Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

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TEEGER59
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Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

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Prologue.

Fin 1532.

Semblable à l'entrevue du camp du Drap d'Or qui s'était déroulée douze ans auparavant, le nouvel entretien prévu entre François Ier et Henri VIII devait avoir lieu dans le même secteur, sur une zone neutre du vieux continent, au milieu d'une modeste vallée du Calaisis, à mi-chemin des territoires Anglais et Français, près de Saint-Inglevert, autrement dit Sandrynfield pour les sujets de la dynastie Tudor.
À Calais, celui-ci se remettait difficilement du mal de mer qui l'avait fortement secoué à bord de son vaisseau, l'Hirondelle, l'obligeant à rester couché durant deux journées entières. Le Valois patientait donc sagement à Boulogne, en compagnie de sa femme Éléonore et de ses enfants.
L'Empereur Charles Quint ne se soucia pas beaucoup de cette conférence entre son oncle et son ennemi de toujours. De loin, il s'inquiéta davantage de la missive outrageante expédiée par Soliman le Magnifique à son frère Ferdinand. La Hongrie, disait-il, lui revenait en son entier et, de même les terres au-delà jusqu'à l'océan de l'ouest destinées à lui rendre tribut. Lui, le Sultan, était le seul vrai Empereur d'Occident, le Calife, et non ce malheureux et impuissant roi d'Espagne. La marée allait donc une fois encore déferler sur Vienne. Du coup les disputes entre chrétiens prirent un aspect dérisoire, tout comme l'éducation du fils de l'Empereur, resté à Medina del Campo (province de Valladolid) dont les courtisans transformèrent le nom en Medina del lodo, la ville de la boue.
Pendant son séjour automnal à Bologne (Italie), le roi d'Espagne chercha néanmoins un maître pour diriger les études du jeune Philippe.

Anne de Montmorency, maréchal de France.
Anne de Montmorency, maréchal de France.

En attendant d'assister à ce nouveau meeting, Anne de Montmorency, duc de Montmorency et de Damville, gouverneur du Languedoc et maréchal de France, en avait très minutieusement préparé un autre. Avec ce tête-à-tête, il ne pouvait ni ne voulait commettre le moindre impair.
La sérénité bucolique des lieux convenait à merveille à son projet. Le chant enjoué des oiseaux, la brise légère, le soleil dardant ses rayons pour offrir une chaleur presque engourdissante, l'encens allumé dans des coupoles diffusant une fragrance subtile, tout avait été étudié pour créer une atmosphère de paix et de détente sinon de confiance.

Deux tentes spacieuses se faisaient face sur les versants est et ouest de la vallée, situées à des points stratégiques et dépourvues toutes deux du moindre ornement: ce rendez-vous matinal entre les diplomates des deux pays n'avait toutefois rien d'officiel.
Au centre de la vallée reposait un péristyle de pierre blanche, tel un navire échoué sur une mer d'herbe vivace d'un agréable vert tendre. Couvertes d'un lierre odoriférant, trois colonnes de pierre y pointaient encore leur fierté vers le ciel serein. Au pied de ses colonnes avait été dressée une longue table, recouverte d'une nappe de soie immaculée, de couverts d'argent, d'un triple jeu de verres à vin en cristal de Venise ainsi qu'un service à liqueur provenant de la même entreprise Italienne; Barovier et Toso; et, pour finir, une délicate vaisselle en porcelaine de Chine. Le plus proche conseiller du roi de France avait lui-même veillé au choix des deux lourds fauteuils de brocart or et rouge qui recevraient son interlocuteur et sa propre personne; les sièges offraient tout le confort nécessaire. Il réfléchit un moment à ce qu'il aurait pu oublier dans ses préparatifs mais ne trouva rien. Aujourd'hui, et tout particulièrement en cet instant, les choses se devaient d'être parfaites.
Anne jouait en effet le tout premier mouvement d'un plan à long terme, soigneusement élaboré pour le hisser davantage vers les plus hautes destinées.
Justement, un bruit de cavalcade l'avertit de l'arrivée de son invité. Il vérifia l'ordre de sa tenue et se prépara pour le tournant de sa carrière.

Un cheval s'arrêta en hennissant sur les hauteurs de la vallée. Charles Brandon descendit de sa monture et fit son approche.

Charles Brandon, duc de Suffolk.
Charles Brandon, duc de Suffolk.

Le vicomte de Lisle, duc de Suffolk et général compétent qui s'illustra à de nombreuses reprises au combat, faisant de lui l'un des premiers nobles de la cour du roi Henri VIII, prit d'abord soin de pénétrer dans sa tente pour vérifier que ses gardes du corps se trouvaient bien à leur poste, en pleine possession de leurs moyens. Il ressortit peu après sans avoir prononcé un mot et se mit à contempler le paysage afin de sonder les lieux. Satisfait de son examen, il descendit vers son hôte, à pas mesurés, l'allure nonchalante.
Le duc de Montmorency en profita pour détailler ce colosse barbu, ancien veneur du roi devenu ambassadeur d'Angleterre, dont la renommée n'avait d'égale que le mystère.
Homme au physique avenant, au moral d'un grand courage et apprécié pour son caractère, le duc de Suffolk avait une figure ovale, bien dessinée, accusant néanmoins la proche cinquantaine, réhaussée d'une peau claire et encadrée de cheveux châtain dissimulés sous sa coiffe. Étincelants de clairvoyance, ses yeux bleus surmontaient un nez aristocratique.
Aimant l'ostentatoire, Brandon portait une longue chamarre de velours violet. Un capuchon et un surmanteau rouge foncé confectionnés dans la même étoffe étaient également attachés au niveau de l’épaule droite, donnant une touche de couleur supplémentaire à l’ensemble.
Un collier, composé de nœuds d'or alternant avec des médaillons émaillés montrant une rose cerclée de la Jarretière et au milieu duquel figurait le "grand George" terrassant le dragon, reposait sur la poitrine du duc.
Anne fut impressionné par l'aura de Charles Brandon. Ce dernier, avec l'aide du comte de Buren, avait commandé les milices Flamandes et accumulé les victoires en menant deux offensives à travers la Picardie en 1513 et en 1523. De plus, sa loyauté et son service au roi Henri VIII, ce monarque pétri de contradictions, lui avaient valu de nombreuses récompenses sous la forme de plusieurs fiefs et à l'emploi dans des missions diplomatiques.
Impossible de s'attaquer de face au duc Anglais! De toute façon, malgré ses nombreux succès militaires, Anne de Montmorency défendait la paix avec acharnement. Et puis, s'il lui prenait l'envie de le faire, Brandon, bien plus expérimenté que lui, le broierait sans même transpirer.
Le maréchal se reprit. Il était trop tard pour faire marche arrière. Déterminé à produire le meilleur effet sur son invité, il entama:
Anne: Ainsi, vous avez daigné accepter mon invitation! Quel honneur!
Charles: Votre messagère a su éveiller mon attention.
C'est ce que répondit Brandon, dont le sourire traduisait clairement le vif plaisir qu'il avait tiré de cette femme aux manières foncièrement vicieuses.
Anne: Ah, la douce Irma! Je suis ravi qu'elle vous ait plu. En vérité, mon cher, je n'osais vraiment croire à votre venue. Qu'un noble seigneur s'aventure seul hors de son domaine est assez rare pour le souligner! Mais avant tout, veuillez vous installer... Prenez place à ma table. Nous allons prendre un rafraîchissement. Que diriez-vous d'un verre de liqueur?
Tout en devisant, Anne accompagna son homologue à la place offrant le meilleur point de vue sur la vallée, tirant lui-même le siège en signe de respect. Il se comportait avec un enthousiasme mêlé de la pointe de déférence nécessaire. Une considération légitime.
Dans le plus petit des verres de cristal, il versa un élixir qui coula épais, tel un sirop translucide.
Saisissant le verre de liqueur, Brandon l'éleva dans la lumière, comme pour en admirer le contenu. La bague, qu'il portait au médius de la main droite, ne manifesta aucune réaction. Elle était taillée dans une corne de narval, noblement baptisée licorne, animal fantastique dont la défense avait la faculté de déceler le poison si on l'approchait des mets. À première vue, le breuvage se révélait inoffensif. Il en but donc une gorgée. Une vague réfrigérante enveloppa sa gorge avant de se transformer en un feu doux qui se répandit dans ses membres pour les caresser de l'intérieur.
Tout en dégustant le liquide qu'il analysa comme un mélange de rose, de jasmin, de girofle, de fleur d’oranger de lys et agrémenté d'une pointe de cannelle, le duc de Suffolk se livra à son tour à l'examen de son hôte.
Natif de Chantilly, Anne de Montmorency était un homme grand, robuste, vêtu d'une ample chemise de soie écarlate ouverte sur une poitrine au teint clair, presque blanc. Celle-ci se révélait imberbe, large et musclée, tout comme ses épaules. Le duc Français avait des cheveux châtain, une courte barbe de même teinte qui masquait un menton carré. Tout en vidant son verre à petites gorgées, appréciant son piquant puis sa suavité, Brandon s'attarda l'air de rien sur les deux attributs qui trahissaient la nature hargneuse de son hôte. Ses yeux tout d'abord. Des iris noisette aux pupilles noires lui conféraient un regard dur. Son appendice nasal ensuite. Large et fort, il semblait déjà avoir bien reçu des coups sur les champs de bataille. C'était davantage un nez de paysan matois qu'un nez de race.
Des blessures, Anne en avait reçu de cruelles qui l'avaient presque conduit aux portes du tombeau. Il les tenait toujours à mépris en disant: "Ce ne sont que des égratignures!"
Pour achever son examen, Brandon contempla dans son ensemble le visage de son interlocuteur, doté de traits burinés, puissants et volontaires, traduisant l'impatience et une propension certaine à la violence en cas de besoin.
Pour résumer, le duc de Montmorency était un personnage rude et brutal, très attaché aux valeurs traditionnelles, quoique champion de l'autorité royale.
Haïssant également le désordre, le non-conformisme, la désobéissance au Pape Clément VII ou au souverain Français, il prônait une monarchie absolue, arrachant partout les germes des révolutions. Charles Quint répondait en fait à son idéal beaucoup mieux qu'un François Ier protecteur de Rabelais, allié du Sultan Soliman le Magnifique.
Jugeant l'Europe assez vaste pour ces deux grands princes, le maréchal rêvait de la voir unie sous les sceptres devenus fraternels de l'héritier de Saint Louis et du petit-fils des Rois Catholiques.
Mais l'amant de la duchesse d'Étampes, plus soucieux de son royaume que de la Chrétienté, se cabrait à l'idée d'une alliance dont l'effet serait de réduire la France à l'état de vassale.
Le duc de Suffolk prenait cette rencontre avec son habituel détachement. Malgré tout sur ses gardes, mais uniquement par principe. Il avait pris les précautions d'usage pour veiller à sa sécurité, parmi lesquelles l'absorption d'un charbon actif, très efficace en cas d'empoisonnement. En renfort éventuel, il disposait de deux hommes postés dans sa tente. Deux officiers issus de la Garde rapprochée de son souverain, sélectionnés par Henry Howard, comte de Surrey, le fils du duc de Norfolk.

Henry Howard, comte de Surrey.
Henry Howard, comte de Surrey.

L'Anglais ne craignait nulle attaque frontale. Même ici, sur le vieux continent. Il était Charles Brandon, premier duc de Suffolk, un homme politique influent, la puissance incarnée.

Thomas Howard, troisième duc de Norfolk.
Thomas Howard, troisième duc de Norfolk.

Il l'était au même titre que son compatriote Thomas Howard, troisième duc de Norfolk; que son interlocuteur Anne de Montmorency et des quatre autres principaux conseillers Français, seigneurs de guerre; ou encore de quelques vice-rois d'Espagne du même acabit. Cette situation de quasi-omnipotence depuis la Paix des Dames faisait de lui un homme blasé, avide de nouvelles sensations.
Il n'envisageait nul piège, n'étant plus depuis longtemps ni en guerre, ni menacé d'aucun affront, d'aucune vendetta. Sauf lorsqu'il s'estimait intimement outragé, le duc évitait d'affronter ses ennemis de face, qu'ils servent la France, l'Espagne ou quelque autre allégeance. Bien sûr, il intervenait tout de même à ses heures, avec le doigté caractéristique des Yeodmen, les officiers des dragons et le souci de ne jamais se compromettre.
Enfin installé, son verre à la main, Anne but quelques gorgées et reprit la parole:
Anne: Tenez, tout d'abord, pour vous remercier de votre ponctualité... Elle va vous permettre de découvrir ce spectacle dont je ne me lasse jamais et qui n'a lieu qu'une fois par jour!
Du doigt, Montmorency désigna un endroit particulièrement fleuri de la prairie, à une cinquantaine de pas de leur position.
C'était une étendue de fleurs bombées, une symphonie de jaune orangé, de rouge et de bleu. Des fleurs qui, en cette heure matinale, restaient fermées, remarqua Brandon. Un oiseau se détacha du ballet exécuté par ses congénères, virevoltant harmonieusement sous l'horizon. Le volatile au plumage brillant plana fièrement jusqu'aux fleurs qui semblaient en attente. Il traversa l'éventail en lançant un trille impérieux avant de retourner s'ébattre parmi les siens.
Le champ de soucis, de coquelicots et de gloires du matin se mit alors à onduler, sous les directives du vent. Puis, dans une silencieuse explosion de lumière, toutes les fleurs se mirent à s'ouvrir, certaines d'entre-elles rejetant soit un papillon jaune, soit un rouge, un bleu ou encore un blanc. L'essaim pacifique se hissa dans un parfait ensemble au-dessus des boutons-hôtes avant de se disperser à tout va, inondant la vallée de monarques colorés. À chaque couleur correspondait une bouffée différente de phéromones puissantes.
Le duc de Suffolk dut se pincer les narines pour éviter d'être délicieusement saoulé par les fragrances du pavot. Il remarqua qu'au contraire, son homologue aspirait avidement.
Charles: Tiens, tiens! Notre aimable maréchal serait-il gouverné par l'opium? Intéressant. Très intéressant... (Pensée).
Aussitôt analysée, l'information fut rangée dans l'extraordinaire bibliothèque que constituait son cerveau.

Anne s'enquit:
Anne: Magnifique, n'est-il pas?
Charles: Un spectacle exquis! Il ferait les délices de Mary, mon épouse.

Mary Tudor, duchesse de Suffolk, ancienne reine de France.
Mary Tudor, duchesse de Suffolk, ancienne reine de France.

Le gouverneur retint in extremis un infime tressaillement.
Anne: Howard sait-il pour Mary? Impossible! (Pensée).
Détournant le regard, il répondit:
Anne: Alors, il faudra venir lui faire découvrir cette vallée.
D'une main aux ongles impeccables, le quadragénaire saisit une carafe remplie d'un liquide grenat. Il versa le divin breuvage avec la délicatesse d'un échanson dans le plus grands des verres de cristal.
Anne: Je choisis toujours le vin moi-même, une vieille habitude. Ainsi, s'il s'avère mauvais, je ne puis blâmer personne. Goûtez-moi ce Bordeaux-clairet. Remarquez cette robe qui se révèle dans le soleil... Et ce bouquet... D'une richesse à faire tourner la tête. Ah! Je vois que vous l'appréciez. J'ai pris la liberté d'en faire déposer un tonnelet à votre intention, dans votre tente. Et je vous le répète, il n'y a aucun piège à craindre. Pourquoi irai-je vous nuire? Je n'y vois aucun avantage!
Charles: Vous me comblez d'attention, mon cher Anne. Je vais finir par me sentir gêné.
Le ton de Charles Brandon exprimait un amusement manifeste au cœur duquel pointait une étincelle d'intérêt. Il goûta le vin, le gardant en bouche pour en savourer toute la finesse. Il concéda au maréchal de France un hochement de tête approbateur.
Anne: Ce n'est qu'un modeste manifeste de mon admiration, seigneur duc. Un témoignage de la bonne entente que je désire instaurer entre nous.
Charles: Il y a de quoi se sentir flatté! Mais je suis déconcerté par cette invitation. Comme nous avons déjà arrangé l'entrevue de nos souverains, de quoi allons-nous discuter? Du fol espoir de mon roi de pouvoir enfin épouser cette garce d'Anne Boleyn, grâce à l'intervention du vôtre?

Anne Boleyn, marquise de Pembroke.
Anne Boleyn, marquise de Pembroke.

Anne: Que nenni! Nous verrons cela avec eux.
Charles: Alors de quoi donc? Je ne vois pas... Et puis, plus j'y songe, plus je me dis qu'il est étrange qu'un Français veuille frayer avec un Anglais...
Anne: Je préfère le terme de "novateur". Et pourquoi serait-ce si étrange? Je ne conçois aucune raison de nous opposer. Les anciennes querelles entre nos rois ne nous concernent nullement, non? Mon combat à moi, c'est d'instaurer la paix...
Malgré son goût pour elle, et même pour une alliance avec l'Empereur, Montmorency n'aurait jamais souffert que son maître occupât, en Europe, une place secondaire. Or, si François Ier ne se tenait pas sur ses gardes, il est plus que probable qu'il serait menacé dans sa puissance par l'ambition de Charles Quint que l'on soupçonnait à bon droit d'aspirer à la monarchie de l'Europe. Il fallait donc prévenir ce prince et, tout en évitant la guerre, continuer avec lui la lutte sur le terrain diplomatique. À cet égard, tant que les démarches de la France ne devaient pas avoir pour conséquence la reprise des hostilités, Anne était prêt à les favoriser.
Il comprenait que son souverain, même après certaines défaites, pouvait conserver une influence considérable en contractant des alliances pacifiques, et même en formant des ligues défensives avec les autres États Européens. D'ailleurs ces États, s'il ne les attirait pas à lui, iront tout droit à l'Empereur. Voilà ce qu'il importait surtout d'empêcher. Brouiller l'Espagnol avec les autres princes Européens était la politique la plus rationnelle. Il convenait donc de s'unir à eux. Ces alliances, qui semblaient rapporter au roi de France plus de profit en temps de paix qu'en temps de guerre, devaient produire quelque impression sur le Habsbourg. En tout cas, elles élèveraient une barrière contre ses prétentions. C'est ainsi que, tout en voulant le maintien d'un cessez-le-feu, le maréchal pouvait, sans se contredire, se prêter à des négociations qui seront, en somme, dirigées contre l'Empereur.
Anne: ... Instaurer la paix entre nos royaumes.
Charles: Tout comme mon maître! (Pensée).
En effet, la préoccupation principale du roi Henri avait toujours été la même depuis le sacre de l'Empereur: éviter que Charles Quint et François Ier ne s'unissent et d'empêcher, d'autre part, que l'un ne devienne plus puissant que l'autre... Toujours l'équilibre. N'avait-il pas pris comme devise: "Qui je défends est maître?"
Les yeux soudains embrasés d'une lueur fanatique, Anne ajouta:
Anne: Afin d'atteindre cet objectif, je vais avoir besoin de vous. Quant à vos buts, seigneur, ils restent les vôtres et je ne prétendrai pas m'en mêler. Je crois sincèrement qu'une alliance serait profitable. Très profitable... Vous riez de mon ambition?
Il s'exclama avec une légère grimace d'autodérision.
Anne: Je suis ambitieux, c'est vrai. Pourquoi le cacher? C'est précisément la raison pour laquelle j'ai tenu à vous rencontrer en privé.
Montmorency fit une légère pause pour les resservir en Bordeaux-clairet avant de reprendre avec un débit plus maîtrisé:
Anne: Inutile de prétendre que nous naviguons dans les mêmes sphères, Monseigneur, mais au sein du royaume de France, mon pouvoir s'accroît. J'ai mérité la faveur de mon roi depuis des années...
L'évocation de François Ier était destinée à impressionner son interlocuteur. Mais Brandon ne sembla pas s'en émouvoir. Il rétorqua, le sourcil haussé:
Charles: Et ses quatre seigneurs de guerre, alors, qu'ont-ils à voir dans tout cela? Ont-ils ordonné cette rencontre?
Il faisait référence aux quatre autres ministres les plus proches du souverain Français. Se redressant sur son siège, Anne se défendit:
Anne: Nullement! C'est de mon initiative propre que vous êtes ici. Le secret le plus total a présidé les préparatifs de cette entrevue. Pour tout vous dire, mon maître m'a mandaté pour résoudre un certain problème. Je suis ambitieux, je vous l'ai concédé, très ambitieux. Et les quatre conseillers usent à présent plus d'énergie à se quereller qu'à œuvrer pour le bien de notre monarchie! Mon roi en est parfaitement conscient, c'est bien pour cela qu'il m'a confié les pleins pouvoirs.

Claude d'Annebault, baron de Retz et Robert III de La Marck dit  Fleuranges l'Adventureux.
Claude d'Annebault, baron de Retz et Robert III de La Marck dit Fleuranges l'Adventureux.

Non, seigneur, que ce soit Claude d'Annebault, Robert III de La Marck ou les deux autres, ils n'ont rien à voir dans ce qui nous occupe. Soyez-en convaincu! Je tiens à faire mon chemin sans me lier à aucun d'eux... Je vous le certifie sur mon honneur! Mais pour le moment, laissons tout cela de côté, si vous le voulez bien... Il y a priorité: réjouissons-nous d'un bon repas. Je rêvais depuis si longtemps de vous avoir à ma table que j'attends votre verdict avec impatience!
Charles: Maréchal, je dois avouer que votre invitation a taquiné mon intérêt... De même, votre si habile messagère. Ce fut un bien appétissant hors-d'œuvre, vraiment!
Montmorency avait su éveiller la curiosité de son homologue. Un sourire d'autosatisfaction plaqué sur les lèvres, il claqua des doigts pour annoncer le repas.
Deux servantes, se prêtant volontiers aux jeux de l'amour avec les membres de la haute société, vinrent rejoindre les deux hommes de leur démarche ondulante. Natives de l'île de Wight, placée sous l'autorité unitaire du royaume Anglais après une brève indépendance au XVème siècle, elles disposaient d'un charme travaillé depuis l'enfance.
Tout en plaisantant d'une voix au timbre particulièrement sensuel, elles s'approchèrent de Charles Brandon pour lui laver les mains, l'agaçant délicieusement de multiples effleurements avant de l'essuyer au moyen de caresses.
Leur tâche était de le laisser dans un état idéal, un mélange de délassement et de douce euphorie, tous ses appétits réveillés. Une fois leur travail achevé, elles passèrent au Français. Ce dernier les congédia d'un geste et claqua dans ses mains à deux reprises.
Décomposé en neuf services, le repas fut en tous points parfait. Digne d'un gourmet de la trempe de Brandon. Les deux seigneurs mangèrent presque en silence. Silence que rompit Anne aussitôt le dessert achevé. S'essuyant les mains dans la nappe, il reprit:
Anne: Cher duc, je ne peux attendre plus longtemps votre verdict. Qu'en dites-vous? Soyez franc, surtout!
Charles: Mon cher Anne, je louerai la qualité de votre table auprès des miens. Je vous l'assure. Et à l'occasion, il faudra que je vous rende la pareille...
Le maréchal sourit largement:
Anne: Seigneur, vous me comblez... Je n'aurais espéré une telle rencontre. Ah! Voici le thé... J'avoue ne plus pouvoir me passer de cette boisson.
Montmorency capta le regard de Brandon, qui revenait sans cesse aux jeunes beautés assises à l'écart. Il avait été judicieusement informé des appétits charnels démesurés de cet homme déjà marié deux fois par le passé: en premières noces avec Margaret Neville et en secondes noces, à Anne Browne. En 1515, il convola secrètement pour la troisième fois avec la blonde et irrésistible Mary Tudor, sans le consentement d'Henri VIII qui avait d'autres projets matrimoniaux pour sa sœur cadette.
Anne: Avant de vous laisser à une petite et heureuse surprise que j'ai prévue en votre honneur, seigneur, si vous le voulez bien, venons-en à l'essentiel.
Sur un hochement de tête de l'Anglais, Anne versa le thé dans la tasse en argent de son invité.
Le fort arôme de cette boisson, de plus en plus prisée dans le pays où les taxes encouragaient la contrebande, s'échappa pour flatter d'odorat des ducs. Brandon huma avec délice la suave odeur aux touches corsées, se disposant à analyser toutes les nuances du discours du maréchal. Ce dernier entama:
Anne: Voilà! J'ai, pardonnez-moi cette triviale expression, un problème à vous soumettre. Je veux faire éliminer quelqu'un... Pas l'un des vôtres, bien évidemment!
C'est ce qu'il précisa immédiatement afin d'éviter toute réaction offensée. Brandon tenta de masquer son étonnement en portant la main à son lobe d'oreille:
Charles: Un contrat, donc... Mais pourquoi moi, mon cher? Qu'ai-je à voir avec cette sorte de... problème?
Anne: Laissez-moi évoquer la question dans son ensemble, seigneur, vous allez comprendre...
Anne claqua des doigts pour ordonner que l'on reserve son invité. Ce qui fut aussitôt exécuté par l'une des servantes au corps souple.
Anne: Vous savez que la paix est une chose fragile, et ne sera jamais l’état naturel d’une société… Vous n'ignorez pas la mésintelligence qui règne entre les Espagnols et nous.

Andrea Doria, condottiere et amiral de Gênes.
Andrea Doria, condottiere et amiral de Gênes.

Vous avez aussi remarqué la haine qui me sépare de l'Amiral Doria quand ce félon a déserté nos rangs pour rejoindre ceux de l'Empereur. Des rumeurs courent sur son compte: il semblerait que le capitaine Génois cherche à lancer des attaques sur les ports de Provence. Charles Quint, toujours ulcéré de s'être fait spolier suite à l'illusoire traité de Madrid, s'est laissé convaincre par ses conseillers. Nos services de renseignement sont formels: puisque mon maître, qui de son côté revendique toujours le duché de Milan, ne lui restituera pas sa Bourgogne, le bruit court que l'Empereur souhaite lancer une phase d'expansion à grande échelle sur le continent. À Barcelone, les Cortès se sont réunis pour la circonstance. Mes agents ont découvert la ligne principale de leur projet: l'Espagne et les Pays-Bas Espagnols vont déployer leurs troupes. Sur le royaume de France, donc. Avec objectif de prendre contrôle de tous les grands axes. J'ignore où et quand exactement ils agiront. Or, sa Majesté François n'a pas assez de troupes pour couvrir le front dans son entier. Mais je sais par contre qu'une fois ses positions stratégiques fortifiées, l'Empire sera libre d'envoyer ses armées annexer région après région. Avec toutes les funestes conséquences que je vous laisse deviner. Ce sera la guerre, une nouvelle fois, et je peux vous assurer que si nous y sommes acculés, nous nous battrons jusqu'au bout. Nous sommes sans doute moins nombreux, je ne vous cacherai pas que les Grandes Guerres d'Italie ont affaibli nos ressources militaires, surtout après la défaite de Pavie. Mais il nous reste suffisamment de bataillons pour résister. Nous pouvons également compter sur le soutien des piquiers Suisses et des mercenaires Allemands et Flamands des bandes noires si nous y mettons le prix. Non, nous ne céderons jamais!
Charles: Une situation fâcheuse, j'en conviens. Tout à fait fâcheuse... Car la résultante en sera l'embrasement des duchés de France! Et s'ils s'embrasent, alors les autres duchés d'Europe s'embraseront également.
Le duc de Suffolk caressa la pointe de sa barbe, prenant toute la mesure de cette nouvelle capitale.
Charles: Mais je ne vois toujours pas ce que je viens faire dans cette affaire...
Anne: Il nous faut absolument éviter une nouvelle guerre. C'est pour cela que je veux faire éliminer un des membres du Parlement de Catalogne. Cet homme...
Anne fit apparaître une feuille de vélin pliée en deux, qu'il fit glisser vers Brandon. Celui-ci tendit la main pour saisir la feuille, prit connaissance du nom marqué sur le document, et s'exclama:
Charles: Palsambleu!
Ce juron démontrait à quel point Brandon était troublé. Quel projet audacieux! Le maréchal de France apparaissait sous un jour tout à fait surprenant...
Anne: Le personnage dont vous venez de lire le nom nous a contrés en maintes occasions, nous causant des torts considérables. Il a également déjoué plusieurs de nos tentatives pour l'abattre. Sa disparition est devenue une priorité pour moi. Je veux absolument éviter une nouvelle guerre entre la France et l'Empire.
Charles: Et les quatre? Quelle est leur position?
Anne: Philippe Chabot et Claude d'Annebault se sont clairement prononcés en faveur de la guerre, cela ne vous étonnera pas. René de Montjean n'a rien communiqué de ses opinions et Robert III de La Marck a déclaré refuser la franchise brutale d'un confit généralisé...

René de Montjean, seigneur de Beaupréau et Philippe Chabot, seigneur de Brion et amiral de France.
René de Montjean, seigneur de Beaupréau et Philippe Chabot, seigneur de Brion et amiral de France.

De tous les prisonniers de l'Empereur (François Ier, Anne de Montmorency et les quatre conseillers), Fleuranges l'Adventureux fut sans doute celui qui paya le plus lourd tribut: Charles Quint, irrité par la défection de son père, Robert II de La Marck, l’emprisonna en Flandre où il resta quelques années.
Anne leva une main musclée:
Anne: J'estime pour ma part que le désordre provoqué par cette disparition annulerait non seulement la vague d'invasion mais affaiblirait également l'influence des Cortès de Catalogne pour plusieurs années. Un coup direct porté à l'Empereur Charles. Un avertissement par effet de ricochet. Nous ne voulons plus des Grandes Guerres!
Charles: Désolé, Maréchal, mais je ne saisis toujours pas le rapport avec moi...
Anne: J'y viens... Pourquoi vous, en effet? Eh bien, en vérité, c'est l'essence même de mon plan! Parce que depuis la chute du cardinal Wosley, votre influence s’accroît chaque jour davantage. Parce que parmi la Garde royale, les très mystérieux officiers des dragons sont peut-être les seuls capables de pouvoir relever ce genre de défi. Et je veux pouvoir compter sur le meilleur pour régler cette affaire, avant qu'il ne soit trop tard. Sans avoir à quérir l'aide des Quatre... Comme je vous l'ai dit, je tiens à rester indépendant.
Charles: Je ne vois pas de quoi vous parlez. Je ne sais rien de ces officiers des dragons, comme vous les nommez.
Anne: Voyons, mon cher duc, ne me prenez pas pour un imbécile. Il me suffira de citer ces deux exemples pour vous convaincre de ce que j'avance: tout d'abord, le confinement et la disparition mystérieuse en 1483 des Princes de la tour, le jeune roi d'Angleterre Édouard V, et son cadet le duc d'York, Richard de Shrewsbury.

Les Princes de la tour.
Les Princes de la tour.

Ensuite, plus récemment, l'affaire des lettres codées, adressées par Wolsey au pape, au roi de France et à l'Empereur et interceptées par ces officiers.
Brandon parvint à dissimuler sa stupéfaction. Ainsi Montmorency subodorait, à juste titre, l'implication des Yeodmen dans ces affaires! Et pourtant, on lui avait assuré n'avoir laissé aucun signe qui permettait d'incriminer les dirigeants. Il estima:
Charles: Voilà qui est très intéressant... (Pensée).
Se rencognant dans son fauteuil pour adopter une position plus détendue, il croisa les mains devant son menton et demanda:
Charles: Avez-vous des preuves? J'en doute!
Anne: Des preuves? Non, ces officiers des dragons n'en laissent jamais, mais des convictions, oui. Des convictions qui, je le souligne, ne regardent que moi. Je n'ai pas besoin d'avancer des preuves. Je ne suis pas là pour juger ou condamner. Vos affaires ne me concernent en rien, je vous l'ai dit. Je veux juste utiliser les services de ces mercenaires. Songez que je n'ai aucun intérêt à dévoiler ce que je sais. Je suis prêt à en faire le serment sur mon sang. Rien de ce qui vous concerne ne sortira de ma bouche. Pas même devant mon roi, je vous le jure. De grâce, seigneur, laissez-moi au moins aller jusqu'au bout et vous pourrez alors décider de nous aider ou non!
Charles: Soit. Pour le plaisir de la discussion, je vous écoute...
Anne tenta de cacher son soulagement en tournant la tête pour réclamer que l'on remplisse leurs verres de vin. Le duc de Suffolk ne fut pas dupe mais n'en laissa rien paraître. Il se permit par contre de flatter la croupe de la servante penchée sur lui pour le resservir. Le maréchal sourit en voyant le geste lascif de son invité et but une large gorgée avant de reprendre:
Anne: Je doute qu'une guerre comme celle qui se prépare serve vos intérêts, quels qu'ils soient. Sinon, je ne doute pas que vous auriez œuvré dans ce sens! Le chaos qui va s'ensuivre nuira à tout le monde. Or, vous le savez comme moi, l'équilibre de l'Europe dépend de votre roi. L'empire se prépare à commettre une folie qui nous emportera tous, et vous seul pouvez intervenir... Oui, nos intérêts coïncident dans le cas présent. Ni vous ni moi, ni le vieux continent ne pouvons risquer un échec, c'est pourquoi le royaume d'Angleterre est tout désigné pour régler la chose.
Anne choisit le silence pour appuyer ses propos.
Brandon caressait pensivement la pointe de sa barbe.
De l'autre main, il saisit son verre de Bordeaux-clairet, s'accorda deux lampées avant de répondre:
Charles: Poursuivez, je vous prie.
Les yeux du maréchal s'illuminèrent tels des lacs de lave baignés par un éclat lunaire. Il paraissait comprendre qu'il avait ferré le duc. La mine grave, il soupira:
Anne: La tâche est ardue, voire impossible. J'en suis conscient... C'est bien pour cela que j'ai besoin de votre collaboration. Notre cible connaît la plupart de nos ambassadeurs. Elle est constamment sur ses gardes. Infiltrer l'Empire à cet échelon est une affaire fort délicate. De surcroît, nous autres Français serions trop facilement repérables si nous tentions de nous approcher de l'un des seigneurs de Catalogne dans sa propre capitale. Même si nous parvenions à faire entrer une armée dans Barcelone, nous ne parviendrions pas à nos fins. J'en suis persuadé. Oui, seigneur, j'ai bien réfléchi... Je ne vois d'autre moyen de faire échouer l'invasion projetée par les Cortès, sans déclencher un bain de sang et je ne vois qu'un officier des dragons pour réussir... Et pourquoi je m'adresse à vous personnellement? La réponse est simple: vous êtes le duc de Suffolk, le plus puissant, le plus subtil et le plus communicatif d'Angleterre. Le mieux placé pour laisser ses préjugés de côté, selon moi, et de véritablement juger de la valeur des informations que je vous ai livrées. Cette collaboration pourrait même ouvrir des horizons nouveaux à nos deux existences, me suis-je dit. Sans vous cacher que si je réussis cette mission, mon bon roi sera des plus généreux...
Charles: Ton bon roi, ton bon roi! Il a bien profité de ma jeune épouse quand elle était mariée à ce vieux bouc de Louis XII! (Pensée).
Brandon continua de flatter la pointe de sa barbe durant de bonnes minutes, laissant son interlocuteur dans l'expectative. Si celui-ci disait vrai, il se devait pourtant d'intervenir. Il ne pouvait tolérer que certains duchés de France perdent leur indépendance sacrée. Oui, il devait s'en mêler.
Charles: Vous avez bien fait, mon cher Anne, de vous adresser à moi. Si vos informations sont exactes, et je saurai bientôt si c'est le cas, il est hors de question que l'Empire étende ses influences au-delà de ce que j'estime raisonnable. Malgré la difficulté présentée, votre plan me semble sensé. Je puis peut-être intervenir pour éviter une nouvelle guerre. Encore que nous devions...
Montmorency le devança:
Anne: Nous mettre d'accord sur les avantages que vous en retirerez? Quel serait votre prix? J'avais pensé à l'annexion totale de Saint-Inglevert. Je suis en mesure d'honorer cette promesse.
Balayant la proposition d'un revers de main, le duc de Suffolk lâcha:
Charles: Cela ne m'intéresse pas. Non, je désire autre chose... Je pensais plutôt à la cession du Boulonnais.
Anne manqua de s'étrangler. Voilà une chose inattendue. Le duc se montrait plus gourmand que prévu!
Anne: Mais...
Charles: Allons, mon cher Anne, je sais que vous en avez le pouvoir. Votre roi vous tient déjà en haute estime, vous l'avez vous-même affirmé... Le comté de Boulogne n'a aucun intérêt stratégique pour vous, ma demande ne présente donc aucune menace pour le royaume de France. Sans compter que l'Angleterre a pleinement démontré qu'elle n'avait nul désir de conquête. L'échiquier Européen ne sera aucunement chamboulé par cette demande.
Irrésistible, Brandon souriait de toutes ses dents. Il se savait en position de force. Une telle requête permettrait à Montmorency de comprendre qu'effectivement, on jouait à présent dans la cour des Puissants.
Anne: Mais...


À suivre...
Modifié en dernier par TEEGER59 le 11 mai 2020, 10:21, modifié 1 fois.
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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Re: Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

Message par Este »

Super ! La suite !
Saison 1 : 18/20 :D
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yupanqui
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Re: Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

Message par yupanqui »

Un vrai cours d’histoire.
Intéressant.
Même si je suis plus passionné par les aventures où s’expriment les ressentis, le fond de l’âme humaine que par les grandes descriptions encyclopédiques.
Modifié en dernier par yupanqui le 11 mai 2020, 11:21, modifié 1 fois.
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Re: Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

Message par Este »

C'est pardonné et excellent !
Saison 1 : 18/20 :D
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Re: Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

Message par TEEGER59 »

Suite.

Tandis que s'opéraient les tractations, un tout autre échange avait lieu sur l'un des versants de la vallée. Dans la tente dévolue au duc Anglais, deux solides gaillards conversaient, tous deux remarquables d'aspect. Aussi dissemblables que possible et pourtant presque frères.
À leur arrivée, un buffet les attendait, couvert d'une honorable variété de mets. Le premier, n'ayant pas encore dépassé la trentaine, s'était immédiatement méfié d'une telle profusion mais après avoir humé le vin et la nourriture, son compagnon d'arme certifia qu'ils ne contenaient ni poison ni drogues. L'homme suspicieux avait donc consenti à piocher quelques morceaux tandis que l'autre, à peine plus âgé, engloutissait l'équivalent de deux repas.
Ils prenaient à présent le thé. Ciarán Macken, celui qui avait bon appétit, en profitait pour fumer une pipe. Peu attiré par ce genre de plaisir futile, son binôme avait refusé. Une épée longue reposant à côté de lui, lame au clair, il surveillait l'échange dans la vallée.
Une discussion à bâtons rompus s'était élevée pour tromper l'attente. Les deux officiers goûtaient fort peu à ce rôle limité de garde du corps. Une injure à leurs talents de soldats.
Cependant, le comte de Surrey avait été très clair: ils devaient à tout prix veiller sur la sécurité de Charles Brandon. Le Yeoman ombrageux avait froncé les sourcils en guise de protestation et Macken, plus expansif, avait avancé le fait que si quelqu'un voulait attenter à la vie du duc de Suffolk, eux deux ne serviraient pas à grand-chose... cloîtrés sous une tente.
CM: Je te dis qu'elle est là, dans les parages! En arrivant, j'ai reconnu son parfum qui flottait dans l'air. Cette affaire sent mauvais! Je te le dis, Hombre!
Sanglé dans la tenue de combat sur laquelle était brodé l’insigne Portcullis de la dynastie des Tudor, son compère ne répondit rien. Une grimace apparut toutefois sur son visage, éclairé par des yeux d'un noir intense, perçants et froids. C'était un Catalan, issu de la lointaine Espagne. Ce dernier passa une main gantée dans sa courte chevelure brune.
:?: : Que peut signifier la présence de l'épouse du duc en ces lieux? (Pensée).
Il demanda à son compagnon:
:?: : As-tu une idée de l'endroit où elle se trouve, exactement?
Ciarán, originaire quant à lui de la colline de Tara, dans le comté de Meath en Irlande, répondit:
CM: Sans sortir d'ici! Non.
Il était moins grand et moins svelte que l'Ibérique. Son aura, mélange de gaieté brutale et d'énergie audacieuse, amenuisait cependant les dimensions de leur tente. Façonnés à coups de serpe et empreints d'une fierté manifeste, ses traits étaient particulièrement éloquents. Son visage était rasé de près, à l'exception d'une moustache épaisse qui dissimulait la ligne de sa bouche. Surmontant son nez légèrement busqué, se rejoignaient deux sourcils épais, extrêmement expressifs. Tout en tapotant des doigts le fourneau de sa pipe, il affirma de sa voix basse:
CM: Et c'est pour cette raison que je ne vais pas m'y risquer. Pas besoin de te rappeler nos instructions. Et puis, ce qu'elle fait la regarde. C'est aussi la sœur du roi, ne l'oublie pas...
Il soupira:
CM: Ah, mais quelle beauté, quand même! L'as-tu déjà bien regardée? As-tu remarqué ses beaux yeux bleus, ses cheveux d'un blond doré, ses lèvres humides, son air de volupté et son teint? Un teint comme on en trouve rarement en Angleterre... Ah, Mary...
:?: : Sacré Poil-de-Carotte! Tu as une de ces façons de murmurer son nom... Comme si...
Macken perçut l'allusion. Il se redressa et passa la main dans la crinière à l'origine de son surnom. Une tignasse extrêmement fournie composée d'épaisses mèches rousses.
Tout comme son camarade, il était habillé d'une veste écarlate avec parements de col et de manches, de couleur bleu Jarretière, d'une cape noire, d'un pantalon blanc et de bottes. Ainsi accoutré, l'Irlandais ne passait nulle part inaperçu. Ciarán Macken aimait attirer l'attention, et, en général, après l'attention, venaient les ennuis.
CM: Bien sûr que j'ai couché avec elle!
Il haussa ses larges épaules qui incitaient au respect.
CM: C'est à ça que tu penses, n'est-ce pas? Et pourquoi aurais-je dû refuser? Tu connais les mœurs en vigueur à la cour... Oh, rassure-toi, Hombre. En vérité...
Manifestement déçu, il avoua:
CM: ... En vérité, ça n'est arrivé qu'une fois et on était tous les deux un peu éméchés.
Plus joyeux, il reprit:
CM: Tu sais que nous autres Irlandais sommes les meilleurs amants de la terre! C'est normal! Avec notre grosse...
:?: : Ciarán!
CM: Toujours aussi prude, compagnon d'infortune! Tu ne m'as pas laissé finir. J'allais dire "grosse moustache".
:?: : C'est ça! Et tu t'imagines que je vais te croire?
CM: Mais si, je t'assure. Les femmes pensent que ce type de pilosité fait ressortir la masculinité. Dis donc, à propos de Mary, et toi alors? Lors de la cérémonie de l’Ordre de la Jarretière, au château de Hampton Court, la semaine dernière... Elle a passé la soirée à te tourner autour. J'ai bien vu que tu lui plaisais. Et Mendoza par-ci, et Mendoza par-là... Mais qu'est-ce qu'elle peut bien te trouver, je me le demande? Entre ton air renfrogné, ton sale caractère et ton nez cassé...
:Mendoza: : Dis-moi, mon gros, puisque tu évoques le sujet, il me semble que c'est bien toi qui me l'as cassé, ce nez...
CM: Désolé mais la cour du poisson* n'est pas très large et tu te tenais trop près de moi! Je ne t'avais pas vu. Et je te rappelle qu'à ce moment-là, nous étions en train de subir une charge à trois contre un en jouant à la soule!*

11.PNG

Le Catalan se contenta de fixer le soldat Irlandais de son inquiétant regard noir, sa bouche marquée d'un pli sévère. Contrairement aux dires de son camarade, il était loin d'être laid. Mais son visage austère pouvait rebuter par la froideur, la rudesse qu'il affichait. La mine sombre et tourmentée de l'homme aux cheveux bruns contrastait avec la bonhomie contagieuse, épanouie, que dégageait l'Irlandais. Là où Macken se montrait enjoué, Mendoza était désabusé, vindicatif. Et pourtant, malgré leur différence de tempérament, ils étaient ce que l'on aurait pu appeler des amis.
Ciarán ne parut pas s'émouvoir pour autant de la réaction de l'Espagnol. Il se contenta d'envoyer des ronds de fumée devant lui, avant de lâcher un rire grondant:
CM: Et puis d'abord, ne détourne pas la conversation. Nous parlions de femmes. Mais toi, bien sûr, avec tes principes! Tes foutus principes... Dis-moi, compagnon, ça fait combien de temps qu'on se connaît? Cinq ou six ans? Je ne me souviens pas de t'avoir jamais vu heureux. Hormis au combat... Je trouve ça bien triste, Hombre. Profite, laisse-toi un peu aller, la vie peut-être si joyeuse! Mary n'attend que cela. Elle t'a cherché du regard durant toute cette soirée. Et je crois qu'elle continuera, tant que tu ne lui auras pas cédé. Elle ne supporte pas qu'on lui résiste. Tu...
Mendoza balaya la tirade de l'Irlandais d'un geste irrité:
:Mendoza: : Je m'en moque bien, de ses désirs. Et ce n'est pas qu'une question de principes. Je ne lui fais pas confiance, voilà tout...
Macken assena une grande claque sur la table de chêne.
CM: Voilà tout! Et alors, quel rapport?
Il ricana encore.
CM: En quoi est-ce que cela t'empêche de partager sa couche?
:Mendoza: : Je ne tiens pas à être épinglé à son tableau de chasse, figure-toi. Cette femme est une garce et une catin, en plus d'être une manipulatrice. Et ce jeu semble l'amuser prodigieusement! Tu veux que je te rappelle ce qu'elle a tenté de faire pour rester reine de France alors que le roi Louis XII était à l'article de la mort? Tu souhaites que je te dresse la liste de ceux qu'elle a pris comme à glu afin d'avoir un héritier mâle et pouvoir demeurer sur le trône?
CM: Inutile, je les connais! Et nous ne parlons pas des amants de la reine blanche*, mais de toi! Moi, ce que je dis, c'est que tu devrais prendre un peu de bon temps... Ça te ferait le plus grand bien! Ah, vous, les Espagnols! Vous compliquez toujours tout.
Ciarán aspira une énorme bouffée de fumée avant de changer de ton:
CM: Parlons plus sérieusement, ami. Tu fais toujours des cauchemars?
Un instant, le regard si noir du Catalan se voila, comme s'il était hanté. Un pli amer barra sa bouche.
CM: Ça, ce n'est pas bon. Pas bon du tout. Tu devrais en parler à ton oncle Íñigo ou...
Soudain en alerte, Mendoza lui ordonna:
:Mendoza: : Tais-toi!
Dans la vallée, sur le péristyle, les deux silhouettes masculines s'agitaient.
:Mendoza: : Le duc se lève. L'ambassadeur de France aussi. Ils se saluent... Le duc fait le signal. Tout va bien.
Toujours assis, l'Irlandais vida son verre de vin d'un trait.
CM: C'est inespéré! On va pouvoir enfin rentrer. J'ai rendez-vous avec une petite comtesse... Elle est encore un peu timide. Mais tu me connais. Avec moi, elle ne va pas tarder à découvrir que...
:Mendoza: : Silence, ils bougent! Le Français se dirige vers sa tente. Que fait le duc? Il revient? Non, il va dans le pré... Rejoindre les servantes.
CM: Sacrebleu! Pousse-toi, Hombre. Je veux voir ça!

☼☼☼

En bas, les marchandages venaient en effet de s'achever. Les deux partis étaient tombés d'accord et Montmorency était tout sourire.
Charles Brandon leva la main droite et la tendit nonchalamment au maréchal.
Charles: Nous nous reverrons sous peu avec nos souverains respectifs.
Anne: Certes! Seigneur duc, je vous assure que vous ne regretterez pas notre association! Et pour conclure mon invitation, je vous ai préparé une surprise qui sera, je l'espère, à votre goût... Mes petites protégées n'attendent que votre bon plaisir. Prenez toute les libertés avec elles. Elles sont désireuses de satisfaire jusqu'au moindre de vos désirs. Quant à moi, je suis attendu! Je vais fêter l'événement à ma manière. Disons d'une manière plus gauloise... j'espère que vous ne le prendrez pas mal?
Charles: Nullement.
À son tour le duc de Suffolk sourit.
Charles: Je comprends tout à fait le besoin de retrouver ses racines.
Anne: Ses racines!
Montmorency lança un gros rire gourmand qui jurait avec son élocution mesurée.
Anne: Quelle jolie formule! Décidément, nous sommes destinés à nous entendre. Avec votre permission, je vais donc prendre congé. Profitez à loisir de mes servantes, je vous en prie. À très bientôt, seigneur duc, j'attends de vos nouvelles.
Charles: Vous en aurez.
Puis, épié par ses deux gardes du corps, Charles Brandon se dirigea vers le petit bocage situé au bord d'un petit ruisseau tortueux, où, sur un grand drap de soie, l'attendaient les deux jeunes filles. Il les contempla. Elles étaient désirables, aussi bien l'une que l'autre. Le duc de Suffolk avait des appétits charnels démesuré. Sa seule faiblesse, sans doute.
Le duc de Suffolk avait véritablement décidé d'accéder à la demande du maréchal, du moins si ses révélations se révélaient justes. Celui-ci était à présent son débiteur. Évidemment, cette collaboration cachait quelque chose. Montmorency avait certainement plus en tête que ce contrat. Le duc esquissa un sourire. Un peu de piment dans son existence n'était pas pour lui déplaire.
Il allait plutôt être occupé dans les jours à venir avec l'entrevue officielle des rois d'Angleterre et de France, et ensuite, à creuser l'histoire du maréchal et à vérifier les projets de l'Empereur. Mais pour l'heure, il allait se détendre. Son homologue avait du goût en matière de plaisirs. Ça leur faisait au moins un point commun.

☼☼☼

Après avoir vérifié que le duc de Suffolk s'éloignait bien dans la direction souhaité, Anne se retint de hurler sa satisfaction.
Il pénétra ensuite dans sa tente.
Une splendide femme aux abondants cheveux blonds l'y attendait. Elle était encore plus troublante que sa maîtresse à la cour, mademoiselle de Saint-Gilles. Vêtue en tout et pour tout d'un bustier laissant à découvert une partie importante de sa gorge, elle patientait sur le lit. Cette vision enflamma les sens du maréchal.
Cette magnifique créature présentait une ressemblance certaine avec le roi d'Angleterre. Même richesse de traits, même prestance, même intelligence subtile et même fossette orgueilleuse à la pointe du menton. C'était somme toute parfaitement normal car cette femme offerte était sa sœur, Mary Tudor.
Anne commença par l'ignorer. Il se dirigea vers la table et se versa un plein gobelet de vin au miel qu'il but lentement avec la visible satisfaction d'un homme qui sait se faire désirer. Après une inspiration, il reposa son verre et alla clôturer l'entrée de la tente.
Enfin, il daigna prendre Mary en compte. Il la rejoignit pour la saisir violemment sous le menton, se repaissant de la sensualité de son visage.
Anne: Tu es une femme incomparable. (Pensée).
C'était ce que se disait le maréchal en sa compagnie. Incomparable et redoutable. Mary les éclipsait toutes. Toutes les femmes de sa connaissance.
Face à Montmorency, la duchesse ne manifestait aucune inquiétude. Au contraire. Faisant tinter sa voix ensorcelante, elle s'exprima posément:
Mary: J'ai trop attendu. Tu me le paieras!
Une moue délicieusement perverse naquit sur ses lèvres si rouges.
Anne: Voyons ma beauté... Tu connais les enjeux. Et ça m'étonnerait que tu apprécies que ton mari vienne nous rejoindre. Quoique, telle que je te connais... tu as déjà dû te retrouver dans cette situation!
Mary: Chien! Cela ne te concerne en rien. Viens plutôt t'occuper de moi. On parlera plus tard...
Une mimique exquise venait d'apparaître sur ses traits, accentuant le désir du maréchal. Il préféra pourtant prendre le temps de la détailler encore.
Ses narines parfaites étaient dilatées. Signe d'un état provoqué par l'électuaire que lui fournissait régulièrement Anne. Ses cheveux soyeux, impeccablement coiffés, scintillaient sous la lumière des lampes. Ils tombaient jusqu'à ses omoplates, et soulignaient d'une frange deux sourcils fins, séparés par une ride de contrariété. Elle cracha:
Mary: Dépêche-toi!
Sa colère ne parvenait pas à l'enlaidir.
Mary: Si tu crois que tu vas me laisser attendre!
Son intonation fit fléchir Anne. Il se dévêtit, fit un court détour vers un coffret ouvragé posé sur un tabouret et en sortit deux petites fioles emplies d'un liquide sombre. Mary répéta:
Mary: Dépêche-toi!
Il s'approcha d'elle pour goûter goulûment sa bouche. Elle était d'une fraîcheur plaisante. Sa main droite s'étira pour s'enrouler autour de la taille de son amante. Il étouffa un cri lorsqu'elle lui mordit férocement la lèvre.
Il la frappa aussitôt d'un revers brutal, avant de cracher un peu de sang.
Anne s'écarta en murmurant d'une voix glaciale:
Anne: Alors, c'est comme ça que tu veux jouer! D'accord, ma belle...
Mary le défiait de son regard, l'excitant plus qu'elle ne l'aurait dû. Son visage aux traits aristocratiques arborait un très fort mélange d'innocence et de vice.
Le duc se rapprocha de sa maîtresse, les deux fioles toujours à la main. Il lui agaça le lobe de l'oreille de sa langue, avant de susurrer:
Anne: Tiens, bois... Et pense à ton époux, en train de besogner mes servantes! Ça t'excite, n'est-ce pas?
Les yeux brillants de désir, la duchesse avala avidement le jus de pavot contenu dans l'une des fioles. Anne fit de même avec l'autre. L'opium décupla leurs sens avec une intensité qui aurait pu tuer des non-initiés. Leurs regards révulsés ne se quittaient plus, aimantés par une même frénésie. La drogue caressait chacun de leurs nerfs. Un divertissement d'une jouissance exquise et lente les attendait.
Le maréchal saisit sa cravache et leva le bras, avant de suspendre son geste.
Mary se mit à fixer la houssine tandis que la commissure de ses lèvres tressautait. Manifestation chez elle d'un intense embrasement des sens. Elle ne prononça qu'un mot, et il s'apparentait bien plus à un ordre qu'à une supplication.
Mary: Frappe!

☼☼☼

Le maréchal s'exclama:
Anne: Ça va marcher! Je n'y croyais pas vraiment, mais ça va marcher!
Mary: Je te l'avait dit, pourtant! Il suffisait de présenter les bons arguments... À présent, mon mari va vérifier les informations que tu lui as livrées, et comme elles seront exactes, il ne pourra pas refuser d'intervenir.
Anne: Tu l'avais prédit, ma beauté...
Les deux amants se tenaient sur le lit. Laissant nonchalamment leur transpiration s'évaporer en rythme avec le retour au calme. Une odeur musquée planait dans la tente. Mary avait mené les ébats avec une rage et une inspiration renouvelées. Anne se sentait vidé de toute son énergie.
Le maréchal de France alla quérir une carafe d'alcool de fruits et un bol de figues vertes. Il servit la duchesse, et relança:
Anne: Dis moi, tu connais Íñigo López de Mendoza, l'ambassadeur d’Espagne auprès de la cour de ton frère?
Mary: Oui, eh bien?
Anne: Eh bien j'ai appris récemment que son neveu, Juan-Carlos Mendoza, était un soldat au service du compte de Surrey. Tu le connais?
Mary mentit:
Mary: Je ne crois pas.
Anne: Tu es sûre? Pourtant, des Espagnols, il ne doit pas y en avoir tant que cela dans les rangs du roi d'Angleterre!
Mary: Oui, je m'en souviens à présent. J'ai pu le voir une fois ou deux. Mais ce n'est qu'un soldat comme les autres...
Encore un mensonge, Anne ne devait surtout pas savoir qui il était en réalité.
Mary: Mais pourquoi me poser une telle question? Que lui veux-tu?
Anne: Oh, rien qui t'intéresse, ma beauté. Cela dit, tu penses que tu pourrais en apprendre plus sur lui?
Mary: Tu m'agaces avec tes questions. Tu oublies à qui tu parles, je ne suis pas l'une de tes servantes!
Anne: Pardonne-moi, ma beauté... Mais je me devais de t'interroger car mon roi désire en savoir plus sur lui.
Mary étouffa un rire railleur. Alanguie, elle ne semblait pas souffrir des lacérations qui ponctuaient sa peau somptueuse de lignes sanguinolentes.
Que cachait cette demande au sujet de Mendoza? La duchesse de Suffolk avait d'autres projets pour lui que de le voir tomber aux mains des Français. Jusqu'ici, le maréchal ne lui avait posé aucune question sur la garde royale. Cet intérêt soudain méritait de plus amples réflexions. Curieux tout de même que le nom du Catalan soit évoqué en ces circonstances.
En chevauchant Anne, Mary s'était imaginée fermement contenue par les bras de Mendoza. Le fait d'invoquer ainsi l'image du beau brun avait fait brûler son corps d'une frustration délicieuse. Elle jura silencieusement:
Mary: Juan-Carlos Mendoza, tu es à moi! (Pensée).
Montmorency interrompit ses pensées. Il se leva pour aller fouiller dans ses affaires et en sortit un petit sachet de toile contenant ce qui ressemblait à de la poudre.
Anne: Tiens, ma beauté, le cadeau que je t'avais promis.
Il le jeta sur le ventre nu de sa maîtresse.
Anne: La dernière drogue à la mode, le membe! Tu en as entendu parler, non? Elle vient du nouveau-monde et fait fureur en ce moment.
Mary examina le sachet-coussin d'un air captivé. Le membe était une drogue douce, sans effets nocifs. Mais celle que le maréchal avait décidé de fournir à la sœur du roi était mélangée à de la bave de crapaud. Un procédé qui en démultipliait l'effet de dépendance, la transformant en un poison non mortel, mais insidieux. Un poison, dont à terme, elle ne pourrait plus se passer.
Pour sa part, il consommait de douces drogues de manière raisonnée, bien que régulière. Il prenait soin de choisir minutieusement des herbes sans effets d'accoutumance. Jamais il n'en serait l'esclave, contrairement à la majorité de ses client(e)s. Les Français excellaient en effet dans le commerce de stupéfiants, et Anne entretenait un large réseau de consommateurs, qui le payaient en informations ou en faveurs plus qu'en espèces sonnantes et trébuchantes. Il était si facile de trouver des gens prêts à quitter la réalité, à l'oublier ou à la transcender. Des gens prêts à se damner pour le plaisir complexe et suave que proposait le maréchal. Mais ce plaisir était somme toute évanescent, illusoire et corrosif.
Mary, elle, finirait bien par succomber à l'attirance des feuilles de coca. Alors, lorsqu'elle en serait réduite à quémander ses doses, on verrait bien ce qu'il adviendrait de sa superbe!
Elle deviendrait sa complice. Il avait besoin d'elle (de son esprit encore plus que son corps). La faire succomber à l'emprise du membe était avant tout une mesure de précaution. Ils se connaissaient depuis des années or Mary s'était montrée trop rusée pour que le duc de Montmorency lui accorde sa confiance. Et puis, elle faisait partie de la cour d'Angleterre. Une puissance qu'un jour, lorsqu'il en aurait fini avec l'Empire, François Ier entreprendrait de conquérir.
Oui, les feuilles de coca seraient un excellent moyen de contrôler sa belle maîtresse. Comme les autres, elle tomberait en son pouvoir et deviendrait plus malléable. Il ne supportait pas qu'elle lui tienne tête, ce qu'elle s'évertuait à faire à sa manière. Malgré ses abandons lascifs, toujours consentante, elle ne lui refusait aucun plaisir de la chair. Or, elle lui prouvait régulièrement à mots à peine couverts qu'elle se considérait bien supérieure à lui. Et cette idée le hantait. Oui, en vérité, il brûlait d'en faire sa chose.
Mary reposa le sachet.
Mary: Bon, j'essaierai ça ce soir. Il faut que j'y aille.
Ils se regardèrent, se sourirent. Nullement de tendres sourires. La tendresse, ni l'un ni l'autre n'en connaissait l'usage, sauf avec leurs conjoints respectifs. Là, c'était le rictus de deux prédateurs se préparant à acculer leur proie.

À suivre...

*
Cour du poisson: Sorte de petite ruelle à Hampton Court qui donnait sur les cuisines du château. C'était ici qu'était acheminé le poisson pour le saler afin de le servir à la table du roi.
Soule: Ancêtre du football. Manière de s'affronter autour d'un ballon, rempli de son ou de foin, qui tient plutôt de la guerre. C'était une façon de la faire avec ses poings et ses pieds. Comme il n'y avait pas de terrain de jeu spécifique pour ce sport, il se pratiquait partout.
Reine blanche: C'est ainsi que Mary Tudor fut désignée à la mort de Louis XII, car les reines de France portaient en blanc le deuil de leur époux.
Modifié en dernier par TEEGER59 le 23 oct. 2020, 20:46, modifié 3 fois.
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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Re: Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

Message par TEEGER59 »

yupanqui a écrit : 10 mai 2020, 22:27 Un vrai cours d’histoire.
Intéressant.
Même si je suis plus passionné par les aventures où s’expriment les ressentis, le fond de l’âme humaine que par les grandes descriptions encyclopédiques.
Faut tout de même que je plante le décor pour que ce soit un minimum crédible.
Ps: Anne de Montmorency et Mary Tudor n'ont jamais été amants. C'est la seule "fantaisie" du récit pour le moment.
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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Re: Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

Message par yupanqui »

Eh bin...
C’est pervers...
Intrigues de cour et de jupons. Un peu trop à mon goût.
Attention aux lecteurs...
Modifié en dernier par yupanqui le 12 mai 2020, 17:35, modifié 1 fois.
« On sera jamais séparés » :Zia: :-@ :Esteban:
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Re: Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

Message par Este »

Mais en tout cas c'est super !
Saison 1 : 18/20 :D
Saison 2 : 13/20 :roll:
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Re: Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

Message par IsaGuerra »

1er post :
J'aime pas bcp l'histoire ou les grands pavés mais là clairement je le suis rendue compte de rien j'étais prise dans la lecture donc je te tire mon chapeau (même si j'en ai pas :lol: ) parce que c'est pas facile de me garder
« s'essuyant les mains dans la nappe » -> Tjr aussi charmant Montmorency
Bah tient organisation d'un meurtre sur la personne de je-sais-pas qui. Ça plante bien l'histoire

2eme post :
Bon déjà ça fait bizarre de voir Mendoza vêtu comme ça
Ensuite c'est quoi ces histoires de cauchemars ? Je veux vite en savoir plus à ce sujet
Par contre je sais pas où tu es allée chercher certaines idées avec Mary mais tu me tues :lol:
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Re: Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

Message par Este »

Moi j'adore c'est excellent !
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