Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

C'est ici que les artistes (en herbe ou confirmés) peuvent présenter leurs compositions personnelles : images, musiques, figurines, etc.
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Anza
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Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par Anza »

Hot hot hot... pour le plaisir de nos imaginations... je vais t'engager pour écrire les scènes "calientes" (= chaudes en Espagnol) de ma fic... tu feras ça bien mieux que la prude coincée que je suis (quand il s'agit de décrire hein, sinon, je suis normale MDR)
Je n'ai qu'un mot à dire :
OLÉ !!! (suivi d'une bruit de castagnettes sur un air de tango argentin !) :x-): :tongue: :-@
8) Fane absolue de la 1ère saison, certes imparfaite, mais avec tant de qualités qu'on peut lui passer beaucoup de choses !
Perso préféré : Calmèque, cherchez pas, mon psy a jeté l'éponge ! MDR

MY FIC : https://tinyurl.com/4we7z2j7
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Le Flamand
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Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par Le Flamand »

Comme d'habitude, je reste séduit par le développement de ton histoire et la qualité de l'écriture !
Bravo pour le travail que tu fournis. ^^
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IsaGuerra
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Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par IsaGuerra »

→ Cette femme en rouge m'a l'air bien intéressante
→ La jalousie de Mendoza est tellement plaisante à lire
Boule-de-poils ? D'accord Gaspard est assez poilu mais je pense plus à un chat qu'à Gaspard :x-):

Tout comme l'ont dit les autres, un très bon chapitre !
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TEEGER59
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Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par TEEGER59 »

Suite.

CHAPITRE 18: Oust! Du balai!

L'aube n'était plus loin. La porte de la chambre s'ouvrit silencieusement sous la main d'Inayat qui resta un moment immobile, au seuil, fascinée par le spectacle que lui offrait, dans la lueur déclinante de la bougie, la coquille rougeâtre de l'alcôve ouverte avec ce corps nu que cette nuit d'amour semblait avoir foudroyé.
Faisant le tour du lit, elle s'approcha de l'Espagnol, posa une main sur son épaule et le secoua doucement tout en se penchant vers son oreille. Elle chuchota:
Inayat: Mahoday, il faut vous lever! Il est l'heure...
Mendoza se retourna aussitôt et considéra la servante d'un œil presque entièrement lucide. Il grogna:
:Mendoza: : Quoi? Qu'est-ce qu'il y a?
Inayat: Chut!... Je dis que le jour va se lever.
En effet, une lumière grise filtrait à travers les moucharabiehs lorsque le capitaine écarta le rideau du lit à baldaquin. Isabella était partie, l'aventurière quittant son rôle d'amante pour reprendre celui d'alchimiste.
:Mendoza: : Déjà? Pourquoi dois-je me lever si tôt?
Inayat: Vous devriez le savoir. Afin de ne pas éveiller l'attention. N'en aviez-vous pas décidé ainsi avec kamarree Laguerra?
:Mendoza: : En effet... mais c'était avant d'avoir un entretien avec le Radjah. J'ai l'autorisation d'entrer au zenana, tant que je ne erre pas au rez-de-chaussée.
Inayat: Oh!... Dans ce cas, je suis désolée de vous avoir réveillé.
:Mendoza: : Ce n'est pas grave, Inayat. Vous ne le saviez pas. J'ai oublié de vous en faire part, hier soir.
Inayat: Mais tout de même, les apparences...
:Mendoza: : Je me moque des apparences. C'est bien trop tard pour s'en inquiéter. Le Radjah sait qu'elle et moi sommes tous deux intimes. Son capitaine aussi et Riya, ma servante, doit se douter que j'ai passé la nuit ici. Bientôt, ce ne sera plus un secret pour personne...
Inayat: Vous allez vous rendormir?
:Mendoza: : Je ne crois pas, non.
Avec le drap, il se ceignit la taille, se leva d'un mouvement souple qui n'ébranla pas le lit, bâilla en s'étirant largement sans songer le moins du monde à cacher le reste du corps où se voyaient les légères griffures que lui laissaient les ongles d'Isabella.
Inayat: Que voulez-vous pour le petit déjeuner?
:Mendoza: : Euh... du pain, du miel, des fruits secs et un peu de thé, s'il vous plaît. En attendant que vous reveniez, je vais aller faire un brin de toilette.

☼☼☼

Pendant ce temps, un vélin posé devant elle, Laguerra était confortablement assise dans le laboratoire. Elle avait établit mentalement ses horaires de travail pour passer le plus de temps possible avec le naacal sans pour autant délaisser son amant. Il lui fallait également trouver suffisamment de repos pour être efficace. Certains prenaient des drogues pour rester éveiller. Elle-même réprouvait ce genre de pratique. Elle ne crachait pas sur un bon verre de vin, en période de loisir, mais rien de plus fort. L'aventurière avait la chance de pouvoir s'endormir et se réveiller à volonté et cela lui suffisait.
:Laguerra: : Mais pourquoi me suis-je levée si tôt? J'aurai dû profiter des bras de Juan et attendre que Tao vienne me chercher...
Elle songea à Mendoza, ce bloc impressionnant de muscles et de volonté. Troublant de mystère. Et ce regard si noir, si profond, si perçant, qui s'oubliait parfois pour laisser échapper une étincelle de surprenante douceur. C'est ainsi, du moins, qu'elle le percevait. Derrière le mercenaire redoutable qu'il incarnait se cachait une autre âme. Il la séduisait par sa force et son assurance, mais l'autre facette qu'elle devinait la captivait encore plus profondément.
:Laguerra: : Tu m'attires de plus en plus, mon Ange, et les choses ne peuvent rester en l'état.
Pour la troisième fois, elle essaya de relire le début de l'acte de création de l'Ordre du Sablier afin de s'en inspirer. Cette copie du document primitif était un parchemin d'agneau manuscrit à la plume trempée dans l'encre. Rédigé en un latin conventionnel très abrégé, le texte, compact et continu, avait été numéroté en trente-sept clauses. Il avait été scellé du seul Grand sceau de France, par un fonctionnaire du roi-chevalier. Elle comprenait les mots, brillants d'érudition, mais ils refusaient de s'imprimer dans la texture de sa cervelle. Elle enroula l'acte, le reposant sur un guéridon.
Et si elle allait le retrouver dans sa chambre et lui faire l'amour jusqu'à ce qu'il lui rende grâce? Jouer de son corps et de son désir? La Messaline qui sommeillait en elle savoura ce fantasme un long moment, jusqu'à ce que le père d'Estéban, suivi de Tao, descendent les escaliers.
Athanaos s'effaça sur le côté pour laisser l'ami de son fils rejoindre Laguerra. Celle-ci l'attendait et se leva pour l'accueillir.
:Tao: : Bonjour Isabella.
:Laguerra: : Bonjour, bonhomme! Te voilà! Nous allons pouvoir nous y mettre... Enfin, je dis bonhomme, mais je devrais plutôt t'appeler Grand-maître.
Dans un silence gênant, le jeune garçon prit une grande inspiration afin de mettre de l'ordre dans ses pensées.
:Tao: : Euh... Ne devrait-on pas entendre mon intronisation pour cela? Et puis, j'ai une question. Comment on rédige une charte? Je n'ai jamais fait ça, moi!
:Laguerra: : Ne t'inquiète pas. Athanaos et moi sommes là pour t'aider. Tu verras, ce n'est pas très compliqué. Il suffit d'expliquer clairement ce que tu souhaites. Fais court et va à l'essentiel.
:Tao: : Eh bien, je veux être l'héritier des traditions de la Connaissance et des Arts, afin de conserver vivaces les paroles de mes ancêtres. Je veux œuvrer pour la pérennité de notre monde, et le bien de tous les êtres qui y vivent.
:Laguerra: : Je crois en ton dévouement philanthropique, Tao.
:Tao: : Mais qui vais-je recruter? Et qui vais-je garder parmi les alchimistes présents?
:Laguerra: : Tu devras avant tout choisir les mystiques, les hommes et les femmes qui s'intéressent aux mystères de l'existence et qui cherchent à comprendre le pourquoi et le comment des choses...
Le jeune savant ne dit rien, ne voulant pas l'interrompre.
:Laguerra: : Tu sais, l'Ordre du Sablier est un mouvement philosophique, non religieux et apolitique qui se consacre à perpétuer l'enseignement que les alchimistes s'étaient transmis à travers les siècles. C'est une voie de connaissance dont l'enseignement n'est pas du tout dogmatique, ce qui explique d'ailleurs qu'il y ait dans l'Ordre des personnes qui appartiennent à toutes les religions: des Chrétiens, des Bouddhistes, des Juifs, des Musulmans et même des athées.
:Tao: : Mais comme l'a dit Athanaos à Chambord, comment être sûr qu'un futur Ambrosius ne se cache pas déjà au sein de la confrérie?
Sentant ses doutes et ses hésitations, la jeune femme fit le tour de la table.
:Laguerra: : Tu as toujours envie de fonder ton Ordre, Tao?

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:Tao: : Oui, mais... comment être certain de ne pas faire d'erreur?
:Laguerra: : Tu ne peux pas le savoir. C'est un risque à prendre. Je sais ce que tu te dis: les disciples ne sont qu'un réseau de riches influenceurs qui cherchent avant tout le pouvoir et le contrôle. Je ne dénigre pas le fait que de tels individus marchèrent dans nos rangs quelquefois. Comme toute société, l'Ordre du Sablier a eu son lot de profiteurs. Ambrosius était l'un de cela, c'est pourquoi je l'espionnais. Toutefois, tu as déjà une base solide afin de former ta confrérie et tu peux faire confiance à tes vrais amis: Estéban, Zia, Mendoza, Athanaos, Synésius, Hippolyte, Hortense, Gaspard... et moi! On commence?

☼☼☼

Quelques étages plus haut, Inayat revenait avec un chariot de service sur lequel reposait la commande du Catalan. Elle le retrouva accoudé à la fenêtre. Vêtu de son accoutrement habituel, il profitait du soleil sans être vu.
Inayat: Je vous sers ici?
:Mendoza: : Excellente idée.
Le mercenaire s'installa et engloutit jusqu'à la dernière miette son plateau avec entrain.
Le petit déjeuner achevé, l'intendante desservit et prit congé. Elle devait donner à la servante du mahoday Mendoza sa chemise de soirée à nettoyer.
Juan paressa une bonne heure. Il prit le temps de s'étirer avant de sortir.
Ne sachant quoi faire de son temps, il décida de retourner dans sa chambre avant d'aller se promener aux alentours du fort, histoire de prendre ses marques. Celui-ci était immense, il lui faudrait sans doute plus d'une semaine pour en avoir une connaissance approximative. Il prévoyait également de faire une visite.
Alors qu'il abordait le bas de l'escalier qui menait à son palier, il aperçut la silhouette de Riya, plus haut sur les marches, une panière à linge renversée à ses pieds.
La jeune femme était en mauvaise posture, bloquée contre le mur par un alchimiste, qui lui caressait la joue. Le capitaine était trop loin pour entendre leurs propos, mais il vit distinctement sa servante secouer la tête, refusant quelque chose. L'homme la saisit par les bras et se mit à la rudoyer tout en l'abreuvant de répliques sifflantes de colère. Les yeux écarquillés de frayeur, Riya se débattit, sans grand succès. L'Espagnol grimpa les marches, ses pas étouffés par un épais tapis.
L'alchimiste tournait le dos au mercenaire et ne le vit pas approcher. Mendoza l'agrippa violemment par l'épaule pour lui faire lâcher prise et le tourner face à lui. Il reconnut enfin Aloysius.
Cela ne changea rien à sa réaction, néanmoins. Sans rien dire, il lui asséna un coup de tête en plein front. Le scientifique s'effondra au milieu des marches, sonné.
Riya se jeta dans les bras de son sauveur puis elle le tira par le bras pour lui faire quitter les lieux.
Tout en soutenant la jeune femme, le Catalan s'enquit:
:Mendoza: : Vous êtes blessée?
Riya: Non juste un peu secouée. Ça ira. Merci d'être intervenu.
:Mendoza: : Que s'est-il passé?
Riya: Mahoday Aloysius voulait savoir certaines choses sur vous. Comme j'ai refusé de lui parler, il est devenu méchant.
:Mendoza: : Ne vous inquiétez pas, je vais régler le problème.
Riya: Méfiez-vous de lui, Mahoday Mendoza, c'est une excellente lame.
:Mendoza: : Je m'en contrefiche, ce genre de roquet ne m'a jamais impressionné. C'est à lui de se méfier de moi, au contraire.
Riya était toute tremblante, livide. Elle souffla:
Riya: Eh bien moi, il me terrorise. Il est réputé pour être brutal avec les servantes. On dit même qu'il en a forcé certaines à...
Les mâchoires du capitaine se durcirent:
:Mendoza: : Cette chiabrena ne vous importunera plus, je vous en fais la promesse.
Riya: Merci mahoday Mendoza. Vous êtes un homme courageux et gentil. Des comme vous, je ne savais pas que ça existait encore.
Elle s'interrompit, le temps de le regarder bien dans les yeux et reprit:
Riya: Vous êtes bon avec moi, vous me traitez avec respect et c'est loin d'être habituel pour quelqu'un de mon rang...
Il l'escorta jusqu'à ses appartements et lui fit prendre un verre. Constatant qu'elle retrouvait des couleurs, il repartit après lui avoir ordonné de n'ouvrir à personne d'autre qu'à lui ou la señorita Laguerra.
Comme il s'y attendait, l'alchimiste n'était plus dans l'escalier.
Il allait devoir lui inculquer quelques principes de base en matière de respect des femmes. Cependant, il n'allait pas le pourchasser à travers le fort. L'occasion se présenterait, il n'en doutait pas. En attendant, il décida d'honorer l'invitation d'Amarinder Singh, le capitaine de la garde. Il avait bien envie de discuter avec l'homme de confiance du Radjah.

☼☼☼

Le Catalan marchait au milieu d'une galerie percée d'ouvertures en arches qui s'ouvrait sur une cour intérieure couverte de dalles soigneusement entretenues.
Il commençait à se demander s'il ne s'était pas perdu.
Sortant de l'un des passages transversaux, Aloysius déboucha dans la galerie et se dirigea droit sur lui. Il était flanqué de sa bande, une dizaine d'hommes de son âge, à l'air belliqueux, fils de seigneurs comme lui, sans doute impressionnés par sa suffisance et son rang supérieur.
Sans préambule, l'héritier Pudjaatmaka entama:
Hadji: Señor Mendoza, vous avez osé porter la main sur moi, je vous défie en duel!
L'un de ses compagnons approcha. Il portait une mallette longue qu'il ouvrit sur le creux de son avant-bras, dévoilant deux épées longues à lame fine, communément appelées rapières. La voix rauque, l'Hindou reprit:
Hadji: Choisissez votre arme!
Il ne serait pas venu à Mendoza l'idée de dissuader son interlocuteur de se battre, malgré les recommandations de sa compagne lorsqu'ils étaient encore à Zimbabwe. Un duel contre cet idiot était une aubaine, et la raison légitime: Il détestait ceux qui maltraitaient les femmes et il n'était pas question qu'il laisse passer cette chance.
Contemplant les deux armes alignées l'une sous l'autre, le mercenaire plissa les yeux. Il maniait toutes les lames avec la même efficacité mais la rapière était loin de remporter ses suffrages.
Du reste, il voulait donner une bonne leçon à son adversaire, pas lui crever la panse. Tandis qu'il réfléchissait à une alternative, les spectateurs commençaient déjà à s'aligner autour de la cour où se déroulerait la joute. La nouvelle avait fusé dans le palais.
Mendoza en était venu à se dire qu'ils combattraient à mains nues, lorsque son regard qui errait sur l'assistance se posa sur un serviteur muni d'un balai.
Le domestique venait de terminer de nettoyer une salle adjacente. Il était en train de regagner l'office lorsqu'il avait appris ce qui se passait. Comme les autres, il n'avait pu résister à la curiosité d'assister à un tel spectacle.
Mendoza faillit éclater de rire. Une idée lui était venue, qui aurait fait la joie de Sancho et Pedro. Il ne pouvait pas tuer l'alchimiste, ni même le mutiler, diplomatie oblige. En revanche, il pouvait lui infliger un traitement au moins aussi douloureux: l'humiliation.
Ses lèvres se fendirent d'un sourire narquois. Il se rangea devant le serviteur et lui demanda de lui prêter son instrument de travail. Bouche bée, ce dernier le lui tendit. L'objet de nettoyage crânement calé sur l'épaule, le mercenaire revint se placer au centre de la cour, face à Aloysius.
:Mendoza: : Je suis prêt.
L'homme se rapprocha, ses sourcils froncés de contrariété:
Hadji: Quelle est cette mascarade?
:Mendoza: : Ce n'en est pas une, Aloysius. Toi tu te bats à la rapière, moi avec ça. Qu'est-ce que ça peut faire?
Hadji: Mais...
:Mendoza: : Écoute, magicien, tu m'a défié en me laissant le choix des armes. Alors maintenant, ou tu te bats, ou tu t'en vas!
Le tutoiement dédaigneux utilisé par l'Espagnol provoqua un rictus de contrariété offensée chez son opposant. Avec toute cette assistance, il lui était toutefois impossible de se dédire. Ulcéré, il s'empara de l'une des lames, la soupesa et hocha la tête d'un air satisfait. À présent, la détermination baignait ses prunelles. Il délivra un sourire confiant à sa compagne et avança de quelques pas. En guise d'échauffement, Hadji fouetta l'air de son arme avant d'entamer une série d'assauts contre un adversaire fictif, tous plus vifs et plus audacieux les uns que les autres, à grand renfort de mouvements de jambes. Nul doute qu'il savait manier l'épée, sans conteste, ses instructeurs n'avaient pas perdu leur temps avec lui.
Sa démonstration achevée, Aloysius toisa Juan-Carlos d'un sourire empli de morgue, comme pour lui dire: "Vois comme je suis rapide et adroit, que peux tu faire contre moi avec ton arme vulgaire?"
Mendoza répondit pour lui-même:
:Mendoza: : Je vais me faire un plaisir de te flanquer une correction!
Le balai était quelconque. Il se terminait d'un côté par un assemblage de paille, de l'autre, par une pointe ronde toute simple, mais l'instrument se révélait suffisamment lourd pour lui convenir.
Le Catalan empoigna le manche en bois de sa main droite, à son point d'équilibre.

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Avec la même habilité qu'au lac des pétrifiés, il fit tournoyer son arme improvisée tout en redressant le bras. Le balai passa de sa dextre à sa senestre sans la moindre rupture de rythme. De ses grandes mains, il le fit s'élever au-dessus de sa tête, le plongeant ensuite dans son dos pour mieux le faire jaillir devant lui, en cercles verticaux de plus en plus appuyés. Il stoppa net son mouvement, inversa les rotations, puis se mit à faire passer l'objet de sa main gauche à sa main droite et vice versa, toujours plus vite. Pour finalement se fendre sur le côté, le corps arqué en équilibre parfait, le balai immobilisé en arrière, maintenu dans sa senestre.
N'importe qui eût semblé un peu ridicule à agiter ainsi... un balai, mais l'Espagnol l'avait manié avec une telle grâce, une telle maîtrise, qu'au lieu de provoquer des rires ou des moqueries, sa démonstration engendra un lourd silence.
Toujours en position, il étendit sa main droite devant lui, paume vers le ciel. Fermant ses doigts à trois reprises, geste éminemment moqueur, il invita l'alchimiste à débuter les hostilités.
Énervé, ce dernier se rua sur Mendoza, le corps étiré dans un estoc direct.
Juan se redressa d'un bloc. Son morceau de bois quitta l'arrière de ses épaules pour fuser dans une boucle sèche et descendante, giflant la lame de biais pour mieux la détourner, déséquilibrant son opposant dans son élan. Alors le capitaine empoigna le manche à deux mains, et le projeta dans une nouvelle boucle vive, plus ample, qui retomba pour toucher cette fois le noble en pleine nuque.
Hadji trébucha en avant mais parvint à éviter la chute. Il reprit son équilibre et se retourna pour charger dans un nouvel assaut constitué de quelques pas rapides pour revenir au contact, puis asséner un violent revers de lame.
Mais le mercenaire avait bougé et la lame ne toucha que l'air. En retour, le balai tournoya une fois encore entre ses mains et Pudjaatmaka reçut un coup de brosse dans la mâchoire, suivi aussitôt d'une frappe de l'autre extrémité, sèchement rabattue pour fouetter sa cuisse.
Acculé par le déshonneur, Aloysius ne désemparait pas, toutefois. Il délivra une flanconade vers la hanche gauche de Mendoza avant de changer de trajectoire et de remonter sa lame dans un coup de pointe fulgurant. Fulgurant pour l'assistance du moins. L'ancien Yeoman, lui, ne pouvait se laisser surprendre par ce geste de feinte.
Il frappa en riposte. Son bâton fusa en diagonale haute pour détourner l'estoc vers le ciel. Le navigateur enchaîna aussitôt pour faire pivoter le manche entre ses mains et le côté paille remonta pour frapper le savant en pleine joue.
L'amant d'Isabella aurait pu mettre fin au duel de multiples façons mais n'en fit rien, fermement décidé à donner une bonne leçon à son opposant en le ridiculisant. Ses frappes étaient appuyées, mais sans plus. Il jouait avec l'alchimiste, comme les spectateurs finirent par s'en rendre compte.
Hadji se battait sans réfléchir, sans vraiment construire ses assauts, et le marin commençait à se demander si ses instructeurs l'avaient si bien formé que cela.
Il railla:
:Mendoza: : Ce n'est pas donné à tout le monde de se faire rosser par un balai!
Il savait pertinemment que l'ego surdimensionné de l'héritier ne pourrait que s'enflammer d'un tel sarcasme.
Pour preuve, dans un hurlement de dépit, Hadji se lança une nouvelle fois en avant, balayant l'air de grands traits d'acier rageurs.
Juan-Carlos laissa passer les deux premiers allers-retours, rompant tranquillement devant les mouvement désordonnés qui le menaçaient. Il détourna le troisième de la pointe arrondie de son arme grossière. Alors il fit un pas en avant un gifla l'alchimiste. La joue marbrée, ce dernier recula. Une veine pulsait en travers de son front. Il était ivre de fureur.
Dans un cri de rage, Aloysius se rua une nouvelle fois sur Mendoza.
Le temps de l'estocade finale était venue.
L'Espagnol lança son balai très haut au-dessus de sa tête. Il fit un pas de côté pour éviter le trait d'acier qui se ruait vers son visage, coinça l'avant-bras armée du magicien dans le creux de son coude. Il effectua ensuite un mouvement en pivot et bascula le bassin vers l'avant. Incapable de résister à cette prise, Pudjaatmaka fit un soleil et retomba lourdement sur les lombaires, le souffle coupé, laissant échapper sa rapière.
Mendoza se redressa, leva la main juste à temps pour récupérer son bâton en plein vol, le fit tournoyer une dernière fois avant de terminer son mouvement en plongeant le côté paille contre la glotte offerte.
Il appuya juste assez fort pour faire sentir à son adversaire que s'il le voulait, il pouvait lui broyer la gorge sans merci aucune.
Puis, sans relâcher sa prise, il se pencha sur lui et lui cracha à mi-voix:
:Mendoza: : Regarde ce que je t'ai infligé avec un simple balai, Aloysius! Alors imagine le calvaire que je te ferais subir avec une lame... La prochaine fois que tu manques de respect à une servante, que ce soit la mienne ou une autre, je t'ouvre le ventre. Compris?
Dans le regard du scientifique, baignant de fureur et d'étonnement, le mercenaire put constater que le message avait porté. Il chercherait sûrement à se venger de lui mais au moins, il n'importunerait plus Riya.
Personne n'osa applaudir la punition infligée à l'alchimiste. Toutefois, une rumeur approbatrice bourdonna au sein de l'assistance avant de s'éteindre. Peu désireux d'affronter la réaction du vaincu face à sa défaite, les spectateurs s'égaillèrent, chacun reprenant le cours de sa journée.
Mendoza se détourna d'Aloysius, qu'il écrasait de son mépris. Au passage, il rencontra le regard de la femme brune qui fulminait du traitement infligé à son fiancé. Elle lui décocha une grimace de dédain avant de se porter au chevet du vaincu. Ce dernier la rejeta d'un revers rageur. Son beau visage était fissuré par un rictus de haine. Hormis ces quelques contusions, Hadji n'avait d'autre véritable blessure que celle causée à son amour-propre bafoué. Mais c'était là une plaie cuisante qui ne cicatriserait pas de sitôt.
Les gens se dispersaient dans un brouhaha bon enfant. La démonstration offerte par l'étranger avec un simple balai allait alimenter les ragots du palais pendant une bonne semaine. C'était une aubaine, tant pour les gens du commun que pour le Radjah et sa suite.
Mendoza quitta les lieux, un nouveau coup d'éclat ajouté à sa sulfureuse légende.
Coiffé d'un dastar, comme à son habitude, Chaudary Ram Singh se tenait dans l'encoignure d'un balcon, à l'étage supérieur. Il avait assisté au duel dans ses moindres détails.
CRS: Vous venez de vous faire un ennemi dangereux, Mendoza. J'attends de voir comment vous allez gérer la suite.

☼☼☼

Goa. Comptoir Portugais. Au début de la matinée, un homme avançait dans les rues animées du centre-ville. De taille moyenne, il était vêtu sobrement de velours gris, sans autre signe distinctif que sa jeunesse et son regard trouble, hanté d'un feu intérieur, un feu fanatique.
:?: : Dieu me protège, le señor Gomez me l'a assuré, je n'ai rien à craindre... Je Le sers, Il me guide, Il accueillera mon âme... Mais j'ai chaud, j'ai si chaud... cette chaleur dans mon ventre... Non, tout va bien... Le señor Gomez me l'a dit, répété, je suis l'Élu, je suis protégé... Je ne peux faiblir. Les ennemis du Portugal, les impies, doivent être châtié... Mais ces gens devant moi, ces hommes et ces femmes, ils ne semblent pas... Ils ont l'air si tranquilles. Oh, Dieu tout-puissant! Non, Il guide mes pas, justement. Il me récompensera dans l'au-delà! Que suis-je en train de faire? Oui, je sers le Portugal, je sers sa gloire... Tous ces gens... Et cette chaleur en moi qui grossit! Suffit! Prier Dieu, suivre les ordres, rien d'autre ne compte...
Harcelé par cette musique intérieure, ce refrain qui tournait en boucle, l'homme avançait d'un pas mécanique.
Il transpirait à présent, malgré une brise plutôt fraîche. Il marchait tout droit, fixé sur un but précis. Il abordait le port de Mormugao, une vaste esplanade entourée de maisons aux murs recouverts d'azuleijos, de terrasses d'auberges et de tavernes, occupées pour la plupart.
L'homme se dirigeait en ligne droite vers le plus grand de ces établissements, et la litanie se répétait à l'infini dans les couloirs de son esprit embrumé par cette foi aveugle, tout entier concentré sur sa mission.
Il marchait. Sans se hâter mais sans dévier.
:?: : J'ai trop chaud. Je brûle.
Il ne pouvait en douter, la magie implantée en lui prenait de l'ampleur. Elle le dévorait à présent et les gens autour de lui commençaient à s'étonner de sa mine hagarde. Mais cela était normal, le señor Gomez le lui avait annoncé, maître Nāgārjuna également. Tout allait bien. Il était arrivé.
Alors, comme il avait été prévu, le fanatique mordit dans une boule spongieuse de la taille d'une noix qu'il gardait précieusement dans sa bouche. L'impitoyable magie que son corps recelait libéra tout son pouvoir. Le teint soudain cramoisi, l'homme enfla, ses traits se déformèrent puis il explosa.
Et avec lui tout ceux qui l'entouraient. Hommes, femmes et enfants. Les tables, les chaises, les éléments de décoration, tout cela fut réduit en miettes. Les gens furent transformés en brasier, puis en cendres anonymes. Ceux qui avaient échappé au désastre hurlaient, se bousculaient, s'enfuyaient. L'horreur était totale. Absolue.
Le guet arriva bientôt. Il n'y avait pas grand-chose à faire. Le tocsin se mit à résonner dans la cité. Funeste présage de ce qui restait à se produire.
Posté sur une terrasse qui donnait sur la place, un homme revêtu d'un manteau tricolore contemplait ce spectacle de désolation de son regard froid. Un sourire animait ses traits anguleux et durs.
:Gomez: : Plus efficace et meurtrier que ce fichu lion! Parfait!

☼☼☼

Son duel achevé, Mendoza n'avait pas changé d'idée. Il tenait à voir le capitaine Singh. Il finit par se résoudre à demander son chemin à un page.
Tout en rejoignant l'aile sud du palais, il dut montrer son sauf-conduit à trois reprises, mais on le laissa passer en paix.
Il longea le bâtiment en pleine restauration et finit par s'arrêter devant une grande porte d'acier renforcée sur laquelle était fixé un bouclier aux armoiries du fort.
Mendoza frappa le vantail, le faisant résonner.
Un soldat vint lui ouvrir. Les traits en lame de couteau, une bouche au pli mauvais, des yeux noirs, fiévreux. Une touffe de cheveux bruns ornait son crâne. Torse nu, musculature sèche, il était en sueur. Un réseau de tatouages marquait sa peau, s'arrêtant à la base de son cou. L'homme paraissait bouillonner d'énergie.
Le mercenaire s'apprêtait à entrer. Mais au moment où il fit un pas en avant, l'Hindou posa sa main sur son torse, lui bloquant le passage.
:evil: : Hé, tu crois allez où, toi?
:Mendoza: : Enlève ta main ou je vais te faire mal.
L'autre ricana:
:evil: : Tu sais où tu es, là? Va-t'en!
Juan fit lentement pivoter sa tête pour assouplir les muscles de ses épaules. Il s'apprêta à passer à l'acte lorsqu'une voix tonna de l'intérieur.
Singh: Vikram! Laisse-le entrer.
Le soldat ôta sa main, recula pour lui laisser le passage. Mais lorsque l'étranger franchit le seuil, il lui adressa une grimace de défi.
L'Espagnol se retrouva face au capitaine Singh. La grosse moustache de ce dernier s'étirait dans un sourire accueillant:
Singh: Bienvenue, Mendoza! Ne fais pas attention à Vikram, il s'est levé du mauvais pied. Viens, je vais te faire visiter les lieux.
Amarinder mena son hôte à travers une salle plus longue que large, très haute de plafond. Sur les deux longueurs, les inévitables râteliers d'armes. Sabres, épées odi katti, firangi, moplah ou tulwars, poignards asi, lances... Toute une déclinaison d'ustensiles propres à l'homme de guerre. Au-dessus des râteliers, un demi-étage en mezzanine avec des sortes de boxes pour s'isoler et prendre du repos.
Au centre de la salle divisée en grands carrés, deux cercles de combat, des tapis de sol. Au fond, sur la droite, toute une série de cordes entremêlées avec poulies et contrepoids pour se muscler. Un homme était allongé sur un banc, torse nu comme Vikram, mais taillé comme un colosse, occupé à travailler ses pectoraux aux haltères.
Sur la gauche, un long couloir au fond duquel étaient accrochés des mannequins. En avisant le présentoir d'armes de tir à l'entrée, Mendoza comprit que les gardes préféraient l'usage de l'arc à celui de l'arbalète.
L'endroit sentait le cuir, la sueur, la graisse d'arme. Aucune décoration, aucun signe de superflu.
Le mercenaire avait retrouvé son élément.
Singh: Comme tu le sais, je dirige ces hommes. Je dispose de cinq unités, chacune comprenant quatre soldats, officier compris, et un pisteur. Pour le moment, trois d'entre elles sont en exercices, la quatrième est en mission.
En plus du guerrier tatoué et du capitaine, quatre hommes étaient installés dans la salle. Singh les désigna un à un.
Singh: Voici les membres de l'escadron Trishula, le trident attribut de Shiva... Chetan, le meneur de section. Il a une conversation déplorable mais c'est le moins mauvais que j'ai trouvé pour diriger le groupe.
Singh faisait référence à un individu dressé derrière une longue table sur laquelle reposait tout un alignement d'épées longues et courtes, et de sabres. Cheveux très courts, noirs, une barbe rase encadrant son visage maigre, le lieutenant Chetan examinait minutieusement chaque lame afin de vérifier son tranchant.
Singh: Là, tu as Fareed. Il se prend pour un pisteur mais il est incapable de remettre la main sur son peigne!
L'homme dont parlait le capitaine était nonchalamment installé sur un tabouret, les pieds posés sur un autre. En guise de salut, il leva l'index. C'était le seul du groupe à avoir les cheveux longs, qu'il coiffait en queue-de-cheval.
-Il y a donc Vikram qui t'a ouvert la porte, et dans le fond, c'est Mohinder qui soulève des haltères même en dormant!
Le personnage lâcha ses instruments et se redressa pour saluer d'un geste vague de la main. Noueux, la peau mate, de gros favoris bruns ombrant les lignes de sa mâchoire. Mais contrairement à la plupart des adeptes de la gonflette, le colosse paraissait doté d'une souplesse satisfaisante pour un homme de sa taille.
Singh: Et enfin, voici Bhola. C'est un fainéant comme j'en ai rarement vu. Je me demande bien pourquoi je le garde avec moi, après toutes ces années.
Le cinquième membre de l'escouade était un petit homme au corps sèchement musclé d'un coureur. La tête ronde, le crâne rasé, un bouc pointu ornant son menton, il se tenait accroché la tête en bas, en haut de la mezzanine. Les yeux fermés, il semblait méditer.
Il s'était montré d'une telle immobilité jusque-là, que l'Espagnol ne l'avait pas remarqué.
Ainsi apostrophé, l'Hindou ouvrit les yeux et riposta d'une voix de basse, surprenante pour sa corpulence:
Bhola: Tu me gardes avec toi, capitaine, parce qu'après toutes ces années, je suis justement le seul à pouvoir supporter tes humeurs, et parce que sans moi, tu ne saurais même pas distinguer ta droite de ta gauche.
Une amitié ancienne liait d'évidence le capitaine et son subordonné. Les présentations faites, Singh engloba ses hommes d'un geste large de la main:
Singh: Tels que tu les vois, ce sont tous de sacrées fripouilles mais ce sont mes fripouilles. Et les autres sont du même acabit, je les ai sélectionnés moi-même. Au combat, tu ne trouveras pas mieux.
Mendoza apprécia la manière dont Singh parlait de ses hommes. Il avait lui-même éprouvé une fierté identique mêlée d'affection envers sa propre escouade, lorsqu'il était le capitaine des Yeomen.
Effectivement, la section avait l'air de ce qu'elle était, une bande de durs à cuire, de vrais guerriers rodés par l'expérience. Juan avait le même genre de regard qu'eux. La même démarche, la même manière de sonder son environnement. Il aurait pu faire partie de leurs.
Singh: Je ne te fais pas visiter mon bureau, il est dans l'une des pièces à côté, mais je ne pense pas que ça soit bien passionnant. Par contre, puisque tu es là, tu veux t'entraîner un peu? Un petit combat à mains nues en trois manches?
Amarinder désigna un cercle de lutte. Le Catalan opina, incapable de résister à ce genre de défi. Car c'était un défi, il n'en doutait pas. On allait le tester. Et pour se faire respecter par des individus comme ceux-là, il ne pouvait se permettre de reculer.
Singh: Qui veut s'entraîner avec l'Espagnol?
Vikram: Moi.
La voix de Vikram avait claqué comme un fouet, agressive.
Le navigateur ôta sa ceinture et sa tunique, déposa ses lames et se dirigea vers le cercle de combat. Vikram fit jouer ses bras et ses épaules pour les assouplir et approcha de l'arène. Les deux combattants y accédèrent sans se quitter des yeux.
Mendoza se tourna vers Singh, s'apprêtant à demander quelles étaient les règles en vigueur, comme il était d'usage, lorsque Vikram le prit totalement au dépourvu. Au lieu de saluer, à peine avait-il posé le pied sur le cercle de combat que l'Hindou se ruait sur l'étranger et le frappait d'un crochet du gauche en plein visage.
Le marin fit un tour sur lui-même et se retrouva à quatre pattes sur le sol. L'autre, le poing levé au ciel, tonna:
Vikram: Un!
:Mendoza: : Te faire surprendre ainsi par un professionnel. Quel imbécile tu fais, mon pauvre Juan!
Comme si rien ne s'était passé, Singh annonça d'un ton léger:
Singh: Il ne s'agit pas de s'arracher les yeux ou le nez, messires. Un affrontement amical entre gens de bonne compagnie, rien d'autre.
Le bretteur secoua la tête pour reprendre ses esprits.
:Mendoza: : Amical? Ça en a bien l'air!
Du coin de l'œil il aperçut Vikram qui revenait à la charge, prêt à le frapper d'un coup de botte.
Toujours au sol, l'Espagnol se tortilla pour se mettre sur un genou et agripper le pied du soldat en plein vol. D'un mouvement des deux mains, il tordit la jambe de Vikram. Ce dernier décolla du sol pour accompagner le mouvement. Alors le mercenaire se redressa tout en repoussant son adversaire. L'Hindou se reçut sur les avant-bras, effectua une roulade avant et se releva pour se replacer aussitôt en position de combat, face à l'étranger. Il se rua sur lui et cogna du revers de la main, touchant le matelot à la pommette. Avant qu'il ne puisse doubler d'un fouetté du pied, Juan riposta d'un coup de coude circulaire dans le creux de l'épaule. Vikram le repoussa d'un coup de genou et enchaîna d'un coup de tête. Le Catalan gifla la tempe adverse pour détourner son assaut et poursuivit d'un enchaînement pied-coude. L'Hindou esquiva la botte, contra le coude en percutant son concurrent de l'épaule puis prit une garde de boxeur et revint à l'attaque en décochant des crochets secs et ravageurs. Les avant-bras ramassés autour de sa tête, légèrement plié en avant, les abdominaux bandés, Mendoza laissa passer la grêle de gnons. Lorsque Vikram reprit son souffle, il le renvoya en arrière d'une talonnade en plein torse. L'autre accusa le choc et revint au contact, un sourire mauvais au coin des lèvres.
Il asséna alors une manchette au niveau du cou. L'Espagnol para de l'avant-bras et sa main droite fusa, les doigts raidis, pour poinçonner le plexus solaire de son adversaire. Ce dernier détourna la tentative, pivota sur lui-même, une jambe en appui, l'autre fléchie en équerre. Atteint d'un coup de pied retourné dans les reins, Juan trébucha vers l'avant. Vikram changea de pied d'appui, et sa jambe opposée gicla vers le haut pour broyer les côtes de l'Espagnol. Celui-ci se baissa sur les talons, laissant l'attaque se perdre au-dessus de sa tête. Dans le même élan, d'un revers de l'avant-bras, il balaya la jambe d'appui de Vikram.
Au moment où le soldat tatoué s'effondrait sur le dos, Mendoza se redressa d'une torsion et lui balança un violent coup de coude dans le menton, puis une manchette dans le tympan droit. Il se laissa tomber sur l'estomac de son adversaire, bloqua sa mâchoire de sa dextre et releva sa senestre, en oblique.
Il était prêt à frapper, à plonger ses deux doigts raidis dans les yeux vitreux de Vikram. Il avait basculer dans l'ivresse du combat. Rien ne comptait plus que de vaincre.
Un rictus enlaidissant ses traits, in extremis, le Catalan suspendit son geste. Sans relâcher sa prise, il toisa Singh bien en face.
:Mendoza: : Si je veux, je le tue.
Tel fut le message que son regard allumé d'un feu ardent envoya à l'officier.
Amarinder hocha imperceptiblement la tête à l'attention de Mendoza. Le message était reçu.
Singh: L'Espagnol remporte la deuxième manche et de ce que je vois de notre ami Vikram, également la troisième. Victoire pour lui.
Alors le mercenaire relâcha son bras et, d'une bourrade, repoussa son adversaire sur le côté. D'un gros rire, Singh dénoua la tension qui avait envahi la salle. Les chants de la victoire résonnaient en l'Espagnol, contrebalançant la brûlure de ses meurtrissures. Il se redressa, parcouru par cette vague formidable, exaltante, qui vous laisse croire un instant que vous vous trouviez sur le toit du monde, éclaboussé d'une énergie sans pareille.
Vikram reprenait ses esprits. Il savait encaisser et le navigateur en connaissait des bien plus costauds que lui qui seraient encore au tapis. Un peu chancelant, l'Hindou parvint à s'asseoir, faisant preuve d'un effort de volonté remarquable.
Mendoza se pencha sur lui et tendit sa main pour l'aider à se relever.
:Mendoza: : Sans rancune?
Le soldat le regarda intensément. Puis, un sourire naquit sur ses lèvres:
Vikram: Sans rancune, l'Espagnol. C'était de bonne guerre.
Il saisit la main tendue. D'un hochement de tête, Mohinder estima:
Mohinder: Beau combat!
Farred se moqua du vaincu:
Fareed: Qu'est-ce que tu as pris, mon pauvre Vikram!
Mais la remarque du pisteur n'était qu'une marque de complicité. Toujours perché la tête à l'envers, Bhola tapa doucement dans ses mains en guise d'approbation.
Le geste de Mendoza, et sa prestation, lui avait valu le respect des guerriers.

☼☼☼

Une heure plus tard, dans la chambre du conseil de Goa, les membres qui dirigeaient la cité étaient réunis, la mine soucieuse.
Personne ne savait quoi que ce soit sur les auteurs de cette attaque aussi soudaine qu'effroyablement dévastatrice. Du reste, il était impossible de dire comment avait eu lieu cette mystérieuse explosion, ce qui l'avait provoquée.
Celui qui présidait était un grand homme aux yeux noirs, une bouche charnue, les traits bien dessinés mais cachés sous une épaisse barbe brune et figés sur un masque de sévérité. Le gouverneur Nuno da Cunha dévisagea ses conseillers les uns après les autres.
Dom Garcia de Noronha, en costume brun à rayures claires, mince, ascétique comme s'il sortait d'un jeûne forcé, les cheveux et la barbe gris, le regard insondable et la bouche marquée d'un pli désapprobateur.
Aleixo de Menezes, le plus jeune des quatre, brun, d'épais sourcils se touchant presque au-dessus d'un regard fatigué, un long nez, une pipe d'écume à la main. Tout de noir vêtu.
Francisco Roiz, habillé en velours vert. Il portait une paire de bésicles dorées, de nombreux bijoux, et ne cessait de contempler ses ongles immaculés, comme à la recherche d'une salissure imaginaire.
Fernando Laguerra, enfin, arborait un costume bariolé et toujours ces yeux noirs à l'éclat ironique.
Au terme de son examen, le gouverneur énonça:
Nuno: Messires, je vous ai convoqués sans tarder car la situation est grave... Vous savez ce qui c'est produit tout à l'heure sur l'esplanade de Mormugao... Je viens de recevoir l'estimation provisoire du désastre: presque cent morts et au moins autant de blessés. Je viens également de recevoir cette missive. Elle s'avère pour le moins troublante, comme vous pourrez en juger. Lisez-la tour à tour, ensuite nous aviserons de la conduite à tenir.
Nuno da Cunha tendit la missive à Garcia de Noronha qui la parcourut avec attention avant de la tendre à Aleixo de Menezes, le pli de sa bouche encore plus sinistre qu'à son habitude. Ce dernier l'étudia avant de la faite tourner.
Le document portait en en-tête un blason apposé à la cire, trois lettres stylisées cernées d'un entrelacs de ronces. L'écriture était d'une certaine élégance, celle d'un lettré de toute évidence, et sans aucune faute d'orthographe.

Citoyens de Goa, membres du conseil, écoutez la voix des Justes!
Animée de son légitime courroux, la Confrérie des Justes a lancé son armée sur les colonies pour revendiquer son héritage. Les impies seront châtiés, et leurs complices involontaires, ceux qui se vautrent dans l'oisiveté, le luxe et le mépris des basses classes connaîtront le même châtiment. Vous vous êtes coupés du peuple et de ses intérêts, tous autant que vous êtes. Vous ne suivez plus que l'amour de vos propres intérêts. Ce temps est révolu. Il est venu le moment d'en finir avec le joug des riches égoïstes. Il est temps d'honorer la vérité et la justice!
Vous pouvez néanmoins acheter notre clémence, au prix de trois cent mille escudos d'or. Vous vivez pour la richesse, vous serez puni par elle.
Nous vous laissons six jours pour donner votre réponse.
Si vous acceptez, faites dresser un drapeau jaune à l'un des balcons de la façade principale de l'hôtel de ville. Si vous refusez, préparez-vous à souffrir car la cité va pleurer des larmes de sang.
Prenez garde, les Justes vous feront regretter toute tentative d'échapper au destin qu'ils vous ont fixé.
PS: Et si vous ne cédez pas, gouverneur Nuno da Cunha, vous en paierez personnellement le prix. De votre vie.


Ainsi se terminait cette lettre signée de la Confrérie des Justes.
Faussement ulcéré, le docteur Laguerra lança:
:Docteur: : Qui sont-ils pour oser nous menacer ainsi?
Dom Garcia signifia d'une mimique accompagnée d'un revers de la main qu'il ne s'effrayait pas d'une telle menace. L'archevêque Menezes, songeur, se caressait la pointe du menton, comme à chaque fois qu'il était livré à l'incertitude. Quant à l'administrateur Roiz, il regardait le gouverneur avec un petit air narquois, comme s'il le défiait de résoudre cet ardu problème.
Après avoir regardé sa pipe sous toutes ses facettes, Menezes soupira:
Aleixo: Pauvre gens!
Roiz énonça:
Roiz: La situation me paraît pour le moins préoccupante.
Il s'attira un rire moqueur de la part du père d'Isabella, qui rétorqua dans la foulée:
:Docteur: : Bel euphémisme, mon cher. À part enfoncer les portes ouvertes, de quoi êtes-vous donc capable?
Le gouverneur trancha aussitôt:
Nuno: Suffit, vous deux! J'ai assez à faire de cette alarmante situation sans avoir à supporter vos rivalités. Je vous demande votre opinion: doit-on décréter l'état d'urgence?
Les conseillers prirent le temps de soupeser cette possibilité.
L'archevêque estima:
Aleixo: Ma foi, il me semble qu'il est trop tôt pour cela. Cela risquerait de créer la panique et ce serait une catastrophe pour l'économie de la ville.
Dom Garcia ajouta:
Garcia: Je suis d'accord. Gardons cette option comme un dernier recours, c'est plus prudent.
Laguerra intervint:
:Docteur: : Nous sommes attaqués, menacés mais par qui et pourquoi donc?
Nul ne pouvait lui répondre et il n'en avait cure car il le savait.
Le gouverneur s'enquit:
Nuno: Qui a entendu parler de cette Confrérie des Justes? Personne? Je m'en doutais. Cette organisation cache-t-elle de véritables fanatiques, comme elle le laisse supposer, ou bien d'habiles maîtres chanteurs?
Menezes soupesa:
Aleixo: Comment le savoir? Et comment savoir si cette demande émane directement des responsables de cette atrocité, et non pas d'opportunistes en train de nous leurrer...
Après avoir scruté ses ongles pour la sixième fois, Francisco Roiz renchérit:
Roiz: Ou encore d'une bande d'illuminés inoffensifs désireux de profiter de la situation pour attirer l'attention?
Nuno: L'attaque dont nous avons été victimes n'a rien d'inoffensive. Dois-je vous rappeler le nombre de victimes? Alors considérons le pire, c'est le meilleur moyen de s'y préparer. Sachez que je suis prêt à lâcher les compagnies-franches, le commandant Diogo Rodrigues attend mes ordres. Mais encore faut-il que je sache où et sur qui relâcher sa colère... Qui nous attaque? La question est là. J'ai lancé des enquêteurs dans toute la cité. Les patrouilles arpentent les rues. J'ai mobilisé tous les talents dont nous disposons sans perdre une seconde, et pour le moment, je me dois de l'avouer, sans apprendre quoi que ce soit.
Le silence s'instaura, pesant, finalement balayé par le gouverneur:
Nuno: Un autre point, cette fois positif... L'émissaire des Chrétiens de saint Thomas m'a assuré du concours de son ordre. Les frères-missionnaires ont toute compétence pour nous aider à prendre soin des blessés. Les familles des victimes seront assistées, évidemment, sur les fond du Trésor, je vous laisse le soin d'arranger la chose, Roiz. Dès la fin de notre réunion, je chargerai le commandant Rodrigues de tout mettre en œuvre pour trouver ceux qui prétendent nous faire chanter.
:Docteur: : Avons-nous la somme en caisse?
L'administrateur, en charge des finances, croisa les doigts:
Roiz: Oui, mais cela représente un bon tiers de nos richesses.
Dom Garcia souffla:
Garcia: C'est une somme faramineuse!
Nuno: Oui, ça l'est, mais plus encore que cela, il faut bien comprendre une chose: si nous cédons à ce chantage, une fois, juste une fois, rien n'empêcherait ces individus de recommencer leur manège, ou bien d'autres, des nouveaux du genre, jusqu'à nous saigner à blanc. Nous ne pouvons nous le permettre. Nous ne paierons pas... En êtes-vous tout aussi conscients que moi?
Ils acquiescèrent dans un même ensemble, bien que pour l'un d'entre eux avec une réticence certaine.
Le conseil continua d'évoquer la situation sous tous ses aspects durant une bonne heure, au terme de laquelle le gouverneur reprit la parole:
Nuno: Nous avons fait le tour de la question, pour le moment. Nous sommes d'accord pour ne pas céder. Une précision encore: nous ne devons parler de cet ultimatum à personne. Est-ce clair? La pression populaire pourrait nous déborder, sans parler du risque d'une panique généralisée. Hors de question également d'en informer les autres comptoirs. Cela nous affaiblirait vis-à-vis d'eux. Nous allons régler le problème par nous-mêmes.
Garcia: Et comment?
Dom Garcia fut aussitôt foudroyé du regard par le docteur Laguerra.
Nuno: Je n'en sait pas plus que vous, conseiller. Vous êtes tout aussi libre que moi de réfléchir à un moyen d'en finir avec ces atrocités. Maintenant, j'attends vos suggestions, messires.
Bourrant sa pipe de tabac frais, l'archevêque jugea:
Aleixo: Il va falloir préparer un communiqué officiel...

À suivre...
Modifié en dernier par TEEGER59 le 23 nov. 2023, 16:26, modifié 3 fois.
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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kally_MCO
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Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par kally_MCO »

Court ? Ça, c'est ce que tu appelles un chapitre court ?

J'ai adoré, en tout cas !

●> Le retour des "méchants" est mieux qu'appréciable, j'aime beaucoup leurs échanges et je ne sais pas pourquoi mais ils me font toujours aussi froid dans le dos...
●> Le petit passage avec Tao, Isa et Maître-peace-and-love était charmant. Je t'avoue que j'ai toujours du mal à me remettre d'un passage en particulier, mais passons... Les doutes du naacal sont légitimes et j'ai beaucoup aimé les répliques de Laguerra, ainsi que le montage ! Et c'est génial de voir que la relation Mendoguerra commence enfin/encore une fois à prendre un nouveau tournant (dans la tête de la señorita, j'entends).
●> Aloysius n'est qu'un immonde cafard orgueilleux (je reste polie ici) ! Quelle chochotte ! Le duel était formidable et bon sang, Juanito a été un génie sur ce coup :tongue: :lol: Mais pauvre Vikram, en revanche... oups.
— Regarde toi : la finesse d'une enclume et la loyauté d'un bigorneau !
— Et toi, capitaine Mendoza, tu fais quoi d'honorable à part chasser les mouches avec ta cape ?!
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Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par TEEGER59 »

Suite.

CHAPITRE 19: L'intronisation.

Laguerra vint comme convenu chercher Mendoza pour l'emmener à la cérémonie d’initiation de Tao. Elle avisa les meurtrissures sur le visage de son amant et s'exclama:
:Laguerra: : Qu'est-ce que je viens d'apprendre? Tu t'es battu en duel avec Aloysius? Avec un balai?

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Le capitaine haussa les épaules.
:Mendoza: : Je l'ai surpris à agresser ma servante dans un couloir, alors je l'ai calmé d'un coup de tête. Et plus tard, quand je l'ai recroisé, il m'a provoqué en duel. J'en ai profité pour lui donner une bonne leçon, histoire de lui apprendre à respecter les femmes. S'il a deux sous de bon sens, il s'en tiendra là. Sinon, tant pis pour lui.
:Laguerra: : Mais pourquoi un balai?
:Mendoza: : J'ai trouvé ça amusant, sur le moment.
Roulant des yeux, l'aventurière soupira:
:Laguerra: : Les hommes! Enfin... dès que je vois Athanaos, j'en profite pour lui faire un rapport et demander des sanctions envers Hadji.
D'un ton catégorique, l'Espagnol répliqua:
:Mendoza: : Certainement pas. La sanction, je m'en suis occupé, et je ne doute pas que Athanaos soit d'ores et déjà au courant de ce qui s'est passé.
:Laguerra: : Je pense que...
D'un ton sans réplique, le marin la coupa:
:Mendoza: : Isabella, je règle mes affaires moi-même, sans avoir à me réfugier derrière qui que ce soit. Ne t'en mêle pas, je te prie.
:Laguerra: : Je laisse tomber. Tu es têtu comme une mule!
:Mendoza: : Pire...
:Laguerra: : Mais attends, c'est Aloysius qui t'a ainsi marqué le visage? On m'a rapporté qu'il n'avait pas réussi à te toucher une seule fois.
Le mercenaire gloussa:
:Mendoza: : Non, je dois ça à Vikram, un soldat du capitaine Singh.
:Laguerra: : Parce que, en plus, tu t'es battu avec un garde? Juan, tu es vraiment impossible! Une minute... dans quel état l'as-tu laissé, celui-là?
:Mendoza: : Quand je l'ai quitté, il était un peu hébété. Mais désormais, il me respectera... J'avais un message à faire passer. C'est fait.
La bretteuse lâcha un profond soupir:
:Laguerra: : Tu as raison au fond, tu n'as nul besoin que je te serve de chaperon. En fait, ce sont ceux qui sont assez inconscients pour s'attaquer à toi que je dois protéger!
Tandis qu'il suivait la jeune femme, il se demanda si le Radjah était au courant pour le duel avec Aloysius et s'il allait le réprimander lorsqu'il le verrait. Si tel était le cas, il ferait front.

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La salle du chapitre où les alchimistes tenaient cénacle était située deux niveaux sous le laboratoire. Elle était taillée à-même la roche, qui diffusait une agréable fraîcheur.
Elle était éclairée par des dizaines de bougies, plantées sur de grands candélabres, suffisamment espacés pour ne diffuser qu'une lumière tamisée.
Lorsqu'ils se réunissaient, les magiciens délibéraient au centre de la pièce, un rond creusé dans la pierre, au-dessus duquel on avait dressé une estrade. Sur celle-ci, reposait une table en bois, en forme de fer à cheval inversé derrière laquelle allaient bientôt s'installer Athanaos et quelques membres éminents de l'Ordre. En face d'eux, devant le creux du fer à cheval, il y avait un pupitre destiné aux dépositions d'éventuels témoins ou autres requérants.
À la manière d'une arène antique, des marches montaient vers une série de gradins destinés aux autres disciples et aux spectateurs. Les soirées festives du Radjah intéressaient bien plus les nobles que les délibérations scientifiques. La salle n'était qu'au tiers pleine. Néanmoins, Estéban et Zia étaient là, ainsi que Gaspard.
Pendant que sa compagne enfilait sa chasuble au vestiaire, Mendoza s'installa sur l'un des gradins du deuxième rang, le premier étant réservé aux alchimistes. Il s'assit aux côtés de Chaudary, au moment où le vice-chancelier de l'Ordre venait de sonner la cloche. La séance n'allait pas tarder à commencer.
Athanaos et Tao n'étant pas encore là, le capitaine en profita pour discuter avec lui.

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Vingt minutes auparavant, dans une autre partie du fort, une étroite volée de marches menait à une porte en soubassement. Là, une silhouette discrète attendait, sous une robe à capuchon. Le visage d'un homme qui était parfaitement inconnu de Tao leva les yeux vers lui et lui fit signe d'avancer d'un air entendu.
Le naacal descendit l'escalier à la suite de l'alchimiste. Arrivé à sa hauteur, ce dernier sortit une grosse clé d'un pli de sa chasuble, en s'adressant à la future jeune recrue à voix basse:
:?: : Bienvenue, jeune homme. Gloire à l'Ordre du Sablier!
Tao répéta ces mêmes mots avec le ton pénétré de ceux qui partagent les secrets de l'univers. Si Athanaos et Isabella manœuvraient bien, la confrérie n'allait pas tarder à changer de nom.
Le passe-partout tourna dans la serrure sans émettre le moindre bruit. La porte s'ouvrit vers l'intérieur. Derrière, des grandes caves voûtées plongées dans le noir le plus total les attendaient.
:?: : Entre, jeune homme.
Tao s'avança dans l'obscurité. Il ne voyait strictement rien. La porte se referma derrière lui dans un bruit de bois humide. Il sentit un filet de sueur glacée lui couler le long du dos. Les ténèbres réveillèrent chez lui une sensation de claustrophobie. Les images de monstres de son enfance lui revinrent en mémoire, semblant se densifier dans le noir. Il se sentit soudain comme nu, observé par des centaines de regards moqueurs.
Puis un halo lumineux repoussa l'obscurité. Une autre silhouette en chasuble avait jailli de derrière un pilier, tenant une torche qui diffusait une lueur autour de lui.
Observant les alentours, le Muen ne vit rien d'autre que d'épaisses colonnades soutenant un plafond bas en ogives. Une ancienne cave, de toute évidence, vide. Il rit intérieurement de sa peur soudaine, et chassa ce sentiment tout en approchant de cet autre magicien.
Sans un mot, le nouvel individu scruta le mulâtre de ses yeux bruns au regard fixe et l'étudia longuement, le mettant mal à l'aise. D'une voix neutre, l'homme demanda:
:?: : Quel âge as-tu, mon garçon?
La voix s'éleva dans le silence comme une vague de musique.
:Tao: : Bientôt seize ans.
Tao avait lu que de nombreuses assemblées considéraient que c'était l'âge minimum pour accepter des adeptes.
:?: : Tu as une aura très nette pour quelqu'un de si jeune.
Le frère de Zia se demanda comment il était censé prendre cette remarque, mais de toute façon, le ton était cordial.
:Tao: : Merci.
:?: : Et quel est ton nom?
Le naacal le lui dit.
:?: : Ce n'est pas un nom pour un futur initié. Athanaos ne t'a donc pas dit d'en choisir un autre?
Il secoua la tête. Son interlocuteur mit sa capuche, se retourna et avança lentement, chassant les ténèbres de son flambeau. Tout en emboîtant le pas de son guide, le jeune savant se dit:
:Tao: : Décidément, l'Ordre du Sablier apprécie autant les mises en scène que les mystères.
Après dix minutes de pérégrination au sein d'un labyrinthe souterrain de caves, de tunnels et d'escaliers, Tao et son accompagnateur débouchèrent dans une petite pièce aux murs recouverts de briques sombres. Une grande cuve, une table, des tabourets, deux hautes armoires et des étagères en bois meublaient les lieux.
L'alchimiste demanda à Tao de se déshabiller entièrement, ce qui le surprit quelque peu.

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Sentant sa réticence, l'homme à la cuculle expliqua:
:?: : Ici, nous devons nous purifier avant de procéder à notre rituel.
Le rouge au front, le métis obtempéra avec une grimace. Ses vêtements furent proprement pliés et posés sur la table. Le magicien lui désigna le baquet où il alla le rejoindre puis prit un seau. L'eau tiède inonda sa poitrine et son ventre. L'alchimiste prit ensuite un morceau de savon et entreprit de le laver soigneusement, frottant d'une main ferme ses aisselles et son dos avant de savonner le reste du corps.
Tao resta immobile, ne sachant quelle attitude prendre, se sentant extrêmement gêné. Heureusement, les mains de l'individu abandonnèrent assez vite son bas-ventre pour descendre vers ses jambes. Après l'avoir rincé, il le fit sortir et lui enveloppa les épaules d'une grande serviette.
Lorsque le naacal fut séché, l'homme en chasuble l'invita à le suivre par une autre porte. Uniquement vêtu de son pantalon, Tao suivit docilement en frissonnant.
Ils débouchèrent dans une vaste salle souterraine. Avec soulagement, le mulâtre reconnut la fabrique. En levant les yeux, il aperçut également la cape rassurante de Mendoza. Le guide l'invita à emprunter la plate-forme mobile qui permettait d'atteindre le palier où avait disparu le marin et sa compagne. Une fois en haut, l'alchimiste fit:
:?: : Attends-moi ici, je viendrai te chercher...

Dans l'hémicycle, le brouhaha général se calma un peu lorsque la grande porte, derrière l'estrade, s'ouvrit. Isabella fit son apparition, suivie de près par Synésius.
Si la chose était possible, ce dernier transpirait encore plus que d'habitude. Son front était constellé de gouttelettes de sueur qui se cherchaient, s'assemblaient et se transformaient en ruisseaux avant de parcourir son visage pour aller terminer leur course dans son col.
Tous deux prirent place au premier rang, les murmures se transformant à nouveau en conversations, puis à celui qui allait crier le plus fort.
Encadrant Athanaos, Hortense, Hippolyte et l'escorte de Tao arrivèrent eux aussi. Le trio d'alchimistes empruntèrent le même chemin que l'aventurière, laissant le père d'Estéban s'installer à la tribune.
Mendoza se dit:
:Mendoza: : Ah, enfin!
Ni lui ni aucun autre ne prêtèrent attention à Aloysius, qui se glissa dans le dos de l'ancien disciple du fondateur pour aller rejoindre sa place. Encore moins à son cortège, qui alla se placer dans une des alcôves réservées aux proches.
Des gardes, menés par le capitaine Singh, entrèrent à leur tour. Quatre au total, épée aux côtés, vinrent se placer, deux de part et d'autre, derrière les cultistes. Amarinder Singh lui-même se positionna derrière un participant. Si les autres l'ignoraient, le capitaine Hindou savait pertinemment que sous la chasuble de celui-là, se trouvait Hadji.
Trois coups de maillet claquèrent dans l'agora, imposant un silence religieux. La foule se tut, soudain figée, tous les regards fixés sur Athanaos qui reposa son instrument de bois cérémonieusement.
:Athanaos: : Mes chers confrères, si nous sommes réunis aujourd'hui, ce n'est pas pour faire des lectures des articles récents et de discuter des théories et des découvertes nouvelles, mais pour introniser un nouveau membre au sein de notre communauté... Mais avant cela, je vous propose de la rebaptiser... Suite aux actes infâmes perpétrés par Ambrosius, la réputation de l'Ordre du Sablier a été entachée. Comme me l'a si bien dit François Ier il y a quelques temps, avec la mort de Léonard de Vinci, notre confrérie a été privée de conscience, elle s'est reniée et trahie. Si nous voulons rester indépendants, elle doit changer de nom.
Les exclamations des disciples mirent plusieurs minutes à se calmer. Des désaccords commençaient à éclater, les rares à ne pas être totalement envoûtés par l'argumentaire du troisième grand-maître cherchant à avoir plus de preuves et, donc, défendant indirectement Ambroise de Sarle. Ceux-là se voyaient à leur tour pris pour cible. Les gardes durent intervenir pour stopper quelques bagarres.
La parole fut confiée à Isabella Laguerra. Il était grand temps pour l'ancien bras-droit d'Ambrosius de présenter sa version des faits.
Elle se leva, bien droite, drapée de sa dignité, sans chercher à fuir le regard de ses détracteurs et avança jusqu'au pupitre des témoins.
:Laguerra: : Mes chers confrères, ma chère consœur...
Méthodiquement, elle posa les faits d'abord connus, à savoir la tentative d'enlèvement des enfants du village, alchimistes et gardes du Radjah ne pouvant ignorer ceci.
Une première bordée d'insultes fusa, mais Athanaos imposa le silence de son maillet. L'aventurière reprit et se lança dans une diatribe théâtrale, virulente et enflammée, exposant les exactions du petit homme roux après leur fuite.
Gaspard suivait d'une oreille distraite les propos de l'aventurière étalant tous les maux de l'Ordre, excitant une foule avide d'un responsable. Et le doigt accusateur pointait lentement mais sûrement vers le petit alchimiste rondouillard. Son rapport fut accablant.
De nouveaux lazzis. Une vieille pomme pourrie jaillit même des gradins, venant s'écraser une bonne toise au-dessus de l'estrade. La jeune femme ignora l'ensemble et poursuivit.
Un magicien jaillit comme un diable a ressort de sa boîte:
:evil: : Mensonges! Votre tentative d'incriminer maître Ambrosius est pathétique, Laguerra! Je vois clair dans votre jeu. Vous lorgnez la place de feu votre père.
Il avait suivi toute la scène et avait pris soin d'analyser la situation, afin de bien comprendre les rôles de chacun. Pas bien compliqué. La même histoire se répétait, des hommes et des femmes de pouvoir en voulaient encore plus.
Avant qu'une nouvelle vague assourdissante s'empare de l'assistance, la voix claire et tranchante d'Hortense s'éleva:
Hortense: NON! Isabella dit vrai, cher confrère.
Son assertion provoqua une certaine stupeur.
Avec dédain, la voix d'Aloysius claqua comme un coup de fouet lacérant un dos nu. Il riposta:
Hadji: Par Shiva, qu'en savez-vous?
Laguerra le contempla de cet air sauvage qui la caractérisait et qui allumait ses iris d'un feu redoutable. Avant qu'elle n'ouvre la bouche, Hortense répliqua sèchement:
Hortense: Synésius, Hippolyte et moi étions présents lorsque Ambrosius s'est attaqué au roi de France... Et puis, vous pensez qu'Athanaos a été retenu ici de son plein gré? Réfléchissez un peu, que diable!
Pudjaatmaka accueillit l'argument d'un reniflement méprisant. Hortense le foudroya du regard.
Isabella se retourna, croisa celui de la rouquine et lui adressa un signe de tête. La fille du docteur commençait vraiment à l'apprécier. Une femme de caractère, une combattante dans un monde généralement dominé par des hommes trop souvent incompétents. Une femme capable de changer les choses.
:Laguerra: : Ambrosius n'était qu'un démon travesti qui nous a tous leurré. Il a été démasqué. Si vous ne me croyez pas, demandez au señor Gaspard, ici présent, ce que notre maître a fait subir à l'équipage d'un navire...
Autant pris à partie qu'au dépourvu, l'officier se leva, gratta sa joue rêche, le temps de formuler sa réponse:
:Gaspard: : Alors que nous survolions l'Afrique à bord de la nef en direction du Grand Zimbabwe, il a subitement changé de cap vers le large pour récupérer la matrice d'orichalque que la señorita Laguerra avait confié au capitaine de l'Esperanza...
Un magicien s'écria:
:shock: : Un moment! Pourquoi avoir donné la matrice à cet homme? Et surtout, pourquoi vous faire confiance, Laguerra? Cet artefact nous appartenait!
Taisant son rôle d'espionne de Charles Quint pour aller à l'essentiel, elle rétorqua:
:Laguerra: : Parce que sans cela, il aurait été impossible de construire la septième cité d'or et d'empêcher ce corps céleste venu de l'espace de tomber sur terre. En faisant cela, j'ai contribué à sauver la planète... Ça vous suffit, comme argument?
Un ricanement incrédule s'éleva derrière Mendoza, provenant d'un homme installé plus en hauteur sur les gradins. Sans daigner se retourner, l'Espagnol se leva et gronda:
:Mendoza: : Celui qui traite Laguerra de menteuse devra m'en rendre compte.
Le ricanement s'étrangla net et le capitaine se rassit.
:Laguerra: : Continuez, Gaspard.
:Gaspard: : Après avoir récupéré son "bien", messire Ambrosius s'est livré à une petite expérience. En lâchant quelques gouttes d'orichalque liquide dans l'océan, il a fait exploser le navire.
La fin du témoignage finit de mettre le feu à l'assistance. Des cris fusaient de toutes parts, jurons et insultes jaillissaient. À nouveau, trois coups de maillet s'abattirent pour imposer le silence, qui cette fois mit plus de temps à reconquérir la salle.
Sur l'estrade, Athanaos avait pris la posture d'un roi conquérant. Dans les gradins, silencieux et souriant, le Radjah se délectait du spectacle. Synésius regardait le grand-maître comme si un Dieu Oublié venait de s'incarner sous ses yeux. Isabella observait les réactions de la foule, son regard allant souvent se poser sur son amant. Ce dernier répondit d'un signe de tête qui se voulait confiant.
La bretteuse laissa peser un long silence, sachant la foule pendue à ses lèvres. Enfin, sa voix impérieuse s'imposa:
:Laguerra: : Vous voyez... Si vous voulez être complices de tels méfaits, libre à vous! Libre à vous de vous faire passer pour une confrérie d'assassins...
Cette fois le désarroi s'empara des membres de l'Ordre. De petits foyers de discussion se formèrent, chacun y allant de son ignorance totale. Quelqu'un demanda:
:? : Et où est Ambrosius, à présent?
:Laguerra: : J'aimerais vous dire que les Français contemplent la forme enchaînée de ce monstre vaincu, or, il n'en est rien. Là, nous sommes face à un être abominable et libre...
D'un ton exalté, elle enchaîna:
:Laguerra: : Il faut se préparer à une attaque. Ambrosius ne m'a jamais caché ses projets: il veut devenir le maître du monde! Et cette menace est bien plus grande que tout ce que nous avons pu imaginer. Tôt ou tard, il viendra récupérer les artefacts de Mu...
:shock: : Voyons! Que peut-il faire seul face à un groupe? C'est ridicule!
La jeune femme argumenta:
:Laguerra: : C'est parce que vous ne connaissez de lui que le rôle qu'il toujours interprété en public: celui du petit bonhomme jovial et joufflu! Vous n'avez jamais eu affaire à son alter ego: Zarès. Un homme à la puissance surhumaine!
L'aventurière énonçait une évidence, les incrédules voulaient juste une confirmation. Jusqu'à présent silencieuse, Zia posa sa main sur celle d'Estéban. Le regard de l'Inca s'était durci. Elle se leva et parla d'une voix assurée:
:Zia: : Cet ennemi est bien plus terrible qu'une météorite mais Ambrosius ne viendra pas seul! Il va lever une armée. Ils seront des milliers, et n'auront pas la moindre pitié...
Tout le monde se tourna vers elle.
:roll: : Comment peux-tu savoir ça, toi?
:Zia: : Je ne sais pas... C'est une sensation. Je peux... presque les voir...
Les yeux de l'Élue se perdirent dans la vague. Elle regardait quelque chose qui n'était pas dans la pièce, mais bien au-delà de ses perceptions habituelles. Au fond d'elle, la fille de Papacamayo sentait son intuition l'avertir d'un danger. Elle se sentait observée, sans pouvoir établir clairement l'origine de cette sensation. Dans les yeux d'Isabella, elle lut la même inquiétude. Comme si elle craignait qu'on ne l'entende, Zia poursuivit d'une voix basse:
:Zia: : Des hordes de guerriers enturbannés... Des hommes élevés pour tuer... Et elle. Je la vois. Leur déesse... Aussi belle et terrible que la Mort elle même... kali! La déité tutélaire des Thugs!
La mère du Bako cracha ces derniers mots comme un juron impropre dans sa bouche. Elle eut un hoquet étouffé, et secoua la tête pour revenir à la réalité. Elle transpirait à grosses gouttes malgré la fraîcheur ambiante. Paniquée, elle se jeta dans les bras de l'Élu. D'une voix tremblotante, elle fit:
:Zia: : Elle m'a vue... Elle m'a regardée dans les yeux, Estéban. Ce n'est pas la Mort... c'est le Mal incarné!
:Esteban: : Du calme, Zia. Tout va bien.
:Zia: : Non... non, tout ne va pas bien. Je les ai vus, ils arriveront. Ils jailliront d'un autre portail, plus grand, au milieu des ruines d'une immense cité. Ils seront innombrables.
Un spectateur s'écria:
:?: : Une invasion!
Hystérie serait encore un mot trop faible. Isabella vit des hommes hurler à s'en arracher les tripes après cette annonce prophétique. La capacité d'une foule à sombrer dans la folie pure tenait à peu de chose...
Le Radjah fit à Mendoza:
CRS: Cette fille a le don de Double Vue! Un cadeau précieux des Esprits. Son regard perce les voiles qui séparent les Mondes!
Agacé et inquiet, le capitaine lâcha:
:Mendoza: : Vous ne m'apprenez rien, Votre Majesté... Mais si ces Thugs envahissent vos terres, cela me fera une belle jambe...
C'était une allusion où la mode Européenne invitait les hommes de sang noble à porter des collants, alors synonyme de coquetterie et de raffinement. Chaudary ne saisit pas l'ironie.
La cacophonie continua avec les remarques d'autres disciples, chacun parlant sans écouter son voisin. Le trio Français, Athanaos et une dizaine de magiciens s'étaient rangés à l'avis d'Isabella, prônant une défense immédiate. D'autres appuyaient les propos de Hadji.
Des gradins, s'élevait le même concert de voix antagonistes.
Juan observait cette agitation. Les bras croisés sur son torse, le Radjah restait impavide, mais le Catalan crut distinguer une étincelle de malice dans ses pupilles. Comment pouvait-il supporter ces querelles ridicules et vaines?
Gardant une posture très déférente, le père d'Estéban frappa de son maillet. C'était comme si le tonnerre avait frappé au milieu de la salle. Les hommes de science cessèrent leur dispute, calmés tout autant que les spectateurs. Et le silence retomba. D'une voix posée, le prophète voyageur reprit:
:Athanaos: : Quoi qu'il en soit, et même si certains parmi vous doutent encore de la fourberie d'Ambrosius, le fait, tout simplement objectif, est que notre réputation est bel et bien ternie... Un nouveau nom, sans pour autant effacer le passé, permettra à l'Ordre de rebondir et de prendre un nouveau départ, un nouvel essor... Et qui mieux que notre nouveau membre, qui pour incarner nos idéaux... Certains d'entre vous le connaissent déjà, et il attend dans l'antichambre...
Hadji: Un instant! Il ne fait pas encore partie des nôtres!
Conformément à leurs habitudes, Pudjaatmaka et Athanaos s'exposaient mutuellement leurs désaccords, Synésius les écoutait en épongeant son front de son sempiternel mouchoir de soie, et Isabella usait au mieux de sa présence pour calmer les ardeurs verbales des deux hommes.
Hadji: Et il y a toujours ce sujet épineux de nom. Que suggérez-vous? Car je suppose que vous avez déjà une idée à nous soumettre...
:Athanaos: : En effet. Je vous propose l'Ordre du Condor...
Hadji: Il faut que nous votions!
:Athanaos: : Très bien! Dans ce cas, nous allons le faire à main levée. Qui est pour?
Une quinzaine de bras se dressèrent dont celui d'Athanaos qui, en toute impartialité, décompta les participants. Le vote était acquis, une grande majorité s'étant prononcée favorablement. Le père d'Estéban sourit en se caressant la pointe du menton. Sa victoire ne faisait aucun doute. Il n’y avait pas lieu de poser la seconde question, mais il le fit tout de même:
:Athanaos: : Qui est contre?
Seulement cinq alchimistes se manifestèrent.
:Athanaos: : Bien! Suite à cette assemblée générale, l'Ordre du Sablier a décidé de changer de nom pour s’appeler désormais l'Ordre du Condor. Un nouvel emblème devra être réalisé, avec un oiseau en place des divers symboles actuels. Notre devise sera toujours la même: "La plus large tolérance dans la plus stricte indépendance". Passons maintenant à la suite... Faites entrer Tao...

Lorsque ce dernier pénétra dans la pièce, au centre, sept silhouettes attendaient religieusement en arc de cercle. Six d'entre elles étaient d'autres toges anonymes. Leurs visages étant dissimulés sous leurs capuches, et leurs mains recouvertes de gants rouges. En revanche, le septième, placé au milieu du groupe, n'était autre que le père d'Estéban. D'un sourire et d'un geste, il invita le naacal à avancer, et à se placer au centre.
:Athanaos: : Aujourd'hui, nous présentons Tao pour préparer son entrée au sein de l'Ordre du Condor.
Une incantation sourde s'éleva et une dizaine de voix chantèrent à l'unisson. La mélopée se fit plus forte avant de prendre fin abruptement. Avec un timbre théâtral, Athanaos déclara:
:Athanaos: : Bienvenue, Tao, dans la chambre du Milieu. Tu connais deux adeptes et tu veux être instruit, progresser. Est-ce pour cela que tu es venu? Tu es à la recherche de la connaissance?
:Tao: : Oui.
:Athanaos: : Le souhaites-tu vraiment de toute ton âme, Tao?
Son cœur battait la chamade, il était nerveux mais il affronta son examinateur avec une assurance qu'il avait ignoré posséder jusque-là.
:Tao: : Je le souhaite de toute mon âme.
:Athanaos: : Progresser dans cette voie est ce que tu veux le plus au monde?
:Tao: : Oui, je veux progresser dans cette voie plus que tout autre chose au monde.
:Athanaos: : Seras-tu digne de la confiance que nous te portons?
:Tao: : Je le serai.
:Athanaos: : Bien! En ce jour, Tao va devenir le vingt-et-unième initié, le vingt-et-unième assesseur, le vingt-et-unième adepte de l'Ordre du Sablier. Si un membre de cette assemblée voit une objection à sa candidature, qu'il s'exprime maintenant ou se taise à jamais!
Il y eut un long silence. Le métis retint son souffle.
Une cloche se mit à tinter. C'est à ce moment-là que le père d'Estéban fit:
:Athanaos: : Nous t'ordonnons, Tao, de faire état de ton savoir en récitant les six commandements, les six règles strictes de l'alchimie édictées par Albert le Grand, maître de l’Université de Paris entre le XIIème et le XIIIème siècle.
Le naacal attendit que la cloche retentisse, comme Isabella le lui avait indiqué lors de la répétition de ce matin, puis déclara:
:Tao: : L'alchimiste sera discret et silencieux et ne révélera à personne le résultat de ses opérations. L'alchimiste choisira les heures et le temps de son travail.
Il poursuivit d'une voix plus assurée:
:Tao: : L'alchimiste sera patient, assidu, persévérant.
Sa voix enfla encore, se répercutant contre les murs:
:Tao: : L'alchimiste exécutera d'après les règles de l'art les opérations nécessaires.
Tao grandissait, se sentait devenir un homme, et il se dressait orgueilleusement:
:Tao: : L'alchimiste ne se servira que de vaisseaux, des récipients en verre ou en poterie vernissée.
Le Muen se tut un instant, conscient que toute l'assemblée était suspendue à ses lèvres et, jouissant infiniment de la tenir ainsi en son pouvoir, c'est d'une voix retentissante qu'il récita le dernier des commandements:
:Tao: : L'alchimiste sera assez riche pour faire en toute indépendance les dépenses qu'exigent ses recherches.
Face à lui, Athanaos hocha la tête en signe d'assentiment. Brandissant à deux mains une lourde épée de cérémonie, il ordonna:
:Athanaos: : À genoux!
Tao obtempéra. Ses rotules vinrent toucher la pierre humide. Il ne pensait plus au froid qu'il ressentait. Il allait devenit le templier d'un nouvel Ordre secret, prêt à être adoubé.
Lentement, le dernier apprenti du fondateur abaissa sa lame à l'horizontale et fit un pas en avant. Mais ni le rite de la colée ni celui de la cinction de l’épée vinrent toucher le cou ou les épaules nues du jeune homme. La pointe de l'arme toucha sa poitrine. Bien qu'il ait ressenti une vive piqûre, Tao ne frémit pas. Un flot d'énergie jaillit de l'épée pour passer dans son corps.
La cloche retentit et le plus grand silence se fit dans la salle. Athanaos releva la tête.
:Athanaos: : Par cette marque, nous accueillons notre nouvel adepte, Taotius.
D'un coup de poignet, le père d'Estéban déchira la peau du mulâtre du bout de sa lame, ouvrant sur son sternum une plaie de deux pouces de long.
Tao suffoqua. Il baissa les yeux et vit qu'un lambeau de chair ensanglanté pendait sur sa poitrine. La douleur était supportable car il n'était plus Tao, il n'était plus un enfant. Il était à présent l'adepte Taotius, un homme! Un initié du premier degré du Nouvel Ordre du Condor.
Et il était également un assesseur. Le vingt-et-unième et dernier membre de l'Ordre. Dans un instant, on lui présenterait sa tenue d'alchimiste.
Hortense s'approcha lentement de lui.
Hortense: Je te salue, adepte Taotius.
Tout en parlant, elle apposa un bandage sur la plaie puis s'écarta pour laisser la place à sa consœur.
:Laguerra: : Félicitations, Tao.
L'aventurière lui tendit la chasuble doublée de tissu épais, dotée d'une large capuche rouge.
:Laguerra: : Comme elle est à ma taille, tu pourras facilement la porter au-dessus de ta tunique.
Laguerra mit le vêtement sur les épaules du naacal sans plus de manières. Avec un large sourire, elle fit:
:Laguerra: : Voilà, c'est parfait!
Tao sentit une bouffée de sympathie envers Isabella l'envahir. Il prit la jeune femme entre ses bras et la serra durant quelques secondes.
Après ce laps de temps, Athanaos reprit:
:Athanaos: : Bienvenue Tao! Il nous reste cependant une chose à régler. L'Ordre ne dispose pas d'un roi d'armes pour nous protéger. Et avec ce que vient de révéler Zia, nous en avons besoin. Bien qu'il ne soit pas un initié, je souhaiterai que le capitaine Mendoza accepte ce poste... C'est un homme d'expérience qui a exercé dix années dans le corps d'armée des Yeomen. Je pense que personne ici ne va contester cette décision...
Un bruit sourd de chuchotements, d'approbation, naquit dans les gradins. Le père d'Estéban y mit fin en levant la main, avant de reprendre:
:Athanaos: : Libre à lui ensuite de choisir son maréchal et ses subordonnés. Qu'en dis-tu, mon ami?
Le capitaine ne s'attendait pas à ça. Enfin, si, mais pas si tôt. Il pensait prendre cette fonction lorsque Tao deviendrait le grand-maître.
:Mendoza: : Euh, je te donnerai ma réponse demain matin, Athanaos. Je dois y réfléchir.
:Athanaos: : À ta guise. Tu sais où me trouver. Sur ce, vous pouvez disposer. Le Radjah à une chasse au tigre à préparer et j'en suis!
En frappant de son maillet trois coups sur son plateau en acajou, Athanaos mit fin à la séance de l'agora. Les gens se levèrent, prêts à quitter la salle.
:Esteban: : Sortons d'ici!
Zia et Estéban prirent la tête avec Tao, afin d'échanger avec lui et le féliciter. Le trio Français s'engagea dans leur sillage. Gaspard choisit de rester un peu en arrière, laissant donc toute liberté à Mendoza de marcher aux côtés de l'aventurière. À voir comment le navigateur la regardait, il s'inquiétait pour elle, ce qui n'était pas étonnant compte tenu de son état de fatigue. La nuit fut courte pour elle.
Puis, le groupe se scinda en deux. Les trois Espagnols et les deux Élus remontèrent. Le trio Français et le naacal descendirent à la fabrique.

Arrivés en bas, les alchimistes congratulaient à leur tour le jeune initié. Mais Tao était loin de se réjouir de son intronisation. Curieusement, il avait l'esprit ailleurs. Le souvenir causé par l'humiliation infligée par Ambrosius mordit sa mémoire avec cruauté.
Il revécut ce moment, dans l'église Bet Giyorgis à Lalibela, où sa vie et celle d'Estéban avaient failli se terminer tragiquement sans l'intervention de Zia. Sur le visage d'Hippolyte, la lumino-projection d'Ambrosius se superposa, fusillant le jeune garçon de son regard.
:Ambrosius: : La vanité, mon jeune ami... La vanité t'empêche de réfléchir... Ah! Ah! Ah! Ah!
Le Muen perdit une partie du discours d'Hortense.
Il entendit à peine les craintes de la rousse sur les préparatifs d'une action violente, fomentée par le nain roux. Saisit tout juste que Mendoza avait finalement été sollicité pour protéger à tout prix l'Ordre du Condor et les terres du Radjah.
Perçut dans un brouillard cotonneux une vague évocation de ruines et d'une confrérie d'assassins ayant traversé un ancien portail de transfert.
Une main se posa sur son épaule. Une main douce et ferme, secourable, de celles qui vous saisissent pour vous tirer hors de l'eau où vous allez vous noyer.
La main de Synésius.

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L'alchimiste bedonnant avait perçu le soudain malaise du naacal. Tao se raccrocha à son regard comme un naufragé à une bouée. Zarès n'allait pas abandonner, et continuerai à le hanter, à chaque moment de sa vie.
:Ambrosius: : Jamais tu ne te débarrasseras de moi, Tao! Je fais partie de ta vie, jusqu'à ce que tu viennes me rejoindre... Je t'attends, Tao... je t'attends...
Intrigues, meurtres, et quels autres crimes encore? À la pensée de tous les actes odieux commis par Ambrosius, juste pour s'emparer du savoir de Mu, Tao eut la nausée. Pourtant, il avait apprécié le petit homme. À présent, à ses yeux, il était devenu un être abject, prêt à toutes les bassesses pour son simple profit et le pouvoir...

Pendant ce temps, le potentiel roi d'armes atteignit le laboratoire avec sa compagne.
Celle-ci lui adressa un sourire de circonstance, mais resta distante.
Ayant laissé Gaspard et les enfants prendre de l'avance, le capitaine brisa la glace:
:Mendoza: : Isabella... tu... vas bien? Enfin, tu dois être fatiguée, mais...
Elle le coupa:
:Laguerra: : Ça va, Juan, ne t'inquiète pas. Ta sollicitude me touche, mais ce n'est qu'une nuit blanche. Je dormirai mieux ce soir.
:Mendoza: : Isabella, je tenais à te dire... je... je suis vraiment désolé. Je me suis comporté comme un idiot jaloux. Je n'ai pas eu de relation depuis très longtemps, et tu es une femme qui sort de l'ordinaire. J'avoue que je me suis égaré. En corrigeant Aloysius, ce n'était pas seulement pour défendre ma servante, c'était aussi pour marquer mon territoire...
La jeune femme trancha:
:Laguerra: : Ce n'est pas vraiment le moment, Juan. Mais... je peux comprendre.

86..PNG

Néanmoins, elle était touchée par les propos du mercenaire. D'une voix plus douce, elle fit:
:Laguerra: : Nous en reparlerons. Plus tard, tu veux bien? On nous attend, là-haut...
Elle mit fin à la conversation en offrant un regard beaucoup plus tendre à son amant.
Remontant de la chambre du Milieu à cet instant, le Radjah héla le capitaine:
CRS: Oh, señor Mendoza...
:Mendoza: : Votre Majesté?
Tout en lui adressant un clin d'œil, il lui dit:
CRS: Je n'ai pas eu l'occasion de vous le dire en bas, mais vous maniez fort bien le balai! On va voir si vous êtes aussi doué à la chasse...

À suivre...

PS: Merci à Marcowinch pour son coup de plume sur un certain passage. ;)
Modifié en dernier par TEEGER59 le 16 déc. 2021, 19:45, modifié 2 fois.
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par TEEGER59 »

Suite.

CHAPITRE 20: La traque au fauve.

La cour était pleine de bruits, d'hommes et de bêtes.
Les écuries du fort consistaient en un long bâtiment en U dont le toit faisait office de chemin de ronde, d'une cour centrale pavée, là où naguère la nef d'Ambrosius trouvait ancrage, d'un corral, de stalles extérieures, d'un auvent sous lequel on ferrait les chevaux, une petite forge accolée, avec une série de meules de foin rangées dans des râteliers ventrus.
Une joyeuse pagaille régnait sur les lieux. Brahmanes et ranis, serviteurs et bayadères, pisteurs, palefreniers, tout le monde s'interpellait avec entrain. Les nobles de la cour se jetaient des défis amicaux, s'encourageaient, partageaient des outres de vin, tandis que les dames échangeaient les derniers potins de la cour, qui porteuse d'une ombrelle, qui d'un éventail, tandis que leurs servants leurs proposaient des boissons fraîches.
Ajoutant à ce brouhaha bon enfant, les bêtes que l'on préparait hennissaient, battaient du sabot, excitées par l'animation ambiante.
Le Radjah était présent, bien sûr. Énergique et tonitruant, il semblait d'excellente humeur. Athanaos voulut le saluer mais il était trop occupé avec trois de ses fils, Dunna, Subha et Ala, pour aller lui parler.
L'incontournable Aloysius était évidemment présent, habillé d'un splendide costume, entouré de ses compagnons les plus fidèles, plus occupés à boire qu'à vérifier le harnachement de leurs montures. L'alchimiste fit un signe de tête poli à l'aventurière qu'il aperçut de loin. Elle aussi avait tombé la chasuble. Ils échangèrent un regard, puis l'Hindou détourna soudainement la tête d'un air contrarié. En se retournant, la jeune femme constata que Mendoza était apparu derrière elle.
Ce dernier ironisa:
:Mendoza: : Il est du genre rancunier, celui-là...
:Laguerra: : Je sais...
La bretteuse soupira sans rien ajouter.
:Mendoza: : Alors, prête à sortir au grand air? Une future maréchale d'armes, ça ne passe pas son temps à se prélasser dans son bain ou à se pavaner dans les réceptions quand même?
Laguerra planta ses yeux dans ceux du capitaine. Cet échange intime en disait tant en un instant. Se moquait-il? Est-ce qu'il la provoquait? Avait-il déjà pris sa décision?
La bouche du marin se figea dans un sourire contenu. Il essayait de conserver son sérieux, afin de tester les réactions d'Isabella qui se surprit à retenir un rire. En fronçant les sourcils d'un air surjoué d'indignation, elle planta son coude dans les côtes de son amant, qui se laissa faire, mimant à son tour la douleur.
Dans une grimace feinte, il lâcha:
:Mendoza: : Aïe!
:Laguerra: : Non! Ça corrige aussi son futur supérieur impertinent! On peut y aller maintenant, messire le roi d'armes?

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Tous deux partirent d'un sourire léger avant de se diriger vers les stalles.
Pudjaatmaka, qui avait observé leur échange complice, sentit sa mâchoire se crisper.
Entourée d'une cour de jeunes nobliaux, la femme rouge attirait l'attention. Impossible de la manquer. Elle montait un magnifique hongre au blanc immaculé, une robe particulièrement rare, entièrement harnaché de cuir rouge et démontrait qu'elle avait une bonne assiette. Elle-même arborait un ensemble de cavalière cramoisi à brandebourgs noirs.
Juan demanda à Isabella:
:Mendoza: : Qui est-elle?
La brune suivit son regard et répondit en grimaçant:
:Laguerra: : La Rani Umade Bhattiyani. C'est la seconde épouse de Maldeo Rathore, le célèbre souverain de Marwar. Méfie-toi d'elle, c'est une croqueuse d'hommes. Et ce n'est pas par jalousie que je te dis ça, tu peux me croire!
:Mendoza: : Quel pouvoir a-t-elle au palais?
:Laguerra: : Elle est très riche, et détient des intérêts tant dans l'état de Marwar que dans celui de Mewar. La reine furieuse est de toutes les fêtes...
:Mendoza: : La reine furieuse?
:Laguerra: : Elle a gagné cet épithète en raison de sa relation tendue avec son mari. Leur mariage n’est pas heureux et elle a décidé de quitter le palais principal de son époux, situé à Jodhpur. Les réceptions qu'elle organise sont fréquentées par le gratin de la cour. Mais sous ses dehors de noceuse, elle possède une grande influence. Les rumeurs prétendent qu'elle est la maîtresse du Radjah de Patala, mais je n'ai jamais constaté quoi que ce soit qui puisse le confirmer. On la dit très liée avec Vikramaditya Singh, le Maharana du royaume de Mewar, et qu'elle oriente sa politique. J'incline à croire cette rumeur.

Tout en parlant, l'aventurière avait conduit le capitaine jusqu'aux écuries afin qu'on lui fournisse un cheval. Le laissant aux bons soins du maître-palefrenier, la jeune femme alla retrouver sa propre monture, qu'à l'instar de Mendoza, elle tenait à préparer elle-même.
L'Hindou demanda respectueusement à l'Espagnol son niveau de monte et s'il voulait un cheval tranquille ou plus près du sang. Le mercenaire répliqua qu'il savait monter et qu'il préférait un étalon. Quitte à galoper, autant le faire pleinement, sur un destrier fougueux.
Le maître-palefrenier envoya un aide préparer la monture choisie pour le Catalan. Il proposa ensuite une paire d'éperons au capitaine, mais ce dernier les dédaigna en grimaçant. Il n'avait pas grande estime pour ce genre d'instruments. Isabella revint d'une stalle, une jument isabelle à la longe. Ils patientèrent devant le seuil de l'écurie en échangeant encore quelques mots. L'attente commençait à se faire longue et Juan se demandait ce que fabriquait le lad. Le palefrenier en chef finit par aller voir lui-même.
Le Radjah, de son côté, s'impatientait. Certains Brahmanes avaient déjà pris de l'avance. Sans prendre le temps de vérifier si tout le monde était prêt, il monta sur un éléphant portant un palanquin et donna le signal du départ.
L'expédition sortit de la cour et franchit la porte du palais au petit trot. Mendoza s'adressa à Laguerra:
:Mendoza: : Va, je te rejoins.
:Laguerra: : Tu es sûr?
:Mendoza: : Mais oui, voyons. Tu ne me crois quand même pas incapable de vous retrouver?
L'aventurière galopa pour rejoindre le Radjah, et à son tour, quitta le fort.

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Enfin, quelques minutes plus tard, le lad revint, amenant à la longe un grand cheval brun, un étalon à la puissante carrure, le chanfrein marqué d'une étoile blanche. Avec son retard, le Catalan n'avait plus le temps d'inspecter sa monture. Il prit juste un moment pour vérifier la tension de sa sangle, et sauta en selle d'un bond souple. Il déplaça une de ses jambes en arrière, donna une impulsion et lança le destrier à la suite des autres.

L'expédition s'était mise au petit galop en direction de la jungle, au sud-est, dans un joyeux désordre ponctué d'exclamations et de rires. Ainsi lancé, le groupe de chasse traversa une série de prés avant de s'engager dans une chênaie aux travées encadrées de broussailles.
Comme tout le monde, Mendoza galopait d'un bon train. Son cheval avalait les lieues à puissantes foulées, comblant son retard. Mais alors que le matelot s'engageait dans les bois à la suite des autres, l'éléphant du Radjah se mit à barrir.
:Mendoza: : Ça vient de l'est...
Le cri du pachyderme fut suivi du chant criard des cors des pisteurs. Trois tigres venaient d'être repérés. Le désordre s'empara de l'expédition de chasse qui se scinda en différents petits groupes éparpillés à travers la sylve.
L'Espagnol ne repéra ni Isabella, ni le souverain. Il hésita à suivre le mouvement des autres cavaliers qui se ruaient dans la direction des cors. Mendoza se moquait bien de ce genre de trophée.
Il emplissait ses poumons de l'air frais chargé d'humus. Il était heureux de chevaucher ainsi, libre de toute allégeance, et cela lui suffisait amplement. Nul besoin de réfléchir à son destin, à la prophétie, à Ambrosius. Juste à savourer le moment présent.
Il continua droit devant lui. Les bruits de la traque commençaient à s'estomper, remplacés par le babil énergique des volatiles haut perchés.

La jungle l'entourait, plantée de hauts arbres au feuillage bruissant sous le vent.
Brusquement, l'alezan plaqua ses oreilles en arrière et se mit à claquer des dents, agressif. Un comportement par ailleurs inexplicable, car le mercenaire ne voyait rien de nature à le menacer.
L'animal eut un sursaut puis donna de grands coups de tête sur les côtés. Devenu fou furieux, il partit au galop, trop puissant pour que Juan puisse le maîtriser.
Au même instant, la sous-ventrière de l'Espagnol se rompit. Privée de sangle, la selle et son tapis se mirent à glisser sur le côté. Le marin se rattrapa in extremis en se penchant sur l'encolure mais perdit ses rênes.
Il s'empressa de quitter ses étriers tout en empoignant la crinière. La selle glissa tout à fait et tomba, l'entraînant avec lui sur le côté. Il parvint à se déhancher pour ne pas s'empêtrer dedans, puis frappa des deux pieds sur le sol pour prendre son élan et sauta sur le dos de la bête. Cette dernière tenta de le mordre au passage, mais le navigateur parvint à se pencher de l'autre côté de l'encolure.
Il se redressa, empoigna à nouveau la crinière et serra les jambes pour garder son assiette. Ballotté comme il l'était, il était incapable de reprendre les courroies.
Le cheval n'était plus lui-même. Soudain métamorphosé en bête féroce, il se cabra, rua, tourna sur lui-même, résolu à jeter à terre son cavalier pour mieux le piétiner. Il n'attendait qu'une chose, le massacrer avec ses sabots. Mendoza ne devait pas lui en donner l'occasion, et pour cela, il devait rester sur son dos.
Il tenta de garder son bassin le plus souple possible pour absorber ruades et soubresauts. Les jambes plaquées contre les flancs de l'étalon, les mains agrippées à sa crinière, Moustique se contenta de rester à cru, mobilisant toutes ses réserves d'énergie et de volonté pour ne pas tomber.

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L'étalon piqua une pointe de vitesse et freina brusquement des quatre fers.
Le navigateur déjoua sa manœuvre en se rejetant en arrière, les abdominaux tendus à l'en brûler. L'animal tourna encore sur lui-même mais les jambes du capitaine tenaient bon. Alors il se cabra avant de se laisser tomber en arrière dans le but de broyer l'homme sous son poids. Mendoza bondit sur le côté, amortissant sa chute d'une roulade. La bête s'écrasa sur le sol et se contorsionna aussitôt pour se remettre sur pied. Le Catalan se redressa d'un sursaut des reins et se jeta à nouveau sur son dos. Essayer de fuir un cheval fou furieux eût été un suicide. Il lui restait deux choix. L'abattre ou le tenir en échec le temps qu'il s'épuise. L'Espagnol aimait trop les équidés pour en tuer un s'il pouvait l'éviter.
Constatant que ses efforts étaient vains, l'étalon relança son galop furieux. Il traversa la jungle, rasant les arbres, sautant par-dessus troncs et fourrés, espérant déloger son cavalier à force d'efforts. Le bretteur sentait son cœur battre à tout rompre. S'il tombait, c'était la mort assurée.
Lorsqu'il était enfant, le père de Mendoza possédait un élevage. Le gamin galopait à six ans et débourrait les chevaux rétifs à douze.
Il ne tomba pas.
Le mieux était de lui faire quitter la forêt afin d'éviter de se faire pulvériser contre un arbre. Mais pour avoir une chance de diriger la course du cheval, il devait récupérer les rênes. Celles-ci pendaient au bout de sa bouche, ballottées de gauche à droite par les mouvements puissants du destrier.
L'étalon échoua à fracasser Mendoza contre un chêne. Alors, il se cabra une nouvelle fois, réitérant sa tentative précédente. Le cavalier n'attendait que ce moment. Il sauta à terre, laissant le cheval chuter sur le dos. Et tandis qu'il se retournait pour se relever, Moustique était déjà sur lui. Sa main jaillit dans un mouvement de faux et accrocha les courroies. Il poursuivit son élan, les passa autour du cou de la bête et bondit de nouveau sur son échine au moment ou celle-ci s'ébrouait. L'Espagnol passa les rênes à ses doigts, s'agrippa à la crinière et talonna l'animal.
Plutôt que d'essayer vainement de ralentir le train, il donna des jambes pour inciter sa monture à partir au grand galop. À ce rythme endiablé, elle se fatiguerait plus vite et serait incapable de se cabrer.
Ils sortirent de la jungle dans un train d'enfer, vers l'ouest, et traversèrent un pré couvert de fleurs. L'étalon allait trop vite pour ruer. Juan orienta la cavalcade vers une colline. Le cheval avala la pente et galopa encore un bon quart d'heure avant que, vaincu par la fatigue, il ne cesse le combat, passant de lui-même au pas.
Toujours sur ses gardes, Mendoza lui flatta l'encolure, le rassura de mot doux. L'animal tremblait des efforts intenses qu'il avait faits mais semblait avoir perdu toute humeur belliqueuse. Tout en le surveillant du coin de l'œil, le Catalan mit pied à terre, vérifia que l'équidé ne s'était pas blessé, ni qu'il avait un caillou sous les sabots.
Il ne comprenait pas son affolement. Ni comment sa sangle avait pu céder ainsi. En se redressant vers l'étalon, il vit qu'un filet de mousse jaunâtre sortait des naseaux.
Voilà qui changeait tout.
Les traits du marin se contractèrent en un rictus agressif. Cette mousse signifiait que la furie de l'étalon avait sans doute été provoquée par une décoction. Il comprit enfin pourquoi on avait tant tardé à lui préparer son cheval. Celui qui voulait lui nuire ne voulait pas qu'il puisse vérifier son harnachement, tout bonnement parce qu'il venait de saboter sa sangle de selle.
Un acte malveillant.
La méthode l'étonnait toutefois. Brouillonne, hasardeuse. Du reste, qui voudrait l'éliminer ainsi, sans même l'affronter?
Le cavalier conduisit sa monture jusqu'à un ruisseau qu'il avait repéré, en le tenant par la longe. Il la fit boire, un peu, en profita pour lui laver les naseaux. L'équidé finit par se calmer tout à fait. Quoi qu'on lui ait fait ingérer, les effets néfastes s'étaient estompés et sa santé ne semblait pas menacée.
Mendoza se retrouvait seul en pleine campagne. Rien d'alarmant pour lui. Comme le disait souvent Pedro, avec "sa boussole" dans la tête, il saurait aisément retrouver son chemin jusqu'aux écuries, mais il avait définitivement perdu la chasse.
Après avoir ôté rênes et mors, il s'assit dans l'herbe, patientant pour que le cheval prenne du repos avant de galoper à nouveau.

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Lui-même avait besoin de souffler. Son corps le brûlait, chacun de ses muscles protestant contre le traitement qu'il leur avait fait subir.
Lorsqu'il estima que sa monture et lui-même étaient suffisamment reposés, il harnacha l'animal, se hissa sur son dos et le lança au petit galop. Se fiant à son sens de l'orientation pour rebrousser chemin, il finit par rejoindre la jungle. Il ne chercha pas à récupérer la selle. Il était sûr de son fait et n'avait nul besoin de preuve. Juge et bourreau, il allait régler l'affaire à sa manière.

L'Espagnol traversa les bois en sens inverse. Il allait bientôt en sortir lorsque les oreilles de son cheval se plaquèrent de nouveau en arrière, tandis qu'il se figeait. Il venait de repérer quelque chose dans un bosquet situé sur leur droite.
Mendoza posa la main sur sa botte, dans laquelle était cachée sa Dagua de la Muerte. Celui qui avait tenté de lui nuire venait-il achever le travail?
Une voix cristalline et résolument féminine annonça:
:?: : Ne craignez rien.
Umade Bhattiyani apparut derrière un bouquet d'arbres, juchée sur son hongre blanc.
D'un air charmeur, la femme en rouge fit:
U.B: C'est donc vous, l'homme au balai.
Le marin s'inclina galamment.
:Mendoza: : En effet.
U.B: Un homme au balai, mais sans selle. Vous sortez de l'ordinaire, messire.
Mendoza pouvait enfin la détailler de plus près. Outre la sensualité agressive qu'elle exhalait, le visage arrondi de la rani se révélait encore plus séduisant. Un bijou en rubis ornait délicatement sa narine droite. Sa bouche renflée semblait appeler au plus passionné des baisers. Mais la princesse n'était pas que sublime. Dans son regard d'ambre brillait l'étincelle d'une intelligence pénétrante.
Avait-elle un rapport avec ce qu'il venait de subir? Le futur roi d'armes estima que non. Il ne voyait pas de lien qui puisse les relier.
:Mendoza: : Quelque chose me dit que notre rencontre n'a rien de fortuit, je me trompe?
U.B: Je guettais votre retour, en effet. Je tenais à vous voir de plus près, en toute tranquillité.
:Mendoza: : Et pourquoi donc?
U.B: On parle beaucoup de vous à Patala, señor Mendoza. Les femmes surtout. Ma curiosité éveillée, je voulais voir de quelle étoffe vous étiez fait, de mes propres yeux, sans tenir compte des ragots de la cour.
:Mendoza: : Et le résultat de votre examen vous plaît?
U.B: De ce que me disent mes yeux, et ils ne sont pas du genre à se tromper, vous êtes le genre d'hommes à éveiller l'intérêt des dames. Ce n'est pas d'étoffe dont vous êtes fait, mais d'acier. Il y a en vous une rudesse, une aura aux relents de danger tout à fait délicieuse.
Les iris d'ambre de la rani pétillaient à présent.
D'un ton neutre, le mercenaire demanda:
:Mendoza: : Que voulez-vous de moi, princesse?
U.B: Pour le moment, rien d'autre que le plaisir de faire votre connaissance, señor Mendoza. Il me faudra cependant approfondir le sujet par un examen... plus intime. Venez donc me voir, pourquoi pas lors d'une des soirées que j'organise au palais. Oui, ce sera parfait.
Méfiant, Juan ne répondit pas, mais songea:
:Mendoza: : C'est flatteur mais j'ai déjà quelqu'un avec qui partager ce genre d'activité.
Tous deux rejoignirent un groupe de cavaliers qui rentraient bredouilles de leur chasse. La princesse se mêla à eux et parut alors totalement se désintéresser du Catalan.
Ce dernier se contenta de les suivre à bonne distance. Il n'avait aucune envie de frayer avec les relations de la femme en rouge, pas plus qu'avec elle.
Tout en chevauchant au petit galop, le capitaine caressait son menton. La question qu'il se posait était de savoir si la rani Bhattiyani lui faisait un tel charme pour ajouter une nouvelle proie à son tableau de chasse ou si elle avait un autre but en tête.
Bien qu'intrigué par l'intérêt de la princesse, il n'avait aucune envie d'approfondir quoi que ce soit avec elle. Mendoza aimait les femmes franches, naturelles, portées sur l'action, et cette dernière n'avait aucune de ces qualités.
:Mendoza: : La cour du Radjah ressemble de plus en plus un à nid de frelons.
Les hautes murailles de Patala se profilaient à l'horizon.

☼☼☼

Mendoza n'avait pas le moins du monde oublié le sabotage. Mais il tenait à agir sans témoin.
De retour aux écuries, il sauta à terre et tendit ses rênes à un page venu à sa rencontre. Le domestique n'osa pas le questionner sur son absence de selle.
La chasse était terminée. La cour était pleine de cavaliers et de piétons. Les dépouilles pendantes de trois tigres étaient exposées sur des trépieds. Le Radjah avait abattu le plus gros d'entre eux. Il trônait à côté du cadavre de sa proie, félicité en chœur par ses sujets. Chaudary Ram Singh rayonnait, buvant à la régalade à l'outre de vin qu'on venait de lui tendre, occupé à raconter d'une voix sonore le détail de sa chasse, bien à l'abri dans son palanquin.
Laguerra se tenait en retrait des autres, les sourcils froncés. Constatant l'arrivée de son amant, son visage s'éclaira. Elle s'empressa de le rejoindre.
:Laguerra: : Tout va bien? Personne ne savait où tu étais passé, je commençais à m'inquiéter.
D'un ton léger, il la rassura:
:Mendoza: : J'ai eu un souci de selle mais rien de grave. Si tu permets, je vais expliquer ça au maître-palefrenier. Je reviens.
Le capitaine entra dans l'écurie. Le maître des chevaux lui tournait le dos, occupé à donner des ordres. Ce n'est pas lui qu'il cherchait. Il remonta l'allée qui menait aux stalles intérieures.
Celui qui avait préparé sa monture était attelé à balayer la litière souillée d'un box vide. Un homme grand et sec, aux cheveux noirs et tablier de cuir gras. Le mercenaire l'empoigna par le col de sa tunique et le plaqua violemment contre la paroi de bois. Comme par magie, sa dague sombre apparut dans sa main. L'épéiste plaqua sa lame au tranchant rubis contre la gorge du palefrenier.
Ses lèvres retroussées dans une grimace sanguinaire, il s'exclama:
:Mendoza: : Qui t'a payé pour trafiquer ma selle?
Le regard fuyant, l'autre, qui n'osait se débattre, tenta:
:?: : Je ne sais pas de quoi vous parlez...
Mendoza gronda:
:Mendoza: : Ne joue pas à ça avec moi.
:?: : Il me fera chasser de mon poste, si je parle!
:Mendoza: : Et moi, je vais t'ouvrir la gorge si tu ne parles pas. Choisis!
Pour appuyer sa sentence, il traça un trait sanglant sous la glotte du lad.
:?: : Je vais parler! C'est le Brahmane Aloysius Hadjana Pudjaatmaka qui m'a payé. Il m'a menacé. Pitié!
Juan rengaina sa dague après l'avoir essuyée sur le col du palefrenier.
:Mendoza: : Si j'apprends que tu as raconté notre conversation à Aloysius, je reviens te voir. Tiens-le-toi pour dit!

L'Espagnol ressortit à l'air libre. Il chercha des yeux l'alchimiste, sans le trouver.
:Mendoza: : Ce n'est que partie remise, Aloysius.
Il rejoignit Isabella. Elle lui demanda:
:Laguerra: : La chasse au tigre t'a plu?
:Mendoza: : Franchement non. J'adore chevaucher, mais je suis du même avis que Zia. Pourchasser une bête dont on n'a pas besoin pour se nourrir, je trouve ça barbare.
:Laguerra: : Aïe, le Radjah adore ce sport, j'espère que tu sauras faire preuve de diplomatie s'il aborde le sujet!
Le navigateur fit la grimace. La jeune femme s'enquit encore:
:Laguerra: : En forme pour ce soir?
:Mendoza: : Qu'y a-t-il de prévu, au juste?
:Laguerra: : Une fête dans le genre de celle d'hier, bien sûr. Tels sont les usages à Patala.
Mendoza arbora une nouvelle grimace. Laguerra éclata de rire:
:Laguerra: : Tu sais que tu as des talents de bouffon? Allez, si tu veux, nous pouvons être exemptés de mondanités. Le Radjah ne s'en formalisera pas, il en donne une tous les soirs. Et justement, je pensais à une chose: j'en ai assez de ne manger rien que du poulet et des légumes! J'ai envie d'autre chose et tu me dois toujours un dîner, tu me l'as promis.
:Mendoza: : Je préfére nettement. J'imagine que tu connais un endroit adéquat?
:Laguerra: : Mais parfaitement, mon capitaine. Nous allons manger au bord du lac, ce sera parfait.

☼☼☼

Tandis que les amants rejoignaient l'intérieur du fort, le calme était revenu dans la cour de l'écurie.
Une tête émergea d'une charretée de foin stationnée à côté de la forge.

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Chevelure blanche tout ébouriffée, regard papillonnant, c'était Skagg.
Le naacal de Sûndagatt regarda à gauche, puis à droite, tendit l'oreille. Un bruit de sabots mêlé de pas l'alerta. Deux lads arrivaient du coin de l'écurie, leurs montures à la longe.
La tête du sage disparut, comme happée par la meule.
Elle en sortit à nouveau dès que les deux hommes furent partis.
Skagg prit le temps d'ôter une brindille de sa narine droite, se cura l'oreille gauche et déclara d'une voix sourde et lancinante qui sonnait comme une mélopée:
Skagg: De lourds nuages s'amassent sur Patala, Juan-Carlos Mendoza. Et ce que tu viens de vivre n'est rien d'autre qu'une péripétie. Tu vas bientôt te retrouver confronté au souffle dément de l'Ennemi. Prends garde aux périls qui t'attendent, Rédempteur. Les tambours de la Guerre vont résonner. Prends garde aux faux-semblants, également, les traîtres qui te guettent ne t'épargneront pas.
Sa tirade déclamée, le sage reprit, cette fois d'un ton normal:
Skagg: J'ai moi aussi un voyage à effectuer mais pour cela, je dois semer ma maîtresse.
Sur ces mots, il sortit de la meule. Il leva l'index et se mit à tourner sur lui-même, tout en chantonnant à mi-voix. Une lumière d'or pur naquit à hauteur de ses pieds, et gagna en intensité jusqu'à envelopper la silhouette du mystérieux personnage.
Skagg tournoyait toujours, de plus en plus vite. Ses mouvements rotatifs s'accentuèrent encore d'un cran. La lumière l'avait transformé en une nuée de mana tournoyant. L'usage de la magie aurait dû être repérée par les sentinelles du fort. Il n'en fut rien. Quelle que fut la nature des pouvoirs étranges du naacal, ils n'étaient pas détectables.
La nuée brilla avec encore plus d'intensité, enfla encore et encore jusqu'à disparaitre dans une explosion silencieuse qui emporta Skagg loin, bien loin de Patala.
Ne resta bientôt plus de l'homme-mystère qu'un nuage de lumignons argentés qui s'égaillèrent pour aller se dissiper en touchant le sol.

☼☼☼

L'entrevue avait lieu dans les appartements privés de la princesse Bhattiyani. Le salon était décoré de blanc, de nacre et de crème, le sol couvert de tapis d'un brun presque noir.
La rani était alanguie sur un sofa, ses cheveux sombres noués en une natte sévère ornée d'un nœud de satin rouge. La femme brune était habillée d'un sari très fluide, d'un rubis brillant, à mi-chemin entre la robe de soirée et le déshabillé, qui semblait glisser sur elle pour la caresser au moindre de ses mouvements.
En face d'elle, sur un grand canapé de cuir, son invité, Aloysius Hadjana Pudjaatmaka, arborait l'un de ses costumes au luxe clinquant.
Sur un guéridon, à portée de main, un plateau, un carafon de liqueur, deux verres vidés.
La femme en rouge remarqua:
U.B: Je ne vois pas ce que vous trouvez à cette jument de Kumari. Elle n'a aucune classe, aucune élégance. Une fille de basse noblesse, en plus. Sa conversation doit être d'un ennui...
Hadji: On voit bien que vous ne la connaissez pas, princesse. Elle a tout autant d'esprit que de charme.
U.B: J'en sais bien assez pour savoir qu'elle ne vous mérite pas, cette petite intrigante!
Hadji se redressa sur le sofa pour mieux se jeter aux pieds de la femme en rouge.
Hadji: Un mot de vous, princesse. Un seul mot et je suis à vous. Kumari n'est qu'une aimable distraction, vous le savez bien. Je l'abandonnerai sans une once de remords pour celle qui a su conquérir mon cœur!
Dans un claquement de langue, la rani répondit:
U.B: Je ne vous ai jamais caché ma position, Aloysius. Je ne serai jamais la femme d'un seul homme, je refuse de me laisser emprisonner de la sorte. Nos arrangements actuels me conviennent parfaitement, d'ailleurs. Nous avons l'avantage de la vie de couple sans les inconvénients.
Hadji: Je ne vous comprends pas, princesse.
U.B: En effet, je doute que vous saisissiez ce qu'est une femme qui se bat pour rester libre dans un monde dominé par les hommes. Du reste, je ne vous ai pas fait venir pour parler de cela.
Hadji: Eh bien, puisque c'est ainsi, par Krishna, je ne vois pas en quoi mes affaires avec Kumari vous regardent!
La reine furieuse accueillit la réplique de l'alchimiste d'un geste languide de la main, avant d'enchaîner:
U.B: Je vous ai demandé de vous renseigner sur Juan-Carlos Mendoza, discrètement. Pas de vous attaquer à lui! Pourquoi le défier ainsi en duel?
L'Hindou se hérissa:
Hadji: Mon honneur l'exigeait! Comment osez-vous poser la question?
U.B: Pauvre Hadji. Votre honneur, l'Espagnol l'a piétiné avec un balai. Pourquoi ce défi?
Le magicien répliqua vaguement:
Hadji: Un point de désaccord entre nous.
Il n'avait aucune envie d'avouer une vérité qui ne ferait que l'enfoncer davantage.
U.B: Un point de désaccord qui a failli vous coûter la vie! Vous avez eu de la chance qu'il se soit montré clément. De ce que j'ai pu apprendre par le capitaine de la garde, c'est une fine lame. Heureusement pour vous qu'il ait choisi de se battre avec un balai!
L'autre glapit:
Hadji: Arrêtez de parler de balai! Vous êtes bien cruelle à mon égard, aujourd'hui...
U.B: Je ne fais qu'énoncer ce qui s'est produit. Rien d'autre. Quant à cette tentative de sabotage à l'écurie, Aloysius, c'était d'un pitoyable... Mais peu importe. Je vais aller à l'essentiel. Désormais, vous veillerez à laisser le señor Mendoza tranquille, je trouverai mes renseignements d'une autre manière.
D'un ton boudeur, l'alchimiste répliqua:
Hadji: Je veux ma revanche!
U.B: Votre revanche? Mais vous voulez vous faire tailler en pièces par cet homme ou quoi?
Hadji: Je ne peux attendre. Mon honneur exige que...
U.B: Votre honneur m'exaspère! Il est temps de mûrir, Aloysius. Laissez cette ridicule notion d'honneur de côté, si vous voulez vraiment le pouvoir. Mais est-ce vraiment le cas?
Hadji: Bien sûr que je le veux, j'y suis prédestiné!
Et il croisa les bras, soudain muré dans un silence réprobateur.
Umade Bhattiyani se fit chatte. Elle se leva, avec des gestes langoureux défit la ceinture qui ceignait ses hanches, et vint se placer devant l'Hindou, qu'elle surplombait, repoussant la robe sur les côtés pour lui laisser admirer son corps aux rondeurs épanouies.
U.B: Allons, ne faites pas votre mauvaise tête, mon cher. Nous savons tous deux que vous allez m'écouter. Vous aurez votre revanche, je vous le promets. Mais pas maintenant, il va vous falloir patienter.
Pudjaatmaka chassa une poussière imaginaire sur son pourpoint gris perle, et ajouta d'un ton morne en reniflant:
Hadji: Vous voulez mettre l'Espagnol dans votre lit, c'est ça?
U.B: Et quand bien même ce serait le cas? Que je sache, vous n'avez aucune exclusivité sur moi!
Un voile de contrariété assombrit les traits de l'alchimiste. La princesse susurra:
U.B: J'ai été méchante, et Hadji boude, à présent! Mais fort heureusement, je sais comment me faire pardonner...
Lorsqu'elle surmonta Aloysius de toute sa taille, ce dernier, avachi sur le canapé, les yeux fermés, fut incapable de se rendre compte que le regard d'ambre de la princesse brûlait d'un feu haineux.

À suivre...
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par Marcowinch »

Je m'attendais à ce que Mendoza attrape à lui seul un tigre, mais dompter un canasson rebelle, c'est déjà pas mal ! Surtout s'il a été dopé ;)
On sent que Pattala regorge d'intrigues ! Tout cela ne me dit rien qui vaille ! 8-x
Un excellent chapitre. :D
*** :Tao: :Zia: :Esteban: Ma fanfic MCO : La Huitième Cité :) :Esteban: :Zia: :Tao: ***
J'espère qu'elle vous plaira :D

:Esteban: Bah voyons, Pattala ! C'est pas dans ce coin-là que vit la jolie Indali ? :tongue:
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Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par IsaGuerra »

Retard rattrapé ^^

Chap 18
→ Isabella façon maman/grande sœur réconfortante j'aime énormément
→ Le duel au balai ! Le duel au balai ! :lol: :lol:
Plus sérieusement ça va être sacrément drôle de la relire!
un traitement au moins aussi douloureux: l'humiliation. → Pire de toutes les fins de duel pour les vaincus
puis il explosa → C'est normal ! Bordel j'imagine la scène et c'est vraiment crade
Singh: Et enfin, voici Bhola. C'est un fainéant comme j'en ai rarement vu. Je me demande bien pourquoi je le garde avec moi, après toutes ces années. → J'ai pensé à Mendoza avec Sancho et Pedro mdrr

Chap 19
→ Et bien mine de rien cela doit être particulièrement stressant pour Tao
La fille du docteur commençait vraiment à l'apprécier. → Agréable aussi de ne plus être seule femme dans un environnement d'hommes (ça marche pour les deux en plus)
→ Quel beau moment que ce passage centré sur Tao(tius) ça grandement plaisir de le voir grandir ! :D

Je crois qu'il y a eu un petit oubli : Il était grand temps pour l'ancien bras-droit d'Ambrosius de présenter sa version des faits.

Chap 20
→ Chevauchée mouvementée pour notre cher Mendoza !
→ Skagg encore et toujours aussi... Unique ?

3 beaux chapitres à lire en tout cas
« On le fait parce qu'on sait le faire » Don Flack
« Ne te met pas en travers de ceux qui veulent t'aider » Sara Sidle

« J'ai de bonnes raisons de faire ce que je fais » Isabella Laguerra
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TEEGER59
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Re: Les prophéties de l’A’harit Hayamim. Suite non-officielle de la saison 4. [SPOILER]

Message par TEEGER59 »

Suite.

CHAPITRE 21: Vengeance d'outre-tombe.

Mendoza et Laguerra étaient partis chacun de leur côté. Ils étaient convenus de se retrouver en fin de journée.
Après avoir trouvé Gaspard et lui avoir demandé une faveur, l'Espagnol se rendit dans l'un des nombreux cabinets de toilette du fort. Il se plongea dans un bain, se décontractant dans l'eau brûlante.

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Il y resta jusqu'à ce que ses doigts soient tout plissés. Ses muscles l'élançaient encore de ses efforts équestres. Un homme moins endurant que lui serait sans doute au lit, perclus de courbatures. Mendoza, toutefois, était entraîné pour supporter bien pire.
Dès qu'il eut terminé ses ablutions, il quitta les lieux. De retour dans sa chambre, Riya lui proposa un massage qu'il n'accepta qu'après lui avoir bien fait comprendre qu'il ne recherchait qu'un délassement musculaire. La jeune femme montra son désappointement mais sans faire de commentaires.
Il aurait pu passer un très bon moment de plaisir avec elle, mais se refusa d'entamer une liaison ancillaire avec une femme qui couchait comme elle éternuait. Riya aurait pu faire vibrer son corps, certes, mais pas son cœur. De plus, si sauvage fût-il, Juan était un homme fidèle.
La jeune femme l'avait compris. Lucide, elle ne se leurra pas sur lui, se contentant de le servir. Cette tâche était reposante comparée aux caprices des précédents commensaux du Radjah dont elle avait eu à s'occuper. Le mercenaire avait des besoins simples, quasi ascétiques. Il la respectait, contrairement à la plupart des hommes qui ne voyaient en elle qu'un objet de plaisir. De plus, être à son service lui apportait une considération certaine auprès des autres loufiats de Patala. Cela n'était pas à dédaigner pour elle.
En conséquence, Riya s'était fait une raison et se limitait à admirer l'étranger. Elle l'aurait volontiers invité dans son lit mais pour rien au monde, elle ne commettrait l'erreur de s'amouracher de lui. Elle avait trop vu de ses semblables ruiner une position enviable en se condamnant à cause d'une amourette sans espoir.
Et surtout, elle savait qu'il était déjà en main. Si habile fut-elle dans les jeux de l'amour, Riya se doutait qu'elle n'était pas de taille à rivaliser avec l'Espagnole.
En tout cas, question massage, elle savait fort bien s'y prendre. Et le capitaine se dit qu'avec un tel doigté, elle devait effectivement avoir reçu une véritable formation de courtisane.
La séance terminée, il se permit une sieste. Il s'éveilla en bien meilleure forme. Il était temps de se préparer pour son rendez-vous avec Isabella. L'idée de ce dîner en tête à tête l'emplissait d'une énergie qui le surprenait.
Tout en jetant un coup d'œil par la fenêtre, il s'habilla, passant un pantalon et une tunique propre. Il vérifia ensuite l'ordonnancement de sa tenue dans un miroir. Sur un coup de tête, il huma plusieurs parfums parmi ceux mis à sa disposition et finit par choisir un flacon aux dominantes boisés.
Il était prêt, lorsque sa servante frappa à la porte. Elle devait avoir obtenu le renseignement qu'il lui avait demandé lors du massage. Mendoza ne connaissait presque personne dans la citadelle de Patala. Comment s'informer sur quelqu'un sans commettre d'imprudence? Il avait la solution: les domestiques. Comme partout ailleurs, ils étaient une mine d'information inépuisable sur les rouages d'un palais, et, la plupart du temps on ne les remarquait pas. Une fois ses contacts pris, l'Hindoue avait trouvé l'information qu'il cherchait. Elle l'aurait fait gratuitement, mais l'Espagnol tint à la payer.
Après avoir mis de l'ordre dans sa suite, le capitaine avait encore un peu de temps devant lui avant de retrouver l'aventurière.

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Armé du minimum acceptable, sa dague sombre et son épée, une petite visite s'imposait donc.

☼☼☼

Dans le hammam réservé aux nobles de Patala, Pudjaatmaka prenait du bon temps. La vapeur imprégnait les lieux, détendait les muscles, réduisait la vue, leurrait sur les distances.
Hadji était en train de se demander s'il devait rompre avec Kumari ou pas. Après tout, elle n'était pas digne de lui, la rani Bhattiyani avait bien raison sur ce point. Toutefois, au lit, sa compagne du moment était un volcan. Et le reste du temps, pleine de charme, bien que parfois déstabilisante, faisant preuve d'un caractère bien trempé et d'une intelligence dérangeante que l'alchimiste admirait malgré lui.
S'il avait pensé rendre jalouse Umade avec Kumari, il s'était manifestement trompé. Toutefois, il ne doutait pas qu'un jour, la reine furieuse céderait enfin à ses charmes. Lorsqu'il se serait emparé de ce pouvoir qu'elle lui promettait, il deviendrait alors incontournable à ses yeux.
Tandis qu'il réfléchissait à un autre moyen de faire fléchir la princesse, une ombre apparut sur le seuil de la pièce, et disparut aussitôt dans un nuage de vapeur.
Hadji sommeillait, alourdi par la chaleur ambiante, lorsqu'un avant-bras cordé de muscles passa autour de son cou pour le tirer en arrière. Emprisonné par une étreinte d'acier qui pesait contre sa trachée, le savant était incapable d'émettre le moindre son, peinant à respirer.
Une voix mâle, sinistre et froide, résonna à son oreille:
:Mendoza: : Que vais-je faire de toi, Aloysius? Je devrais te tuer mais tu n'en vaux même pas la peine.
Dans l'esprit du capitaine, une voix brûlante lui susurra:
🗡: Si! Laisse-toi aller à la colère. Tue! Tue! Tue!
Luttant contre cette vague de haine qui l'aveuglait d'un halo rouge, l'Espagnol empoigna sa dague. Une douleur intense perça la chair de l'Hindou. L'ancien Yeoman venait d'enfoncer un pouce d'acier dans sa fesse droite et asséna:
:Mendoza: : C'est mon deuxième avertissement. Tu me fais encore un coup fourré et je te tranche la langue.
Pudjaatmaka sentit sa vessie se relâcher et il se fit dessus.
Mendoza appuya sa sentence en lardant cette fois la fesse gauche d'Aloysius.
Alors qu'elle buvait le sang du magicien, la dague sombre ressentit une présence tapie dans l'esprit de l'Hindou, ou plutôt l'existence d'un lien psychique qui menait à cet intrus, qu'elle identifia sans peine. Elle s'empressa de remonter la trace mentale, franchissant des territoires entiers, jusqu'à plonger dans la conscience de celui qu'elle traquait. Alors, elle clama en charriant une colère incandescente:
🗡:Tu peux fuir ou te cacher, peu importe... Je suis là, à présent! Je vais te retrouver et te tuer. Je sais ce que tu as commis par le passé, sorcier maudit, et je ne peux le tolérer. Tremble, mon pauvre Ambroise de Sarle. Je viens à toi, et tu ne pourras rien faire pour m'en empêcher!
Cet échange secret ne dura qu'une poignée de secondes. La communication cessa lorsque le Catalan retira l'instrument tranchant de la chair de l'Hindou. Puis, Mendoza disparut dans la brume, laissant sa victime recroquevillée et gémissante au sol.

☼☼☼

À des dizaines de lieues de Patala, une fumée grise mouvante recouvrait le sol, ondulait comme un reptile et occultait les murs d'une salle d'un palais en ruine.
Un trône. Un homme.
Soudain assailli par la colère de la Dagua de la Muerte, Ambrosius avait hurlé sous la morsure de ses mots. Les mains pressant son front pour tenter de faire taire la litanie sauvage qui résonnait toujours dans les recoins de sa conscience, il se releva convulsivement.
La plus formidable des migraines lui déchirait le cerveau, ses pensées n'étaient plus que des guêpes furieuses qui vrombissaient, cinglant son esprit de leur ichor. Harcelé par cette torture mentale, Zarès perdit l'équilibre et glissa de son siège, rattrapé au dernier moment par sa fidèle fumée grise. Heureusement, il n'y avait aucun témoin pour assister à son tourment.
L'alchimiste fou laissa sa servante spectrale le déposer délicatement sur son trône.
Le silence, brutal, dans sa tête. La migraine, toujours là.
Le rouquin frissonna, empêtré dans les rets de la peur. Aloysius était blessé et cette voix spectrale...
:Ambrosius: : Cette voix, elle connaît mon nom. Elle connaît mon crime! Par ma barbe, c'est impossible, il n'y avait aucun témoin, je m'en étais assuré!
Tandis qu'il tentait de retrouver son calme, la fumée surnaturelle plana pour reprendre sa place.

☼☼☼

Le soleil se couchait lentement à l'horizon. Un silence appréciable régnait dans le fort de Patala. Laguerra s'était accordée une petite sieste, elle aussi. Lentement, elle s'extirpa des draps soyeux du lit confortable que le Radjah avait mis à sa disposition, dans l'une des nombreuses suites de son palais. Complètement nue, la jeune femme quitta la chambre pour gagner l'autre pièce. Elle s'approcha de la fenêtre à moucharabieh. Une lumière déclinante et un air frais s'engouffrèrent à l'intérieur. Isabella sentit un frisson courir sur sa peau. Son esprit fit le point sur tout ce qui s'était passé dernièrement.
:Laguerra: : Comme l'Espagne me semble loin. Y retournerai-je un jour?
Puis, elle revit en pensée Barcelone, ses cathédrales, les rues de la cité, le palais de Charles Quint, son père. Bien que ce dernier soit mort depuis plus d'un an, il ne lui manquait pas du tout. Il faut dire que le docteur Laguerra n'avait jamais été très paternel. Même s'il avait aimé sa fille à sa façon, il n'était pas du tout le même genre de père que Mendoza pouvait l'être avec Estéban, Tao et Zia.
Elle songea soudainement:
:Laguerra: : Je vais bientôt avoir vingt-cinq ans. Mon destin est-il de rester cette aventurière, d'arpenter le monde, de l'explorer? Oui, pourquoi pas... L'idée ne me déplaît pas, tant que je suis avec...
Trois coups légers frappés à la porte. D'une ponctualité irréprochable, son amant interrompit ses pensées, curieusement à cet instant précis.
:Mendoza: : Isabella? Tu es prête?
:Laguerra: : Euh... non. Mais entre, Juan.
Sans aucune pudeur, elle le laissa franchir le seuil. Le navigateur n'en fut pas surpris pour autant. Il commençait à connaître son tempérament sulfureux. Mendoza referma l'huis dans son dos. Provocant, il lança:
:Mendoza: : Je me déshabille aussi?
:Laguerra: : Ne me tente pas...
Isabella ondula lascivement vers l'Espagnol, réveillant ses sens. Elle lui lança une œillade brûlante et sourit, visiblement satisfaite de ce qu'elle provoquait. Elle bifurqua alors, pour se diriger vers la chambre. Il la suivit. Un paravent de bois peint masquait le coin d'eau de la pièce. La jeune femme y posa une main, tournant le dos à son compagnon, lui offrant une vue imprenable sur sa chute de reins. Le mercenaire ne se priva pas du spectacle, un sourire appréciateur sur les lèvres.
:Laguerra: : Heureuse de constater que je te fais toujours autant d'effet...
:Mendoza: : Je ne le nierai pas, Miss Glaçon.
:Laguerra: : Ne m'appelle pas comme ça!
D'une voix plus chaleureuse, elle ajouta:
:Laguerra: : Et ne t'avise pas de me donner du "maréchal Isa"!
:Mendoza: : Je n'avais pas l'intention de me mettre au garde-à-vous...
:Laguerra: : Ah non? Dommage...
La bretteuse se glissa à moitié derrière le paravent et se retourna vers le marin, les bras le long du corps et les mains sur les hanches. Son corps était plus ferme que jamais, lui donnant une silhouette athlétique. Le Catalan détailla sans honte la vue qu'elle lui offrait. De la courbe d'un sein fièrement dressé, aux creux d'une hanche. D'un ventre plat et finement musclé, jusqu'aux frontières du mont de Vénus. Le regard de l'ancien Yeoman fit un détour pour suivre la course fuselée d'une cuisse hospitalière, appréciant le galbe d'une jambe et la courbe d'un pied au talon relevé. Ses yeux glissèrent sur la douce vallée de l'aine, puis remontèrent pour passer sur ses lèvres entrouvertes avant de finir par se planter dans ses deux perles brillantes. Décidément, l'espionne savait se mettre en valeur. Et elle savait en jouer pour enflammer l'imagination.
Avec un rire cristallin, Isabella disparut derrière l'écran à panneaux verticaux articulés. Elle se lava rapidement à l'eau froide d'une cruche, calmant son propre début d'excitation. De son côté, le mercenaire fit les cent pas dans la chambre. Sa toilette terminée, la jeune femme avisa une pile de linge frais parfumé de Attar. Elle enfila pantalon, tunique et corset, corset qui mettait en valeur son ventre plat et ses épaules fines. Puis, elle se glissa dans ses bottes. Celles-ci soulignaient ses chevilles et ses mollets galbés.
Mendoza s'était campé devant la fenêtre, observant le ciel, visage fermé. Laguerra vint se poster à ses côtés. La mine renfrognée de l'homme à la cape bleue ne la rassurait pas.
:Laguerra: : Il y a un problème, Juan?
:Mendoza: : Je n'aime pas ces nuages de mousson... Quelque chose gronde, à l'est.
:Laguerra: : Mais... notre soirée? Tu es toujours intéressé?
:Mendoza: : Plus que jamais!
Il se tourna vers sa compagne. Elle avait pris le temps de laver ses cheveux. Parfumée d'une délicate senteur, elle portait juste un peu de fard à paupières en plus d'un rouge à lèvres léger.
Elle porta la main à ses cheveux, soudain hésitante. Mendoza lui murmura:
:Mendoza: : Tu es magnifique.
:Laguerra: : Tu dis vrai?
:Mendoza: : Allez, ne commence pas à faire ta fille. Tu es sublime, sincèrement.
L'espionne fit une courbette malicieuse:
:Laguerra: : Mille mercis, mon fier seigneur. Mais tu n'es pas mal non plus, dans ton genre.
Le capitaine lui tendit le bras d'un geste chevaleresque. Isabella y posa le sien.
:Laguerra: : De belles manières pour un mercenaire.
Arrivés au rez-de-chaussée, Isabella s'apprêtait à prendre la direction de la porte d'entrée du fort quand Mendoza l'orienta dans une autre direction.
:Mendoza: : Nous n'allons pas au lac. Le temps risque fort de se gâter. Je préfère dîner à l'intérieur... Suis-moi.
Dans la suite du navigateur, un petit carré de tissu doré en guise de nappe, des couverts en bois et une chandelle donnaient un pâle reflet romantique à cette soirée. Mendoza avait usé de toute la panoplie du gentilhomme. Tirant un siège pour que la fille de Fernando Laguerra puisse prendre place, il lui présenta ensuite une bouteille qu'il avait reçu du Radjah de Patala. Le fameux Madhu, qu'il avait fait décanter en carafe. Isabella eut un sourire de satisfaction, et le marin lui servit un gobelet. Le vin avait une robe foncée tirant sur le noir, un parfum riche et prometteur. Il caressa le palais de l'aventurière tout en le réchauffant. Elle se délecta de son retour fruité.
:Laguerra: : Mes félicitations pour ce nectar, Juan. Il est délicieux!
Le regard brillant, ce dernier lâcha:
:Mendoza: : Pas tant que toi...
Ils burent lentement en attendant le repas, en échangeant quelques banalités. Ne voulant pas brusquer son hôte, Isabella se contenta de l'écouter parler. Juan lui raconta un peu son enfance. Visiblement, il n'osait pas parler des raisons qui l'avaient mené à cette vie de marin-mercenaire.
Finalement, le dîner arriva. Gaspard lui-même vint le leur servir. Le capitaine d'armée entra discrètement, fit un signe de tête aux deux tourtereaux et déposa un large plateau de bois sur le coffre jouxtant la table. Il servit ensuite sur chaque écuelle une généreuse louche d'ouillade, une préparation culinaire à base de viande et de légumes cuits à la façon d'une potée dans une grande marmite.
Isabella siffla entre ses dents, admirative, et offrit son plus beau sourire au militaire. Ce dernier lui adressa un clin d'œil discret et complice. Il déposa ensuite une corbeille de fruits.
:Gaspard: : Je vous souhaite un bon appétit!
Sans attendre, il sortit de la pièce. L'aventurière n'en revenait pas. Avec un large sourire, elle demanda:
:Laguerra: : Tu as demandé à Gaspard de nous faire la cuisine?
:Mendoza: : Eh bien... Qu'y a-t-il de mieux qu'un Catalan pour préparer une spécialité Catalane? Mais je suis tout aussi surpris que toi qu'il ait accepté.
:Laguerra: : Qui peut savoir ce qui se passe dans sa tête!
:Mendoza: : J'avoue qu'il a sauvé notre soirée, mais ce n'est pas exactement ce que j'avais à l'esprit. La prochaine fois, je t'emmènerai dîner à Goa...
Ils mangèrent avec appétit. Pour elle comme pour lui, c'était le meilleur repas depuis des jours. Le vin s'accordait parfaitement avec le plat, savamment préparé. Ils discutèrent, plaisantèrent, rirent beaucoup. Mendoza se révéla un homme cultivé, amateur d'art, ayant de l'esprit. Il avait même lu quelques ouvrages de philosophie. Isabella découvrit une autre de ses facettes, bien qu'elle-même ne s'ouvrît pas du tout sur son passé. Ils finirent la bouteille, grignotèrent quelques fruits. L'aventurière lança des œillades de plus en plus provocantes au marin. Elle suçota lentement un grain de grenade en le regardant droit dans les yeux, ne laissant planer que peu de doutes sur ses intentions. Juan, lui, sentait qu'il devenait aussi rouge que ledit fruit. Afin de retarder l'échéance, il se leva et s'approcha d'un coffre.
:Mendoza: : Je dois avoir une bouteille de vieille prune, si cela te tente...
Il se retourna avec un sourire, pour recueillir l'approbation de la fille du docteur. Celle-ci se tenait à présent debout, toute proche de lui, la bouche entrouverte et le regard brûlant. Le capitaine sentit son cœur s'emballer, jouant une fanfare endiablée dans sa poitrine. La jeune femme lui chuchota:
:Laguerra: : Une autre chose me tente depuis un moment, Juan...
Elle s'approcha du mercenaire. Elle n'en pouvait plus, trop peu de moments intimes partagés, immanquablement courts. Elle avait faim de lui, désirait sentir ses muscles fermes sous ses doigts, sentir sa langue hardie jouant avec la sienne, sentir le poids de son corps écraser le sien dans une joute des sens. Laguerra s'enroula autour de Mendoza comme un serpent autour d'une branche, passant une main dans son cou, une jambe autour de la sienne. Ondulant du bassin, l'alchimiste sentit l'excitation du navigateur. Cela ne fit qu'aviver encore plus la sienne.
L'épéiste referma ses bras autour de la silhouette offerte. Lui aussi n'en pouvait plus. Il voulait la sentir, s'enivrer de son parfum, caresser ses formes, goûter une nouvelle fois le grain de sa peau. Sa bouche s'ouvrit et, comme une délivrance, se souda à celle de l'espionne.

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Étrangement, ce baiser lui rappela celui qu'ils avaient partagé à Kûmlar et dont Miss Glaçon fut l'instigatrice. Cette scène était gravée à jamais dans son cœur.
Or, contrairement à leur toute première étreinte, tous deux avaient les mains libres. Celles d'Isabella vinrent se poser sur les joues de Juan. Entre deux ahanements, il souffla:
:Mendoza: : Désolé, je n'ai pas pensé à me raser.
:Laguerra: : Mmm! Pourquoi vouloir améliorer ce qui est déjà parfait?
Puis, la langue mutine de l'escrimeuse se faufila entre ses lèvres, offrant au matelot un autre baiser qu'il n'allait pas oublier de sitôt. D'abord lent, ce dernier devint vorace, avide, passionné. Les corps ondulaient, se découvraient une nouvelle fois. Leurs mains s'animèrent, cherchant à se glisser sous ces maudits tissus qui leur barraient l'accès. La bretteuse se recula un court instant, juste le temps d'ôter son corset et sa tunique, jetant le tout à l'autre bout de la pièce. Elle dévoila sa poitrine ferme et généreuse, aux mamelons déjà fièrement dressés.
Le marin fit de même en arrachant sa cape et sa propre tunique, exhibant un torse viril sur lequel reposait le médaillon trouvé à Akkad.
L'ancien Yeoman se rua presque sur sa compagne, l'embrassant à nouveau avec fougue. Isabella lui agrippa les cheveux pour mieux lui rendre son baiser. Bien qu'un peu pressé, il embrassait merveilleusement bien, et la jeune femme sentait des papillons lui chatouiller le bas-ventre, impatiente d'accueillir celui de son amant.
Elle appuya sur la nuque du beau brun ténébreux pour diriger sa langue plus bas. D'abord son cou, où elle fit naître des frissons. Puis elle mena la bouche de son partenaire directement vers sa gorge. Le capitaine n'y trouva rien à redire. Pendant qu'il s'attardait à embrasser chaque centimètre carré de peau, l'aventurière défit la boucle de son ceinturon, laissant tomber ses propres armes. Son pantalon glissa sur ses chevilles. D'un mouvement expert, elle s'en débarrassa pour ne plus porter que ses bottes, rehaussant encore, si c'était possible, le galbe de ses longues jambes.
Mendoza se redressa, la dévorant des yeux, s'attardant sur son ventre plat, sa taille fine, ses cuisses veloutées. Posant son regard sur sa féminité dévoilée, il sentit une pulsion d'excitation remonter tout son être pour enfin se concentrer en un point précis de son anatomie. Il ressentait un tel désir qu'il lui était impossible de le cacher.
Dressée sur la pointe des pieds, Laguerra se colla à lui, embrassant et mordillant son torse, tandis qu'elle palpait cette formidable colonne de chair qui criait qu'on la libère. Elle déboutonna enfin le pantalon du mercenaire et passa ses doigts à l'intérieur. Juan gémit en sentant cette main douce et chaude flatter son membre. La duelliste savait comment manier le plaisir pour le mener à son paroxysme.
Cette impatience maîtrisée, cette tension brûlante avivait les sens et fit disparaître tout ce qui entourait les amants. Cette flamme ne demandait qu'à les consumer dans une étreinte charnelle.
Mendoza prit les devants. Il saisit la jolie brune dans ses bras puissants et la déposa sur sa couche. Il se débarrassa du reste de ses vêtements. Enfin nu, il était prêt à conquérir le royaume secret d'Isabella. Sachant ce qu'il avait à lui offrir, celle-ci eut un sourire appréciateur. Le capitaine se mit à genoux et ôta les bottes de l'aventurière, prenant le temps de lui suçoter doucement les orteils... Laguerra se cambra en arrière, brûlante de désir.
Le mercenaire contempla sa conquête en souriant.

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Tout en la surplombant, il repartit à l'assaut. De ses lèvres et de sa langue, il explora sa peau, douce et chaude. Le cou, les épaules, les seins, s'attardant sur le nombril... puis il contourna habilement l'origine du monde pour laisser à nouveau monter l'excitation. Les hanches, les jambes, les pieds, avant de remonter vers l'intérieur des cuisses. Ses mains n'étaient pas en reste. Elles suivaient le même parcours, caressant, effleurant, titillant. Isabella s'était abandonnée à ces préliminaires délicieux.
:Laguerra: : Par tous les saints! Il est diablement doué!
Son corps n'était plus que frissons, tremblements, territoire complètement offert aux doigts aventureux et à la langue experte de son amant. Il savait y faire, les gémissements de l'espionne en témoignaient. Il léchait, mordillait, alternant le rythme et la pression, provoquant chez Isabella un plaisir de plus en plus conquérant.
Laguerra n'en pouvait plus et le voulait en elle. Elle se redressa, l'attrapa par la nuque et lui souffla avec une voix rendue rauque par l'excitation:
:Laguerra: : Viens! Prends-moi, maintenant!
Juan ne se fit pas prier. Il saisit ses hanches pour lui relever le bassin et plongea dans son écrin soyeux, lentement d'abord, puis avec plus de force. Ils se mirent à bouger à l'unisson, emportés par l'embrasement des sens. L'alchimiste se cambra encore une fois, ne sachant contrôler la vague puissante qui s'empara de tout son être. L'orgasme la saisit, faisant jaillir dans son esprit des explosions de couleurs vives, secouant son corps de spasmes, lui arrachant un cri qui fit sursauter les occupants des chambres voisines.
La jeune femme ouvrit grand les yeux, presque surprise de la force de sa jouissance. Mais Mendoza n'en avait pas fini.
Ils firent l'amour une grande partie de la nuit. À son tour, Isabella chevaucha son étalon, lui montrant une infime partie des talents qui étaient les siens. Ils jouèrent et s'offrirent l'un à l'autre, bien après que la bougie se soit complètement consumée, au contraire de leur soif de plaisir.

☼☼☼

Plus tard, la passion s'était enfin apaisée. Le silence avait remplacé les gémissements, le bruit de leurs corps déchaînés, de leur respiration haletante. Allongés l'un contre l'autre, l'une des jambes de la jeune femme par-dessus les cuisses du capitaine.
:Laguerra: : Quelle magie as-tu utilisé sur moi, Juan?
Il rit:
:Mendoza: : Aucune! C'est juste que cela me semble désormais tellement évident entre nous.
Elle se hissa sur lui pour embrasser son front, ses tempes, ses pommettes, son nez, ses lèvres.
Quelle alchimie avait eu lieu pour les rendre ainsi si proches? Dans son for intérieur, chacun se demandait:
:Mendoza: / :Laguerra: : Qu'allons-nous devenir?
:Laguerra: : Il faut dormir un peu. Je n'en peux plus. Jamais je n'ai parlé ainsi à quelqu'un, j'ai l'impression d'être ivre de bonheur, je me sens si légère! Tu dois me prendre pour une folle!
Son amant ne répondit rien. Il dormait déjà, le sourire aux lèvres. Isabella le contempla, attendrie, de longues minutes, le cœur gonflé de joie. Elle finit elle aussi par sombrer dans le néant accueillant du repos.

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Mais peu de temps après son endormissement, le visage spectral de son père envahit pour la première fois ses rêves. Le docteur défunt scanda ces accusations:
:Docteur: : Mendoza n'est pas pour toi! Tu m'as trahi, tu me trahis encore, chaque jour, en faisant durer cette relation avec celui qui fut pour moi un ennemi. Si tu ne m'avais pas lâchement abandonné pour servir Charles Quint, toi et moi serions encore ensemble. Tu m'as poignardé le cœur, Isabella, je ne te laisserai jamais en paix!
La jeune femme gémit dans son sommeil, se débattant intérieurement. Elle luttait, en vain. Fernando répéta les mêmes mots, encore et encore, fouaillant la conscience de sa fille. Il martela son esprit, le railla, le maudit.
Et quand enfin son père cessa ses attaques mentales, ce fut pour laisser la place à une tout autre menace. Toujours plongée dans le sommeil, Isabella sentit une nouvelle présence, pesante, étouffante, charriant une malveillance pire que celle de son géniteur. Reconnaissable à son timbre grinçant, Ambrosius susurra:
:Ambrosius: : Tu es à moi, Laguerra. Chaque jour qui passe, chaque heure, te lie d'avantage à mon influence, te rend captive de ma volonté. Je vais asservir la clique de Mendoza, m'emparer des artéfacts de Mu. Je vais m'emparer de toi, tu seras de nouveau mon bras droit, contre ta volonté. Et c'est ta forfaiture qui rendra possible tout cela!
Alors reprirent les reproches stridents de son père, ses gémissements accusateurs, qui se mêlèrent aux chuchotements détestables de Zarès, créant une litanie discordante, une symphonie qui agressait la jeune femme, se répercutait en elle, souillant son esprit.
Elle se réveilla en sueur, les yeux écarquillés par l'horreur, le souffle court.
Mendoza dormait toujours paisiblement à côté d'elle. L'aventurière se lova contre son corps chaud, s'emplit les narines de son odeur de mâle, serra ses muscles relâchés, s'imprégna tant qu'elle put de sa présence réconfortante.
Son regard toutefois resta hanté.

À suivre...
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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