Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

C'est ici que les artistes (en herbe ou confirmés) peuvent présenter leurs compositions personnelles : images, musiques, figurines, etc.
Répondre
Avatar du membre
kally_MCO
Guerrier Maya
Guerrier Maya
Messages : 163
Enregistré le : 04 janv. 2018, 10:55
Âge : 21

Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par kally_MCO »

LE RETARD MONSTRE !!!

Bon. J'ai quand même tout lu.

C'est toujours diablement bien écrit, je suis époustouflée, totalement sous le charme, émerveillée, subjuguée ! PFIOU.
Les scènes de combat sont passionnantes, et le rêve de Mendoza est excellent :lol:
Elle est jolie, cette Laguerra en peau d'animal :tongue:
Je tombe littéralement (pour changer, encore une fois) amoureuse de Gaspard, ses échanges avec Mendoza sont géniaux et je le vois bien jouer les petits clowns pour amuser la galerie (ici, les enfants) ^^
Zia, Zia, Zia... la voix de la sagesse, de la raison ultime et absolue ! La pauvre, elle devrait arrêter de se mettre autant la pression.
Passons à Mendoguerra :
Le montage avec le baiser est tellement beau :-@
Leur première fois est toujours aussi plaisante à lire, un pur délice ! Ils sont adorables. Ils me font aussi bien rire, déjà accros ? ❤~♥️~❤
J'aime bien la petite référence avec Mendoza qui, encore une fois, rêve d'une Isabella en danger. C'est tellement triste et je m'imagine déjà le pire pour la suite :/
ENFIN, IL S'EST RASÉ !! JE RÉPÈTE : IL S'EST RASÉ !!
Je sais qu'ils finiront par se retrouver (on croise les doigts comme Cape Bleue), alors je ne m'en fais pas pour eux ^^'

Et... j'ai dû oublier un milliard de choses, mais voilà...
— Regarde toi : la finesse d'une enclume et la loyauté d'un bigorneau !
— Et toi, capitaine Mendoza, tu fais quoi d'honorable à part chasser les mouches avec ta cape ?!
Avatar du membre
Anza
Guerrier Maya
Guerrier Maya
Messages : 459
Enregistré le : 25 janv. 2015, 12:43
Localisation : Les Landes

Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par Anza »

Bon, aucune excuse, j'ai lu le début, c'est super bien torché et je vais devoir m'y coller ;)
Laisse-moi quelques jours ;)

Du zibooo
8) Fane absolue de la 1ère saison, certes imparfaite, mais avec tant de qualités qu'on peut lui passer beaucoup de choses !
Perso préféré : Calmèque, cherchez pas, mon psy a jeté l'éponge ! MDR

MY FIC : https://tinyurl.com/4we7z2j7
Avatar du membre
TEEGER59
Grand Condor
Grand Condor
Messages : 4537
Enregistré le : 02 mai 2016, 14:53
Localisation : Valenciennes
Âge : 46
Contact :

Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par TEEGER59 »

Suite.

CHAPITRE 15: Bienvenue à Qila Mubarak.

Aucun d'eux ne se doute... Comment le pourraient-ils, d'ailleurs, ces humains? Je suis comme eux. Comme il est délicat de faire taire son légitime orgueil devant cette race inférieure, ce ne sont que des proies, mes proies. Ils me dégoûtent avec leur humanité. Mais je dois attendre, j'ai encore besoin d'eux. Patience. Ces efforts en valent la peine, chaque pas en avant me rapproche de mon triomphe. Je vais bientôt réclamer mon dû.

☼☼☼

Mendoza arpentait le monde des rêves. Guidé par sa dague sombre, son moi éthérique se trouvait dans une grande salle aux parois, au sol et au plafond composés de roches. Aucune issue visible. Au centre de la pièce, entourée d'un immense fossé, une grande stèle de pierre noire surplombait un autel de pierre. Le capitaine avait le sentiment net que c'était pour cela qu'il avait été transporté ici.
Il était là à cause d'elle.
Il sentait confusément une présence mais se révélait incapable de la localiser. Veillant bien à rester aussi loin que possible du vide, le marin fit le tour de la salle, que supportaient quatre gros piliers. L'endroit vibrait de magie douce mais il ne découvrit rien du tout et fut repoussé doucement par un pouvoir serein.
🗡:Libère-moi.
Il se dirigea vers la stèle et la sonda, en vain. Il fit le tour, scrutant chacune de ses faces. Rien.
🗡:Libère-moi.
:Mendoza: : Je fais ce que je peux!
Mais avant qu'il puisse parfaire ses explorations, il fut aspiré hors du monde de l'Éther et s'éveilla, l'esprit gourd.

Tandis que le sommeil accordait toujours ses douceurs aux garçons, les premières lueurs d'une aube naissante teintèrent le ciel de rose. Une lumière diffuse commença à apparaître entre les nuages épais et cotonneux, pour envahir la savane et se répandre sur la carlingue du condor.
Mendoza se leva, encore un peu désorienté. Il regarda ses jeunes compagnons dormir, perdu dans des pensées irrémédiablement tournées vers la jeune femme qu'il avait tenue tendrement dans ses bras la veille au matin.
:Mendoza: : Je ne peux que le constater, tu es toujours là, ma belle, agrippée à mon esprit. Tu as contaminé mon corps et mes sens, Isabella...
:Esteban: : Ça va, Mendoza?
Ayant ouvert les yeux, l'Élu le tira de sa rêverie alors qu'un sourire ourlait les lèvres du navigateur.
:Mendoza: : Oui, merci petit.
Petit, ce terme, l'Espagnol ne l'employait qu'envers ceux qu'il appréciait, et ce n'était pas le fils du soleil qui allait s'en offusquer. D'une voix aussi douce qu'un lamé de soie, il reprit:
:Mendoza: : Et toi, Estéban? Bien dormi? Prêt à repartir?
:Esteban: : On est bons, on peut y aller.
L'Atlante s'installa aux commandes. Pour parer à toute menace, ils avaient dormi à l'intérieur de l'appareil.
Quelques minutes plus tard, Tao se réveilla à son tour.
Au moment où le trio allait décoller, le capitaine prit le temps d'observer les environs lorsque quelque chose attira son attention.
:Mendoza: : Regardez, les garçons!
Sur une colline pelée se dessinaient des silhouettes noires. Estéban demanda:
:Esteban: : Que font-ils?
Le Muen se frotta les yeux et prit le ton un peu supérieur qu'il adoptait à l'ordinaire pour éclairer l'ignorance de son ami.
:Tao: : À mon avis, les Maasaï sont en train d'établir leur nouveau campement.
:Mendoza: : En effet! Ça vous dirait d'aller y jeter un coup d'œil?
Leurs regards se croisèrent. Les petites billes noires du garçon à la peau d'ébène scrutèrent la profondeur des yeux du marin. Avant que le naacal n'émette la moindre protestation, le capitaine ajouta:
:Mendoza: : Nous avons le temps, en fait. Akkad n'est plus qu'à trois bonnes heures de vol, Tao...
:Tao: : D'accord...

C'était dans la zone la plus dénudée que le vieil Imamu et le jeune Jelani avaient trouvé un site pour le séjour de leur clan. Les Maasaï, fils des grands espaces arides, se méfiaient des terres boisées. Le culte des arbres, la religion des forêts étaient contraires à l'instinct de leur peuple. Aussi leur choix s'était-il porté au voisinage d'un point d'eau, sur une petite éminence qui dominait de loin la plaine rase et sèche.
Aucune piste ne menait au lieu du campement. Mais le terrain n'était pas un problème pour le trio.
En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, ils se trouvaient déjà au pied du monticule. Le capitaine bondit de l'appareil avant que celui-ci ne touche terre.
Le jour était à présent levé. Le soleil dardait ses rayons à travers les moutons blancs, pour leur intimer l'ordre de se retirer. Une odeur épaisse d'étable mal tenue, de purin, infectait l'air si léger du matin.
:Mendoza: : Venez vite, les garçons!
Le mercenaire les entraîna le long de la faible pente jusqu'au sommet de la butte. Le sol en était plat et avait la forme d'un ovale grossier. Sur son pourtour, des barrières d'épineux en deux rangées étaient plantées, traversées par des chicanes. À l'intérieur de l'enceinte, une masse jaunâtre, dense, gluante et d'une senteur ignoble s'étalait. C'était de la bouse de vache à demi liquide.
Des hommes, des femmes et des enfants trituraient, piétinaient, malaxaient, brassaient cette immonde matière afin de lui donner un peu plus de consistance.
Le marin cherchait des yeux Jelani mais ne le vit pas. Cependant, le vieil Imamu était là et Juan le salua.
Le vieux guerrier reconnut l'homme blanc et fit:
Imamu: Kouahéri.
Puis il fit signe aux siens de reprendre leur tâche.
La vague fétide se répandit plus forte, plus épaisse. Les garçons reculèrent instinctivement et retinrent leur respiration.
:Mendoza: : Tous les parfums de la nature! Ah! Ah! Ah!

62.PNG

Le rire gras de Mendoza résonna à leurs oreilles. Pour sa part, il ne paraissait pas le moins du monde incommodé. Lui qui, la veille, avait laissé un délicat sillage de savon derrière lui, était en train de humer, les yeux brillants de plaisir, l'odeur répugnante. Il ressemblait à ces hommes nés, élevés dans un château, mais qui ont grandi avec ceux de la ferme et qui prennent plus de joie aux soins les plus rebutants des écuries et des étables qu'aux divertissements de leur condition.
Voulant partager son exaltation avec ses deux jeunes compagnons, le navigateur dit:
:Mendoza: : Ils sont vraiment malins, vous savez, les Maasaï. Tout comme les Hindous, ils font des maisons avec les déjections de leur bétail! Vous comprenez: ils ne vivent jamais à la même place, ils n'ont pas de pelle, pas un outil, rien! Alors ils ont inventé ça. Leur troupeau reste toute une nuit là où ils veulent bivouaquer. Après, ils pétrissent, ils préparent.
Se pinçant le nez, l'Élu demanda:
:Esteban: : Et après?
:Mendoza: : Tu vas voir. Tiens, ils commencent.
Quelques hommes dressaient autour de la mare gluante des claies couronnées par des arceaux de branchages qui, grâce à leurs épines, s'accrochaient les unes aux autres. Elles s'infléchissaient en ovale, selon le dessin du terre-plein qui dominait la petite colline. En très peu de temps une tonnelle ajourée courut le long de la plate-forme. Elle était très basse, n'arrivant qu'à mi-corps de ceux qui la plantaient, et toute hérissée de ronces.
Le vieil Imamu avait donné un ordre. Et tous, hommes, femmes et enfants s'étaient mis, certains avec leur paume gauche, certains avec des outres qui servaient à l'ordinaire pour le lait et pour l'eau à puiser la matière molle et tiède qu'ils avaient pétrie et à la répandre sur les branchages qu'ils avaient façonnés. Cette pâte brunâtre encore liquide et d'une pestilence affreuse coulait, s'égouttait, s'agglutinait le long des claies et devenait un mur, collait aux arceaux et formait un toit. Et tous consolidaient ces premiers éléments aussi vite qu'il leur était possible en les arrosant, les épaississant par de nouveaux jets de bouse malaxée.
:Mendoza: : Le soleil, en quelques heures, va tout durcir. N'est-ce pas merveilleux?
:Tao: : Si tu le dis!
Bien que le matin fût encore très frais, de grosses mouches arrivaient en essaims pressés, bourdonnants.
Estéban geignit:
:Esteban: : Partons, il n'y a plus rien à voir!
:Mendoza: : Un instant, mon garçon.
Le capitaine se dirigea au bord de la plate-forme opposé à celui par où ils étaient venus. Au pied de l'éminence, le troupeau se trouvait enfermé dans une enceinte épineuse au dessin carré. Parmi le bétail, on voyait briller, sous les feux du soleil levant, plusieurs lances et plusieurs chevelures cuivrées.
Les moranes, parmi lesquels se trouvait Jelani, achevaient de masser le troupeau contre un panneau mobile fait de branches griffues qui donnait accès dans l'enclos. Immobile, Mendoza contemplait les jeunes guerriers, qui eux, ne daignaient accorder la moindre attention au trio.
Le bétail était prêt à sortir de l'enceinte. Mais les moranes n'enlevaient pas encore le panneau qui en fermait l'entrée. Chacun d'eux s'approcha d'une vache et chacun, de la pointe effilée de sa lance, fit une incision très mince au cou de l'animal. Et chacun colla sa bouche à la blessure fraîche pour y boire à longs traits. Puis ils appliquèrent une main sur l'entaille et attendirent qu'elle se refermât. Les vaches n'avaient même pas gémi.
Le mercenaire fit:
:Mendoza: : Voilà toute leur nourriture. Le soir, le lait. Le matin, le sang.
Le panneau de ronces fut enlevé. Le troupeau prit le chemin du pâturage. Jelani le menait. Quand il passa près des étrangers, il lécha le filet rouge qui tachait sa lèvre brune et laissa couler sur les garçons un regard dédaigneux. Puis, il s'éloigna, superbe comme un demi-dieu, lui qui, pour se nourrir et s'abriter, ne disposait au monde que du lait, du sang et de la bouse de vaches efflanquées.
L'Élu demeurait silencieux. Le naacal demanda:
:Tao: : C'est bon? On peut y aller, maintenant?
:Mendoza: : Si tu veux, Tao...
Le mercenaire s'abîma une dernière fois dans la contemplation du paysage. Puis, ils firent le tour de l'éminence et retournèrent au condor.

☼☼☼

Au moment précis où, sur la plate forme, la manyatta s'achevait, au village de Patala, une journée magnifique attendait les futurs membres de l'Ordre du Condor.
Juché sur un hongre, Gunjan avait pris la tête de la petite troupe, suivi par Laguerra dont la monture, un animal docile brun et blanc, méritait mal son nom de Krodhee*. Derrière elle, raide comme la justice sur sa selle, Gaspard affichait des qualités de cavalier bien supérieures aux siennes. Elle se promit de lui demander où il avait appris à monter de la sorte.
Zia venait ensuite, suivie de Synésius, Hortense et Hippolyte. Ce dernier avait éprouvé les plus grandes difficultés avec son cheval à l'heure du départ, pour avoir glissé le mauvais pied dans l'étrier, au risque de se retrouver à l'envers, ce qui avait provoqué l'hilarité générale. Comme à leur habitudes, les trois alchimistes se tenaient à l'écart des autres.
Athanaos et Indali fermaient la marche avec les deux chevaux de bât transportant le matériel et quelques provisions, le palais du Radjah se trouvant à quelques heures de marche. José-Maria était trop heureux à ne plus avoir à trimballer le coffre contenant les artefacts de Mu sur son dos.
La sente qu'ils empruntaient, visiblement très fréquentées au départ à en juger par les traces laissées par les habitants du village, finit par disparaître au bout d'un quart de lieue.
La jungle, verte et profonde, son sol tapissé de mousse et de fougères, décomposée en une succession de zones baignées de soleil, la lumière tombant en rais obliques, luminescents de poussière, et de zones plus sombres, plus fraîches, surplombées de frondaisons denses.
La jungle, véritable entité, grouillante de vie: singes longues-queues narquois, pandas rouges acerbes, daims, cerfs farouches, chauves-souris et écureuils géants, tigres et panthères noires, tous s'ébattaient dans une harmonie, un équilibre bien supérieur à celui de l'humanité.
Accompagnés du braillement d'un paon, les deux Espagnols chevauchaient côte à côte en milieu de convoi, sur une large piste encadrée de tecks, de cyprès et de cèdres.
Deux cavaliers. Tellement dissemblables d'aspect mais néanmoins complices.
La Belle et la Bête.
Ils quittèrent le trot pour passer au pas. Allure plus propice à la discussion. Plus intime également. Dans un chaleureux sourire, Gaspard entama aussitôt:
:Gaspard: : J'ai presque honte de vous avoir tout à moi, señorita.
Elle sourit à son tour:
:Laguerra: : Il le fallait bien, mon ami, puisque vous obéissez aux directives de Mendoza. Il vous a demandé de garder un œil sur moi, n'est-ce pas?
:Gaspard: : Euh... Comment êtes-vous au courant?
:Laguerra: : Voyons, Gaspard! J'ai bien vu le capitaine vous lancer une bourse... Je le sais généreux, or il n'est pas homme à payer quelqu'un sans que celui-ci effectue une tâche en contrepartie.
:Gaspard: : Rien ne l'y obligeait. Je l'aurai fait pour rien puisqu'il est question de vous... En ce qui me concerne, ce n'est pas un travail mais une agréable distraction. Et j'avoue que je suis ravi qu'il m'ait offert cette "besogne". Et puis quoi? Me dénierez-vous le droit de veiller à votre sécurité, maintenant?
:Laguerra: : Gaspard, vous savez bien que non, votre compagnie m'est chère.
D'un commun accord, ils reprirent le trot et le rire de la bretteuse résonna dans la vaste forêt, musical, cristallin, parfait contrepoint à cette atmosphère paisible régnant sur la canopée.
Ils firent halte à l'heure du déjeuner. Les chevaux de bât étaient à la traîne, mais Gunjan avait toute confiance en Indali. Elle connaissait aussi bien que lui le chemin qui menait au fort.
Athanaos et Gaspard aidèrent les cavaliers à desseller les montures avant de les conduire un peu à l'écart. À leur retour, l'Indienne rejoignit le groupe. Elle parqua ses bêtes avant de les libérer de leur fardeau avec l'aide du jeune cornac.
Montrant du doigt une butte de terre, elle décréta:
Indali: On va faire du feu là-bas.
La jeune fille se tourna ensuite vers l'aventurière et le père d'Estéban.
Indali: Trouvez-moi du bois. Pendant ce temps-là, je m'occupe de creuser le foyer avec Gaspard. Allez capitaine! Du nerf! Toi aussi, Hippolyte!
Se posant sur un tronc d'arbre, l'alchimiste sourit:
Hippolyte: Désolé, mais ça ne fait pas partie de mon ordre de mission. Je préfère vous regarder travailler.
Indali: Comme tu veux... À propos, les araignées géantes adorent pondre dans les arbres morts comme celui sur lequel tu es assis. Elles sont très agressives et ont pour reflexe de ne pas lâcher leur proie. Lorsqu’elles mordent, elles essayent de rester le plus longtemps possible sur leur victime pour leur inoculer le maximum de venin.
Le Français bondit sur ses jambes et essuya frénétiquement l'assise de sa chasuble en laissant échapper son couvre-chef, ce qui eut le don de provoquer, une fois encore, l'hilarité de tous.
La duelliste et le prophète voyageur s'éloignèrent en s'enfonçant dans la jungle pour la corvée de bois. Tout en marchant, Athanaos soupira d'aise:
:Athanaos: : J'adore ce pays! Chaque fois que j'y reviens, je me sens revivifié.
Il observa longuement les lieux, attardant son regard sur un bouquet d'arbres.
:Laguerra: : C'est la raison pour laquelle tu as définitivement quitté Chambord? Afin de t'installer ici?
:Athanaos: : Oui, Isabella. Mais je ne suis pas tout à fait parti de France de mon plein gré. Estéban et Zia sont venus me chercher au bon moment puisque je me suis accroché avec l'Ordre du Sablier qui voulait me pousser dehors, gentiment mais fermement... Chaque jour que Dieu fait, je n'oublierai pas de leur adresser mes remerciements en pensée, maintenant que je suis revenu ici.
:Laguerra: : Accroché, comment?
La question le fit rire.
:Athanaos: : Disons qu'on m'a accusé ouvertement, François Ier en tête, d'avoir orchestré le vol des reliques Muennes.
:Laguerra: : Je vois...
Au terme de longues minutes à ramasser des branchages, Isabella fronça les sourcils.
:Laguerra: : Athanaos, je... Je n'ai jamais vraiment eu l'occasion de te présenter mes excuses pour ce que j'ai pu te faire...
Il s'arrêta et reporta son attention sur la jeune femme.
:Athanaos: : Comme me menacer avec ton arme à feu...
:Laguerra: : C'est que je n'avais pas vraiment le choix...
Ramassant un morceau de bouleau, il répliqua:
:Athanaos: : Je sais, tu ne faisais qu'obéir aux ordres d'Ambrosius... Tu devais rester crédible à ses yeux, pour ne pas éveiller ses soupçons. Car ton véritable maître, celui pour qui tu travaillais, c'était le roi d'Espagne...
La jeune femme afficha sa surprise.
:Laguerra: : Tu es au courant!
:Athanaos: : En effet.
Elle se redressa.
:Laguerra: : De quelle façon?
:Athanaos: : Mendoza m'en a parlé.
:Laguerra: : Mendoza? Il t'a fait cette confidence alors qu'il ne te connait pas?
:Athanaos: : Tu fais erreur. On se connait depuis des lustres, nous deux. C'est à lui que j'ai confié Estéban lorsqu'il était bébé.
:Laguerra: : Vraiment? Je ne connaissais pas ce pan de l'histoire... Quoi qu'il en soit, je tenais à te faire toutes mes excuses.
Le père du jeune garçon hocha la tête.
:Athanaos: : Je les accepte... Ne t'inquiète pas Isabella. Tout ça, c'est du passé et je ne t'en veux pas.
:Laguerra: : Je suis rassurée...
Elle changea de sujet.
:Laguerra: : Dis-moi, il y a encore des alchimistes au fort?
:Athanaos: : Quelques-uns, oui. Avec l'incendie qu'Ambrosius à provoqué, les dégâts sont conséquents. Avec les hommes du village, ils aident à la reconstruction du palais.
Ils regagnèrent le bivouac en traînant des branchages qu'ils entassèrent près du foyer que les autres avaient allumé en leur absence.
Sur un ton approbateur, Indali s'écria:
Indali: Du chêne! Gunjan, fais-moi des bûches avec tout ce bois, s'il te plaît.
Le jeune Indien s'employa à découper les branches à la bonne longueur tandis que l'inca s'efforçait de l'imiter.
Gunjan: Holà, Zia! Tu vas te couper une jambe en t'y prenant comme ça.
Il enroula ses bras autour de la jeune fille dont il guida les coudes afin de lui enseigner l'art de manier la hache.
:Zia: : Eh bien! Heureusement que Estéban n'est pas là pour voir ça!
Les autres, leurs tâches respectives terminées, se réunirent près du feu.
Quelques minutes plus tard, la bretteuse avala un encas frugal, composé de pain de voyage et de fromage. Gaspard, prenant à son tour une tartine, vint s'asseoir à côté d'elle.
Il remarqua:
:Gaspard: : Pour l'instant, tout va bien. Le père d'Estéban connaît bien son affaire. Je suis tout de même surpris qu'il ait renoncé à diriger l'Ordre du Sablier pour se mettre au service d'un gamin comme Tao! C'est à se demander ce que ça cache...
:Laguerra: : Il n'a pas eu le choix! Et puis, comme les enfants sont inséparables, il a tout simplement voulu suivre son fils, c'est tout... De plus, son ancienne équipe l'a suivi... Elle est pour le moins pittoresque, n'est-ce pas? Entre Hortense qui jase comme une pie, Hippolyte qui est muet comme une carpe et Synésius que j'ai du mal à cerner. On dirait qu'il est... je ne sais quel adjectif lui conviendrait le mieux. Affamé.
:Gaspard: : Dans quel sens?
:Laguerra: : Le genre d'homme qui n'est jamais content, persuadé que l'herbe est toujours plus verte ailleurs.
:Gaspard: : L'ambition n'est pas forcément un défaut. Vous aussi, señorita, vous êtes une battante, non?
Elle laissa échapper un petit rire.
:Laguerra: : J'espère que ça ne se voit pas trop.
Gaspard sourit.
:Gaspard: : Pourquoi s'en cacher? C'est pourtant la raison d'être du tandem que nous formons. L'ambition, la soif de connaissance, le désir de laisser notre marque.
Il avait raison, bien sûr, mais Isabella n'était pas habituée à tant de franchise. Ils poursuivirent leur déjeuner en silence.
Une fois le repas terminé, ils repartirent.

☼☼☼

Le même jour, à plus de trois cent cinquante lieues au sud-est.
Une autre ferme, d'autres cadavres. Le Mal avait frappé une troisième fois les colons de Goa.
Le regard las du lieutenant Guilherme Santos erra sur la forêt, de l'autre côté du fleuve Zuari. Il ne remarqua rien de particulier. Son attention revint sur les dépouilles des suppliciés. De nouveaux cauchemars en perspective. Cette fois, c'était la famille Carvalho qui s'était fait massacrer. Les enfants avaient subi le même traitement que leurs parents. Leurs petits visages étaient tordus par une peur et une souffrance extrêmes.
Les soldats de sa patrouille restaient en retrait. Aucun d'eux n'avait le cœur à s'approcher du carnage. Santos les avaient envoyés relever des traces sur la rive et autour de la ferme. En vain. Pas le moindre indice, comme les fois précédentes.
Le lieutenant se sentait glacé de l'intérieur. Celui ou ceux qui avaient commis ces crimes ne s'arrêteraient pas là, il en était à présent persuadé. Tout comme il savait que le colonel Oliveira imputerait ce nouveau forfait aux Thugs. Mais Santos pour sa part, continuait de douter de la culpabilité de ces derniers. Toutefois, il n'avait aucune preuve à fournir de leur innocence. Il avait envie de hurler d'impuissance.
Le jeune officier devait réagir mais ignorait comment. Oliveira resterait sourd à ses arguments, il le savait. Il examina une nouvelle fois les inscriptions cristallisées figurant sur la façade de la ferme. Il sortit son carnet et entreprit de recopier les dessins sanglants du mieux possible. Il ne voyait rien d'autre à faire, le lieutenant manquait par trop d'expérience dans ce genre de crimes.
Quels éléments pouvaient s'acharner ainsi sur des gens aussi paisibles?
Santos ne parvenait toujours pas à se convaincre de la culpabilité des adorateurs de Kâli. Au contraire, même, il en doutait de plus en plus. Cette pensée le glaçait car elle signifiait que c'étaient d'autres entités qui s'attaquaient ainsi aux colons établis dans le pays, au moins aussi redoutables que les Thugs.
La clé du mystère devait être cachée dans ces symboles étranges qui couvraient les mur de la propriété, tracés à l'aide du sang des victimes. Il semblait au lieutenant qu'un seul individu en était l'auteur, encore qu'il n'ait aucune preuve pour l'affirmer. Un seul homme pouvait-il commettre ces atrocités à lui seul? L'hypothèse devait être envisagée.
Et si les assassins de cette confrérie n'étaient pas les auteurs de ces massacres, qui d'autre? Les Moghols utilisaient la magie du sang, tout le monde le savait. Ce qui faisait d'eux des suspects tout aussi valables que les Thugs. Cela étant, aucun nere* n'avait jamais été repéré à Goa. D'ailleurs, à la connaissance du lieutenant, l'Ennemi n'avait jamais mis le pied dans le sud de l'Inde.
De son côté, le colonel Oliveira semblait sourd à toute remise en question. Obnubilé par les Thugs, qu'ils soient Hindous ou Bouddhistes, il les aurait tout aussi bien désignés coupables de la tombée du jour. Il ne ferait donc rien pour rechercher le ou les véritables coupables.
Le regard de Santos se raffermit. Il allait devoir agir, sinon plus jamais il ne pourrait se regarder en face.

☼☼☼

Au plus profond de son écrin végétal, comme un géant assoupi sur son trésor, se dressait le fort de Patala.

63.PNG

Qila Mubarak, toujours en cours de rénovation, était un édifice gigantesque, un dédale de couloirs pavés, d'arches, d'escaliers, d'alcôves, tissant une toile de pierre où se nichait l'araignée titanesque qu'était le palais du Radjah, Chaudhari Ram Singh, Puissant parmi les Puissants.
L'enceinte extérieure était colossale, ses murailles de briques cuites s'élevant parfois plus haut que les plus gigantesques arbres de la jungle, percées de balcons et de postes d'observation, de tourelles et de meurtrières. Le chemin de ronde qui ornait son faîte permettait de voir à des centaines de lieues.
Puis venaient les sentinelles.
Si le fort de Patala n'était pas connu pour disposer d'une grande armée, le moindre de ses soldats était maître dans les arts du combat. Et parmi ces guerriers, la garde rapprochée du souverain, dirigée par le capitaine Amarinder Singh, était un corps d'élite. Si tous s'accordaient pour dire que l'unité était composée des meilleurs, les sentinelles disposaient des soldats les plus disciplinés, les plus affûtés et, surtout, les plus vigilants pour garder la porte darshani, naguère défoncée par Rupang.
Le groupe se présenta à l'entrée.
Un officier aux larges épaules, l'allure fière, sortit de l'enceinte pour vérifier l'identité des arrivants. Il reconnut Athanaos, Zia et les deux enfants du village qu'il salua avec grand respect tandis qu'il dévisageait les cinq autres d'un œil moins amène. Gaspard lui rendit son regard s'en s'émouvoir. Comme il l'avait annoncé à Laguerra un peu plus tôt, il n'était pas venu pour se laisser impressionner.
Le capitaine Singh les invita à entrer, et tous s'engagèrent dans une cour intérieure baignée de soleil, décorée de quatre parterres comprenant chacun trois arbustes habilement taillés en topiaire.

64.PNG

Comme pour saluer leur arrivée, résonnèrent soudain narsîgâ, kurudutu et autres cors par les musiciens du palais.
À la suite de l'officier, ils gravirent les marches d'un grand escalier desservant les étages du premier bâtiment. L'édifice en lui-même était haut de quatre étages, à la façade en pierre de grès rose et au toit en terrasse. À chaque angle, une tour abritait les chambres d'hôtes. Chacune était rehaussée d'un chhatri, une structure en forme de pavillon ou de kiosque carré, elle-même coiffée d'un dôme en bulbe. C'était l'un des symboles de fierté, d'honneur et de commémoration dans l'architecture Indienne.
Tout en arpentant une série de couloirs aux colonnes arrondies, tout en franchissant les réguliers cordons de sécurité, tous les gardes s'inclinant devant leur supérieur, Gaspard ne put s'empêcher de comparer ce palais à celui de Barcelone.
Un serviteur vint à leur rencontre. Le capitaine Hindou lui murmura quelques mots. Le page hocha la tête et disparut, emportant avec lui le coffre des artefacts qu'il ferait porter dans la chambre d'Athanaos. Il revint quelques minutes plus tard et les conduisit vers une nouvelle série d'escaliers et de larges couloirs.
Le groupe finit par déboucher au troisième étage.
Le capitaine leur annonça que le Radjah n'allait pas tarder à les recevoir.
Confirmant ses dires, les portes s'ouvrirent, laissant échapper des notes de musique. Singh les invita à entrer. Laguerra prit une large inspiration et s'exécuta.
Les trois Français s'attendaient à trouver une espèce de salle du trône un rien guindée. Ils débouchèrent dans une pièce aux longs dais de brocart d'or aux reflets rouges, flanquée d'une grande terrasse qui surplombait la jungle environnante.
Ranis et brahmanes, parés de riches étoffes, gardes et serviteurs en tenue impeccables, la cour de Patala était réunie autour de son Radjah.
De son œil acéré, Gaspard ne tarda pas à englober son environnement. L'endroit était aussi vaste qu'une salle de bal. Les colonnes qui supportaient les voûtes étaient d’une légèreté telle que pour un peu on crierait au miracle. Dans un coin opposé au vide, il y avait une estrade sur laquelle jouaient six musiciens interprétant un dhamâr, une musique aux tonalités rythmées.
Derrière les piliers géants, séparées par des rideaux transparents, on avait disposé de grandes torchères, celles qui avaient résisté à la folie furieuse des soleils noirs.
Des serveurs allaient et venaient au milieu des participants, des plateaux à la main chargés de boissons.
Il était impossible de ne pas remarquer le Radjah. Même un aveugle eût ressenti sa présence incontestable maintenant qu'il avait recouvré ses facultés de discernement.
Occupé à discuter avec un groupe de seigneurs, il était nonchalamment assis sur son coussin royal.
S'avisant de l'arrivée des alchimistes, il laissa ses interlocuteurs et les rejoignit de son pas noble. Un sourire élargit le pli de ses lèvres. Il écarta largement ses bras en guise de bienvenue et déclara:
CRS: Athanaos, enfin! Mon cœur se réjouit de vous revoir.
:Athanaos: : Namaste, votre Éminence.
Le père d'Estéban joignit ses mains avec un sentiment de déférence. À ses côtés, le capitaine Gaspard ne pliait le genou devant personne. En guise de salut au monarque, il se contenta d'une sobre inclinaison du buste.
Son mouvement, jugé trop peu respectueux par les gens de la cour, provoqua un brouhaha. Le sourire de Chaudhari Ram Singh s'accentua, comme s'il s'était attendu à cette réaction et qu'il s'en amusait.
S'arrêtant à trois pas de l'étranger, le Radjah le détailla ouvertement des pieds à la tête avant de s'exclamer:
CRS: Ma foi, vous m'avez l'air aussi rude que la réputation des Espagnols le laissait présager. J'aime ça. J'aime qu'un homme ressemble à un homme, ferment de virilité. Quel est votre nom?
:Gaspard: : Gaspard. Capitaine Gaspard.
CRS: Bienvenue à vous, capitaine Gaspard...
José-Maria avait trop côtoyé la cour d'Espagne pour se laisser impressionner par celle-ci. Toutefois, même s'il n'en montra rien, le Radjah lui faisait une forte impression.
CRS: Señorita Laguerra, en voilà une agréable surprise!
:Laguerra: : Namaste, votre Excellence.
La jeune femme s'inclina bien plus profondément que son compatriote ne l'avait consenti.
Son retour provoquait à présent un bruissement de conversations. Ce genre d'accueil chaleureux de la part de l'ancien drogué ne pouvait qu'éveiller étonnement et curiosité, voire, pour certains, hostilité rentrée.
CRS: Je ne vous en veux pas pour ce qu'il s'est passé. Somme toute, vous n'avez fait que répondre aux exigences de ce vil serpent d'Ambrosius. Soyez la bienvenue à Patala!
:Laguerra: : Merci, votre Majesté.
D'un geste tout aussi impérieux qu'altier, il ordonna qu'on fasse le vide autour de lui. Il reprit d'un ton normal:
CRS: Vous n'avez rien à craindre de moi, señorita. Bien au contraire. J'ai annulé toutes les poursuites envers les magiciens. Je déplore seulement le comportement de votre maître. Je l'aurais fait punir pour avoir ainsi abusé de moi, si j'en avais eu l'occasion.
La bretteuse songea:
:Laguerra: : Je le châtierai moi-même, lorsque le moment se présentera...
CRS: Le passé est révolu, je l'affirme. Et j'escompte bien vous prouvez qu'il y a une place pour vous.
:Laguerra: : Vous me prenez de court, votre Majesté. Au risque de vous froisser, j'avoue que si je suis revenue, c'est uniquement pour aider Tao, le jeune garçon qui fut le prisonnier d'Ambrosius. Entrer à votre service ne fait pas partie de mes objectifs.
Le Radjah éclata d'un gros rire:
CRS: Ah, señorita Laguerra, si vous saviez comme la franchise est un nectar rare et rafraîchissant pour un souverain! Je ne puis vous faire de reproche en la matière. Considérez-vous en simple visite, si cela vous agrée. Ne voyez en moi qu'un hôte bienveillant et certes pas un maître potentiel.
Un page vint se ranger au côté de son souverain et lui tendit respectueusement une missive. Chaudhari en prit rapidement connaissance puis annonça à la cantonade:
CRS: Mais nous discuterons de tout cela plus tard. Je dois prendre congé, mon conseil me réclame. Je vous laisse vous installer à votre aise, nous nous verrons ce soir pour le dîner. Mes serviteurs vont vous conduire à vos chambres et veiller à votre confort. Une fois cette tâche accomplie, vous viendrez me voir, Gitanja.
Tout le monde s'inclina une nouvelle fois et le groupe quitta la salle sur les pas des domestiques.

Tandis que les hommes gagnaient l'étage supérieur, Isabella, Hortense et Zia furent conduites à travers une nouvelle enfilade de corridors et d'escaliers, jusqu'à rejoindre un autre bâtiment. Une fois l'Inca et la Française logées, le trajet continua pour l'aventurière. Il s'acheva sur un palier fermé d'une double porte en forme d'ogive.
Gitanja, l'intendante qui la guidait, l'ouvrit et s'effaça pour la laisser entrer.
Isabella pénétra dans une grande pièce aux murs de briques, qu'ornaient aux quatre coins, dans des niches, les blanches statues de quatre principales divinités, décentes et lascives, selon le goût du souverain. Percée de piliers, la suite s'ouvrait à droite sur une salle à manger capable d'accueillir une douzaine de convives, et dont la bretteuse songea qu'elle n'en aurait pas l'usage. À gauche, une bibliothèque aux rayonnages de palissandre au rouge soutenu.
Il n'y avait pas de cuisine. Les invités du Radjah ne devaient pas s'abaisser à préparer le moindre repas.
En face, derrière l'autre porte, Isabella y trouverait une chambre aussi spacieuse que cette pièce.
Gitanja: Est-ce que cela vous plaît, señorita?
L'aventurière ironisa:
:Laguerra: : Je pense que je pourrais m'en contenter.
Une seconde domestique, au corps souple enserré dans une tunique de soie ivoire, apparut devant les deux femmes. Elle arborait un visage fin au teint de pêche, un petit menton pointu, sa chevelure ramassée en un chignon de mèches châtain clair.
Impressionnée par son faciès sauvage et par le caractère intraitable que Laguerra s'était forgé ici, la fille n'osait croiser son regard. Le coin de ses lèvres, toutefois, s'était relevé en une mimique sensuelle.
Gitanja: Voici Inayat. Le Radjah l'a placée à votre disposition pour toute la durée de votre séjour. Elle veillera à vos moindres besoins... quels qu'ils soient.
L'ancienne espionne haussa un sourcil. Elle ne s'était pas attendue à ce genre de présent. La jeune femme qui venait d'entrer ressemblait bien plus à une moukère qu'à une suivante.
:Laguerra: : Merci, mais non merci...
Gitanja: J'ai souvenir que la señorita Laguerra apprécie le vin rouge. Tu veilleras à en informer l'échanson du Radjah, Inayat.
L'Inde n'était pas un territoire de tradition vinicole et les habitants n'étaient pas de grands consommateurs de vin au royaume du thé. Cependant, le développement de la culture de cépages domestiqués datait du XIVème siècle, lors de leur introduction par les Perses au nord du pays.
La servante acquiesça gravement:
Inayat: Je n'y manquerai pas.
Gitanja se retourna vers l'Européenne:
Gitanja: Vous trouverez de quoi vous changer dans votre chambre pour la soirée qui s'annonce. Inayat vous montrera. Le Radjah aime que les gens aient une apparence irréprochable... Ah, j'allais oublier...
L'intendante tira un pendentif de sa tenue et le donna à l'Espagnole. C'était un médaillon en platine, orné de trois animaux et représentant les armoiries du souverain de Patala.

65.PNG

Gitanja: Voilà qui vous servira de sauf-conduit si vous voulez circuler dans le palais. Certaines zones vous seront désormais interdites. Désolée pour ces restrictions, mais ce n'est pas moi qui donne les ordres.
:Laguerra: : Pas de souci. Je vais me contenter de descendre au laboratoire. Les trois alchimistes qui m'accompagnent sont impatients de s'y rendre... Si c'est encore possible, bien sûr.
Gitanja: Bien entendu. Je dois vous laisser. Le Radjah m'attend et ce n'est pas un homme patient. Je viendrai vous chercher à la tombée de la nuit.
Gitanja se dirigea vers la sortie, laissant Laguerra nez à nez avec Inayat.
Inayat: Si vous voulez bien me suivre, kumaaree*, il me reste à vous faire voir la seconde pièce.
Ses yeux brillaient d'un éclat velouté.
Sans attendre sa réponse, elle s'orienta vers le fond de la pièce en tournant la tête vers la brune. Elle ne semblait plus du tout effrayée par l'aventurière, qu'elle soupesait du regard. Puis, elle ouvrit la porte de la chambre.
Haute de plafond, même frise en plâtre sculpté à motifs alternés que sur tous les murs du palais. Fenêtres pourvues de jalis permettant aux invitées de regarder à l'extérieur sans être vues. Dans un angle de la pièce, un lit à baldaquin aux draps de soie rouge, posé sur une estrade, et qui semblait conçu pour recevoir au moins quatre personnes.
Inayat lui montra un cordon chamarré d'écarlate qui pendait à côté du lit. Il suffirait de le tirer pour la faire venir. Elle se rangea ensuite devant une armoire comprenant penderie, étagères et tiroirs, et remplie de robes, de tuniques, de chemises, de bottes et de bottines, de capes et de manteaux, ainsi que du linge de corps.
Inayat: Ce sont là toutes vos affaires, celles que vous aviez laissées lorsque vous êtes partie précipitamment.
La servante lui adressa une nouvelle œillade et ajouta:
Inayat: kumaaree veut-elle que je lui fasse couler un bain? Désire-t-elle un massage? Ou quelque chose de plus intime, peut-être? Comme l'a dit Gitanja, je suis à votre entier service.
:Laguerra: : Écoutez, Inayat. Je vais être claire, je préfère les hommes. Et j'attends le mien avec impatience. Seulement, j'ignore quand il arrivera. Cela peut-être ce soir, demain ou même plus tard.
Soulagée par ces propos, la servante s'excusa en murmurant:
Inayat: Pardonnez-moi, je ne cherchais pas à vous séduire, je voulais juste vous être agréable... D'ailleurs, moi aussi, je préfère les hommes...
:Laguerra: : À la bonne heure! Rassurez-vous, je ne suis pas offusquée. Vous pouvez disposer, Inayat. Comme je l'ai annoncé à Gitanja, je dois aller au laboratoire.
La servante s'en alla d'un pas dansant, nullement désappointée de ne pas avoir pu faire la preuve de ses talents particuliers.
Isabella poussa un soupir d'aise volontaire. L'hospitalité de Chaudhari Ram Singh avait du bon. Cependant, elle était un peu perdue, elle devait se l'avouer.
:Laguerra: : Et maintenant?
L'aventurière se demanda soudain ce qu'elle venait faire ici, bien consciente qu'elle s'était avant tout décidée sur un coup de tête, ne sachant pas comment réagirait Charles Quint, suite à l'échec de sa mission.
Après un séjour à Madrid, Tolède et Valladolid, ce dernier s'était fixé dans la capitale Catalane où se rassemblait sa flotte impériale. Gérant de la Chrétienté, sa mission essentielle était de combattre, de refouler l'Infidèle. Roi Catholique, il devait préserver l'Espagne des périls que présentait une Afrique du Nord soumise au Sultan. Ayant pour le moment les mains libres en Europe, sans demander conseil à personne, l'Empereur avait décidé d'affronter Soliman au comble de sa gloire et de lui arracher Tunis.

☼☼☼

L'escalier s'enfonçait dans les sous-sols du palais. Passant sous une arche de pierre, Laguerra, Athanaos, Gaspard et les trois Français débouchèrent dans une pièce sèche et propre, au sol dallé, éclairée de nombreuses lampes.
Aucun bruit. Aucun signe de présence. L'endroit était vide.
Vide... Pas tout à fait. À droite de l'entrée, parallèle aux murs, une série de meubles, armoires et tables de travail comprenant le matériel propre aux apothicaires, s'étalait. Au fond de la salle, plusieurs ouvrages s'entassaient dans une bibliothèque aux rayonnages en teck. Au centre, sous le luminarion, tout un arsenal alchimique trônait sur une table ronde. Des alambics, des cornées, des fioles, des bocaux de toutes tailles, des pots, des éprouvettes et des tubes à essai posés dans un râtelier. Sur la gauche, l'athanor, un appareil à combustion lente utilisé par les magiciens pour leurs décoctions, reposait dans son coin. À côté du fourneau aux cendres éteintes, une porte donnait directement sur la fabrique. Dans les profondeurs d'une antique cave creusée sous l'une des tours du fort, l'atelier s'échelonnait sur quatre niveaux.
Soutenue par de nombreux piliers, la grotte était immense. La maçonnerie était recouverte d'un épais rideau de lichens. Entre les briques, une mousse phosphorescente avait élu domicile, éclairant les lieux d'un éclat lugubre.
La fabrique était occupée. Au moins dix hommes, vêtus de longues robes crème serrées par un cordon rouge bordeaux et décorées du blason de l'Ordre du Sablier, plutôt jeunes, le teint clair, les cheveux châtains ou blonds, s'activaient. Personne ne parlait. Ils semblaient plongés dans un travail minutieux.
Isabella décida de rester dans le laboratoire. Les autres sur ses talons, Athanaos s'engagea sur la passerelle menant sur la plate-forme élévatoire.
Tandis que Gaspard posait le pied sur le sol de la cave tel un prince débarquant dans un palais conquis, l'aventurière tournait lentement dans la pièce, prenant le temps d'en réexaminer les apprêts. Elle se laissa peu à peu gagner par l'atmosphère apaisante qu'avait toujours recélée pour elle le sanctuaire des fondateurs de l'Ordre du Sablier. La jeune femme gagna le coin bibliothèque et s'intéressa aux rayonnages.
Était-ce parce qu'elle était trop détendue? Distraite par ses pensées? Quoi qu'il en fût, elle avait délaissé sa prudence habituelle et n'entendit rien venir, jusqu'à ce que...
:?: : Namaste, kumaaree Laguerra. Tu es de retour à Patala.
Cette voix. Isabella se figea puis se retourna.

66.PNG

:Laguerra: : Oh, non! N'importe qui mais pas lui!

À SUIVRE...

*
*Krodhee: Grincheux en Hindi.
*Nere: Terme Hindi utilisé comme une insulte aux Musulmans.
https://fr.other.wiki/wiki/List_of_ethnic_slurs
*Kumaaree: Mademoiselle en Hindi.
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
Avatar du membre
IsaGuerra
Maître Shaolin
Maître Shaolin
Messages : 1018
Enregistré le : 12 févr. 2017, 17:11
Localisation : Vosges
Âge : 24

Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par IsaGuerra »

C'était de la bouse de vache à demi liquide → Ce qui tombe « bien » c'est que j'avais l'odeur en vrai
La Belle et la Bête → Pauvre Gaspard ! C'est méchant ça (sauf si on prend en compte que la Bête devient un prince à la fin de l'histoire :lol: )
→ Tu comptes ridiculiser Hippolyte longtemps ? Parce que moi ça me fait rire mais j'ai tout de même un peu de peine pour lui
→ Le traitement d'Isabella au palais me tue je trouve ça un peu trop t ça serait étonnant qu'elle supporte ça longtemps

Un très bon chapitre et j'ai hâte de savoir qui est cet alchimiste qu'Isabella ne veut pas voir !
« On le fait parce qu'on sait le faire » Don Flack
« Ne te met pas en travers de ceux qui veulent t'aider » Sara Sidle

« J'ai de bonnes raisons de faire ce que je fais » Isabella Laguerra
Avatar du membre
Marcowinch
Maître Shaolin
Maître Shaolin
Messages : 1416
Enregistré le : 12 nov. 2018, 18:36
Localisation : A bord du Grand Condor
Âge : 50

Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par Marcowinch »

Un excellent chapitre ! Avec encore une fois des descriptions très détaillées du palais et réalistes ! :)
Je suis content qu'Indali ait remis Hyppolite à sa place ! Non, mais, quel tire au flanc ! :)
*** :Tao: :Zia: :Esteban: Ma fanfic MCO : La Huitième Cité :) :Esteban: :Zia: :Tao: ***
J'espère qu'elle vous plaira :D

:Esteban: Bah voyons, Pattala ! C'est pas dans ce coin-là que vit la jolie Indali ? :tongue:
Avatar du membre
TEEGER59
Grand Condor
Grand Condor
Messages : 4537
Enregistré le : 02 mai 2016, 14:53
Localisation : Valenciennes
Âge : 46
Contact :

Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par TEEGER59 »

Suite.

CHAPITRE 16: Aloysius.

Pendant que la bretteuse renouait avec son passé peu mémorable, le navigateur se projetait en rêve dans leur avenir commun.

Dans une des chambres du fort de Patala, Mendoza et Laguerra venaient de s'aimer. Étendus, épaule contre épaule et main dans la main, ils se délectaient du savoureux anéantissement des corps que la grande vague du plaisir venait de rejeter sur la grève pourpre des draps froissés. Mais ils ne dormaient pas. Ils n'en avaient envie ni l'un ni l'autre.
Se redressant sur un coude, le marin caressa du bout des doigts le beau visage aux yeux clos, posa un baiser sur la bouche charnue et passa une main tendre sur la peau bien tendue du ventre plat.
Il chuchota à l'oreille de sa compagne:

:Mendoza: : J'espère que tu me donneras bientôt un fils. Il est grand temps pour moi de m'établir et songer à fonder une famille avec mon élue. Ne crois-tu pas?
L'aventurière s'étira et bâilla puis, tournant la tête, colla ses lèvres à celles de son amant. Reprenant son souffle, elle émit un petit rire et fit:

:Laguerra: : Quel revirement de situation! Dire qu'il y a quelques jours, il fallait presque te supplier pour que tu me donnes un baiser! Pourquoi es-tu si pressé? Ne pouvons-nous songer simplement à nous aimer? J'ai bien le temps d'avoir mal au cœur!... N'avons-nous pas toute la vie devant nous?
:Mendoza: : Sans doute, mais avant de revenir en Espagne, j'aimerais savoir que, dans ce joli corps, une petite flamme s'est allumée. Quel homme épris ne souhaite se fondre avec la femme aimée pour donner le jour à un enfant. Et jamais femme ne fut aimée autant que je t'aime... Ma belle, il me serait si doux...
Les derniers mots se fondirent dans un baiser ardent que le capitaine prolongea le long du cou d'Isabella en même temps que sa main caressait doucement le creux de sa hanche.

:Laguerra: : Mendoza!

Allongé sur une banquette à l'arrière, le mercenaire émettait de faibles grognements de satisfaction.
:Tao: : Mendoza!
:Mendoza: : Mmm! Qu'est-ce qu'il y a, Tao?
:Tao: : Réveille-toi, on y est presque.
Au terme de la matinée, le naacal, l'Élu et l'Espagnol arrivaient au bout de leur périple. Le condor se posa près de la ziggourat d'Akkad et ils en descendirent.
À peine sorti des limbes de ce délicieux songe interrompu, le marin avançait au pas, histoire de se donner le temps d'étudier son environnement. De ce qu'il en voyait, l'endroit était désert. Des ruines et des ruines, à perte de vue...
:Tao: : Bien! Si on se réfère aux textes anciens, l’é-ulmaš, le temple d'Ishtar, doit se trouver dans le voisinage immédiat de la Montagne de la Lune...
:Esteban: : Mendoza, si tu vois quelque chose, préviens-nous.
:Mendoza: : Ah bon? Je me disais que j'allais le garder pour moi...
Un chemin s'ouvrit entre deux dunes. L'Espagnol et les deux garçons l'empruntèrent.
Une petite vallée allongée se découvrit sous leurs yeux. Indétectable de loin, elle s'étalait au milieu d'un contrefort de dunes, offrant son oasis à ceux qui sauraient l'atteindre.
Deux rangs de palmiers aux troncs courbés, une mare d'eau qui se révéla pure, les vestiges de la ville fondée par Sargon l'Ancien, sous forme de murets de pierre écroulés.
Ils firent halte auprès du point d'eau pour s'abreuver.
Depuis qu'il était descendu de l'oiseau d'or, Mendoza sentait une insistante pression lui enserrer le crâne. Pas assez puissante, toutefois, pour l'empêcher de se concentrer sur ce qui l'attendait.
Le trio se dirigea vers le fond de la vallée. Un bâtiment rectangulaire en pierre grise, intact, y était niché. Arrivant devant l'édifice, le mercenaire en examina l'entrée. Une lourde porte fermait l'endroit. Elle était verrouillée. Estéban sortit de sa tunique son médaillon du soleil et tendit celui de Zia à Tao. Chacun l'inséra dans la serrure. Les clés fonctionnaient. Évidemment.
Une fois la porte ouverte, quelques marches descendaient jusqu'à une seconde entrée qui découpait dans la façade un trou sombre.
La migraine du Catalan s'était intensifiée. Elle lui enserrait les tempes et pulsait à l'arrière de sa tête.
:Mendoza: : Nous allons emprunter cet escalier.
Les garçons se regardèrent. Aucun n'osait répondre et pourtant quelque chose les chiffonnait.
:Tao: : Euh... Mendoza... comment dire...
:Mendoza: : Quoi, Tao?
:Tao: : Euh... ah et puis, je n'y arrive pas... vas-y, Estéban!
:Esteban: : On se disait que ce serait mieux si tu laissais l'un de nous y aller en premier...
:Mendoza: : Ah bon? Et pourquoi donc, Estéban?
:Esteban: : Comme ça, s'il y a un piège, ce n'est pas sur toi que ça tombera.
Le naacal renchérit:
:Tao: : On ne tient pas à ce qu'il t'arrive malheur.
Le capitaine éclata de rire.
:Mendoza: : Je ne suis pas du genre à laisser des enfants aller au danger sans moi. Ma place est bien en avant. De plus, ne prenez pas cela pour une bravade, mais jusqu'à preuve du contraire, je suis mieux armé que vous. Alors désolé les garçons, mais je vais quand même passer en premier.
Le fils du soleil souffla:
:Esteban: : Sois prudent, alors...
:Mendoza: : Vous me prenez pour un amateur?
Cette démarche de leur part aurait pu l'énerver. Elle le touchait, au contraire. Lorsqu'il les avait rencontrés, il n'avait songé qu'à l'or. Dans le Nouveau-Monde, le mercenaire avait pensé richesse, gloire et fortune... Ces termes s'étaient délités au fil du temps passé en leur compagnie. C'étaient des mômes non seulement courageux mais également attachants. Et cela, il ne l'avait pas prévu.
Ils étaient "ses enfants" et devait les protéger. Car perdre l'un d'eux, quel qu'il soit, serait pour lui une terrible blessure. Il le savait et en avait déjà eu un avant-goût en croyant avoir perdu les Élus dans la cité sous-marine de Sûndagatt.
Le trio se tenait toujours devant l'escalier.
:Mendoza: : Qui a une lampe portative?
:Tao: : Tiens!
:Mendoza: : Merci, Tao... Bon, vous êtes prêts? J'y vais.
Ils pénétrèrent dans le couloir. Aucune fioriture pour agrémenter les lieux. L'air était plutôt humide et sentait la poussière. Ils descendirent encore quelques marches, situées sous le niveau du sol, pour finalement gagner une salle rectangulaire, d'environ une quinzaine de toises. À première vue, les pendentifs semblaient inutiles ici.
Les murs étaient décorés d'une frise complexe qu'on ne pouvait détailler d'un simple regard. L'atmosphère était fraîche.
Au centre de l'endroit reposait un coffre de pierre.
:Mendoza: : Je reconnais ce lieu! J'en ai rêvé...
Tout en surveillant les garçons du coin de l'œil, il leur avait ordonné de rester prudents, Mendoza avança.
La tombe était cernée par un grand fossé, le long duquel courait une rambarde en pierre. Un pont de la même matière, arqué, permettait d'accéder au pied du mausolée, un cercueil en granit, recouvert d'un lourd couvercle et surmonté à sa tête d'une grande stèle de pierre noire.
Juan-Carlos s'arrêta juste devant la plate-forme.
Les souvenirs affluèrent alors, comme si le voile qui obscurcissait sa mémoire se déchirait brutalement, emporté par une force supérieure, chassant en même temps la migraine qui le harcelait.
:Mendoza: : C'est ici que tout a débuté! C'est ici! Ici que j'ai trouvé la dague!
Le passé, la révélation furent comme un gifle brutale. Le mercenaire était déjà venu dans cet endroit précis. Il se souvenait enfin, après toutes ces années. Comme si le fait de revenir ici annulerait la malédiction qui asservissait sa mémoire et avait si longtemps corrompu ses souvenirs.
Surpris, l'Atlante lâcha:
:Esteban: : C'est ici que se trouve le vrai tombeau de Rana'Ori? Et moi qui pensait qu'il était à Kûmlar!
:Mendoza: : Je n'ai pas eu l'occasion de le voir, Estéban, mais je pense que la stèle se trouvant dans la quatrième cité était une maquette, une simple représentation du caveau de la princesse.
:Esteban: : Dans ce cas, pourquoi Ambrosius a-t-il pu s'emparer du double médaillon? Il aurait dû se trouver ici!
:Mendoza: : Parce que cet artefact vous était destiné, à Zia et à toi. S'il avait été placé dans cette tombe, n'importe quel pillard aurait pu s'en saisir.
:Esteban: : Mouais...
:Mendoza: : Restez ici, je vais aller voir ça de plus près.
Le capitaine se rapprocha prudemment du mausolée. Il savait exactement où il se trouvait et cet endroit avait une signification et une importance toutes particulières. Il était figé de stupeur. C'était donc cela que sa conscience jusqu'ici muselée tentait de lui hurler depuis son arrivée.
Dans ses oreilles, une voix tonna:
:?: : Vous n'avez jamais été aussi proche du but, Rédempteur.
:Mendoza: : Rédempteur?
Cette voix mystérieuse n'était pas celle de sa dague sombre.
Mendoza regarda autour de lui. Un inconnu, qui se trouvait derrière le tombeau, sortit de sa cachette et lui adressa un signe de tête.
:Mendoza: : Qui êtes-vous?
:?: : Je m'appelle...
:Esteban: : Ça alors! Si je m'attendais à vous voir ici!
L'Atlante et le Muen n'avaient pu se résoudre à attendre bien sagement comme le leur avait demandé le capitaine.

67.PNG

:Mendoza: : Tu connais cet homme, Estéban?
:Esteban: : Oui, il s'appelle Skagg.
:Mendoza: : Où l'as-tu rencontré?
:Esteban: : C'est le...
D'un geste quasiment imperceptible, le sage de Sûndagatt effaça temporairement la mémoire des deux garçons. Celle de Tao puisque ce dernier l'avait vu à Orunigi en tant que lumino-projection, et celle d'Estéban parce qu'il l'avait côtoyé en chair et en os à Agartha. Le marin connaissait bien sûr l'existence des naacals de la princesse Rana'Ori. Seulement, il ne les avait jamais rencontrés et il ignorait jusqu'à leurs noms. Les Élus n'avaient rien révélé à leur sujet.
Le fils du soleil se prit la tête entre les mains et tira sur ses cheveux.
:Esteban: : ... le... Ah... tout est si flou... je ne sais plus...
:Mendoza: : Ça ne fait rien, Estéban. Si tu as un trou de mémoire, cet homme peut certainement répondre à cette question pour toi.
Skagg: Hélas, je ne puis vous le dire.
:Mendoza: : Et pourquoi donc?
Skagg: Parce que, j'ai oublié, moi aussi.
:Mendoza: : Très bien, messire Skagg. Puisque Estéban semble vous connaître, je me présente: je m'appelle Mendoza. Et voici Tao. Maintenant, puis-je savoir pourquoi vous m'appelez Rédempteur et ce que faites-vous là?
Skagg: Sur le vaste échiquier du monde, vous êtes le Rédempteur, le cavalier blanc qui doit éradiquer la menace que représente l'Apostat, le fou adverse. Quant à ma présence: c'est ma maîtresse... elle m'a envoyé ici. Elle veut m'éprouver, elle apprécie ce genre d'épreuves.
:Mendoza: : Quelle est cette maîtresse?
Skagg: Ah, ah, que voilà une fort bonne question! Me tortureriez-vous que je ne saurais vous répondre pour autant.
:Mendoza: : Je n'ai aucune intention de vous violenter, Skagg.
Skagg: C'est un soulagement! Merci...
:Mendoza: : Avez-vous faim ou soif?
Skagg: Auriez-vous du yangtao? Non, j'imagine que non. Alors, un peu d'eau me conviendrait bien.
Le bretteur lui tendit sa gourde, elle était quasi pleine.
Skagg: Merci bien... Je constate que vous êtes armé. En revanche, votre dague noire dissimulée dans votre botte me gêne. Vous feriez mieux de vous en débarrasser, messire Mendoza.
Le mercenaire le prit par le bras pour l'entraîner à l'écart, avant de reprendre:
:Mendoza: : Que savez-vous de ma dague?
L'homme était bien le premier à ne pas subir l'effet du sortilège de camouflage de l'arme étrange, à saisir que sa Dagua de la Muerte n'avait rien d'une lame normale.
Skagg: Votre Dagua de la Muerte? Ah, il y aurait beaucoup à en dire, voyez-vous. C'est que le destin qui est le vôtre échappe à toutes les règles.
Le Catalan secoua la tête.
:Mendoza: : Je ne comprends rien à ce que vous racontez.
Tout en arborant un petit sourire triste, Skagg dit:
Skagg: Le plus malheureux, messire Mendoza, c'est que moi non plus, je ne comprends pas. Il en est ainsi et je n'y peux rien. Il semble que Maître Destin ait fait de nous ses jouets.
Le navigateur secoua une nouvelle fois la tête. Plus l'homme parlait et plus la situation semblait confuse. Et pourtant il s'exprimait sans aucune mauvaise foi, il le sentait.
:Mendoza: : Laissons le destin de côté. Dites-moi plutôt ce que vous faites ici...
Skagg: Hum, après tout l'affaire est simple, du moins lorsque je me souviens... Après avoir rencontré ce jeune homme, j'ai changé de vie, j'ai voyagé de pays en pays. Je ne suis d'ailleurs plus celui que tu as connu Estéban, mais vous pouvez continuer à m'appeler Skagg. Ce sera plus simple... Où en étais-je? Ah oui, je voyageais, oublieux du passé, du présent et du futur. Je voguais sur l'échelle du Temps, sans pour autant ressentir ses effets. J'étais la plume dans le vent, la feuille dans le torrent, une infime étoile dans le ciel de Dame Nuit... J'étais fétu de vie, parcelle d'énergie, chatoiement de conscience... J'étais une non-existence...
Les garçons l'écoutaient la bouche grande ouverte. Mendoza interrompit son prêchi-prêcha:
:Mendoza: : Skagg...
Skagg: Oui, messire?
:Mendoza: : Vous me flanquez la migraine! Pourriez-vous vous exprimer de manière intelligible?
Skagg: Je vais tâcher... Bien. Oui. Donc. Voilà. Euh... Je voyageais jusqu'au moment où je suis revenu dans le cours de la réalité. Projeté ici même. Désorienté, tel le nourrisson jaillissant de la matrice, sans parentèle pour l'accueillir. J'incarnais le Pèlerin, de nouveau, abreuvé du cours de l'existence, de ses circonvolutions sauvages...
Le capitaine se frotta les tempes, tout en grimaçant. Il donna une bourrade sur l'épaule de l'homme-mystère:
:Mendoza: : Faites simple, Skagg, sinon je vous casse la tête.
D'une mine désolée, l'autre énonça:
Skagg: Navré.
Il pointa l'index, le rabaissa. Il ôta son couvre-chef, se gratta le haut du crâne et reprit:
Skagg: J'ai erré quelques jours ici, tel un enfant perdu, un somnambule égaré dans le monde...
Mendoza le coupa encore une fois:
:Mendoza: : Faites un effort, Skagg.
Le sage leva une nouvelle fois son doigt vers le plafond et resta ainsi, plusieurs minutes, silencieux. Avant de reprendre:
Skagg: J'ai erré ici afin de vous rencontrer.
:Mendoza: : Me rencontrer? Et pourquoi?
Skagg: Parce que le Destin a décidé de nous confronter, parce que je vous suis lié, d'une manière que je ne comprends pas. Mais suffit. J'en ai trop dit, déjà. N'insistez pas, messire, je vous en conjure.
Et l'étrange individu se mura dans un silence boudeur. Puis quelques minutes plus tard, il reprit d'un ton plus léger:
Skagg: Vous êtes sûr que vous n'avez pas de yangtao?
Mendoza retourna voir les enfants.
:Mendoza: : Dites-moi les garçons, vous en pensez quoi?
Estéban lâcha:
:Esteban: : Il est fou à lier, totalement dément.
:Tao: : Pour ma part, je pense qu'il est simplement différent. Quoi, qu'est-ce que j'ai dit?

Quelques minutes plus tard, Juan avança, franchissant lentement le pont de pierre tout en surveillant Skagg du coin de l'œil. Ce dernier marchait tranquillement, tout en se parlant à lui-même. Il restait dans son coin et ne montrait aucune envie de se lier avec les garçons mais ne semblait pas hostile pour autant. Pour l'Élu, l'étrange bonhomme se révélait moins amusant que la première fois où ils s'étaient rencontrés, mais plus bizarre encore.
:Esteban: : Mais où était-ce, bon sang!
De son côté, sans savoir pourquoi, le capitaine l'aimait bien. Il ne parvenait pas à s'offusquer du manque de clarté de ses réponses.
Était-il véritablement dément? Comment ne pas y songer? Parler tout seul pouvait être un signe de dérangement. Également celui d'une grande solitude, ce qui n'était d'ailleurs pas incompatible. L'épéiste ne savait que penser.
Il cessa de songer à l'homme-mystère en arrivant devant la stèle.
Une rainure avait été pratiquée sur le dessus du couvercle. Sa forme évoquait celle d'une dague bien précise. Cette dague, l'arme étrange qu'il détenait depuis des années, Mendoza la posa dans l'encoche.
Car c'est bien ici qu'il avait trouvé la Dagua de la Muerte, des années auparavant. C'est ici que leur relation si particulière avait débuté. Lorsqu'il l'avait vu pour la première fois, l'arme reposait sur le cercueil. Une voix avait suggéré, avec une séduisante insistance, à l'Espagnol de s'en saisir. Ce dernier, attiré par l'éclat de pouvoir que recelait la lame, s'était exécuté. Une fois l'arme étrange en main, l'esprit chaviré par des forces qui le dépassaient, il avait fui, sans demander son reste, sans se soucier de savoir où étaient passés ses compagnons.
Mais tout cela était le passé. Mendoza était un homme pragmatique, il préférait se concentrer sur le présent. Il ne s'attendait pourtant pas à ce qui allait se produire.
Un enclenchement résonna dans la salle et le couvercle glissa sur le côté. La tombe était ouverte. Le capitaine récupéra sa lame avant de se pencher au-dessus de l'ouverture, pensant y trouver des ossements. Il n'y en avait pas. Le cercueil était vide.
Non, pas tout à fait. Un léger éclat de lumière pourpre attira son regard, tout au fond du tombeau, le même type de lumière qui parcourait la dague sombre de temps à autre. Le bretteur allongea le bras et, de sa grande main, saisit l'objet.
C'était un médaillon, formé d'un cercle de platine incrusté de saphirs, imbriqué dans un triangle, lui-même imbriqué dans un carré. Le tout décoré de minuscules lignes incarnates stylisées.
Mendoza tenait la dague sombre dans sa senestre, l'artefact dans sa dextre. Il lui sembla que la Dagua de la Muerte poussait un soupir empreint de soulagement.
La stèle qui surmontait le haut du tombeau s'alluma d'un feu magique. Comme avec le bouclier miroir, des symboles Muens apparurent sur la pierre, comme tracés par une main intangible. Ils étaient écrits dans un style très ancien mais restaient compréhensibles pour un initié.
:Mendoza: : Tao, tu peux venir me déchiffrer ça, s'il te plaît.
:Tao: : Voyons voir...

Les Ancêtres pleurent.
L'espoir est tombé. Abattue, emmurée, elle n'est plus.
Son destin volé, par les mains de l'Apostat.
Lorsque l'Oubli régnera.
Lorsque la traîtrise l'aura emportée.
Alors la rencontre aura lieu.
Et le Rédempteur s'éveillera.
L'apatride, le héraut de vengeance.
Instrument du courroux de celle qui n'est plus.
Son souffle sera justice, et ses mains, la mort.
Il avancera, le Sang-Né de l'Empire.
Avec l'arme qui n'en est pas une.
Il avancera, l'Homme vaillant.
L'Ange gardien des Élus.
Ni la peur, ni les hordes sauvages ne pourront l'arrêter.
Les mignons de l'Apostat tomberont à son contact.
Touchés par l'auréole d'une pleine fureur.
Le Rédempteur sera le vent et la tempête.
Il sera l'arme du châtiment.
Il brisera la lignée des seigneurs félons.
Châtiera le Honni.
Dans son ultime devoir.
Il percera le cœur du trône impie.
Alors la dépossédée renaîtra.
L'esprit, l'âme et le corps enfin réunis.
Libre de recouvrer son héritage.


Une fois sa lecture achevée, Tao se tourna vers ses compagnons. Estéban pesta:
:Esteban: : Qu'est-ce que c'est encore que ce charabia?
Ayant mémorisé le texte, Mendoza poussa un long soupir. Lui aussi détestait les prophéties.
:Mendoza: : Et vous, Skagg? Qu'en pensez-vous?
Ce dernier ne répondit pas. Et pour cause, il avait disparu.
Pendant que le naacal des Élus lisait à haute voix, l'étrange personnage avait levé ses mains au-dessus de sa tête et s'était mis à tourner sur lui-même, effectuant des rotations toujours plus rapides. Une lueur avait ourlé sa silhouette, passant par toutes les couleurs du spectre d'un arc-en-ciel. Devenu tourbillon de lumière, Skagg s'était évaporé, happé par sa magie.
Haussant les épaules, le capitaine, s'adressant à sa dague, demanda:
:Mendoza: : Tu as un conseil?
Une voix que seul le mercenaire pouvait entendre lui répondit:
🗡: Pouvoir, puissance, enfin. Médaillon. Emporte.
:Mendoza: : Et ce texte alors, il signifie quoi?
🗡: Détails. Médaillon. Emporte.
:Mendoza: : Bon, j'emmène le pendentif, d'accord. Et pour faire quoi?
🗡: Amène le médaillon. Trône d'orichalque. Chef-Ordre Sablier.
:Mendoza: : C'est tout? Rien que ça? Aller voir celui qui représente probablement mon pire ennemi... Me rendre devant celui qui ne rêve que de me tuer pour lui montrer cette babiole?
🗡:: Oui.
:Mendoza: : Encore faut-il trouver son repaire... Et quand on l'aura débusqué, il va me recevoir cordialement, l'alchimiste?
🗡: Non.
:Mendoza: : Oui, je me disais aussi... Ce serait un peu trop simple. Et avec toi, rien ne l'est jamais puisque tu n'expliques rien.
Les garçons se regardèrent.
:Esteban: : Euh... Mendoza? À qui tu parles?
:Tao: : Oui, c'est vrai, ça! Tu agis de façon étrange depuis que Laguerra et toi...
Le capitaine agita sa main devant lui pour les faire taire. Il réfléchit quelques instants avant d'ajouter:
:Mendoza: : Écoute, ce que tu veux représente un sacré défi. Ce genre d'expédition, ça se prépare. Alors je vais d'abord retourner auprès de Laguerra et après, je vais songer à notre entreprise, ça te va?
🗡: Oui. Vite!
:Mendoza: : Merci! J'adore la richesse de ton vocabulaire, non, vraiment!
Mendoza passa le médaillon autour de son cou et le rentra sous la tunique. Ils ressortirent du bâtiment en ruines et, après avoir vérifié qu'aucun danger ne les guettait, ils retournèrent au condor. Moins ils passeraient de temps sur ce site, mieux ce serait.
En arrivant à proximité de la machine, le capitaine s'arrêta, se mit face au sud et nota la position du soleil.
:Mendoza: : Mmm!
:Esteban: : Qu'est-ce que tu fais, Mendoza?
:Mendoza: : Je détermine l'heure qu'il est.
:Esteban: : Et?
:Mendoza: : Et il est presque treize heures! Dépêchons-nous si nous voulons rejoindre Patala dans les temps!
:Esteban: : Ça va! Le trajet n'est pas si long que ça! Nous mettrons à peine trois heures...
:Mendoza: : Oui, seulement tu oublies une chose, mon garçon. C'est qu'au palais du Radjah, il est déjà quinze heures trente. Cela ne nous laisse qu'une très courte marge de manœuvre. Alors, ne traînons pas!
:Tao: : Ouais! Dis plutôt que tu es pressé de retrouver Laguerra!
:Mendoza: : Parce que toi, tu n'es pas impatient de revoir Indali, peut-être?
:Tao: : Touché!
:Mendoza: : Allez, en route!
En montant dans l'appareil, Moustique eut une pensée pour Ambrosius. Cet immonde individu n'avait toujours pas payé ses traîtrises mais cela viendra tôt ou tard. Il était une menace pour l'Humanité et les dieux anciens savaient que l'Ange gardien allait, d'une façon ou d'une autre, bientôt y remédier.

Le trajet vers Patala s'effectua sans problème. Mendoza se sentait partagé. Il avait toujours ses projets à réaliser, l'officiel, s'installer en Inde avec Isabella et aider Tao à fonder son Ordre, et l'officieux, retourner en Espagne et acheter ce domaine près de Barcelone... Il y avait également la dague sombre, la prophétie à laquelle il ne comprenait goutte, le désir de la lame de le voir se confronter à Ambrosius... Il y avait là matière à réflexion. En tout cas, pour le moment, comme il l'avait annoncé, il donnerait priorité au vœux d'Isabella et de Tao. Investir le repaire de l'alchimiste ne pourrait se faire sans préparation.
Après le départ du trio, trois lignes s'étaient inscrites dans la stèle, en dessous des autres, marquant la véritable fin du nébuleux écrit prophétique:

Une vie pour une vie.
L'Homme vaillant tombera.
Injuste normalité, l'Équilibre préservé.


☼☼☼

Alors que le condor filait vers l'est, Laguerra observait l'homme qui se tenait devant elle.
L'onyx rencontra le jade.
Adoptant la même posture que l'alchimiste, un frisson lui chatouilla la base de la nuque.

68.PNG

Son cœur s'était calmé, mais ses émotions se bousculaient. Elle serra la main sur le pommeau de sa rapière.
Entre les bras de Mendoza, elle était presque parvenue à l'oublier, ce céladon. L'écho de sa voix avait disparu. Le souvenir de ses baisers s'était évaporé. L'amour qu'elle avait eu pour lui...
Isabella ne trouva pas la fin de cette pensée. Son pouce effleura les motifs gravé sur la garde de son arme.
C'était bien lui.
Son ancien soupirant.
Aloysius Hadjana Pudjaatmaka, dit Hadji.
Ici.
Il était plus petit et plus mince que le capitaine. Plus farouche aussi. Le moustachu avait les traits olivâtres, bien dessinés, surmontés d'une tignasse noire huilée, légèrement ondulée. Il portait lui aussi la cucule le l'Ordre du Sablier. En dessous, accrochée à sa taille, une ceinture comprenant dague et rapière, armes inséparables à l'aube du Grand Siècle et de plus en plus en vogue dans les colonies Portugaises.
Mais le moment n'était pas à la profusion de sentiments dus aux retrouvailles. L'aventurière contempla le pli amer qui s'affichait sur le visage fermé de l'Hindou. Il lui lança sèchement:
Hadji: Qu'est-ce que tu fais là?
:Laguerra: : Voilà bien une réplique inspirée...
Mais elle n'avait pas le temps de lui faire un roman. Ses compagnons pouvaient remonter d'une minute à l'autre et elle n'avait pas envie de s'épancher sur ses projets. Il verra bien lorsque Tao sera de retour. D'un ton plutôt inamical, elle répliqua tout aussi durement:
:Laguerra: : Ça se voit, non? Je passe en revue les ouvrages!
Hadji soupira, levant les mains en signe d'apaisement.
Hadji: Je suis désolé...
Il fit quelques pas en direction de l'armoire. Celle où, il n'y a pas encore si longtemps, Ambrosius y cachait ses trésors de campagne. Il la referma.
Tout en surveillant ses moindres gestes, la jeune femme lui demanda:
:Laguerra: : Où est Helvétius? En bas?
Avec une pointe d'ironie, il répondit:
Hadji: Non, parti! ... Comme toi, il s'est volatilisé. Mais pas par la voie des airs, lui...
:Laguerra: : Tu fais dans l'humour, maintenant? Des choses ont changé depuis que j'ai quitté ta vie...
Hadji: Par conséquence, j'ai pris du galon.
:Laguerra: : Eh bien, je t'annonce que c'est la fin de ta régence! Athanaos est revenu pour reprendre les rênes puisqu'il est l'un des membres fondateurs de l'Ordre.
Hadji: Ça, nous verrons bien lorsque nous organiserons un chapitre, ma belle...
À cette appellation douce, la jeune femme tiqua.
:Laguerra: : Comment ose-t-il?
Tandis qu'il s'approchait, elle eut un éclat de rire bref:
:Laguerra: : Désolée, mais tu as perdu le droit de m'appeler comme ça lorsque je t'ai surpris à en embrasser une autre!
Déjà son corps était sur la défensive, la jambe droite légèrement en arrière, en appui, prête à bondir.
:Laguerra: : Comment ai-je pu le trouver séduisant? Au fond, il n'est qu'un freluquet, une caricature d'homme, totalement indigne de mon intérêt. Il n'a fait que me décevoir.
Hadji: Toujours aussi féline... Du calme, Isabella. Tes yeux ressemblent à un ciel d'orage dans lequel il est facile de se perdre... et je ne souhaite rien d'autre que de te plaire.
:Laguerra: : Me plaire? Est-ce pour me plaire que tu te délectais dans les bras d'une autre? Tu n'es qu'un minable, Aloysius, et je m'en veux de ne pas m'en être aperçu plus tôt!
Il éclata de rire, ce qui lui permit de montrer largement ses dents. Il en était très fier et à cause de cela il riait souvent. Puis, il lui rappela les faits:
Hadji: Lors de l'incendie du fort, tu es partie sans m'avoir laissé la possibilité de t'expliquer.
:Laguerra: : M'expliquer quoi? Que c'est une coutume chez vous que d'entretenir un harem! Eh bien pas chez nous!
Hadji: Oui, la bigamie n'existe pas chez les catholiques. Tout le monde sait que se sont des saints...
L'affrontement des regards se poursuivit.
:Laguerra: : C'est un reproche que tu me fais?
Hadji: Je ne te juges pas, Isabella. Qui serais-je pour le faire? Mais j'aimerai comprendre. Ce n'était qu'un baiser... Le jour où tu seras décidée à discuter, peut-être que...
La phrase resta en suspens.

69.PNG

Tous deux s'étaient tournés vers la porte de la fabrique, qui venait de s'ouvrir pour laisser passer Gaspard. Il cherchait visiblement Laguerra. Il l'aperçut enfin avec... un alchimiste.
:Gaspard: : C'est qui, celui-là?
D'un pas décidé, l'officier se dirigea vers eux en affichant un sourire de circonstance, pas du tout aimable quand il l'adressa à l'inconnu.
:Gaspard: : Un problème, señorita?
Les petites billes noires et profondes de Gaspard scrutèrent la profondeur des yeux de l'aventurière. Le barbu n'était pas un idiot, il était plutôt perspicace et son intérêt était sincère. Elle lui répondit d'un petit sourire et d'un signe de tête, lui signifiant clairement de ne pas s'en faire.
Hadji: Je vois que tu n'es pas venue seule! Quel est ce robuste personnage? Un Espagnol, si je ne me trompe?
L'interpellé s'exclama:
:Gaspard: : Un Espagnol, oui, et pas n'importe lequel!
D'un geste qui englobait les deux hommes, l'aventurière fit les présentations:
:Laguerra: : Aloysius Hadjana Pudjaatmaka, alchimiste, voici José-Maria Gaspard, capitaine d'armée du roi d'Espagne, un ami.
Hadji: Ami ou amant? Non, je ne pense pas! Il l'a appelée señorita.
Le Brahmane lui jeta un regard hautain mais, pour faire bonne figure, le salua:
Hadji: Ravi de vous rencontrer, mahoday Gaspard! L'ami d'Isabella ne peut être que le mien... Cependant, j'ai des affaires à discuter avec elle, alors si vous voulez bien...
La bretteuse répliqua:
:Laguerra: : Il est là pour veiller sur moi et je n'ai rien à lui cacher. Il reste.
Le Pandit* fronça les sourcils:
Hadji: Ce n'est pas à toi de décider qui reste ou non en ma présence, Isabella.
Cette dernière afficha son mécontentement en arborant la même mimique:
:Laguerra: : Au contraire, si la discussion me concerne.
Les deux alchimistes se fixèrent, chacun décidé à camper sur ses positions.
Ses grosses mains levées en signe de conciliation, le barbu intervint:
:Gaspard: : Hé, ho! Inutile de vous disputer pour moi, vous deux. Écoutez, les parlottes sérieuses, c'est pas trop mon truc. Et puis, quoi que la señorita en pense, j'ai faim... J'ai soif, surtout! Et j'entends la fête, là-haut. Alors sauf si je commets un crime de lèse-majesté-machin vis-à-vis du Radjah, je préfère autant aller me caler les gencives et me rincer le gosier avec une bonne cervoise plutôt que vous regarder et compter les points.
Gaspard avait parlé avec un naturel confondant. En quelques mots simples, il avait su étouffer dans l'œuf la tension naissante et la querelle à suivre.
Et puis, il ne laissait pas vraiment l'aventurière seule avec l'enturbanné puisque les autres suivaient.
Athanaos apparut le premier. Il caressait son début de barbe d'un air songeur:
:Athanaos: : J'espère que les alchimistes encore présents accepteront d'être dirigés par Tao... Il serait peut-être plus sage que je reprenne les rênes en attendant... Enfin, nous verrons...
À la droite du père d'Estéban se tenait Synésius. Le gros bonhomme, presque chauve, passait le plus clair de son temps à s'essuyer le front avec un mouchoir de soie brodé depuis qu'il était arrivé dans ce pays.
Un peu en retrait, Hippolyte et Hortense discutaient à voix basse.
Les trois Français portaient toujours la longue chasuble, symbole de leur rôle de savant.
Synésius sortit une fois de plus son petit mouchoir, déjà imbibé de transpiration, et s'en épongea le front avec insistance, n'ayant pour résultat que de faire ruisseler un long filet de sueur le long de sa joue. Dans un soupir de protestation, il s'écria:
Synésius: Quelle chaleur étouffante! Ces maudites tuniques sont tellement inconfortables! Nous devrions en faire tailler d'autres dans un tissu plus léger. Ou alors, nous devrions faire passer un vote pour nous dispenser de les porter par des chaleurs pareilles. Qu'en pensez-vous, mon très cher Athanaos?
Ce dernier ne répondit rien. En revanche, Pudjaatmaka, qui avait entendu la tirade du gros alchimiste, ne se gêna point pour le cingler d'une gifle verbale bien tournée:
Hadji: Seriez-vous fatigué du pouvoir qu'elles représentent? Est-ce un poids trop lourd à porter pour vous, cher confrère?
Le ton était sec et cloua le bec joufflu de Synésius.
Laguerra se tourna vers l'Hindou qu'elle foudroya du regard.
:Laguerra: : Décidément! Tu as toujours l'art et la manière de t'attirer la sympathie des gens, Hadji!
Elle allait lui dire sa façon de penser. Mais au moment où elle allait ouvrir la bouche, elle fut interrompue par le père d'Estéban:
:Athanaos: : Mon bon Synésius, vous n'êtes pas sans savoir que l'économie de l'Ordre est au plus mal. Nos caisses sont vides! Qui plus est, ce n'est pas à moi qu'il faut demander ceci mais à Tao...
Il mit fin au dialogue en appuyant ses paroles d'un geste de la main.
:Athanaos: : La discussion est close. Maintenant, si vous n'êtes pas trop fatigué, j'aimerai vous emmenez voir le Temple Mémoire. Nous allons emprunter des chevaux frais au Radjah pour aller plus vite...
Hortense battait des mains:
Hortense: Avec joie!
Hippolyte offrit son bras à la rousse, qui le prit bien volontiers. Suivant Synésius, ils empruntèrent l'escalier menant à l'étage, nullement dérangés par les rumeurs qui les disaient tous deux amants, même si ce n'était absolument pas le cas. La duettiste leur emboîta le pas.
Hadji: Isabella!
:Laguerra: : Nous n'avons plus rien à nous dire, Aloysius.
Pudjaatmaka voulut la suivre, mais Athanaos s'était interposé devant lui. Connaissant les liens qui les unissaient auparavant, il fit:
:Athanaos: : Laisse-la tranquille! Elle ne t'aime plus.
Obéissant à une impulsion, il ajouta:
:Athanaos: : Tu es vraiment l'homme le plus inconstant qui soit au monde!
L'autre devint rouge de colère:
Hadji: La faveur dont t'honore le Radjah ne te donne pas le droit de m'insulter, Athanaos.
:Athanaos: : T'ai-je insulté en énonçant une simple vérité? Tu en as aimé une autre... Prends garde que le destin ne te frappe, un jour, et que tu voies tes amis se détourner de toi!
De pourpre qu'il était, l'Hindou, sous le regard scintillant du prophète voyageur, devint blême:
Hadji: Que veux-tu dire? Es-tu sorcier? As-tu le pouvoir de lire dans l'avenir?
:Athanaos: : Peut-être... mais c'est sans importance. Toi aussi tu es sans importance. Vis ta vie douillette, Hadji, tu n'es pas fait pour autre chose!
Avec un sourire sardonique, il conclut:
:Athanaos: : De toute façon, elle a trouvé beaucoup mieux.
Et tournant les talons, le père d'Estéban rejoignit ses compagnons.

☼☼☼

Ignorant que Mendoza, Estéban et Tao -accompagnés de Gunjan qui était retourné au village- arrivaient à Patala, Isabella et les alchimistes approchaient du temple Kandariya Mahadeva, perdu en pleine jungle.

70.PNG

Le soleil n'avait pas encore entamé son coucher, mais sa défaite quotidienne, auréolée d'un dégradé à dominante d'orangé, n'allait pas tarder.
Tout en chantonnant la gigue préférée de ses lieutenants, le capitaine marchait d'un bon pas.
:Mendoza: : Je vais enfin la voir!
Cheminant à côté du naacal, le fils du soleil lui donna un coup de coude et fit:
:Esteban: : Mendoza à l'air pressé, on dirait!
Sans se retourner, l'intéressé dit:
:Mendoza: : Vous allez arrêter de me chambrer avec ça! Vous n'êtes pas dans le même état que moi, peut-être?
:Esteban: : Mais qu'est-ce qui t'arrive? Tu t'es cogné la tête en descendant du condor ou quoi? Depuis que je te connais, c'est bien la première fois que je t'entends chanter! Tu as une belle voix, en plus, sale cachottier!
Le marin riposta d'un grand sourire.
Quelques foulées plus tard, ils se présentèrent devant les doubles portes en bois fermant la cour intérieure. Ils franchirent sans encombre l'enceinte d'un pas altier, escortés de gardes et d'alchimistes, revenant d'on ne sait où...

71.PNG

Tenaillé par l'impatience, l'homme à la cape bleue cherchait sa compagne du regard parmi les gens qui déambulaient dans la première cour, mais ne la vit pas. En revanche, en levant les yeux, les garçons tombèrent immédiatement sur celles qui faisaient battre leur cœur.
Indali et Zia se tenaient accoudées au parapet à merlons surmontant le premier niveau du bâtiment situé devant l'entrée.
Leurs cheveux de jais encadrant librement leurs épaules, telles deux princesses inaccessibles, ce qu'elles étaient dans un certain sens, les deux jeunes filles se retournèrent lorsque les garçons scandèrent leurs noms.
Avec un cri de joie, la petite sorcière s'exclama à son tour:
:Zia: : Estéban! Tao! Mendoza!
Indali: Ne bougez pas, nous arrivons.
Pendant que les filles descendaient, goguenard, Juan annonça:
:Mendoza: : Les garçons, un conseil, si vous ne voulez pas les effrayer, rentrez vos langues pendantes!
Moins de deux minutes plus tard, l'inca franchit la porte pour surgir à l'extérieur, suivie de l'Hindoue. Cette dernière tomba dans les bras de Tao qui s'était vivement approché pour la recevoir. D'abord surpris d'une telle démonstration d'affection, il la serra, heureux de la revoir enfin, oublieux de tout le reste. Comme elle lui avait manqué! Et c'était réciproque. La tête contre l'épaule du jeune savant, Indali s'exclama:
Indali: Tao! Par Kâma, comme le temps m'a semblé long sans toi...
Estéban et Zia restèrent également ainsi sans rien dire, profitant de la simple présence de l'autre, retrouvailles, tendresse pour tendresse, abandon partagé, trésor béni...
Les quatre jeunes gens s'étreignirent au seuil de la porte, soupirant d'aise, sans paraître s'apercevoir que Mendoza, pour une fois, se sentait un peu comme la cinquième roue du carrosse.
Le petit volatile vert vint se poser sur l'épaule de son maître, mettant fin à ces tendres instants.
:Pichu: : Tao...
:Tao: : Salut mon Pichu.
Ensuite, le naacal entreprit de narrer aux filles ce que Mendoza, Estéban et lui-même avaient vécu à Akkad avant de revenir en Inde.
Lorsque Tao était lancé, il était aussi difficile de l'arrêter que de retenir le flot tumultueux d'un torrent. Mais la jeune Hindoue l'écoutait avec ravissement. Pour sa part, Mendoza guettait le court silence qui lui permettrai de demander où était l'aventurière. Essoufflé par sa tirade, le Muen fit une pause. Le marin en profita:
:Mendoza: : Zia! Tu as une idée où se trouve Isabella?
:Zia: : Il me semble qu'elle est partie avec les alchimistes au Temple Mémoire.
:Mendoza: : Raaah!
Le capitaine poussa ce cri intérieur en serrant les poings.
:Mendoza: : Quelle tête de mûle. Je lui avait portant bien demandé de nous attendre au village!
Les pensées du mercenaire furent interrompues par la voix d'Estéban, qui s'apprêtait à suivre les trois autres à l'intérieur du bâtiment.
:Esteban: : Mendoza, ne t'inquiète pas, elle finira par revenir...
Le sourcil haussé, le marin rétorqua:
:Mendoza: : Ai-je l'air inquiet?
:Esteban: : Euh, non... Je voulais dire... enfin... je ne voulais pas... Bref, tu viens avec nous ou tu restes ici pour surveiller l'entrée?
:Mendoza: : Je vais l'attendre ici. Et en parlant de surveiller, faites attention à vos mains baladeuses!
L'Atlante prit congé en s'esclaffant. Le mercenaire sourit en le voyant s'éloigner.

On ne laissa pas à l'Espagnol le loisir de patienter dans la cour. Il fut reçu avec autant d'empressement que d'amabilité. Un jeune page devant avoir l'âge de Gunjan, en livrée ocre et or, au maintien impeccable, vint le chercher. Il le mena au troisième étage, lui fit longer un couloir, tout aussi richement décoré que le reste du bâtiment, pour s'arrêter devant une double porte au bois laqué. Quelques minutes plus tard, il remontait une autre coursive de la mardana* vers ses appartements.
Le jeune garçon ouvrit la porte et s'effaça pour laisser entrer le capitaine.
;) : Votre intendante va arriver. Bon séjour à Patala, mahoday.
Le temps que l'employée en question ne se montre, Juan entama le tour du propriétaire.
Sa suite était à l'image du fort: de l'espace, une décoration irréprochable, un mobilier onéreux. Rien de plus remarquable, rien de moins.
Le capitaine n'allait pas cracher sur ces conditions de vie mais il n'en ferait pas une habitude pour autant. De toute manière, il se savait préférer, et de beaucoup, la simplicité de la vie au grand air à la sophistication d'un palais.
On toqua à l'entrée.
Une jeune femme se présenta devant lui. De taille moyenne, elle avait un visage en forme de cœur, marqué de hautes pommettes, d'une bouche généreuse. Ses longs cheveux de ce brun qualifié de châtain, avec des reflets auburn foncés, légèrement ondulés, étaient attachés en une natte qui tombait entre ses épaules.
Ses grands yeux à l'émeraude profond ne laissaient transparaître aucune émotion.
Une femme assurément belle, capable sans même en être consciente d'attirer l'œil, d'embraser les sens.
S'il n'y avait pas eu l'aventurière, le capitaine aurait pu succomber aux charmes de cette petite perle d'Asie. Elle le dévisagea attentivement puis, lui souriant enfin, elle finit par dire:
:D : Je me nomme Riya.
Galamment, le mercenaire fit de même:
:Mendoza: : Capitaine Juan-Carlos Mendoza.
La jeune femme jugea:
Riya: Un nom fier, aux sonorités Espagnoles. Je suis à votre entière disposition, mahoday Mendoza. Ya-t-il quelque chose qui vous ferai plaisir? Une collation, peut-être? Le dîner ne sera servi que dans deux heures.
:Mendoza: : J'ai droit à quoi?
La servante pouffa:
Riya: Voyons, mahoday, vous êtes dans le palais du Radjah. Vous pouvez demander ce que vous voulez.
:Mendoza: : Fort bien. Alors ce sera un verre de yangtao.
Riya plissa des yeux:
Riya: Vous n'êtes pas du genre à boire du jus de kiwi.
:Mendoza: : C'est vrai, je voulais juste savoir si vos cuisiniers étaient capables de m'en trouver...
L'intendante gloussa.
:Mendoza: : Je ne désire rien, merci... Ah, si! Juste une chose: un renseignement. Une jeune femme étrangère s'est présentée au fort hier, n'est-ce pas?
Riya: Non, deux. Une rousse et une brune. Et c'était aujourd'hui, en début d'après-midi.
:Mendoza: : Bien! J'aimerai savoir où se trouve la chambre de la brune.
Riya: Au zenana, mahoday.
:Mendoza: : Ah! Et vous pouvez me conduire jusqu'à ce zenana?
Riya: Je pourrai, oui... Si vous n'étiez pas un homme, mahoday Mendoza.
:Mendoza: : Comment ça?
Riya: C'est le quartier réservé aux femmes et aux enfants. Les hommes n'y ont pas accès. À moins d'avoir un sauf-conduit signé du Radjah. Vous la verrez ce soir, au souper.
:Mendoza: : Pas accès, hein! C'est ce qu'on va voir...
Riya: En parlant de sauf-conduit, tenez.
Il eut droit au même laissez-passer que ses compagnons.
:Mendoza: : Dans ce cas, je vais me contenter de profiter de ma suite en attendant ce soir...
Juste avant de sortir, Riya tourna la tête pour croiser les yeux du mercenaire. Elle maintint ce contact deux bonnes secondes avant de disparaître.
Si Mendoza fut électrisé par ce regard qu'il ressentait comme un appel, toutefois, il ne s'y attarda pas.
Une fois sa servante sortie, le capitaine attendit dix minutes. Muni de son passe, il quitta sa chambre afin de rejoindre subrepticement celle de sa compagne.
:Mendoza: : Ce ne sera pas aussi facile que de s'introduire à bord de la nef, mais je trouverai un moyen.
Il avait tout relégué au second plan pour ne se concentrer que sur une chose: Isabella.
Cependant, son instinct lui dictait soudain que cette entreprise pourrait se révéler une gageure. Mais c'était plus fort que lui. Il voulait la revoir au plus vite, avant la réception de ce soir. Il devrait éviter de se montrer s'il voulait passer un petit moment rien qu'avec elle.
Mendoza ne partait pas à l'aveugle. Il avait étudié le plan du fort au village mais n'espérait pas mieux le connaitre que l'aventurière.
De tous les palais du fort, celui du Radjah était le plus impressionnant. Dominant les autres telle une cathédrale, plusieurs volées d'escaliers montaient vers son parvis. Un flux d'allées et venues permanentes l'animait, les fêtes les plus fastueuses étant données presque tous les soirs.
De l'immense hall à la moindre coursive de chaque étage, l'on croisait courtisans, nobles, musiciens, amuseurs, serviteurs proposant toutes sortes de choses pour ravir les sens.
Quelques gardes, triés sur le volet et vêtus de leurs plus beaux atours, donnaient le change, mais la sécurité du palais était assurée par bien plus que quelques lances.
C'était la demeure du Puissant de Patala, le Radjah Singh, le monarque incontesté, intelligent, humain, soucieux du bien-être de ses sujets. Tout ici dépendait de sa volonté, lui obéissait, se pliait à ses moindres désirs.
Et des désirs, le souverain en avait beaucoup. Depuis la mort de sa femme, il était resté célibataire, au grand dam des ranis de la cour. Cour qui était revenue, petit à petit, après la fuite de l'alchimiste fou. Mais ses appétits charnels étaient bien connus. Singh était un bon vivant, il appréciait les bons vins et la bonne chère... tout comme la bonne chair.
Outre le fait d'organiser les réceptions les plus extravagantes et des chasses au tigre, le Radjah n'aimait qu'une chose: ses enfants. Il avait six fils, de feu son épouse Fateh.
L'aîné se nommait Dunna, le rana de Patala. Si le Radjah était le maître incontesté du royaume, il était tout autant indéniable que le prince dirigeait les affaires, la politique, l'économie, bref tout ce qui relevait de l'exercice du pouvoir.
Son père lui laissait une liberté totale, mais il ne pouvait cacher son amour immodéré pour ses cinq frères.
D'une beauté inégalée, à l'image de leur mère, les héritiers Singh avaient toujours été l'incarnation même de la vie sociale du fort. Frivoles, indisciplinés, tels étaient Subha, Ala, Bakha, Budha et Ludha.

S'élevant volontiers au-dessus de la contingence des lois du palais, Mendoza descendit les étages, déambulait dans les couloirs sans attirer la moindre attention. Après tout, allées et venues étaient incessantes, et nul visiteur n'était censé avoir l'audace de s'aventurer dans les ailes qui n'étaient pas réservées à l'étalage de débauche et de plaisirs.
Mais ce n'étaient pas les tables débordantes de mets raffinés et d'alcool qui intéressaient l'homme à la cape bleue. Il aurait pu attirer l'attention par ce simple désintérêt du festin ainsi offert, mais d'instinct il savait se dérober à un regard curieux ou à un garde vigilant.
Il longea le mur, de son pas fier et conquérant, comme si sa présence était toute naturelle en ces lieux. Il prenait soin de ne regarder personne dans les yeux et restait braqué sur son objectif. Le mercenaire dépassa une série d'alcôves, certaines occupées par des couples échangeant soupirs et secrets, puis attendit que le regard d'une sentinelle soit attiré par un décolleté bien rempli pour se faufiler par une petite porte menant à la seconde cour.
En la traversant, il vit que les travaux de rénovation du bâtiment central étaient activement menés. Les hommes du village déblayaient les gravats sans discontinuer.
Tout au fond, ayant dépasser les quatre fontaines, Mendoza atteignit le zenana, construit sur une forêt de piliers. À l'intérieur, il y avait une multitude de couloirs obscurs, de cours exiguës, d'escaliers dérobés, de petites salles. Ce lieu était un enchantement et l'œil du marin ne cessa de s'y émerveiller des jeux des formes et des couleurs, des lambris dorés, des céramiques lustrées à touche de rouge, des délicates peintures, des marbres et des vitraux à vergettes de plâtre aux teintes vives.
Peuplé de centaines de femmes belles et voluptueuses, comme si ici on ne vieillissait pas, elles étaient occupées uniquement à jouer de la musique, à plaire au maître, à manger des pâtisseries et sur lesquelles veillait une armée d'eunuques. Qui y avait pénétré était destiné à y vivre. Les musiciens y donnaient leurs concerts les yeux bandés. Quand des hommes y étaient appelés pour quelque raison, les castrats prenaient soin d'enfermer les dames. Quand les ouvriers et les décorateurs y travaillaient, on condamnait une partie du palais.
Mendoza quitta le bâtiment commun du rez-de-chaussée et monta l'escalier afin de rejoindre le premier.
:Mendoza: : Attendons ma belle ici. Il est impensable qu'elle dorme dans un dortoir. Si on lui a octroyé une chambre, elle ne peut passer que par ici...
Le mercenaire agissait toujours d'instinct, et celui-ci ne l'avait jamais trompé.
Deux minutes plus tard, il entendit un bruit. Celui de la porte d'entrée qui s'ouvrait. Dressant l'oreille, il perçut également un martèlement de bottes. Mendoza ressentit un léger frisson.
:Mendoza: : Ce n'est pas elle.
Le son sec et régulier trahissait une certaine maîtrise des arts du combat. À la différence entre les coups de talons, il reconnut trois hommes. Il n'y avait aucun endroit pour se cacher et le groupe allait inévitablement lui tomber dessus, or, il n'avait rien à faire en ces lieux.
Sans perdre une seconde, il s'approcha d'une fenêtre et, imitant Estéban lors de sa première visite, grimpa sur l'étroite corniche et se dissimula entre deux arcs géminés.
Le premier à émerger du couloir était un homme de grande taille, à la silhouette façonnée par le combat, aux muscles puissants et à la démarche assurée. Portant un uniforme saumon foncé, parfaitement ajusté, il dégageait cette aura propre aux guerriers sûrs d'eux-mêmes et sans vantardise. Un tulwar battait son flanc droit et deux jhangheer, des bracelets de cheville, complétaient sa vêture. Ses yeux d'un noir profond étaient mis en valeur par ses cheveux de même couleur, et sa grosse moustache parfaitement entretenue.
Amarinder Singh, capitaine de la garde, semblait irrité, le regard sombre et les lèvres barrées d'un pli sévère.

72.PNG

Derrière lui venaient deux hommes, vêtus de la même tenue, mais un peu plus pâle. Le premier entretenait une barbichette. Il ne contrastait pas trop avec le second qui arborait un bouc bien taillé. Le turban de ce dernier tombait souvent devant ses yeux, laissant à peine apparaître deux billes noires qui observaient le capitaine fixement.
Comme s'il sentait le regard posé sur lui, Amarinder s'arrêta et regarda son sous-fifre. Le groupe se figea, l'autre homme restant silencieux, sentant la tension qui régnait entre son chef et son collègue.
Singh: Tu as quelque chose à dire, Sandeep?
Celui-ci fit une petite moue, hésitant un instant.
Sandeep: Vous prenez tout cela trop à cœur, capitaine! Vous en faites une affaire personnelle, mais ça ne vous concerne en rien. La faute revient au Radjah! S'il n'était pas toujours occupé à festoyer, il ferait un peu plus attention à ce qui se passe sous sous nez...
Singh: Trop à cœur? Sandeep, je te rappelle que je suis le capitaine de la garde, l'élite des forces de Patala dont vous faites partie. Toi, mais toi aussi Pradeep.
Il désigna l'homme à la barbichette en plantant un gros doigt calleux sur sa poitrine. D'un ton un peu désinvolte, celui-ci demanda:
Pradeep: Et alors?
Singh se passa la main sur le front et secoua la tête.
Singh: Et alors? Alors, il s'avère que la fuite d'Ambrosius, suivie de celle d'Helvétius, était une excellente chose. Et voilà que Laguerra repointe le bout de son nez, accompagnée de trois nouveaux magiciens. Ça pèse un peu sur ma conscience!
Sandeep leva la main en signe de désaccord.
Sandeep: Ce n'est ni votre faute ni la nôtre si le Radjah invite n'importe qui! Il a même accueilli cette gamine étrangère qui avait attaqué le fort avec son étrange machine volante!
Le capitaine fulmina et à répondit à son subordonné en criant presque.
Singh: Je vous interdis de dire une chose pareille! Cette gamine, c'est différent. Elle était là pour délivrer Athanaos!
Il prit une longue respiration pour tenter de se calmer.
Singh: Et c'est elle qui a concocté l'antidote qui a délivré le Radjah de son addiction. Si elle était une petite intrigante, vous croyez vraiment que Son Excellence l'aurait laissé entrer? Non. Il en va de même pour le capitaine Mendoza et les deux gamins. Alors concentrez-vous plutôt sur les alchimistes.
Pradeep rétorqua:
Pradeep: Capitaine, vous n'avez pas entendu le Radjah? Il a été très clair: aucun garde ne doit les importuner.
Amarinder répondit lentement:
Singh: Peut-être. Mais j'ai un mauvais pressentiment. La sécurité de la famille Singh nous incombe, et je ne vais pas rester les bras croisés. Sandeep, tu vas aller traîner du coté du laboratoire. Quant à toi, Pradeep, tu gardes un œil sur les nouveaux. Je veux un rapport quotidien sur leurs activités. Compris?
Les deux gardes hochèrent la tête à l'unisson. Le capitaine reprit sa marche le long du couloir, plongé dans ses pensées, soucieux.
L'homme à la barbichette lui emboîta le pas, échangeant un regard résolu avec son collègue barbu. Celui-ci allait les suivre, mais il stoppa net.
Son regard avait été attiré par un piédestal sur sa droite. La colonnette de marbre veiné de rose supportait le poids d'une statue de bronze représentant Shiva Nataraja, le roi des danseurs aux quatre bras.
La lumière mourante du jour, provenant des fenêtres, projetait l'ombre de la sculpture sur le mur d'en face, dans une caricature ridicule du dieu dansant. Sandeep était certain que cette ombre avait bougé.
Il l'observa, cherchant à percevoir ce qu'il avait cru discerner du coin de sa vision périphérique. Ses sens affûtés étaient en éveil. Il sentit un léger frisson le parcourir, et un peu de sueur couler le long de sa nuque. Son instinct s'était réveillé, mais il ne comprenait pas pourquoi car il n'y avait rien.
Le garde entendit Pradeep l'appeler, sa voix lui parvenant comme étouffée par sa concentration. Puis il finit par secouer la tête. Décidément, le palais du Radjah était perturbant.
Le trio disparut à l'angle d'un couloir.
Dès qu'ils l'eurent quitté, Mendoza put enfin bouger à sa guise. Un instant de plus et il aurait été irrémédiablement repéré. Ce garde avait fait preuve d'une incroyable acuité en percevant sa présence. Il n'osait pas penser à la réaction de son homologue s'il l'avait découvert. Le capitaine Singh, qui ne portait visiblement pas Laguerra dans son cœur, l'aurait sans doute mis aux arrêts, qu'il l'apprécie ou non.
:Mendoza: : J'aurai peut-être du écouter Riya...
C'est la pensée qu'il eut en avançant sur la corniche.
Le mercenaire fit prudemment le tour du bâtiment et enjamba la balustrade d'un balcon. Passant la tête par la fenêtre, il vérifia l'intérieur. Pas le moindre bruit. Aucune lanterne ni bougie vacillante. Il se glissa dans la pièce, tous les sens en éveil.
Les grands drapés recouvrant le mobilier témoignaient du peu d'utilité de cette dernière. Discret comme un chat, le capitaine traversa la chambre sans même déranger un grain de poussière. La porte n'était pas fermée, et s'ouvrit sans bruit. Il sortit de la pièce après avoir vérifié que personne ne trainait dans les parages. L'obscurité envahissait le couloir. Ses yeux s'y accoutumèrent d'eux-mêmes. Mendoza parcourut l'endroit facilement. L'aile des invitées était pratiquement vide.
Rapidement, il rejoignit l'escalier et attendit.

☼☼☼

Revenant du Temple Mémoire, Isabella entendit que tous aient quitté les écuries pour sortir à son tour. Une fois dans le hall, elle croisa sa servante attitrée. Inayat avait passé le plus clair de son temps à nettoyer sa suite. Avisant l'aventurière, elle s'approcha à grands pas.
Inayat: Kamarree Laguerra! Souhaitez-vous que je vous prépare un bain?
:Laguerra: : Bien sûr! Après avoir passé une partie de la journée à chevaucher, je crois que la question ne se pose même pas!
Inayat: Ce n'est pas certain. J'ai entendu dire qu'en Europe, il y a des gens qui n'aiment pas se baigner.
:Laguerra: : Mais moi, j'aime me laver. Si c'est possible, je prends un bain chaque jour.
Inayat renifla d'un air méfiant:
Inayat: Ce n'est pas un peu beaucoup? Un bain tous les jours, ça doit user la peau?
:Laguerra: : Regardez mes épaules. Vous voyez bien que non.
Ne trouvant rien à dire, l'intendante l'observa avec curiosité. Elle la salua d'un signe de tête puis s'éloigna rapidement.
La duelliste resta dix bonnes minutes dans la cour afin que sa servante puisse préparer l'étuve. Ensuite, elle monta l'escalier menant à la salle d'eau. Un bon bain, un bon repas, un bon lit... voilà tout ce qui occupait ses pensées. Ou presque. Elle aurait bien partagé l'un des trois avec Mendoza. Ou même les trois, d'ailleurs.

Au premier étage du Zenana, un long couloir desservait les appartements. Mendoza s'était faufilé derrière un pilier, à l'abri des regards. Assis en tailleur sur le sol, il l'attendait. Il se leva au moment où l'aventurière arriva à sa hauteur. Elle s'arrêta, plongeant son regard dans les yeux d'acier du navigateur. Elle sourit, la joie de le revoir supplantant la surprise de le trouver ici.
D'un ton badin, il demanda:
:Mendoza: : Je dérange, peut-être? Je sais que je ne devrais pas me...
Il n'eut pas le temps de poursuivre. Isabella réduisit rapidement l'écart qui les séparait, le claquement des ses bottes résonnant contre la pierre. Elle se jeta sur lui, le plaquant contre le mur et l'embrassa. Un baiser fougueux, passionné, sans aucune tendresse. La bretteuse enfouit voracement sa langue dans la bouche de Juan, comme pour le dévorer.
:Laguerra: : Oui, tu n'as rien à faire là, mais moi, je ne suis pas Indienne. Je n'ai pas à observer les coutumes du Purdah.
Elle agrippa le visage du mercenaire entre ses mains, lui mordit la lèvre supérieure, et l'embrassa de nouveau goulûment. Quel homme résisterait? Pas le marin, en tout cas. Se dégageant de la cloison, il saisit la jeune femme par la taille et imprima plus de force à son propre baiser. Leurs langues se provoquèrent, dansèrent, luttèrent, pour éveiller une passion brûlante. La virilité du capitaine devint palpable. La sentant se presser contre son ventre, Isabella se sentit vibrer de désir.

73.PNG

Elle se recula tout en lui saisissant la main, posa un doigt sur ses lèvres et lui souffla à l'oreille:
:Laguerra: : Pas un mot.
Puis, elle lui mordilla le lobe avant de le tirer par la main, l'entraînant dans le couloir. Laguerra ouvrit la porte de la salle d'eau. Ils entrèrent tous les deux, la verrouillant derrière eux. Le cabinet de toilette leur appartenait pour l'occasion.
Entre baisers avides et caresses impatientes, ils ôtèrent leurs vêtements poussiéreux. Les corps, pressés de se retrouver, se cherchaient au moindre mouvement.

☼☼☼

Tandis que Mendoza se délectait de sa brune, Gaspard allait enfin savourer une blonde. Il l'avait bien mérité après ces deux jours sans boire une goutte d'alcool. Le récipient se remplit doucement du liquide désiré dont la fraîcheur embuait les parois. Ce son inimitable de mousse onctueuse, peu à peu dévoilée, cette teinte d'or chaud, chatoyant légèrement dans la lumière, il y avait là pour Gaspard la réalisation d'une œuvre d'art, d'un rêve de plusieurs heures qui se concrétisait enfin. Il en salivait. José-Maria l'empoigna et contempla le breuvage qu'il salua d'un grand sourire.
Fraîche à souhait, nimbée d'une douce et attirante buée, sa couleur de miel pâle, sa couronne de mousse onctueuse... elle était tout simplement parfaite.
Il la reposa, presque ému, le temps de prendre une inspiration. Puis il goûta à son nectar.
La bière coula dans sa gorge. Promesse enfin tenue, paradis atteint, elle coula en dévoilant sa fraîcheur, son fruité troublant, ses petites bulles qui éclataient sous le palais de l'officier, mutines, exquises, sa légère amertume, suave, subtile, toutes ces sensations emplissaient l'horizon gustatif de l'Espagnol.
Soupir de plaisir, plaisir de vie, vie délectable.
Il essuya sa bouche d'un revers de main et étouffa un rot satisfait.

☼☼☼

Leur désir assouvi, les deux amants laissèrent les derniers frissons de plaisir les quitter en partageant un long baiser, plus tendre cette fois. Dans la large vasque d'eau fumante qui les accueillait, la sueur et la poussière accumulées furent nettoyées, disparaissant en même temps que le stress et la tension. Adossée contre le poitrail du capitaine, la jeune femme ferma les yeux en se laissant griser par ses caresses. Les grandes mains de l'épéiste frôlaient doucement son corps, tandis qu'il embrassait sa nuque, mordillait son cou. Isabella gémissait, se tordait, bien réveillée en dépit de ses paupières closes. Elle ronronnait comme une chatte sous ce déferlement de douceur. Et soudain, elle glissa davantage dans l'eau, ses mains agrippées à la cuve de bois tandis que celles de Juan cheminaient vers son intimité. Laguerra put bientôt constater que les doigts inquisiteurs de Mendoza faisaient preuve d'une hardiesse qui lui enflammait tout le bassin. Le jeune corps d'ivoire se tendit comme un arc, haletant comme une bête assoiffée puis s'affaissa dans un cri et se tordit en un long spasme. Narquois, le navigateur la regardait avec la mine gourmande d'un loup s'apprêtant à dévorer une brebis, passant par instant le bout de sa langue sur ses lèvres. L'estomac de l'aventurière le calma en émettant un long gargouillis.
Tous deux éclatèrent de rire.
Juan déclara:
:Mendoza: : Mais moi aussi je meurs de faim!
Il se pencha vers elle. Sa bouche descendit jusqu'à son cou pour effleurer sa peau de baisers. Les yeux mi-clos, l'espionne se redressa.
:Laguerra: : Plus tard...
Il se pencha une nouvelle fois sur elle afin de lui murmurer quelque chose à l'oreille, puis se mit à la mordiller.
:Laguerra: : Juan! Nous allons être en retard!
Avec un soin maniaque, la brune se savonna plusieurs fois, avant de laver le corps de son homme. Elle affichait son regard taquin. Il n'en fallut pas plus pour réveiller l'ardeur du mercenaire.
:Laguerra: : Je t'ai dit pas maintenant...
:Mendoza: : Alors arrête de m'enflammer les sens.

74.PNG

:Laguerra: : À présent, laisse-moi seule un moment, s'il te plaît. Ma chambre est au bout du couloir, attends-moi là-bas. Ensuite, nous nous rendrons à la réception...
La voix de la duettiste était tendre. Son compagnon sourit, compatissant. Il sortit du baquet et se sécha. Lavé, shampouiné, muscles saillants et regard malicieux, il avait recouvré la totalité de son charisme. Il ne lui manquait plus qu'une chose: ses vêtements. Il constata leur état.
:Mendoza: : Waouh! Quelle infection!
Il choisit de s'enrouler dans une foutah*, prit ses affaires sous le bras et sortit le plus discrètement possible.
Isabella resta encore un peu dans l'eau, vida une fiole d'onguent sur ses cheveux, et les rinça longuement.
L'instant qu'elle venait de vivre lui faisait l'effet d'un bain de jouvence. Mendoza était un amant comme chaque femme rêve d'en rencontrer et ses caresses avaient lavé son corps de toutes les concupiscences et de toutes les douleurs qu'il avait dû supporter. Et la bretteuse ne s'interrogea même pas sur les sentiments qu'il pouvait lui inspirer: elle était bien avec lui et, pour l'instant, c'était tout ce qui comptait. Néanmoins, ce fut avec une sorte de colère qu'elle repoussa l'unique pensée qui la gênât: cette pièce était tout de même celle où Hadji avait fait d'elle une femme.
À cette ombre qui revenait inopportunément s'imposer à son souvenir, elle cria mentalement:
:Laguerra: : C'est ta faute! Si tu ne m'avais pas bafouée, jamais je ne serai tombée sour le charme de Juan! C'est toi qui as fait s'installer entre nous l'irréparable.
Isabella finit par s'apaiser. C'est enfin propre et revigorée qu'elle sortit à son tour. Elle croisa son reflet dans un miroir embué.
:Laguerra: : Pas mal...
Elle constata, elle aussi, l'état de sa parure. Pantalon, chemise, corset, bottes... tout était sale et crotté. Elle retroussa les narines.
:Laguerra: : Pouah! Sans parler de l'odeur!
À l'instar du capitaine, elle enveloppa le tout dans un grand drap de bain, et approcha de la porte. En l'ouvrant, elle découvrit Inayat qui attendait derrière, un panier de linge à la main.
Dans un rire contenu, Laguerra s'exclama:
:Laguerra: : Inayat? Mais... Ce n'est pas possible, vous êtes une magicienne!
Avec un flegme désarmant, la domestique Hindoue répondit:
Inayat: Je suis à votre service, kumaaree Laguerra.
Cette dernière déposa ses affaires sales dans le panier en haussant les épaules, riant pour elle-même.
Inayat: Oh, kumaaree, si je puis me permettre.
:Laguerra: : Oui?
Inayat: Vous êtes nue, kumaaree.
Isabella baissa les yeux pour le constater, et regarda l'Indienne en souriant.
:Laguerra: : Finement observé, Inayat. Merci. Autre chose?
Avec un clin d'œil complice, son interlocutrice fit:
Inayat: Votre tenue pour la soirée vous attend dans votre chambre... ainsi que mahoday Mendoza...
:Laguerra: : Euh... Bien. Merci, Inayat.
Inayat: Ne vous inquiétez pas, ce sera notre secret...
:Laguerra: : Si vous pouviez lui trouver quelque chose pour se vêtir. Le pauvre n'a rien à se mettre sur le dos.
Inayat: Je vais voir ce que je peux faire.
Et l'aventurière referma la porte lentement. La domestique gloussa, puis s'éloigna, son panier à linge sous le bras.

À suivre...

*
*Pandit: Savant chez les Brahmanes.
*Mardara: Appartements extérieurs d'un palais pour les hommes.
*Foutah: Étoffe servant originairement à désigner une sorte de serviette, apportée d'Inde.
Modifié en dernier par TEEGER59 le 23 nov. 2023, 14:37, modifié 8 fois.
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
Avatar du membre
Marcowinch
Maître Shaolin
Maître Shaolin
Messages : 1416
Enregistré le : 12 nov. 2018, 18:36
Localisation : A bord du Grand Condor
Âge : 50

Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par Marcowinch »

Un excellent chapitre, qui enflamme les sens et l'imagination ! :D
Une ambiance orientale très bien rendue, haute en couleurs. On s'y croit ! Ah, les mystères (et les charmes) de l'orient ! ;)
*** :Tao: :Zia: :Esteban: Ma fanfic MCO : La Huitième Cité :) :Esteban: :Zia: :Tao: ***
J'espère qu'elle vous plaira :D

:Esteban: Bah voyons, Pattala ! C'est pas dans ce coin-là que vit la jolie Indali ? :tongue:
Avatar du membre
IsaGuerra
Maître Shaolin
Maître Shaolin
Messages : 1018
Enregistré le : 12 févr. 2017, 17:11
Localisation : Vosges
Âge : 24

Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par IsaGuerra »

→ Bon on a déjà une projection de ce que moi j'ai envie : J'ai lu « le marié » à la place de « le marin »
→ Le retour de Skagg ! Ça promets ! :x-):
:Tao: : Ouais! Dis plutôt que tu es pressé de retrouver Laguerra!
:Mendoza: : Parce que toi, tu n'es pas impatient de revoir Indali, peut-être?
:Tao: : Touché!
→ V'lan dans les dents :lol:
la première fois que je t'entends chanter → Bah c'est malin maintenant j'essaie d'imaginer sa voix chantée

Super chapitre, on avance on avance une prophétie qui va mal finir et je suis très heureuse d'avoir retrouver,pour un cours instant, Skagg et ses discours bizarre à en filer la migraine :x-):

Petite faute sur la fin Inayat
« On le fait parce qu'on sait le faire » Don Flack
« Ne te met pas en travers de ceux qui veulent t'aider » Sara Sidle

« J'ai de bonnes raisons de faire ce que je fais » Isabella Laguerra
Avatar du membre
TEEGER59
Grand Condor
Grand Condor
Messages : 4537
Enregistré le : 02 mai 2016, 14:53
Localisation : Valenciennes
Âge : 46
Contact :

Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par TEEGER59 »

Suite.

CHAPITRE 17: Une sacrée soirée.

Laguerra venait de rejoindre le lieu où se déroulait la soirée.
Elle avait revêtu pour l'occasion un sari mauve qui mettait en valeur ses cheveux de jais et faisait d'autant plus ressortir le noir de ses iris.

75.PNG

En traversant le toit-terrasse éclairé par de nombreux braseros, l'effet produit par la fille du docteur fut immédiat. Sur son passage, les regards qui, il n'y a pas si longtemps, semblaient la juger, l'accabler, convergèrent pour l'admirer. Des murmures naquirent, certains avaient du mal à reconnaître la frêle bretteuse qui s'était enfuie avec Barbe rouge. Isabella restait au fond d'elle un animal asocial, mais savait comment gérer l'effet qu'elle produisait. Bien droite, fière sans être hautaine, elle adressa des signes de tête et des saluts aux gardes qu'elle connaissait. Arrivée au centre du toit, la jeune femme avisa la présence de Tao, d'Estéban et de son amant sur l'un des chemins de ronde. Son visage s'éclaira en les rejoignant.
Feignant de pas avoir vu le capitaine auparavant, elle s'exclama:
:Laguerra: : Les garçons! Señor Mendoza! C'est avec une joie non dissimulée, vive et sincère que je vous retrouve céans. Je me vois tout aussi soulagée qu'heureuse de vous constater en bonne forme. L'inquiétude était vive concernant votre sort.
Sur le même ton compassé, le mercenaire répliqua:
:Mendoza: : Señorita Laguerra, le plaisir est partagé, soyez-en persuadée. Et comme vous pouvez le constater, nous nous portons au mieux.
Le naacal grogna:
:Tao: : Gna, gna, gna! Vous ne pouvez pas parler comme tout le monde, non? J'ai l'impression d'entendre Ambrosius!
L'aventurière esquissa un sourire puis détailla les costumes de chacun.
:Laguerra: : Les enfants! Vous êtes tous magnifiques... Et Estéban... un vrai petit prince d'Orient. Où as-tu trouvé cette tenue?
:Esteban: : Un petit souvenir de Pékin... C'est effectivement la parure de Zaihou Zhu, le fils du onzième Empereur de la dynastie Ming.
:Laguerra: : Et il t'a permis de la garder?
:Esteban: : Je n'allais quand même pas sortir de la Cité Interdite tout nu!
:Laguerra: : La Cité Interdite? Eh bien! Vous en avez vu du pays, pendant que j'étais coincée ici!
Parmi le choix pléthorique de vêtements mis à sa disposition, le marin avait pour sa part sélectionné une chemise blanche immaculée. La servante d'Isabella avait eu l'œil sûr lorsqu'elle s'était rendue chez le Catalan pour y prendre quelques affaires. Ce dernier avait préféré conserver son pantalon de rechange habituel et ses bottes, faites à son pied. Le haut lui allait à merveille et s'avérait de meilleure qualité que la tunique qu'il portait tous les jours. Il n'avait gardé sur lui que sa dague, sa compagne la plus fidèle, par pure précaution. Elle reposait bien sagement à sa place habituelle, dans sa botte gauche.
Tandis que les enfants discutaient entre eux, la jeune femme s'approcha de son amant, restant à distance raisonnable, consciente qu'ils devaient s'attirer beaucoup de regards en coin. Elle lui sourit et lui offrit une œillade sensuelle qui en disait long.
:Laguerra: : Tu aimes ma tenue?
:Mendoza: : Tu es absolument magnifique.
Elle s'approcha encore jusqu'à lui chuchoter à l'oreille.
:Laguerra: : Tu aimeras encore plus me l'enlever tout à l'heure...
Et elle recula, laissant Mendoza seul avec son imagination.
Après un court silence, elle s'enquit:
:Laguerra: : J'imagine que tu n'as jamais participé à ce genre de soirée?
:Mendoza: : Tu imagines bien.
Laguerra, elle, se serait presque crue revenue à la cour d'Espagne. Elle lui laissa le temps de s'imprégner de ce nouvel environnement.
La première chose dont le mercenaire se rendit compte était l'absence de Gaspard. Sans doute cette grosse Boule-de-poils n'avait pas trouvé de costume à sa taille.
La coursive sur laquelle il se trouvait surmontait un pic plongeant directement au-dessus du lac dans lequel Estéban était tombé, il y a de cela quelques semaines. Le chemin de ronde offrait le point de vue le plus élevé depuis les murailles. De là, on pouvait embrasser du regard pratiquement tout le fort, avec notamment une vue imprenable sur les jardins du palais.
Ayant analysé les lieux, Mendoza se concentra sur les occupants. En contrebas, la noblesse s'affichait, en représentation, ravie d'étaler ses charmes, avec plus ou moins de réussites, sa richesse, ravie de se plonger dans cette atmosphère de fête incessante. Légèreté d'esprit, légèreté de mœurs.
De leurs côtés, irréprochablement dressés, les domestiques en livrée allaient et venaient sans à-coups, sans fausse note, messagers industrieux voués au confort de leurs supérieurs.
Tel un phare au milieu de la nuit, sa chevelure et sa longue barbe neigeuse encadrant son visage telle une crinière, Chaudary Ram Singh étincelait de charisme. Le Radjah avait revêtu un kamiz, une tunique longue couleur or, un churidar beige, une variante du pantalon salwar. Sur sa poitrine, le navaratna, le collier aux neuf pierres précieuses rassemblaient l'énergie des planètes et le reportait sur son propriétaire.
Dans l'Hindouisme, les astres avaient une action importante, bénéfique ou maléfique. Son palais était donc construit en neuf sections. Il occupait les deux parties de la lune et du soleil. Les planètes connues avaient de l'influence directe sur les pierres précieuses: l'astre du jour agissait sur les rubis, celui de la nuit sur les perles. Mercure était associée à l'émeraude, Vénus au diamant, Jupiter au topaze et Saturne au saphir.
Jusqu'au XIVème siècle, l'Inde était le seul pays au monde produisant des diamants. Les anciens considéraient les Radjahs comme des êtres divins à forme humaine. Des dieux sur terre qui devaient être couverts de bijoux comme les statues des divinités dans les temples.
Les Brahmanes se rapprochaient de lui. Ils l'entouraient respectueusement, figure du père, vision bénéfique.
Un peu plus loin, un groupe faisait du tapage, attirant l'attention de Mendoza. Une dizaine de jeunes nobles aux tenues flamboyantes, au centre desquels trônait leur élu.
À mi-voix, le regard braqué sur l'individu qui se tenait au centre des autres, le mercenaire demanda:
:Mendoza: : C'est qui, celui-là? Tu le connais?

76.PNG

Sur le même ton, Isabella révéla:
:Laguerra: : Malheureusement, oui. Il s'appelle Aloysius et il est alchimiste. C'est le fils du Rajput* Iqbal Pudjaatmaka, un thakur* chargé d'administrer la région de Mewar pour le Radjah. Son fils est aussi insupportable qu'il en a l'air. Il se prédestine au rôle d'officier: à l'entendre, à lui seul, il boutera les Moghols hors du pays.
L'aventurière se garda bien de lui préciser qu'ils avaient eu une liaison. Son compagnon ricana:
:Mendoza: : Je le vois bien face à un descendant de Genghis Khan... il tiendrait sans doute au moins trois secondes avant de se faire tailler en pièces.
Aloysius Pudjaatmaka. Un visage ovale, un anneau de platine à l'oreille droite, des cheveux noirs courts. Le corps vigoureux, la musculature élancée d'un homme d'épée.
L'alchimiste paradait dans une tenue en brocard violet, chamarrée de fils d'argent pur. Un salwar blanc moulait ses jambes nerveuses et il portait des bottes de cuir à surpiqûres argentées. Il observait le monde de son regard plein de supériorité.
Une femme au corps ceint d'un sari émeraude traversa fièrement la terrasse pour le rejoindre. Un visage rehaussé par de hautes pommettes rebondies, encadré de cheveux châtains, retenus sous un fin bandeau doré. Regard fier, d'un vert plus sombre que celui de Pudjaatmaka. Bouche pulpeuse. Teint hâlé par le grand air.
Elle se colla contre Aloysius, aussi grande que lui, souriante, tandis qu'il l'enlaçait par la taille, geste ô combien indécent en public chez les Hindous. La pudeur était de règle en toutes circonstances et avec tout le monde. Pas chez ces deux-là, apparemment!
Mendoza passa un moment à la contempler, sans doute parce que ce qui se dégageait d'elle lui plaisait. Il finit par conclure qu'elle n'affichait pas le maniérisme qui caractérisait ceux qui entourait Aloysius.
:Mendoza: : Que peut-elle lui trouver? Elle n'est pas comme eux.
Il se détourna, n'osant demander l'identité de la jeune femme à Laguerra qui semblait de mauvaise humeur, tout à coup. Son regard dériva à nouveau sur l'horizon des invités. Pour finir par se fixer sur une autre silhouette féminine. Il aurait dû la repérer plus tôt avec son long sari rouge sang. À ses oreilles, des boucles de rubis qui accrochaient un éclat de lumière lorsqu'elle bougeait. Sa chevelure brune tombait librement jusqu'à ses hanches, de petites étoiles écarlates accrochées au milieu de la marée noire de ses cheveux, étincelaient de petits feux.
La femme en rouge. Aussi troublante de sensualité que Catalina ou Marinché, les deux femmes qu'il avait aimé avant Isabella.
Poitrine saillante, hanches larges, elle incarnait une ode à la féminité assurée. Très à l'aise en cette occasion festive, elle avait parfaitement conscience du pouvoir qu'elle exerçait sur la gent masculine, et nul doute qu'elle savait en jouer en experte. Le genre à emporter le cœur des hommes et leur faire commettre des folies.
Elle riait tandis qu'autour d'elle se pressait un parterre de jeunes prétendants.
Le navigateur estima:
:Mendoza: : Plus dangereuse que ma belle brune.
La femme en rouge croisa son regard, s'y arrêta un instant, avant de s'en détacher pour rire à nouveau.
Avant qu'il ne puisse interroger sa compagne, un jeune page se présenta devant eux. Le Radjah voulait voir Mendoza.

Suivi de l'espionne, le Catalan traversa la terrasse de son pas prédateur. Il n'en avait nullement conscience mais il émanait de lui une aura de danger. Si le Radjah incarnait la majesté d'un lion et sa puissance, Mendoza personnifiait un tigre à l'affût, trop sauvage pour supporter les civilités des grands de la cour. Il se savait dévisagé, scruté dans ses moindres gestes. La noblesse n'allait probablement parler que de lui dans les temps à venir, il en était conscient. Ce traitement l'agaçait mais ne le dérangeait pas outre mesure. Il se moquait bien de cela et, du reste, il n'escomptait pas rester au fort plus de quelques jours. Toutefois, tant qu'il n'aurait pas décidé de son avenir, il était aussi bien ici qu'ailleurs et raisonnablement protégé de Zarès.
À peine les amants l'avaient salué que le monarque annonça:
CRS: Venez, Mendoza. Je désire vous parler.
Sans attendre de réponse, le Radjah se dirigea vers l'escalier. Tout le monde s'écartait respectueusement sur son passage. Les femmes lui adressaient leurs plus charmants sourires.
Mendoza et Laguerra suivirent ses pas. Mais la jeune femme resta en haut des marches, indiquant qu'elle l'attendrait ici à la fin de son entretien.
:Laguerra: : Je vais en profiter pour me jeter sur le buffet. J'ai une faim de loup!
Le Radjah mena l'Espagnol jusqu'à son sanctuaire, la salle du trône. Un second domestique attendait devant l'entrée. Chaudary commanda du vin, puis ouvrit la porte et prit place sur son coussin royal, invitant le mercenaire à s'installer face à lui.
CRS: Votre arrivée va faire jaser toute ma cour, mais j'imagine que vous vous en moquez... Je dis votre arrivée or c'est plutôt le retour de la señorita Laguerra... Vous n'avez rien à craindre de moi, que ce soit vous ou elle. Mais nous en parlerons plus tard.
Le roi s'interrompit, le temps de pousser une exclamation joyeuse en apercevant déjà le jeune garçon revenir avec un plateau chargé d'une bouteille ventrue et de deux hanaps évasés pour la dégustation.
Il congédia le serviteur et remplit lui-même les coupes.
CRS: Goûtez-moi un peu ce petit vin! Il est connu sous le nom Madhu, l'un des plus vieux cépages des vignes impériales de Chandragupta Maurya*. Il prend le soleil toute l'année et en a tiré une intensité incomparable. Vous allez voir, il est délicieux, dans le genre charpenté.
Le marin huma le vin tout en faisant doucement tourner son verre pour en dégager les arômes. Le monarque poursuivit:
CRS: J'espère que la petite Riya est à votre goût? C'est l'une des plus douées de mes moukères. Mais si elle ne vous plaît pas, n'hésitez pas à me le dire, je vous trouverai une remplaçante. Les belles femmes ne manquent pas à Patala!
:Mendoza: : Mille écus! Qu'ont-ils tous avec ça? Je suis largement comblé avec Isabella, mais merci...
Le capitaine sourit:
:Mendoza: : Cette servante me convient tout à fait, or, je suis déjà en couple...
CRS: Oh? La señorita Laguerra?
:Mendoza: : Oui. Néanmoins, je vous remercie de l'attention, Votre Altesse.
CRS: Dans ce cas, je laisserai des consignes au capitaine de la garde pour que vous puissiez accéder aux appartements de votre compagne. Et inversement...
:Mendoza: : Merci, Votre Majesté.
Celui-ci balaya le remerciement d'un geste nonchalant puis leva sa coupe:
CRS: À la vie, señor Mendoza!
Le Catalan répondit par le même mouvement.
Ils dégustèrent le breuvage en silence, unis en cet instant par la même inclinaison pour cette boisson. L'Espagnol découvrit alors un boisé élégant avec une belle note chocolatée, des arômes de fruits noirs, une bouche tout à la fois suave et dense, dotée d'une excellente persistance. Il s'exclama:
:Mendoza: : Votre Majesté, j'ai l'habitude de parler franchement: ce cépage est un nectar.
CRS: Ah, vous me faites plaisir, señor! Puisque c'est ainsi, je vais vous en faire envoyer une caisse. Vous le dégusterez à ma santé!
Le bretteur opina. Le Radjah, décidément, lui plaisait de plus en plus.

77.PNG

Singh se pencha pour les resservir puis s'adossa confortablement au fond de son siège avant d'énoncer:
CRS: J'ai bâti ce royaume de mes mains, avec ma sueur et mon sang. J'ai combattu pour lui jusqu'à être trop fatigué pour tenir mon arme. Ce royaume, je l'ai stabilisé malgré la guerre qui nous oppose aux Moghols, et j'ai suffisamment apporté de bienfaits à mes sujets pour les rendre heureux de mon règne. Alors j'ai décidé que j'avais accompli ma tâche et que j'avais bien mérité de penser un peu à moi. J'ai pris du recul, à présent je profite des plaisirs que la vie m'offre... ils sont nombreux, vous pouvez m'en croire! En conséquence, j'ai fait de Patala une fête continuelle et je m'y complais totalement.
Le Radjah fit une pause le temps de savourer une nouvelle gorgée. Il contempla son hôte avec une bienveillance manifeste.
CRS: Le plus beau, voyez-vous, c'est que de la sorte, je fais coup double. Cette atmosphère d'oisiveté dorée me permet d'occuper les seigneurs à Patala. Je les laisse libre de se disputer, de se jalouser ou de se séduire. Peu m'importe parce que ainsi, ils me fichent une paix royale, si j'ose dire, pour tout ce qui concerne la gestion du royaume. Le soin de le gouverner, je l'ai confié aux administrateurs et aux guerriers, à ceux qui sont aptes à comprendre les réalités quotidiennes de la vie, ce dont les seigneurs sont incapables. Et mon Peshwâ...
:Mendoza: : Votre Peshwâ?
CRS: Mon Premier ministre. C'est mon fils aîné qui chapeaute le tout. Que ce soit l'économie générale, la politique extérieure, les menées de la guerre contre les Moghols, le vote et l'application des lois, la gestion des territoires que nous avons conquis, et j'en passe: j'ai tout délégué. Et je ne regrette pas une seconde! J'ai divisé le royaume en quatre provinces, chacune administrée par un thakur que j'ai désigné. Ils dirigent leurs terres respectives comme ils l'entendent pourvu que les taxes rentrent dans mes caisses et que le peuple reste satisfait de son sort.
Tandis que l'Espagnol digérait les propos du souverain, celui-ci se redressa brusquement, ayant perdu toute nonchalance:
CRS: Mais nous vous y trompez pas, je ne me suis pas amolli pour autant et je garde un œil vigilant sur les affaires du royaume. Toutes les décisions me reviennent finalement, malgré les apparences.
Chaudary se laissa de nouveau aller en arrière et son ton s'adoucit:
CRS: Vous devez vous demander pourquoi je m'épanche ainsi en votre compagnie? C'est tout simple: je vous explique tout ça pour que vous compreniez qui je suis. Lors de notre première rencontre, nous sommes partis sur de bonnes bases et j'entends bien qu'il en reste ainsi. Et j'aimerai vous poser quelques questions, si vous acceptez.
:Mendoza: : Seigneur, si nous devons apprendre à nous connaître mieux, autant discuter franchement des choses. Posez vos questions, j'y répondrai de mon mieux.
Le Radjah demanda abruptement:
CRS: Aimez-vous tuer, señor Mendoza? En tant que conquistador, cela doit être votre lot quotidien. Pourtant, quand vous avez attaqué le fort, il n'y a eu aucune victime... ni chez mes gardes, ni chez les alchimistes.
:Mendoza: : Non, je n'aime pas ça. Mais cela ne veut pas dire que j'hésiterai à le faire si je suis menacé. Ambrosius a lancé ses sicaires contre moi à plusieurs reprises. Lui-même a essayé de m'éliminer. J'ai toujours su éviter de faire couler le sang mais si nos routes se croisent à nouveau, et elles se recroiseront, je n'aurai alors plus le choix. Je l'achèverai et cela vaut pour quiconque à Patala, si l'on veut intenter à ma vie, ou à celles de mes proches.
Les traits du monarque se durcirent, son regard virant au noir.
CRS: Seriez-vous en train de me menacer, señor?
:Mendoza: : Voyons, Votre Majesté, vous avez déclaré vous-même ne vouloir que mon bien, comment alors pourriez-vous vous sentir concerné par ma sentence?
Singh lâcha un gros rire. Son regard s'éclaircit.
CRS: Vous ne manquez pas de repartie, señor. Et je conçois que vous vouliez marquer votre territoire. Mais attention, moi aussi, je mords si on m'asticote un peu trop.
Mendoza trouvait en Singh un homme au caractère affirmé et cela ne pouvait le rebuter. La franchise du Radjah était bien plus agréable à vivre que l'élégance surannée et la fausse bonhomie qu'affichait le roi de France. Il ne songeait pas pour autant à rester trop longtemps sur place, mais cela le confortait dans son choix de voir Patala d'un peu plus près.
Il n'était toujours pas fixé sur son avenir, certes. Cependant, il connaissait bien pire comme moyen de passer le temps que de profiter de l'hospitalité du souverain Hindou. Du reste, il avait envie de mieux le connaître.
Ce dernier reprit:
CRS: D'après les rumeurs, vous êtes revenus ici parce que ce jeune garçon?...
:Mendoza: : Tao.
CRS: C'est cela! Il a l'intention de fonder un nouvel Ordre près du Temple Mémoire?
:Mendoza: : C'est l'une des raisons, oui. La deuxième s'appelle Indali. D'ailleurs, il n'a pas fallu insister beaucoup pour qu'il accepte la proposition de Laguerra afin que nous puissions l'accompagner. Il est encore jeune et à besoin de soutien. Plus sérieusement, tout nous pousse à croire que Ambrosius reviendra ici. Patala, la terre du soleil, l'ancienne capitale de la civilisation Muenne, a tant à révéler aux alchimistes.
CRS: D'après ce que je sais de vous, vous êtes un épéiste hors pair. Où avez-vous appris à combattre?
D'un haussement d'épaules, le marin rétorqua:
:Mendoza: : J'ai eu la chance de me faire entraîner par les meilleurs formateurs qui soient, lorsque je servais encore l'Espagne. Puis, par un coup du sort, j'ai continué à m'entraîner au service du roi d'Angleterre.
CRS: Il me tarde de vous voir à l'action. Mais puisque vous évoquez ce souverain d'Europe, quel était votre travail chez lui?
:Mendoza: : Vous vous en doutez, Votre Majesté, je n'ai rien d'un plumitif. La plupart du temps, je me chargeais de ceux qui avaient l'inconscience de s'attaquer à ses intérêts.
Dans un éclat de rire sonore, le Radjah lâcha:
CRS: J'avoue que je ne vous imaginais pas gratte-papier. Quel maître fait-il, ce monarque?
L'ancien Yeoman songea:
:Mendoza: : Un roi manipulateur, autoritaire, tyrannique.
Au lieu de quoi, il répondit:
:Mendoza: : Henri VIII est encore plus insaisissable que célèbre, selon moi. Et terriblement secret. En dépit de toutes ces années à travailler pour lui, je sais fort peu de choses à son sujet.
CRS: Vous avez quitté son service. Vous vous êtes donc fâché avec lui?
Le marin prit le temps de peser sa réponse:
:Mendoza: : En quelque sorte. Disons que de mon côté, j'avais soif d'indépendance. Je ne veux plus entendre parler de lui et pour sa part, il doit m'en vouloir de ma défection.
CRS: Vous avez estimé qu'il ne vous traitait pas aussi bien que vous le méritiez, c'est ça?
Le navigateur réitéra son haussement d'épaules. Il ne tenait pas à s'étendre sur ses allégeances passées.
Le Radjah n'insista pas. Il semblait digérer chacune des réponses de son interlocuteur, qu'il jaugeait soigneusement.
Mendoza se préparait à user de toute sa diplomatie pour refuser l'offre qu'il n'allait pas tarder à recevoir: rejoindre le giron du fort. Mais, à sa surprise, Singh n'aborda pas le sujet:
CRS: J'apprécie votre conversation, señor Mendoza. Je souhaite qu'il y en ait d'autres. Vous pourrez vous restaurer au buffet, en haut. Il est temps pour moi de faire assaut de civilité envers mes sujets, et les honorer de ma clairvoyance, mais je déteste les dîners officiels, ils ont tendance à m'ennuyer. Passer quatre heures à table sans oser lâcher un pet, très peu pour moi!
Si flatteuse fût-elle, l'appréciation du Radjah signifiait également que ce dernier lui donnait congé. L'Espagnol se leva, salua comme il en avait l'habitude et se dirigea vers la sortie.
En quittant la salle, il croisa deux grandes femmes à l'allure délurée. On les aurait presque crues jumelles tant elles étaient taillées sur le même modèle, leurs corps souples à peine couverts d'un sari en soie légère, l'un blanc, l'autre parme.
Elles entrèrent en gloussant après avoir détaillé l'étranger d'un œil gourmand.
Le Radjah avait dit:
CRS: Il me faut faire assaut de civilité envers mes sujets, et les honorer de ma clairvoyance...
Mendoza s'esclaffa:
:Mendoza: : Sacré Chaudary! Nul doute qu'il va honorer les deux femmes de sa clairvoyance et les assaillir de civilités!

☼☼☼

Le Catalan remonta doucement l'escalier vers le toit-terrasse. Il s'arrêta sur la dernière marche. Une bonne partie des invités dansait par couples, à présent. Mendoza chercha Laguerra du regard. Elle n'était plus là. Il aperçut les enfants, installés près d'une table à l'écart, colonie piaillant de contentement, surveillés du coin de l'œil par Athanaos.
Le marin finit par accrocher un regard résolument féminin. Celui de la femme en rouge, qui le détaillait sans se cacher, un sourire aux lèvres. Elle pencha légèrement la tête sur le côté pour le saluer. Puis, elle rompit le contact.
En poursuivant ses recherches, il se demanda à nouveau qui elle était.
Aloysius, héritier des Pudjaatmaka était là, campé, comme à son habitude, au milieu de sa cour personnelle. Mais sa compagne avec qui il conversait, la grande brune, était une vision bien plus plaisante aux yeux de l'Espagnol que celle du Brahmane gonflé d'orgueil et de sottes prétentions. Aussi remarquable que la femme en rouge, mais dans un genre différent. Moins apprêté, plus naturel. La grande brune avait un charme brut mais paisible qui s'opposait à la sensualité agressive de la seconde.
:Mendoza: : Là!
Il venait de repérer l'aventurière en train de danser avec Gaspard. Ce dernier était vêtu d'une chemise blanche semblable à la sienne, bien plus sobre que les tenues des autres convives.
Isabella le repéra à son tour. Elle dit quelques mots à son cavalier, cessa de danser et se dirigea vers lui.
La jeune femme lui lança une curieuse œillade. Comme si elle le défiait de trouver à redire. Juan devait s'avouer qu'il ressentait une certaine contrariété à voir Isabella dans les bras d'un autre que lui. Mais il n'avait pas le droit de le lui reprocher, il le savait. Au fond, c'est lui qui avait demandé au barbu de garder un œil sur elle.
:Mendoza: : Ne sois pas jaloux, mon vieux! C'était juste une danse... C'est à toi qu'elle se donne, pas à lui...
Il se concentra sur Amarinder Singh. Le capitaine de la garde avait entrepris de les rejoindre.
Singh: Señorita Laguerra. Mes hommages.
:Laguerra: : Mahoday Singh.
Singh: Señor Mendoza! Content de te revoir!
:Mendoza: : Le plaisir est partagé, señor Singh. Tu vas bien?
Le tutoiement était naturel entre eux deux. Ils s'étaient reconnus pour ce qu'ils étaient. Le moustachu asséna une claque amicale sur l'épaule du Catalan. Ce dernier encaissa sans broncher un coup qui aurait fait trébucher plus d'un homme.
Singh: Mon cher Mendoza, permets-moi de te dire que tu es dans une forme proprement scandaleuse! Sais-tu qu'on parle de toi dans tous les couloirs du fort? Tiens, ces ravissantes damoiselles, qui nous dévorent des yeux, sais-tu qui les intéresse vraiment? Toi, noble étranger. Le mystérieux Espagnol au regard inquiétant mais si attirant...
Le mercenaire ne sourit pas. La part de son esprit dévolue aux femmes était occupée par Isabella:
:Mendoza: : Peu m'importent ces donzelles.
Le capitaine Hindou salua son homologue de son verre en s'esclaffant:
Singh: Tu es toujours aussi commode, à ce que je vois!
Le navigateur lâcha un sourire de façade qui tenait plus de la parodie.
Le silence s'instaura entre eux trois. Ce genre de silence lourd qu'on ne savait trop comment briser à son avantage.
Laguerra ne paraissait pas vouloir alimenter la conversation et son compagnon estimait que ce n'était pas à lui de s'en charger. Singh finit par le rompre:
Singh: Je ne vais pas vous embêter plus longtemps. Heureux de t'avoir revu, Mendoza. Si tu t'ennuies, passe me voir.
Lançant une œillade à la bretteuse, il acheva:
Singh: Bonne soirée, ma chère.
Restés seuls, Isabella ne dit toujours rien. Sans pouvoir s'en empêcher, le marin lança:
:Mendoza: : Gaspard et toi, vous êtes juste amis, hein?
Laguerra leva les yeux vers lui:
:Laguerra: : Il ne fait que veiller sur moi, comme tu le lui as demandé. Pourquoi est-ce que je devrais me sentir gênée que tu nous aies vu danser ensemble? Pourquoi est-ce que je devrais culpabiliser?
:Mendoza: : Euh... je ne sais pas. À toi de me le dire...
:Laguerra: : C'est juste que... je ne sais pas... Enfin, laisse tomber.
Mendoza n'avait pas l'intention de poursuivre cette conversation glissante. Sans compter qu'il n'avait aucune envie de démarrer ce jour de retrouvailles par une dispute.
Pour changer de sujet, la jeune femme demanda:
:Laguerra: : Tu veux boire quelque chose?
:Mendoza: : Avec plaisir!
Ils gagnèrent le long comptoir. Isabella commanda d'autorité deux verres de vin rouge. Non pas celui destiné au commun des convives, mais l'autre, la cuvée préférée du Radjah.
Le serveur s'exécuta sans se faire prier. Tandis qu'il allait chercher la bouteille convoitée, le capitaine partagea avec l'aventurière quelques brochettes de crevettes massala.
Une fois leurs verres remplis, ils finirent leur plat puis traversèrent la largeur de la terrasse pour s'accouder au parapet, à l'écart des autres, leurs regards posés sur le manteau miroitant du petit lac veillé par la lune.
Aloysius les suivit du regard. Il avait bien compris que Laguerra et cet homme étaient amants, même s'ils gardaient une certaine distance entre eux. Il lui semblait également que le gros barbu avait un petit faible pour la bretteuse, mais celle-ci n'avait d'yeux que pour le beau brun.
:Laguerra: : Alors, tu ne te sens pas trop dépaysé?
Le mercenaire haussa les épaules. Il n'était pas encore certain de la réponse.
:Laguerra: : Je tiens à ce que tu te sentes bien, Juan. Nous ne sommes pas venus ici pour que tu sois malheureux.
En se tournant vers elle, il répliqua:
:Mendoza: : Ne t'inquiète pas, Isabella. J'ai vécu bien pire que le luxe offert par Patala.
Ils échangèrent un regard complice. Avec elle, il pouvait se détendre.
:Laguerra: : Je ne sais pas si je pourrai être constamment avec toi durant les jours qui viennent. Je vais être moins disponible que ce que je pensais, j'en suis désolée. Lorsque j'étais au Temple Mémoire avec Athanaos, nous avons discuté. Nous allons devoir créer une charte de droits et de devoirs pour fonder le nouvel Ordre. Une charte que tout alchimiste devra suivre à la lettre. Grâce à elle, Tao sera assuré que chacun des membres admis aura un comportement qui sera celui de la norme du groupe. Sans compter qu'il faudra également définir des critères d'entrées au sein de la confrérie. Le droit d'entrer devra également être soumis à un vote de la majorité pour s'assurer ainsi qu'il n'y aura pas de tension au cas ou un nouveau membre déplaise à l'ensemble.
:Mendoza: : Ça va aller! Je suis un grand garçon, tu sais? J'aime me retrouver seul de temps en temps.
:Laguerra: : De toute manière, la question ne se pose pas. Nous ne pouvons pas échapper à la paperasse. Je tâcherai d'en expédier une grande partie dès demain matin. Cela te laissera le temps de dormir. Profites-en pour prendre des forces. Nous aurons un programme chargé après le déjeuner. Il y aura un premier chapitre en début d'après-midi, afin de trouver un système d'organisation. Le grand-maître sera évidemment Tao, vu qu'il est à l'origine de l'idée. Mais pas tout de suite. Ensuite, tu participeras à une chasse au tigre, décidée par le Radjah.
:Mendoza: : Rien que ça?
:Laguerra: : Eh oui. Bien sûr, si ça te pose un problème...
:Mendoza: : Pas du tout. Je suis venu pour faire plus ample connaissance avec lui, non?
Un nouveau silence s'instaura, bien plus agréable que le précédent.
Ils échangèrent un autre regard et restèrent ainsi, tout proches, ignorant les évolutions bon enfant des danseurs. Ce fut plus fort que lui. Mendoza lui saisit délicatement la main. Celle-ci était glacée, tandis que la sienne s'avérait presque brûlante. Il lui semblait que plus il la regardait, plus elle devenait belle.
Devina-t-elle sa pensée? Toujours est-il qu'elle ouvrit la bouche, hésita, pour finalement lâcher:
:Laguerra: : Nous ne sommes qu'amants, Juan.
:Mendoza: : Pourquoi tu me dis ça?
:Laguerra: : Parce que... Je ferais mieux d'aller me coucher, à présent. Si tu as besoin de moi dans la matinée, tu me trouveras dans le laboratoire. Bonsoir Juan.
:Mendoza: : Bonne nuit, Isabella.
Elle s'approcha de lui et lui susurra à l'oreille:
:Laguerra: : Je t'attends dans ma chambre. Tu as toujours ce sari à ôter, ne tarde pas trop...

☼☼☼

L'aventurière avait laissé son compagnon seul à contempler le lac. Il se fit remplir son verre à deux reprises et on lui apporta de quoi grignoter. Le misanthrope avait réinvesti son armure, dissuadant quiconque, à sa simple mine, de le rejoindre.
Ce que personne n'osa tenter. On en savait encore trop peu sur lui pour l'aborder, telle était la position de la plupart des membres de la cour. D'autres, en revanche, avaient bien l'intention de l'approcher, mais en s'exposant à tous les ragots.
Tandis que son regard restait fixé sur le manteau miroitant de l'onde, Mendoza n'avait pas remarqué que la femme en rouge avait rejoint Aloysius avec qui elle se mit à discuter à voix basse. C'était surtout elle qui parlait. L'alchimiste écouta, son attention soudain dirigée vers un point précis: l'étranger à la chemise blanche.
Ce dernier finit par se sentir trop à l'étroit au milieu de tous ces gens. Il n'avait pas menti à Laguerra en affirmant qu'il aimait se retrouver seul. Au bout d'un quart d'heure, saoulé par le bruit ambiant, un peu grisé par le vin, terrassé par l'ennui, il finit par en avoir assez. Il allait partir lorsqu'un bruissement d'étoffe dans son dos le fit se retourner. Gaspard venait de le rejoindre. Quelque peu boudiné dans sa chemise, il sonda l'endroit du regard pour vérifier qu'aucun témoin ne s'y trouvait. Satisfait, il enchaîna sans user d'aucun préambule:
:Gaspard: : Je te cherchais, messire Pisse-vinaigre. Nous devons parler, toi et moi.
:Mendoza: : Ah bon? Et à quel propos, Vieux grigou?
:Gaspard: : C'est au sujet d'un homme.
:Mendoza: : Lequel?
José-Maria se lança dans une description aussi fidèle que possible lorsque le capitaine l'arrêta:
:Mendoza: : Ne te fatigue pas, amigo! Je le vois qui parle, là-bas, avec la femme en rouge...

78.PNG

Gaspard regarda dans la direction indiquée.
À peu près en face d'eux, de l'autre côté de la masse des convives, apparut Pudjaatmaka. Les sourcils froncés, ce dernier semblait contrarié.
En le repérant, le capitaine d'armée indiqua:
:Gaspard: : Cette beauté ensorcelante est la dernière personne avec qui ce sorcier devrait avoir plaisir à s'entretenir. C'est le genre de femme à ouvrir le chemin qui conduit au bûcher s'il vivait en Espagne...
:Mendoza: : Un sorcier? Et tu le connais?
Avec hauteur, le militaire précisa:
:Gaspard: : Je viens d'arriver au fort! Je ne le connais pas mais je sais qui il est! Ce n'est pas la même chose...
:Mendoza: : Peu importe! Parle, puisque tu sais, au lieu de me laisser griller.
:Gaspard: : Joli mot! Eh bien, sache que cet homme s'appelle Aloysius Pudjaatmaka. C'est un alchimiste. D'après les renseignements que j'ai pu glaner, le Radjah le tient en grande estime à cause de son savoir.
:Mendoza: : Oui, en bref, tu n'en sais pas plus que moi. Dès qu'un homme sort de l'ordinaire, c'est étonnant ce que l'on trouve à clabauder sur lui... Isabella m'a déjà parlé de cet Aloysius, tout à l'heure.
:Gaspard: : Ah oui? Et est-ce qu'elle t'a mentionné le fait qu'elle a eu une conversation plus ou moins houleuse avec lui cet après-midi?
:Mendoza: : Non.
:Gaspard: : Je suis intervenu quand le ton commençait à monter. Tout ce que j'ai à dire c'est: méfie-toi de celui-là.
:Mendoza: : Et pourquoi devrais-je m'en méfier?
:Gaspard: : Oh quel navet blafard tu fais, Mendoza! L'idée ne te vient donc pas que cet homme peut avoir de tendres sentiments pour ta compagne?
:Mendoza: : Oui, tout comme toi, Grosse baderne!
:Gaspard: : Voyons, je t'ai promis de me tenir tranquille, désormais!
:Mendoza: : Certes, mais je te connais! Un verre de trop, Isabella qui passe à côté de toi et les ennuis commencent. Ensuite, il suffit que tu ouvres ta grande bouche et les problèmes se multiplient par trois.
:Gaspard: : N'importe quoi!
Tout en devisant avec José-Maria, Juan n'avait pas cessé pour autant de garder l'alchimiste à l'œil. En retour, ce dernier ne se gênait pas pour le toiser.
Il le reconnaissait, lui aussi, pour le fauve qu'il était.
:Gaspard: : Que vas-tu faire, alors?
:Mendoza: : Je vais devoir réfléchir à tout cela. Merci pour ces informations, Boule-de-poils. Tu viens de confirmer ce que je pensais.
:Gaspard: : J'espère t'avoir été utile, Face de limande. En tout cas, si tu as besoin de mon épée, tu sais où me trouver.
Le mercenaire posa sa main sur l'épaule de l'officier. Il était incapable de trouver les mots. Gaspard était tout aussi gêné. Il tapota la main du Catalan tout en se raclant la gorge.
Tao, qui passa près d'eux afin de descendre à la fosse d'aisance, persifla:
:Tao: : Ma parole! Mais c'est qu'elles vont finir par se faire des mamours, les mignonnes!
Le naacal fut aussitôt bombardé d'une pluie de radis blancs que Mendoza projeta sur lui.

Son troisième verre achevé, Mendoza remercia encore Gaspard et quitta la terrasse. Il avait mémorisé le trajet qui le ramènerait chez Isabella. Tout en remontant vers ses appartements, il ne pouvait s'empêcher de songer à elle. Qu'avait-elle voulu dire avec cette phrase curieuse? Essayait-elle de lui dire qu'elle voulait plus?
Arrivé devant sa porte, il actionna la clenche et le battant s'ouvrit. Il entra dans la suite, refermant derrière lui.
Les lampes accrochées au mur éclairaient la pièce d'une tonalité douce. Il gagna le boudoir. Les fenêtres obturées par des moucharabiehs laissaient entrer l'air de la nuit.
Une silhouette sortit de l'ombre d'un pilier. L'Espagnol faillit dégainer sa dague mais il reconnut Inayat, la servante de sa compagne.
:Mendoza: : Je l'avais complètement oubliée, celle-là.
Elle s'avança dans la lumière tamisée, portant un plateau d'argent sur lequel un magnifique verre de Venise rouge et or voisinait avec un flacon de même origine. Elle posa le tout sur une table, emplit le verre avec des gestes pieux d'un officiant à l'autel.
Inayat: Votre soirée s'est-elle bien passée, mahoday?
:Mendoza: : Oui, merci. C'est pour qui?
La jeune femme se mordilla les lèvres:
Inayat: Pour kamarree Laguerra. Elle vous attend de l'autre côté.
:Mendoza: : Donnez.
Elle apporta le nectar rubis au capitaine dans une sorte de génuflexion qu'il parut considérer comme toute naturelle.
:Mendoza: : Merci Inayat! Vous pouvez laisser ça ici et vous retirer à présent.
Une fois la servante partie, l'Espagnol entra dans la chambre où Isabella l'attendait. Ils se regardèrent quelques instants.
:Laguerra: : Tu en as mis du temps.
:Mendoza: : Désolé... J'ai discuté un peu avec Gaspard.
Ils se jaugèrent l'un l'autre, renouant avec cette complicité qui avait si longtemps sous-tendu leurs relations.
Mendoza finit par s'approcher et lui présenta sa coupe.
:Mendoza: : Bois! Je suis sûr que cela te fera du bien.
Elle prit le verre dans les transparences duquel la flamme d'une chandelle allumait des rutilances somptueuses.
Il caressa sa joue de sa paume.
:Mendoza: : Dis-moi, est-ce si difficile de me parler franchement d'Aloysius Pudjaatmaka?
:Laguerra: : Tu penses que j'ai besoin d'un réconfort avant d'aborder le sujet?
Elle vida le verre d'un trait et le lui tendit. Il ne le prit pas, mais enveloppa de sa main les doigts de la jeune femme, posa ses lèvres à l'endroit où elle avait bu et y cueillit une dernière goutte du vin boisé.
Elle soupira enfin:
:Laguerra: : C'est un autre genre de monstre que Zarès. Pas méchant, mais il me prenait pour un objet de collection. Sa beauté... m'avait serré le cœur. C'était comme un charme qui s'était emparé de moi...
:Mendoza: : Et tu penses que c'est cela l'amour? Qu'il suffit d'un instant pour...
:Laguerra: : Changer la vie d'une personne?
Son regard flou perdu dans la contemplation de son verre vide.
:Laguerra: : Tu dois être le dernier à en douter. Ou alors, explique-moi pourquoi toi, jeune et libre de toute attache, tu as chargé ta vie d'enfants de gens que tu ne connaissais pas?
:Mendoza: : Eh bien...
:Laguerra: : Tu vois, c'est exactement la même chose.
La tension qui accaparait la jeune femme avait baissé d'un cran mais elle était toujours prégnante. Le capitaine détachait doucement le verre des doigts qui le retenaient encore, puis il le jeta dans la cheminée comme une chose sans importance. La fragile merveille s'y brisa en une multitude d'éclats de pourpre et d'or.
D'une voix dont les raucités traduisaient le désir, l'Espagnol murmura:
:Mendoza: : Il a touché tes lèvres. Plus personne n'a le droit d'y poser les siennes.
Entre ses lourdes paupières qui se resserraient, le regard filtrait. Cependant, une de ses mains emprisonnait l'épaule nue qui le tentait depuis un moment, tandis que l'autre saisit sa main, qu'il porta à ses lèvres, avant de l'empoigner doucement.
Il dit simplement:
:Mendoza: : Viens!
Elle se laissa entraîner. Elle voulait tout oublier d'Aloysius et se le sortir de la tête. À présent, Juan représentait à n'en pas douter le roc de son existence. Il lui était impossible de résister à cette invite.
Il avait envie d'elle, elle le voyait bien à cette lueur dans son regard. Alors elle se laissa volontairement envoûter par ce désir puissant qui la rassurait, qui constituait pour elle un repère fiable, et qui signifiait en cet instant la promesse de l'oubli.
Le mercenaire la souleva et la fit tourner dans ses bras, avant de la déposer sur le lit. Il s'installa derrière elle.
Il posa ses mains sur les épaules de la bretteuse et, usant de ses pouces vigoureux, il se mit à la masser, remontant lentement jusqu'à la nuque.
Peu à peu, Laguerra s'abandonna à la manœuvre, ses muscles libérés de cette tension qui l'accablait.
Tandis qu'il s'activait au bien-être de sa compagne, Juan lui embrassa le cou. Le massage se transforma en caresses. Il décrocha l'épingle qui maintenait le sari sur la clavicule gauche et fit délicatement glisser l'étoffe. Il lui ôta ensuite son choli, sans qu'elle y trouve à redire. Les paumes du marin empoignèrent ses seins dont il excita les aréoles brunes jusqu'à lui donner la chair de poule.
La jeune femme posa ses mains toujours froides sur celles du capitaine et se tourna de manière à lui offrir ses lèvres.
Il n'eut pas besoin de se pencher, du moins si peu. Dans cette position, ils étaient quasiment de la même taille. Sa bouche se jeta à la rencontre de la sienne.
Le baiser dura une longue minute. Puis ils s'écartèrent l'un de l'autre, juste le temps de se dévêtir mutuellement.
Juan contenait la puissance de son propre désir, bien conscient qu'en cet instant, Isabella avait bien plus besoin de tendresse et de sécurité que de passion.
Il ne la connaissait pas encore suffisamment mais savait déjà ce qui lui plaisait ou non en matière de jeux amoureux. Il la fit s'allonger sur le ventre à un endroit frappé par les rayons de la lune. Au milieu du lit, lieu de découverte bien agréable, il continua son ballet raffiné. Il massait toujours, non plus pour détendre mais pour faire monter le désir.
Le corps de la jeune femme, ses sens, constituaient un terrain qu'il avait su conquérir par deux fois. Il savait où toucher, et comment. Il savait où embrasser, où mordiller même: ses pieds, ses chevilles, ses mollets, l'arrière de ses genoux, l'intérieur de ses cuisses. Il s'attarda sur ces zones, sans aucune hâte, et chacun de ses gestes provoquait un abandon de plus en plus net.
La chute de reins représentait la seule partie éclairée du corps de la brune. Mendoza ne put s'empêcher de se focaliser sur cette vision, cette croupe au dessin parfait dont la vue déchaînait sa recherche instinctive du plaisir.
Enfin, elle se retourna, lui laissant libre accès à sa féminité. Le marin plongea vers le trésor qu'elle lui offrait, s'enivrant de sa fragrance. De sa langue, il parcourut ce tout petit espace qui semblait receler toute la douceur du monde.
Pour récompense, il obtint avec délectation le souffle heurté de l'espionne, entrecoupé d'un début de gémissement. Il redoubla alors ses efforts, prenant autant de plaisir qu'il en donnait.
Chauffé à blanc par le savoir-faire de son compagnon, Isabella ne voulait plus qu'une chose, qu'il prolonge cette marée qu'il avait fait naître en elle, qu'il la transforme en un élan encore plus marqué, encore plus viril.
Elle le tira vers elle, afin qu'il remonte, et souffla:
:Laguerra: : Maintenant!
Mendoza n'attendait que ça. Il engagea son bassin et d'une main sûre, se guida en elle, sans éprouver la moindre difficulté, lentement sans à-coups.
La bouche de la duelliste s'arrondit, électrisée par cette charge de plaisir qui inondait tout son bas-ventre et qui remontait pour l'emplir de bien-être.
En appui sur ses mains, Juan se mit à aller et venir, non pas à grands coups impersonnels, non pas comme un mâle égoïste ne cherchant qu'à assouvir ses propres besoins, mais comme un amant attentionné, concentré, respectueux.
La tête rejetée sur le côté, la bouche entrouverte, le corps totalement offert, Isabella gémissait en sourdine.
:Mendoza: : Regarde-moi, Isa.
Elle tourna la tête et obéit.
Le navigateur ondulait sur elle à un rythme lent mais ô combien approprié, sans la quitter des yeux. Chaque vague qu'il faisait naître devenait plus intense que la précédente. Le plaisir s'épanouissait en corolles de lumière nacrée, de plus en plus impérieuses.
Elle s'abandonna enfin dans un sanglot libéré, se serrant contre son amant de toutes ses forces, comme si sa vie en dépendait, ses membres frissonnant, le corps et l'esprit écartelés d'un plaisir brut et renversant.
C'en était trop pour le Catalan. Le torrent furieux avait saisit ses reins, inondant son être de geysers exquis, remontant le long de son méat, impérieux. Il vint dans la foulée par saccades brûlantes, tout en poussant une sorte de rugissement.
Mais ceci n'était qu'un hors d'œuvre. Le mercenaire n'en avait pas fini avec elle, bien loin d'avoir atteint ses limites. D'ailleurs, la duelliste ne demandait qu'à continuer:
:Laguerra: : Encore.
Ils recommencèrent donc à plonger dans l'extase, inlassablement.
Isabella ne laissa pas à Juan la direction des ébats, cette fois. Après l'avoir abondamment couvert de caresses et de baisers, elle le chevaucha en savourant un long moment le plaisir d'être ainsi investie. Puis, elle se mit à onduler de son bassin en cercles concentriques. Ses déhanchements s'intensifièrent tandis qu'elle renversait la tête en arrière. Il était clair que c'était la manière qu'elle avait choisie pour se libérer de ses frustrations. Intense et délicieux oubli dans lequel elle s'enfonçait davantage à chaque coup de reins. Elle se mit à haleter, de plus en plus fort. Elle ondulait sur son homme, succube du plaisir, engagée avec lui dans une lutte effrénée. Le bretteur répondait à sa manière, contractant son vit pour le rendre plus formidable encore, durcissant ses abdominaux pour lui offrir un meilleur appui et surtout, tentant de juguler pour un temps encore, cet élan de jouissance qui commençait à naître en lui.
C'était un duel, à savoir lequel des deux ferait venir l'autre en premier. Laguerra perdit une seconde fois. Elle s'abîma dans un orgasme ravageur qui la fit tressaillir de tous ses membres.
Comblée mais pas rassasiée, elle roula sur le côté afin de se remettre à plat dos.
:Laguerra: : Faut-il que je te supplie?
Non. Mendoza, toujours aussi excité, la surplomba. Il reprit sa danse du ventre, posant ses mains sur ses hanches fines. Bien heureux de pouvoir enfin quitter le rôle de dominé, il se lança dans un assaut passionné. La jeune femme en hoqueta lorsqu'il la prit avec cette vigueur qu'elle réclamait de ses soupirs, de ses mots passionnés.
Leurs souffles se mêlaient, complices, tandis que leurs langues s'affrontaient ardemment.
L'Espagnole griffait les épaules du beau brun, délaissant ses lèvres pour le mordiller dans le cou, aux oreilles. Elle se donnait franchement et prenait avidement, dotée d'une énergie qui confinait à la frénésie. Mais il y avait également du désespoir dans cet abandon furieux.
Au terme d'une trentaine d'allers-retours, Laguerra se mit à mordre sa lèvre inférieure. Elle allait succomber pour la troisième fois, son partenaire le sentit. Il accéléra encore l'allure.
Enfin, à force d'endurance, ils virent en même temps, balayés par des vents brûlants d'endorphines. Repu, tout autant qu'elle, le souffle court, l'Espagnol se laissa aller sur sa compagne tout en prenant soin de ne pas l'écraser. Il l'entoura de ses bras, parcouru de cet inimitable délassement de ceux qui avaient foulée les rives de la petite mort. Il se sentait si bien ainsi, son visage plongé dans la chevelure fraîchement lavée de sa dulcinée, humant son parfum, un mélange subtil de néroli et d'ambre, tout en lui caressant les cheveux du bout des doigts.
Cette prodigalité, peu courante chez un homme, Isabella sut l'en remercier, elle aussi. Elle était parvenue à apaiser sa soif à lui, cette soif sauvage et enivrante, communicative, non pas avec autant d'intensité; le plaisir masculin étant moins riche que celui des femmes; mais bien suffisant de variété au goût de Juan.
L'aventurière s'endormit peu après, sans avoir la force ni même le désir de parler. Elle avait obtenu l'oubli qu'elle désirait tant, un oubli sans doute temporaire mais pas moins bienfaisant et qu'elle accueillait avec plénitude.
Mendoza la contempla, admirant son profil adouci par le sommeil.
Il se releva finalement et gagna l'autre pièce pour aller se servir généreusement une coupe de vin. Puis, il se rendit jusqu'à la fenêtre. Son regard s'arrêta longuement sur l'étal des fontaines qui scintillait sous l'influence de la lune.
Le marin leva haut son verre pour saluer l'astre. Il but une ample gorgée, hocha la tête, un pli approbateur marquant sa bouche généreuse, et souffla enfin dans la nuit:
:Mendoza: : Voilà qui est réglé.

À suivre...

*
*Rajput: Aristocrate. Fils de prince, formant la majorité des habitants du Rajasthan.
*Thakur: Seigneur. Patronyme porté par les membres de la caste kshatriya (celle des rois, des nobles et des guerriers), nom de rang honorable et particulièrement présent dans l'ouest de l'Inde.
*Chandragupta Maurya: Fondateur et premier dirigeant de l'Empire Maurya (vers -324 à -300 avant J.C).
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
Avatar du membre
Aurélien
Vénérable Inca
Vénérable Inca
Messages : 821
Enregistré le : 06 mai 2017, 22:38
Localisation : Europa Park
Âge : 101

Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par Aurélien »

Comme d'habitude ton récit était génialissime ! Je me suis régalé en le lisant !
De plus tes montages sont surprenant et superbement bien fait ! J'adore les habits des enfants ! Surtout Esteban qui est magnifique ! Je trouve que les habits du prince Zhu lui va beaucoups mieux que la chemise blanche ! De même que le vert pour Zia !
Tu devrais en faire plus des montages avec les enfants et le reste de la clic avec différentes tenues. Je trouve que tu les réalise à merveille.
Les Mystérieuses Cités d'or

Die geheimnisvollen Städte des Goldes

The mysterious cities of gold

Las misteriosas ciudades de oro

As cidades misteriosas de ouro
Répondre