendoza nourrissait un sentiment d'appréhension désagréable, elle répondit d'une voix claire :

- Je ne pense pas l'avoir mérité.

Marquant une nouvelle pause dans leur échange, Laguerra replaça une mèche de cheveux derrière son oreille ornée de boucles d'oreille en or. Geste qui plaisait étrangement à l'ancien marin. Lui faisant à présent face, elle reprit :

- Et je n'ai pas pour habitude de prendre ou même te prétendre à ce qui ne me revient pas de droit. J'aime posséder le fruit de mes efforts, le résultat de mon travail achevé. Mon père m'a enseigné maintes choses utiles et véridiques, et cette règle là en fait partie : ne profiter que des récompenses que je mérite, señor Mendoza.

- Laguerra, soupira-t-il en se rapprochant d'elle, leurs jambes à quelques centimètres du bassin d'eau.

Instinctivement, elle fit un petit pas en arrière, prise au dépourvu. Elle planta ses pupilles dans les siennes, le visage plus doux, diverses émotions contradictoires enveloppant son corps, ses traits et son ton.

- Vous êtes un homme d'honneur, Mendoza. Un adversaire tout à fait honorable et votre cœur est bon et pur. Mais vos seconds et les enfants ne pensent vraisemblablement pas comme vous, ce qui est naturellement compréhensible.

Les sourcils froncés, il la considéra un instant, les bras ballants. Faisant abstraction du fait que la soie de sa voix provoquait la vibration de son organisme, Mendoza esquissa un demi-sourire, un sourcil haussé. Il s'avança une nouvelle fois et, sans lui laisser le temps de réagir, tendit la main pour caler deux mèches de la duelliste derrière son oreille. Geste qui sembla dérouter Isabella dont les lèvres s'étaient entrouvertes.

- Si je me souviens bien, je vous dois toujours une dette après l'aide que vous nous avez apporté à Ormuz, Laguerra.

Leurs souffles se mélangeaient, recouvrant leurs peaux de chair de poule. Souriant à Isabella, le capitaine la fixait intensément. Il n'avait pas l'intention de lui forcer la main, mais il était plus que déterminé à la garder près de lui.

Laguerra le sonda rapidement du regard. Les yeux plissés, la tête inclinée sur le côté, elle semblait l'analyser avec prudence et minutie. Comme pour détendre l'atmosphère, elle lui offrit un mince sourire. Il était beau, respectueux et charismatique.

- Je venais simplement de payer ma propre dette, Mendoza.

Il lui attrapa le menton dans un geste ferme mais doux.

- Votre silence avait déjà permis aux enfants de ne pas se faire repérer. À l'intérieur du fort, je n'ai fait que vous payer, señorita, reprit le marin dans un murmure rauque.

Il effleura ensuite, de son pouce, la joue d'Isabella, exerçant des mouvements circulaires au niveau de ses taches de rousseur. Quatre sous chaque œil, parfaitement symétriques, comme si la force supérieure qui se chargeait de sculpter les visages humains s'était considérablement attardée sur celui de la jeune femme.

Stoïque, les yeux légèrement arrondis, elle continuait de le regarder, tandis que l'autre main de Mendoza venait caresser son bras blessé. Rassurante et prudente pour ne pas la brusquer et lui permettre de l'arrêter si tel était son désir. Battant des paupières, la belle brune hocha doucement la tête, manifestant son accord. Elle frémit.

- J'avais une dette envers vous, et je l'ai payée en vous laissant filer en Inde. Vous n'aviez donc, si j'ose dire, aucune raison valable vous contraignant à me venir délibérément en aide. J'en déduis donc logiquement que vous l'avez simplement fait dans le but de nous protéger de l'attaque de Zarès. Merci, au passage, finit-il dans un clin d'œil.

Laguerra ne put s'empêcher de sourire en secouant la tête. Toujours confiant, il poursuivit :

- Je vous demande donc de me laisser, à mon tour, payer cette nouvelle dette, señorita, en acceptant de me... nous rejoindre à bord du Condor. Zia et Esteban sauront raisonner les autres, et même s'ils n'y arrivent pas, vous pourrez compter sur mon soutien. Qu'en pensez-vous ?

Égoïste. Le navigateur se sentait profondément égoïste. Il faisait tout son possible pour la persuader d'accepter son offre parce qu'il avait envie d'elle à ses côtés. C'était purement égoïste. Mais cette forme d'égoïsme n'avait curieusement rien à voir avec celle qui - autrefois - était née de sa soif d'or.

- Jolis arguments, capitaine. Solides et presque convaincants, lâcha Laguerra avec une pointe d'ironie amusée.

Ses yeux étudièrent les siens pendant un instant. Puis, alors que les doigts du capitaine titillaient toujours son avant-bras bandé, les siens s'enroulèrent autour de son poignet. Il cessa alors de caresser sa pommette.

- Mais je vous l'accorde, mes arguments - à ce moment là - étaient douteux, bien qu'efficaces.

Elle se fendit d'un sourire en coin, se séparant légèrement de lui.

- Seulement, voyez-vous, je n'ai pas pour habitude de laisser des enfants se faire attaquer sans intervenir.

- Et c'est tout à votre honneur, Laguerra, répondit-il avec un rire, un sourcil arqué.

Les yeux de l'Espagnol se fixèrent mécaniquement sur la bouche de son interlocutrice. Il fit glisser ses doigts brûlants sur la joue, puis sur le menton, d'Isabella, sous le regard vacillant de cette dernière. Sourcils froncés, elle planta ses dents dans la chair de sa bouche, appréhendant la suite. Les paupières de Mendoza se faisaient plus lourdes, son visage se rapprochant dangereusement du sien, le corps dévoré par des flammes conquérantes. Légères. Revigorantes.

Des cris d'enfants le stoppèrent dans son élan, permettant à l'espionne de se dégager de ses bras musclés. Elle se racla la gorge avant de s'approcher de l'eau, le regard accaparé par l'horizon.

Ignorant les pupilles dilatées qui les dévisageaient - conséquence de sa proximité antérieure avec la fille du docteur -, le capitaine reporta les siennes sur le ciel. La mine grave, il se pinça les lèvres, ne sachant pas quoi dire. Mendoza s'était laissé dominer par ses émotions et un profond sentiment de malaise lui mangeait désormais l'estomac. Les regards insistants qui ne cessaient de les scruter étaient plus qu'incommodants. En prime, il ne savait pas comment renouer le dialogue avec la señorita qu'il avait dû surprendre et gêner par la même occasion.

Cependant, comme pour le rassurer, et contre toute attente, Isabella reprit la parole, tranquille :

- Quel âge avez-vous, señor Mendoza ?

Sa voix, toujours aussi légère qu'un nuage d'argent, ne trahissait aucune gêne apparente. Confiante et chaleureuse, l'aventurière lui adressa un léger sourire, chose qui ne manqua pas de lui soutirer un rire bref.

- Je ne vous savais pas curieuse, Laguerra.

- Libre à vous d'ignorer ma question, répliqua la concernée, sa main gauche caressant sa rapière.

Mains sur les côtes, plus serein quant à ses derniers agissements, il répondit en regardant le peuple du désert s'agiter plus loin :

- Vingt-neuf ans.

Mendoza enchaîna, sachant que la duelliste préférait souvent le silence aux dialogues humains :

- Libre à vous, dorénavant, d'ignorer la mienne et veuillez bien, señorita Laguerra, excuser ma curiosité, mais puis-je vous retourner la question ?

Appréhendant sa réaction, il posa sur elle des yeux maquillés d'une douce intensité. Laguerra tourna la tête vers lui, sourcils soulevés. D'abord indéchiffrable, son visage se fit ensuite plus détendu.

- J'aurai vingt-quatre ans exactement dans quelques jours, capitaine.

Un sourire se dessina sur les lèvres de l'Espagnol.

- Croyez-vous au destin, señorita ?

Un sourcil arqué, elle répondit sans hésiter :

- Non.

- Ah oui ?

- Pas exactement, explicita Isabella. Le hasard fait également souvent bien des choses, qu'elles soient bonnes ou mauvaises. Tout dépend de la manière dont on décide de se comporter et de réagir face aux événements. Rien n'est figé ou écrit, pas éternellement en tout cas. En ce qui me concerne, señor, je déteste me sentir prisonnière ou contrainte d'accepter une destinée sous prétexte qu'une force extérieure a fait le choix de me l'attribuer. Je désire être maîtresse de ma vie, de mon présent et de mon avenir. Mais il arrive souvent que certaines choses bouleversent notre équilibre pour nous forcer à suivre une route inattendue et tumultueuse dans le but d'atteindre certains objectifs.

Son interlocuteur plissa les yeux. Il y avait quelque chose de fragile, et violent à la fois, dans les paroles de l'ancienne alchimiste. Quelque chose de ravagé, de sévère et de sensible.

Pourquoi et comment une femme telle que Laguerra semblait à la fois aussi maitresse de sa vie que prisonnière d'elle-même ?

Mendoza souhaitait instinctivement en apprendre davantage sur elle. Sur ses ambitions, son passé qu'ils soupçonnait aussi riche que passionnément mouvementé, ses goûts, le son que devait produire sa voix quand elle fredonnait des airs de musique familiers, sa couleur préférée...

Ses mots recelaient une vulnérabilité, une sorte de détresse, camouflée par son sérieux et sa force, mais bien présente. L'authenticité de son petit discours avait brouillé les sens et l'armure qui entourait le cœur battant du stratège. Il retrouvait dans les yeux lumineux et tranchants de la fille de Fernando ce qu'il voyait constamment en Zia : une femme a qui on avait volé de manière brutale sa jeunesse, son insouciance et son innocence. Trop tôt. Bien trop tôt.

Coupant court à sa méditation, la voix d'Isabella enveloppa l'air, mélodieuse :

- Où avez-vous grandi, capitaine ? Avant de vous lancer dans d'interminables et dangereuses aventures, j'entends.

Il sourit d'un air amusé.

- À Barcelone. Là où je suis né. Ma première expédition maritime s'est faite aux côtés de Magellan en personne, à bord du Victoria. J'avais une quinzaine d'années à l'époque. Un réel chagrin pour ma mère...

Sa langue passa furtivement sur ses fines lèvres blanches, tandis que la brune leva les yeux au ciel, prise d'un petit rire.

- Mais ne pensez surtout pas que vous vous en tirerez comme ça... Je viens encore une fois de répondre à l'une de vos questions, alors que ma première interrogation est toujours en suspens. J'attends donc de vous deux réponses, désormais.

- J'ai visité de nombreux pays aux côtés de mon père mais...

Ces mots semblaient presque lui arracher la gorge. Mendoza fronça les sourcils, conscient d'avoir encore une fois tiré sur une corde sensible.

- J'ai passé une grande partie de mon enfance à Madrid. Et en ce qui concerne votre première question, je suis sûre qu'il pleuvra dans quelques heures.

Pour appuyer sa dernière phrase, elle leva la tête, l'air de rien, arborant un air songeur, alors que ses prunelles considéraient le ciel. Juan-Carlos secoua la tête.

- Señorita Laguerra...

Leurs regards se croisèrent une fois de plus, mais avant que la bouche de la jeune femme ne puisse émettre le moindre son, des hurlements retentirent un peu plus loin. Sans un mot de plus, l'aventurière s'élança vers la source de ces bruits soudains, Mendoza sur ses talons.

Laguerra s'arrêta un instant et lui sourit.

- Au fait, je m'appelle Isabella, avoua-t-elle avec un clin d'œil.

Ceci étant dit, elle se remit à courir, sans attendre la moindre réponse.

Bon, Tao a raison. Ça suffit comme ça.


Munie de ses plus fidèles amies, Laguerra recoiffa rapidement ses cheveux, prit une grande bouffée d'air et se releva sans peine pour traverser la cour du petit village d'un pas décidé. La jeune femme s'arrêta un instant afin de saluer Gaspard d'un sourire, le regard mutin. Le conquistador avait délaissé sa tunique et transportait des morceaux de bois minutieusement coupés. Parcouru d'une joie soudaine, il lui répondit maladroitement d'un geste de la main peu viril qui lui arracha un rire sincère. Secouant la tête, elle marcha jusqu'à la hutte où devait se trouver son ancien adversaire, une boule d'appréhension condensée lui rongeant le bas-ventre, augmentant sa fréquence cardiaque.

Tu peux le faire, Isabella. Impossible de faire marche arrière. Toujours avancer.

La fille du docteur fit un pas en avant et ses yeux cernés se cadenassèrent au visage de Mendoza, qui haussa un sourcil.

- Altesse, énonça-t-elle à l'intention de Neshangwe, puis sa sœur, en s'inclinant. Sancho, Pedro, Naïa, Tao.

Ce dernier afficha un large sourire, hochant vivement la tête, avant de lever un pouce approbateur en l'air. Laguerra réprima un rire. Son affection pour le garçon à la chevelure imposante s'intensifiait de manière exponentielle.

- Mendoza, pourrait-on parler ?

Le capitaine, serein, opina. Isabella pouvait presque l'entendre dire « toi, tu veux parler ? ». Cachant son embarras et son hésitation, l'espionne le laissa prendre sa main pour l'entraîner un peu plus loin, à l'abris des regards indiscrets. Une trainée de frissons dévorante remonta le long de son bras quand les doigts du navigateur se mirent à taquiner les siens, accentuant cette étrange sensation de manque. Du coin de l'œil, Mendoza la détaillait attentivement, un léger sourire aux lèvres.

- Je savais bien que tu finirais par te calmer et venir t'excuser, chaton.

Avec un regard noir, plus amusée qu'autre chose bien que tendue, la duelliste croisa les bras en se plantant devant lui. L'heure des explications était enfin arrivée. Du moins, c'était ce qu'il voulait croire.

- Tu te méprends.

- Ah oui ? Alors qu'est-ce que tu...

Il fût brusquement coupé par les lèvres de Laguerra qui se refermèrent sans prévenir sur les siennes, sa main enfoncée dans ses cheveux.
Modifié en dernier par kally_MCO le 07 avr. 2021, 18:36, modifié 3 fois.
— Regarde toi : la finesse d'une enclume et la loyauté d'un bigorneau !
— Et toi, capitaine Mendoza, tu fais quoi d'honorable à part chasser les mouches avec ta cape ?!
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Marcowinch
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Re: DESTINÉE (- suite non-officielle de la saison 4)

Message par Marcowinch »

Un excellent chapitre. Le début m'a bien fait flipper ! :)
*** :Tao: :Zia: :Esteban: Ma fanfic MCO : La Huitième Cité :) :Esteban: :Zia: :Tao: ***
J'espère qu'elle vous plaira :D

:Esteban: Bah voyons, Pattala ! C'est pas dans ce coin-là que vit la jolie Indali ? :tongue:
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Re: DESTINÉE (- suite non-officielle de la saison 4)

Message par TEEGER59 »

kally_MCO a écrit : 06 avr. 2021, 19:43******
J'ai lu ce chapitre hier soir.
Je ne sais pas pourquoi tu l'as effacé car je voulais aujourd'hui écrire mes impressions.
Tant pis. En tout cas, je n'ai qu'un mot en ce qui concerne ce passage: MAGISTRAL !
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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