Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

C'est ici que les artistes (en herbe ou confirmés) peuvent présenter leurs compositions personnelles : images, musiques, figurines, etc.
Avatar du membre
yupanqui
Grand Condor
Grand Condor
Messages : 3000
Enregistré le : 02 déc. 2012, 15:07
Localisation : Au cœur des 7 cités avec Zia
Âge : 52

Re: Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

Message par yupanqui »

Une partie pour faire l’état des lieux : petite visite de Barcelone et de ses quartiers contrastés... puis retour de la violence et des complications (après la belle parenthèse au paradis des fées).
Mais Mendoza (qu’on devrait appeler Athanaos tant il semble immortel) s’en sort toujours et renaît tel le phœnix.
Suspens... Quel est son projet ?
« On sera jamais séparés » :Zia: :-@ :Esteban:
Avatar du membre
Este
Maître Shaolin
Maître Shaolin
Messages : 1709
Enregistré le : 02 avr. 2020, 15:06
Genre : Homme
Localisation : Kûmlar
Âge : 16
Contact :

Re: Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

Message par Este »

Désolé pour mon retour tardif mais c'est un de mes chapitres préférés et toujours rien à rajouter à yupanqui !!
Saison 1 : 18/20 :D
Saison 2 : 13/20 :roll:
Saison 3 : 19/20 :-@ :-@ :-@
Saison 4 : 20/20 :-@ :-@ :-@ :-@ :-@

Perso préféré : Laguerra
Couple préféré : Mendoza et Laguerra
Avatar du membre
TEEGER59
Grand Condor
Grand Condor
Messages : 4538
Enregistré le : 02 mai 2016, 14:53
Localisation : Valenciennes
Âge : 46
Contact :

Re: Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

Message par TEEGER59 »

Suite.

CHAPITRE 28.

Mendoza bifurqua et dirigea à présent ses pas vers les pentes douces du nord-est. Il s'enfonça profondément dans les quartiers du bord de mer. Il avait décidé de contacter une confrérie à qui il avait déjà eu affaire par le passé.
Tout d'abord, un peu de mise en scène. La ville était toujours en fête. Déambulant au hasard dans les ruelles irrégulièrement éclairées, le Yeoman se mit à singer la démarche erratique d'un homme pris de boisson. il n'eut pas longtemps à attendre. Un homme ivre, bien vêtu, l'air égaré, constituait une proie trop tentante pour les rapaces à deux jambes qu'abritait la nuit.
L'Espagnol abordait le Pla d'en Llull* et approchait de la basilique Santa Maria del Mar.
Ils surgirent devant lui.
D'un pas confiant, un grand blond au visage blafard et un petit brun râblé, armés d'épées courtes, franchirent le parvis à sa rencontre. Leurs pelisses foncées, malmenées par le vent, semblaient tourner en dérision par avance cette pitoyable tentative.
Juan se retint d'éclater de rire mais esquissa tout de même un sourire.

62.PNG

Ces incompétents auraient dû s'abstenir de se placer dos au vent. Avec la brise marine, leurs murmures portaient jusqu'à lui. Il les avait entendus bien avant de les voir. Et ils auraient mieux fait de se positionner plus intelligemment, l'un venant à sa rencontre et l'autre arrivant par derrière, de manière à lui couper la retraite.
L'homme à la cape bleue s'avança et fut sur eux avant qu'ils ne puissent réagir. Il leur expliqua qu'il désirait obtenir leur collaboration en usant d'arguments... frappants. Avec, toutefois, bien plus de retenue et de miséricorde que chez le défunt Pacheco. Après tout, ces pauvres amateurs qui n'en voulaient qu'à sa bourse lui faisaient un peu pitié.
Le Catalan redressa le grand blond sans douceur et l'adossa contre l'un des murs de la basilique. L'homme chancelait, le nez en sang, peinant à retrouver ses esprits. Une odeur fétide, faite de vinasse et de sueur, exhalait de sa personne. Juan lui flanqua deux gifles qui retentirent sèchement dans la nuit. Il cracha au second:
:Mendoza: : Toi, tu restes à terre! Bon, écoutez-moi bien, les comiques: vous vous êtes attaqués à bien plus fort que vous, et je suis tout à fait en droit de vous occire pour avoir osé m'agresser! Heureusement, il se trouve que vous pouvez me rendre un service et donc... peut-être éviter d'aller nourrir les poissons du port. Vous allez me conduire bien gentiment chez un membre supérieur de la Guilde des voleurs. Un Nyerro* ou un Cadell*, par exemple. Et je vous laisserai en vie, avec treize croats d'argent de plus en poche...
Le plus petit des deux osa lui demander:
:?: : Treize chacun ou treize pour les deux?
Mendoza rétorqua:
:Mendoza: : Pousse pas ta chance, mon gros! Un florin d'or pour deux, c'est déjà bien payé pour ce que je vous demande.
L'autre intervint:
:roll: : La ferme, Esteve! Ce que tu peux être bête! Excusez-le, messire.
Plaqué contre la pierre, l'homme évitait de croiser le regard intimidant du mercenaire. Il reprit:
:roll: : Messire, nous on ne connaît pas de grosses huiles... On n'est associés à aucune corporation...
Un sourire carnassier aux lèvres, le Yeoman tira sa dague de sa botte, faisant sursauter Esteve. Le voleur bafouilla, sans oser se relever, puis lâcha d'une traite:
Esteve: Mais on peut vous emmener voir un type. Hein, Sandro... un voleur affilié! Lui, il saura.
Le dénommé Sandro renchérit:
Sandro: Sûr que c'est vrai! Un vrai de la Fraternité, une pointure!
Mendoza rengaina sa lame. Mais pas son sourire glacé:
:Mendoza: : Allons-y, les gars. Vous ouvrez le chemin.

☼☼☼

63.PNG

Escortant les deux gugusses à trois pas d'intervalle, le capitaine parcourut d'autres ruelles sombres, vers l'ouest cette fois. Elles étaient très souvent désertes, Feria oblige. Il restait attentif à son environnement immédiat, à la recherche de présences hostiles. Sans se fier aucunement à ses piteux guides, l'Espagnol espérait ne pas avoir à les supprimer. Les deux détrousseurs n'en valaient même pas la peine. Il avait retrouvé sa démarche d'homme sobre et cette fois aucun malandrin ne parut le trouver à son goût.
Après dix petites minutes de marche sans se presser, les trois hommes arrivèrent sans embûches à destination: une placette chichement éclairée, composée de bâtiments anonymes qui correspondait au point de jonction des quartiers médiévaux de Santa Caterina, Bòria et Sant Cugat. Elle formait un espace irrégulier où plusieurs ruelles convergeaient, certaines d’entre elles à travers des portiques, tels que les arcades des Candeles, de Semolers et de Boquer.
Plaza de la Llana était une sorte de cour des miracles Barcelonaise, où les prétendues infirmités des mendiants qui en avaient fait leur lieu de résidence ordinaire y disparaissaient à la nuit tombée, "comme par enchantement". Là ils étaient entre eux, et ils s’y dépouillaient sans crainte du masque imposteur qu’ils avaient porté toute la journée pour tromper les passants. Une fois entré, le boiteux marchait droit, le paralytique dansait, l’aveugle voyait, le sourd entendait, les vieillards rajeunissaient même.
À gauche, dans un renfoncement, se dressait un arbre vénérable, dont la dignité et la robustesse juraient avec la décrépitude ambiante.
Dessous planait un nuage dense de fumée. L'odeur titilla les sens du mercenaire. Une senteur prenante, familière. De l'herbe sainte, du tabac venu des lointaines Amériques. Ciarán Macken en usait quotidiennement.
Les volutes de fumée formaient un rideau opaque, mouvant sous la brise, sans cesse nourri de nouvelles bouffées. Mendoza agita la main devant lui afin de disperser le brouillard qui l'incommodait.
Sandro: Il est là, messire! Le vieux Madariaga.
:Mendoza: : J'espère que vous ne me trompez pas, les gars. Ce serait dommage... Surtout pour vous...
La voix glacée du Yeoman secoua l'échine des coupe-jarrets. Sandro se défendit:
Sandro: Que non, messire! C'est Manuel Antonio Madariaga! Patakon*, comme on l'appelle par ici. Le vieux Madariaga, c'est un as! Hein, Esteve! Mais dis-lui donc...
Esteve: Pour sûr, Sandro! Manuel le manuel, il est loin d'être manchot, messire. On le respecte tous dans le coin. C'est un voleur à l'ancienne. On dit vrai, parole!
Mendoza pouvait sentir suinter leur peur. Froidement, il lâcha:
:Mendoza: : C'est bon! Je vous crois... Tenez, voilà votre argent... Maintenant, mettez les voiles et ne croisez plus jamais ma route, compris?
Les deux amateurs ne se le firent pas dire deux fois. Ils filèrent ventre à terre.
L'Espagnol attendit qu'ils aient bien disparu avant de se diriger vers le nuage de fumée. À mesure qu'il s'avançait, prenant soin de montrer ses mains vides, il parvint à entrevoir une mince silhouette masculine encapuchonnée.
Patakon: Reste-là! Tu es suffisamment proche, mon garçon. Qu'est-ce que tu me veux?
Rendue rauque par l'excès de tabac, la voix de l'homme laissait deviner une bonne mesure d'agacement. Juan profita d'un assaut du vent pour découvrir braquée sur lui une paire d'yeux couleur pers, voilés par la substance et blasés par l'existence. Le voleur le toisait sans ciller. Sa figure était pâle, émaciée, avec un long nez pointu et une moustache poivre et sel assortie d'un bouc. Le Catalan ne distinguait pas les mains de Madariaga mais les pressentait armées. D'une toute autre envergure que Sandro et Esteve, Patakon ne montrait aucune crainte mais plutôt un certain ennui.
Le Yeoman répondit à la question par un mot précis, appris des années auparavant d'un miséreux à Rome.
:Mendoza: : Mendici!
Le détrousseur parut amusé. Son regard, de furieux, devenait curieux:
Patakon: Ainsi, tu connais le mot... Difficile à croire que tu sois un mendiant avec cet accoutrement sur le dos! Je te connaîtrais, il me semble? Pourquoi tu es là, gamin?
:Mendoza: : Je me nomme...
Juan hésita une seconde.
:Mendoza: : ... Mendson. Je veux rencontrer un grand ponte de ta Confrérie...
Patakon: Hé, gamin! Va voir ailleurs, je n'ai rien d'un coursier. Tu me fais perdre mon temps, tu ne vois pas que je suis débordé?
Avant que le Catalan ne puisse répliquer, le vieux bandit avait disparu dans le noir, sans le moindre bruit. Il s'avéra impossible de savoir où il était passé. Mendoza lança pourtant:
:Mendoza: : Quinze réaux d'argent pour lui parler. Trente si ça se fait ce soir...
Patakon surgit pratiquement à deux pas de lui, sur la gauche, alors qu'il s'était éclipsé à l'opposé. Les traits du voleur s'éclairaient à présent d'une attention soudaine.
Patakon: Envoie la monnaie!
:Mendoza: : Tu me prends pour un lapin de six semaines? Je te paierai quand je serai en présence de ton supérieur. Et un dernier point, ne me mène pas en bateau, Manuel le manuel. Tu le paierais de ta vie, comme toux ceux qui l'ont fait.
Patakon: Par Saint Dismas, le Bon Larron, je n'en doute pas une seconde! Et ce n'est pas dans mes intentions. Quelque chose me dit que je vais bien m'amuser avec toi, gamin. Suis-moi!

☼☼☼

Mendoza collait aux basques de Patakon, mince silhouette recouverte de rouge et de gris en marche vers le centre de Barcelone. À mesure qu'il descendaient vers le sud de la cité, la saleté refluait, les rues s'élargissaient. Plus de lumière, plus de gens, évoluant en jacassant. Des familles rentrant chez elles se coucher ou, au contraire, de jeunes fêtards décidés à s'amuser sans respecter la morale et les convenances.
Ils bifurquèrent vers la plaza Nova. Juan en avait plein les bottes de battre le pavé. Pour chasser sa fatigue et apprendre à se repérer dans cette partie peu familière de la ville, il se mit à mémoriser des points de repères. De la capitale, il connaissait surtout le port où il avait résidé lorsqu'il était encore un jeune marin, les artères principales et le quartier commerçant, où il était descendu de temps à autre, afin de se distraire d'un entraînement harassant avec les Compagnons.
Croisant une jeune femme, le capitaine ne put s'empêcher de se retourner sur son passage et détailler sa tenue singulière.
:Mendoza: : Qu'est-ce qu'elle est belle... (Pensée).

64.PNG

Patakon: Hé, gamin! Vas-tu rester là à lambiner longtemps?
Il sortit de sa rêverie et se hâta de rattraper le voleur. Un peu plus loin, avec une révérence ironique, Madariaga annonça:
Patakon: Voici le bâtiment abritant une partie du quartier général de la Fraternité.
Il se tenait devant un immeuble de trois étages, bâti avec les pierres de la carrière royale de La Roca, à Montjuïc. À l'entrée, un groupe d'hommes loqueteux jouait au bòlit, aussi appelé la escampella. L'un d'entre eux montrait une adresse rare à renverser les quilles et à frapper les pièces.
Le Catalan s'étonna:
:Mendoza: : Nous n'entrons pas?
Patakon: Je n'aime guère les arrivées trop visibles. Et puis, sache que j'ai une réputation à maintenir. Viens, on va passer par derrière. Pas de bruit, surtout!
Bien que sur ses gardes, Mendoza ne percevait pas Patakon comme constituant un danger immédiat. Le voleur offrait une certaine ressemblance avec... lui. Le même caractère bourru.
Juan le suivit dans une ruelle adjacente. Montrant l'exemple, Manuel évoluait tel un chat au sein des ombres nocturnes. Il fit le tour du bâtiment pour s'arrêter à l'arrière. S'assurant que personne ne l'importunerait, il tira de sa poche, non pas un rossignol, mais un jeu de clés. Il en sélectionna une et s'en servit pour ouvrir la porte basse de l'immeuble d'en face.
:Mendoza: : Tu ne la crochètes pas? Moi qui te croyais Maître-voleur!
Patakon: Ignorant! Je ne vois pas l'intérêt de le faire puisque j'ai le sésame! Et je suis effectivement un Maître-voleur!
:Mendoza: : Ah! Mais je croyais que vous autres...
Manuel le coupa en maugréant dans sa barbe:
Patakon: Crocheter une porte dont on a la clé! Non, mais quelle idée saugrenue!
Ils pénétrèrent à l'intérieur. Les lieux étaient déserts, couverts de poussière. Un entrepôt désaffecté, sans doute, empli d'un silence qui contrastait avec l'agitation confuse du dehors. Ils s'engagèrent dans un escalier branlant pour monter sur le toit. Patakon laissa son compagnon quelques minutes seul, le temps d'effectuer une brève reconnaissance. Il guida ensuite Mendoza jusqu'à la corniche.
Patakon: Tu vois, c'est en face qu'on va. Personne ne remarquera notre arrivée.
:Mendoza: : Ce n'est pas un peu trop loin pour sauter?
Patakon: Sauter? Toi, tu es fou à lier! Sauter? Et puis quoi encore? Pourquoi pas se jeter dans le vide et s'envoler jusqu'à la lune, pendant que tu y es?
Manuel s'esquiva un moment pour revenir avec une grande planche de bois.
Patakon: Tiens, aide-moi, au moins... Sauter! C'est moi qui fume, mais c'est toi qui délires!
La traversée se fit sans encombre. Une fois sur le toit de l'autre bâtiment, Patakon retira la planche et la rangea dans un coin sombre, à l'abri des regards.
:Mendoza: : Hé, Manuel, tu passes tout le temps par ici, non? Comment vas-tu faire la prochaine fois puisque la planche est de ce côté?
Patakon: Réfléchis un peu, gamin. Il y a d'autres issues. Mais comme tu étais là, je ne pouvais choisir qu'un chemin facile. Je la remettrai une autre fois. Tais-toi, maintenant. Nous allons descendre. Tu restes derrière moi, et tu ne dis rien.
Le toit de l'édifice s'avérait aussi déserté et poussiéreux que son voisin. Mendoza suivit Madariaga jusqu'à une porte épaisse bardée d'acier.
Patakon: Celle-là, il va falloir que je m'en occupe. Regarde faire le maître, gamin...
Manuel exhiba cette fois un rossignol. Il se mit à l'ouvrage, en sifflotant avec nonchalance. L'opération ne dura pas. Le voleur se redressa triomphalement, la moustache frétillante:
Patakon: Dix secondes! Et encore, je ne me suis pas dépêché, pour que tu puisses admirer. Avoue que tu es épaté!
Avec une moue peu convaicue, l'Espagnol concéda:
:Mendoza: : Oui... Ça me semble pas mal, effectivement.
En vérité, il n'avait jamais vu un voleur aussi habile. Manuel le manuel était digne de sa réputation.
Patakon: Pas mal? Pas mal!
Patakon renifla.
Patakon: Mais c'était une serrure à secret! Même avec la véritable clé, l'accès est difficile.
Avec un manque d'enthousiasme aussi flagrant que feint, Juan répondit:
:Mendoza: : Si tu le dis... Moi, je trouve que ça fait bien des efforts pour pas grand-chose. On aurait pu entrer par-devant, sans se fatiguer.
Patakon: La jeunesse! Aucune compréhension des règles de l'art, du travail d'orfèvre. Aucun respect! C'est le manque de respect qui gâche ce métier, je te le dis. Oui, le manque de respect!
Madariaga bougonnait encore dans sa barbe tandis qu'ils s'engageaient à pas prudents dans l'escalier. À l'étage du dessous, ils s'arrêtèrent sur un palier désert. Le voleur chuchota:
Patakon: Ici, il n'y a pas grand-monde à cette heure. On y garde surtout nos annales et les chroniques des années précédentes. Une sorte de bibliothèque quoi! Viens, nous, on va par là.
Il mena son jeune complice dans un couloir étroit, franchit une porte et pénétra dans une autre pièce tout à fait quelconque. Patakon la traversa, ouvrit une paire de rideaux puis une fenêtre. Après quoi, il invita Mendoza à sortir sur le balcon.
De sa gibecière, le manuel tira une corde qu'il lia à une des colonnes de la balustrade à l'aide d'un nœud de sa composition. Une nouvelle fois, il chuchota:
Patakon: On descend.
Dubitatif devant tant de circonvolutions, le Yeoman demanda:
:Mendoza: : On pourrait pas faire plus simple?
Patakon: Je te l'ai dit, fiston, j'ai une réputation à défendre. Et puis j'adore surprendre cet empoudré de Cadell. Ça l'énerve toujours et j'adore ça!

65.PNG

Ils prirent pied sur la coursive du dessous et, une fois n'est pas coutume, Manuel déverrouilla la fenêtre en un temps record. Avant d'entrer, il récupéra sa corde qu'il avait pris soin de lier d'un nœud spécial. Sans un bruit, les deux hommes se glissèrent à l'intérieur, et arrivèrent derrière de lourds rideaux de brocart. La moustache presque retroussée, les yeux pétillants de malice, Patakon s'amusait véritablement. Il écarta délicatement un pan de tenture afin d'examiner les lieux. Satisfait, il invita le mercenaire à l'imiter à son tour.
Mendoza avisa les murs pastels, le haut plafond, éclairé chichement par des candélabres de bronze forgé. Une banquette de velours moelleux et une table basse en bois précieux étaient placées devant une cheminée allumée, sur laquelle trônait une horloge domestique. Quelques rayonnages ornaient les murs non loin d'un coin pour se sustenter. La pièce ressemblait plus à un boudoir qu'à autre chose. Un parfum sucré flottait dans l'air.
L'attention du capitaine se reporta sur l'unique occupant des lieux, assis derrière un vaste bureau. Un peu plus âgé que lui, mais beaucoup moins que Patakon, le maître Cadell, dit le bâtard, s'habillait avec recherche. Cependant, ses goûts en matière de couleurs laissaient à désirer. Son ample costume de velours formait un mélange criard de violet et de rouge, complété d'un foulard de soie verte qui jurait particulièrement avec le reste de sa tenue.
Galceran Cadell prenait visiblement grand soin de sa chevelure blonde aux boucles coquines et calamistrées. Sa barbe courte brillait tant qu'elle devait être peignée tous les jours. L'homme affichait également un goût immodéré pour les bijoux. Il exhibait une dizaine de bagues ornementales sans compter les bracelets et les colliers.
Patakon chuchota:
Patakon: Tu as vu? Une véritable joaillerie ambulante, le Cadell!
Mendoza dut admettre qu'il se faisait une idée un peu plus virile du maître de la Fraternité.
Installé à son bureau, ce dernier admirait un pendentif qu'il faisait rêveusement tourner à la lumière. Son regard était celui d'un prédateur, vif et combien avide. L'objet venait d'un cambriolage organisé par la Fraternité dans une des riches demeures d'un seigneur féodal Nyerro. En qualité de maître, Cadell l'avait prélevé sur le butin. Il raffolait des reflets ambrés du bijou et se demandait s'il n'allait pas le garder pour lui, plutôt que de le revendre. Combien pourrait-il en tirer?
Absorbé par cette pensée, il ne s'aperçut de l'intrusion des deux hommes que lorsque Manuel fit un pas en avant. Surpris, le bâtard sursauta. Il lâcha le pendentif et faillit tomber de son fauteuil. Sa main replète vola vivement vers un tiroir entrouvert. Reconnaissant enfin le manuel, il se détendit quelque peu et reprit contenance, arborant une mine des plus hautaines.
Alors que les visiteurs se rapprochaient, Galceran tenta vainement de chasser l'avidité de son regard. Une voix indolente les accueillit:
G.C: Madariaga, tu ne peux pas entrer par la porte, te faire annoncer, comme tout le monde?
Avec une évidente mauvaise volonté, Patakon rétorqua:
Patakon: Non, je ne peux pas! Je ne suis pas "tout le monde".
Le vieux voleur traversa la pièce encombrée et s'adossa contre un coin de la cheminée. Cadell n'entendait pas le laisser s'en tirer à si bon compte.
G.C: Tu es en retard dans tes cotisations, d'après ce que m'a rapporté Gabriel Torner...
Patakon: Bouche noire est un hypocrite doublé d'un incapable! Je les paye à temps, mes cotisations.
D'un ton sans réplique, il ajouta:
Patakon: Et depuis toujours! Que ce rat pustuleux ose donc affirmer le contraire devant moi!
Après cette tirade, le manuel se confectionna un rouleau de feuilles de maïs et l'alluma, laissant échapper un nuage de fumée odorante qu'il souffla vers le bureau.
Le bâtard toussa et tourna son visage fardé vers Mendoza.
G.C: Et qui c'est, celui-là? Il n'est pas de chez nous...
Patakon: Ce gentilhomme que tu vois là m'a payé pour rencontrer un ponte de la Fraternité. J'ai tout de suite pensé à toi, Cadell!
Ce dernier ne saisit pas l'ironie. Il afficha une moue contrariée.
G.C: Et tu crois, Madariaga, que je vais perdre mon temps à ce genre d'imbécilités? Ce n'est pas un lieu de pèlerinage, ici!
Entre deux vigoureuses inspirations, Patakon lâcha:
Patakon: Il est peu probable que ce gamin se soit délesté de trente réaux d'argent juste pour une promenade dans l'immeuble. Tu devrais l'écouter. Si ça ne chamboule pas trop ta soirée, bien sûr!
Manuel ne paraissait vraiment pas apprécier son supérieur.
G.C: Que veux-tu?
L'évocation de la somme d'argent avait insufflé une certaine énergie à la voix efféminée du maître. Un sourire apparut au coin de ses lèvres. Un sourire totalement factice.
Le capitaine répondit d'un ton neutre:
:Mendoza: : Je veux un refuge sûr pour deux ou trois jours et des renseignements. J'ai de quoi payer... et je suis du genre à éliminer ceux qui cherchent à me doubler.
L'Espagnol fit une pause le temps de fixer Cadell de son inquiétant regard sombre. Galceran se tortilla nerveusement sur son siège et déglutit à grand bruit.
Constatant qu'il s'était fait comprendre, autant par les mots que par le ton employé, Mendoza sortit un papier de son aumônière et le lui tendit.
:Mendoza: : Pour ce qui est des renseignements, voici la liste des personnes qui m'intéressent. Je sais qu'elles sont en ville. Ça ne doit pas être compliqué pour la Fraternité de les situer. Je n'ai besoin que de leur lieu de résidence. C'est dans vos cordes?
Galceran Cadell réussit à cacher sa surprise. Le document contenait les noms de Pedro Folc de Cardona, Catalina de Cardona, sa sœur, Alfonso Beyra, Diricq de Melo et Diego d'Ordongnes. La cervelle en feu, il parvint tout de même à répondre avec assurance:
G.C: Ça peut se faire. Pour peu que tu en aies les moyens. Pour l'abri, facile. Madariaga, tu vas l'emmener chez Barabbas. Tu sais comment faire... Qu'il prenne une chambre. Il paiera directement là-bas. Pour les renseignements, il faut que je voie... Ça te coûtera cent réaux d'argent. Tu as de quoi assurer?
:Mendoza: : N'insultez pas mon intelligence, Cadell, si vous tenez à la santé. Vous aurez cinquante réaux, pas plus. Et je paierai à la livraison. Pas avant.
Le ton froid du mercenaire dissuada Galceran Cadell de marchander. Ce dernier se rembrunit:
G.C: Oui, bon, eh bien reviens demain, le manuel te conduira. Et cette fois, faites-vous annoncer! Madariaga, tu l'emmènes pour le début de la soirée, tu sais que je ne traite jamais d'affaires avant!
Les deux visiteurs se dirigèrent vers la sortie. Juste avant de franchir le seuil, Patakon lâcha:
Patakon: Ah, Cadell, au fait, ton bijou ne vaut rien! C'est du menu fretin, une vulgaire babiole! C'était ça, ta part pour la cambriole d'hier soir? Bravo!
Et le vieux voleur s'esquiva dans un rire grinçant.

☼☼☼

Resté seul, le bâtard jeta le pendentif d'un air dégoûté. Il se mit à songer à cet homme à l'impérieux regard noir. Quelle troublante présence! Et ces magnifiques cheveux. Que pouvait bien faire ce beau brun ténébreux avec ce vieux fossile de Madariaga? En tout cas, sa demande méritait réflexion. Bien qu'il n'en ait rien montré, Cadell connaissait les personnages notés sur le document, au moins de nom. Il fréquentait même l'un d'entre eux régulièrement. Ces individus faisaient tous partie de la cour de Barcelone. Voilà qui s'annonçait prometteur! Ce que voulait l'homme à la cape bleue à ces cinq personnes de qualité, il s'en moquait bien, du moment qu'il payait.
Inconsciemment, il se mit à jouer avec ses bagues, le regard rêveur. Son esprit fertile échafaudait une de ses habituelles manigances. Après plusieurs minutes de cogitation, une fois encore, il décida qu'il aurait tout intérêt à jouer sur les deux tableaux pour doubler son bénéfice. Une habitude qui, pour peu qu'il prenne certaines précautions, lui avait toujours réussi. Le maître tira sur un cordon placé à portée de sa main. Un frêle adolescent, vêtu de soie entra, l'œil interrogateur.
G.C: Bernat, mon petit chou, ouvre-moi la fenêtre. Ça empeste le tabac! Et allume donc une bougie. Une des grandes, à la cire d'abeille.
Pendant que le garçon s'activait, d'un tiroir, Cadell sortit de quoi écrire et rédigea un long paragraphe sur du papier vergé. Il cacheta la missive de son sceau privé et la tendit à son giton.
G.C: Tiens, mon beau: fais porter ça par Cua de Llop* au seigneur Alfonso Beyra. Il attendra sa réponse. Après, tu reviendras me voir. Au passage, préviens El Minyó. J'ai besoin d'un petit massage.
Galceran adorait les adolescents presque autant que les bijoux. Il quitta son fauteuil pour aller s'allonger sur la banquette. Et s'il se teignait les cheveux en brun, lui aussi? Voilà qui épaterait bien les commandants Perez et Gomez, ses deux amis.

☼☼☼

De l'autre côté de la rue, en face de la Fraternité, un homme blond au grand front marchait courbé.
Il était de stature frêle et avait les manières d'être d'un grand seigneur. Vêtu de riches habits de velours lie-de-vin, taillé à la dernière mode, il se dirigeait lentement vers un luxueux carrosse laqué d'or et d'argent, situé au carrefour suivant. Sa marche précautionneuse le faisait passer pour un vieillard. Il avait pourtant à peine dépassé la trentaine.
Juste avant de monter dans son véhicule, l'homme blond s'arrêta pour reprendre son souffle. Son visage émacié et crayeux détonnait parmi les faces réjouies des badauds, pour la plupart rougies par l'alcool. Il regarda machinalement autour de lui, et repéra Mendoza qui se détachait de la foule par sa haute silhouette et sa cape bleue et rouge.
Cette vision ébranla l'homme blond au plus haut point. Il dut se raccrocher à la voiture. Alerté par le soudain désarroi de son maître, le cocher s'empressa de l'aider à s'installer sur le siège du véhicule. L'homme blond avait les yeux hallucinés. Passant rapidement la tête par la porte, il vérifia que l'autre ne l'avait pas repéré. Rassuré, il se secoua pour ordonner:
:?: : À la maison, Serrallonga. Ne traînez pas!
À peine en route, Diego d'Ordongnes déchira le paquet qu'il gardait serré contre lui. Il préleva une pincée épaisse de mambe qu'il inspira désespérement. Avant que la coca ne fasse effet, il s'allongea sur la banquette, l'esprit chaviré:
Diego: Il est vivant... Et de retour! Par tous les saints... "Moustique" est vivant! (Pensée).

À suivre...

*
*Pla d'en Llull: Quartier de Barcelone. Il est né à la périphérie de l'enceinte primitive et s'est retrouvé à l'intérieur de l'enceinte à partir de 1438, lors de l'extension de la muraille. De nos jours, ce quartier porte le nom de El Born.
*Nyerros: Membres d’une faction politico-civile-militaire Catalane qui a émergé au XVIème siècle. Composée de bandits et de paysans de la classe moyenne, représentant la moitié de la classe noble de l’époque, défendant les intérêts et les territoires des seigneurs féodaux en confrontation constante avec les Cadells, qui étaient une autre faction qui défendait une partie des nobles et des classes urbaines.
*Patakon: Bandit Espagnol ayant réellement existé (mais au XIXème siècle). Par la façon dont il agissait, il était considéré comme l’archétype le plus pertinent du bandit social ou généreux, comme Robin des Bois.
*Cua de Llop: Queue de loup.
Modifié en dernier par TEEGER59 le 11 août 2020, 09:23, modifié 1 fois.
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
Avatar du membre
Este
Maître Shaolin
Maître Shaolin
Messages : 1709
Enregistré le : 02 avr. 2020, 15:06
Genre : Homme
Localisation : Kûmlar
Âge : 16
Contact :

Re: Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

Message par Este »

Mystère et boule de gomme pour la suite ! Très beau chapitre !
Saison 1 : 18/20 :D
Saison 2 : 13/20 :roll:
Saison 3 : 19/20 :-@ :-@ :-@
Saison 4 : 20/20 :-@ :-@ :-@ :-@ :-@

Perso préféré : Laguerra
Couple préféré : Mendoza et Laguerra
Avatar du membre
IsaGuerra
Maître Shaolin
Maître Shaolin
Messages : 1018
Enregistré le : 12 févr. 2017, 17:11
Localisation : Vosges
Âge : 24

Re: Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

Message par IsaGuerra »

Chapitre 20 :
Très bon chapitre rien à redire enfin si ; Ils ont enfin le droit à un petit moment de calme

Chapitre 21 :
« Rox: Je te préviens, mon joli: un pas de travers et je te tranche la tête! »
→ Simple et efficace comme menace on va dire
→ Pour une dame de fer idéale, un peu de méfiance avant de tomber sous le charme d'un bel homme ^^

Chapitre 22 :
« l'Espagnol avait pris soin de se munir d'une coquille afin de se protéger d'éventuels coups bas » → Aurait-il si peu confiance en son adversaire ?
→ Faut l'avouer j'apprécie beaucoup Roxanne
→ Par contre on en parle du changement de Mendoza ? Là il se bat contre une femme avec grand plaisir pourtant lorsqu'il fera face à Isabella en Inde, il ne voudra rien en faire :roll:

Chapitre 23 :
→ Très mignon le retour de son destrier !

Chapitre 24 :
→ Le coup du cheveu est tout simplement parfait

Chapitre 25 :
→ Décidément Mendoza plaît à beaucoup de femme !

Chapitre 26 :
« À aucun prix, il n'aurait voulu se trouver à la place de ceux que le farouche Espagnol tenait pour ses débiteurs. En aucune façon! » → Et il a bien raison ne jamais faire de crasses à Juan-Carlos Mendoza!

Chapitre 27 :
→ Difficile de trouver du personnel compétent !
→ Encore une fois, une scène de violence. Et je crains que cela n'aille que crescendo avec la suite de son plan !

Chapitre 28 :
→ Ahlala Mendoza qui se retourne pour observer plus longtemps une très belle femme ! Comme c'est étrange
« Patakon: Tiens, aide-moi, au moins... Sauter! C'est moi qui fume, mais c'est toi qui délires! » → Mdrr :lol: :lol:
« il décida qu'il aurait tout intérêt à jouer sur les deux tableaux pour doubler son bénéfice » → Très très mauvais plan ça

Ca y est, retard rattrapé et c'est toujours aussi plaisant à lire (et à voir pour les montages). Bravo à toi ;)
« On le fait parce qu'on sait le faire » Don Flack
« Ne te met pas en travers de ceux qui veulent t'aider » Sara Sidle

« J'ai de bonnes raisons de faire ce que je fais » Isabella Laguerra
Avatar du membre
TEEGER59
Grand Condor
Grand Condor
Messages : 4538
Enregistré le : 02 mai 2016, 14:53
Localisation : Valenciennes
Âge : 46
Contact :

Re: Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

Message par TEEGER59 »

Merci pour l'analyse.
IsaGuerra a écrit : 28 juil. 2020, 21:32 → Par contre on en parle du changement de Mendoza ? Là il se bat contre une femme avec grand plaisir pourtant lorsqu'il fera face à Isabella en Inde, il ne voudra rien en faire :roll:
Le contexte est différent.
Là, il s'agit d'un "combat" amical à mains nues. Avec Laguerra, c'était du sérieux, avec de vraies armes.
Et puis, dans la saison 1, pour calmer une des amazones, il n'a pas hésité à la jeter à l'eau, chose qu'il fera aussi avec l'aventurière. C'est à croire qu'il adore balancer la gente féminine au jus! :x-):
Modifié en dernier par TEEGER59 le 01 nov. 2020, 11:15, modifié 1 fois.
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
Avatar du membre
Este
Maître Shaolin
Maître Shaolin
Messages : 1709
Enregistré le : 02 avr. 2020, 15:06
Genre : Homme
Localisation : Kûmlar
Âge : 16
Contact :

Re: Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

Message par Este »

IsaGuerra a écrit : 28 juil. 2020, 21:32 Chapitre 20 :
Très bon chapitre rien à redire enfin si ; Ils ont enfin le droit à un petit moment de calme

Chapitre 21 :
« Rox: Je te préviens, mon joli: un pas de travers et je te tranche la tête! »
→ Simple et efficace comme menace on va dire
→ Pour une dame de fer idéale, un peu de méfiance avant de tomber sous le charme d'un bel homme ^^

Chapitre 22 :
« l'Espagnol avait pris soin de se munir d'une coquille afin de se protéger d'éventuels coups bas » → Aurait-il si peu confiance en son adversaire ?
→ Faut l'avouer j'apprécie beaucoup Roxanne
→ Par contre on en parle du changement de Mendoza ? Là il se bat contre une femme avec grand plaisir pourtant lorsqu'il fera face à Isabella en Inde, il ne voudra rien en faire :roll:

Chapitre 23 :
→ Très mignon le retour de son destrier !

Chapitre 24 :
→ Le coup du cheveu est tout simplement parfait

Chapitre 25 :
→ Décidément Mendoza plaît à beaucoup de femme !

Chapitre 26 :
« À aucun prix, il n'aurait voulu se trouver à la place de ceux que le farouche Espagnol tenait pour ses débiteurs. En aucune façon! » → Et il a bien raison ne jamais faire de crasses à Juan-Carlos Mendoza!

Chapitre 27 :
→ Difficile de trouver du personnel compétent !
→ Encore une fois, une scène de violence. Et je crains que cela n'aille que crescendo avec la suite de son plan !

Chapitre 28 :
→ Ahlala Mendoza qui se retourne pour observer plus longtemps une très belle femme ! Comme c'est étrange
« Patakon: Tiens, aide-moi, au moins... Sauter! C'est moi qui fume, mais c'est toi qui délires! » → Mdrr :lol: :lol:
« il décida qu'il aurait tout intérêt à jouer sur les deux tableaux pour doubler son bénéfice » → Très très mauvais plan ça

Ca y est, retard rattrapé et c'est toujours aussi plaisant à lire (et à voir pour les montages). Bravo à toi ;)
Eh ben superbe analyse !!
Saison 1 : 18/20 :D
Saison 2 : 13/20 :roll:
Saison 3 : 19/20 :-@ :-@ :-@
Saison 4 : 20/20 :-@ :-@ :-@ :-@ :-@

Perso préféré : Laguerra
Couple préféré : Mendoza et Laguerra
Avatar du membre
TEEGER59
Grand Condor
Grand Condor
Messages : 4538
Enregistré le : 02 mai 2016, 14:53
Localisation : Valenciennes
Âge : 46
Contact :

Re: Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

Message par TEEGER59 »

Suite.

CHAPITRE 29.

Patakon annonça de but en blanc:
Patakon: Il va te trahir, tu sais...
:Mendoza: : Tu parles de Cadell?
Patakon: Oui. Oh, pas ce soir, il attendra de voir la couleur de ton argent. Mais demain, lorsque tu iras le voir, je pense que tu seras attendu par un petit comité de réception.
:Mendoza: : Figure-toi que ça ne m'étonne pas. Mais pourquoi m'avertir?
Les deux hommes marchaient tous les deux en direction de l'auberge indiquée par le bâtard.
Manuel cracha un jet de salive noirâtre sur le sol poussiéreux.
Patakon: Je ne l'aime pas! Un tas d'hommes comme lui ont pointé leur nez dans la capitale, ces dernières années. De jeunes loups aux dents aiguisées, fardés comme des filles de joie. Dépourvus du moindre honneur, de l'amour du métier. Ils ridiculisent l'esprit de la Fraternité! Une véritable bande de chacals. Oui, je parie qu'à l'heure qu'il est, Cadell doit déjà avoir envisagé de te trahir de deux ou trois différentes manières. Et j'avoue que ça me répugne! Un maître se doit d'être irréprochable, il est censé être le garant de nos traditions! Tu l'as vu, le Galceran Cadell? Eh bien, lui et ses proches doivent incarner les forces vives de la Fraternité. Quelle honte, pour nous voleurs!
Le manuel s'échauffait à mesure qu'il parlait:
Patakon: Et cette façon de s'habiller... Non, mais!
Un autre crachat souilla le sol.
Patakon: On est pas des troubadours, tout de même! Non, je n'aime vraiment pas ce gommeux. Il le sait mais il ne peut rien contre moi. Lui et ses mignons ont trop peur que je quitte la Fraternité pour monter mon propre réseau. Avec les vieux de la vieille à mes côtés, ces jeunots ne tiendraient pas longtemps, crois-moi!
Il marqua un temps d'arrêt et leva un index noueux:
Patakon: Attention! Sous ses airs de grande folle, Cadell est un vrai tueur! Ne le sous-estime surtout pas! Mais quel manque d'honneur et quel manque de style... Non, vraiment, je ne peux pas le voir en peinture!
Amusé malgré lui par cette véhémente tirade, Mendoza rétorqua:
:Mendoza: : Nous sommes deux.
Patakon: Ah! Rien que pour ça, la première tournée sera pour moi! Tu commences à me plaire, gamin!
:Mendoza: : Manuel... Si tu pouvais arrêter de m'appeler gamin... Mon nom est John Mendson.
Patakon: Quoi, gamin... Tu as un problème?
L'œil pétillant de bonne humeur, le voleur s'alluma derechef un autre rouleau de feuilles de maïs et laissa se répandre l'odeur acre du tabac.
Mendoza préféra laisser tomber. Il pressentait que ce serait gaspiller sa salive que de vouloir dominer le vieux brigand dans une joute verbale. De plus, il se sentait incapable de s'emporter contre ce personnage somme toute sympathique. Aussi sympathique que l'était Théophraste... Aussi, plutôt que de répliquer, il emboita le pas du Maître-voleur, admirant avec quel savoir faire celui-ci s'appropria les bourses de deux bourgeois enivrés, affublés de colliers tape-à-l'œil et une bouteille de rhum ambré à la main.
"La truie qui file", l'auberge indiquée par Galceran Cadell, ne présentait aucun attrait particulier. C'était un établissement bas de gamme comme tant d'autres, sans rien de remarquable. Une grande salle enfumée peuplée de la faune habituelle des noctambules. L'alcool coulait généreusement dans les gosiers mais les conversations se faisaient à voix basse.
L'écuelle de bœuf bouilli aux carottes qu'on leur servit accompagnée d'une bière chaude et insipide, ne soutenait aucunement la comparaison avec la cuisine de Morgane. Mendoza ne finit pas son assiette. Il s'enquit:
:Mendoza: : Au fait, quelle est la situation en ville?
Haussant les épaules, Madariaga rétorqua:
Patakon: Rien de particulier. Par contre, pour nous autres voleurs, tu imagines bien qu'avec cette affluence, c'est une période faste. On ne chôme pas, mais nous faisons des heureux en partageant avec les plus démunis. Viva el festival!
Le Yeoman sourit:
:Mendoza: : En fait, je parlais du Conseil des Cent.
Patakon: Ah! Eh bien, tu choisis ton moment pour poser cette question... En apparence, toujours les mêmes luttes d'influence... On vote le budget. Le nouveau cardinal de Barcelone, Juan de Cardona, a tendance à faire du zèle. Il réclame de nouveaux privilèges pour les services de l'Inquisition mais le secrétaire d'État et principal conseiller de l'Empereur, Francisco de los Cobos y Molina, s'y oppose farouchement. Le cartel des marchands, dopé par les bénéfices à venir de la Feria, demande également de nouveaux crédits. Leur responsable, le président du gouvernement de Catalogne, Francesc Oliver et Boteller, défend un projet pour faire élargir le port. Quant au grand majordome de notre souverain, Juan de Zúñiga Avellaneda y Velasco, il est absent car il se trouve avec lui à Bologne. Or, quand il est là, il se démène toujours comme il peut pour équilibrer les comptes. Heureusement, le vice-roi, Fadrique de Portugal Noreña, arrive en général à mettre tout le monde d'accord. La politique, quoi! En tout cas, comme chaque année, ces nobles sires se préparent à rendre le Jugement, comme l'exige la Tradition. Bien que ces dernières années, aucun jugement de Droit n'ait été réclamé. Juste le tout-venant. De petites querelles commerciales traitées par le consulat de la mer... des broutilles.
:Mendoza: : Tu as dit en apparence?
Patakon: Ah, en effet! Et je te signale au passage que je te livre ces informations gratuitement! Ça mérite un bien meilleur dîner que celui-là et arrosé comme il se doit... Oui, messire Mendson! Bon, je disais quoi, déjà? Oui, d'après mes sources, il se prépare quelque chose. Quelque chose à grande échelle, si tu veux mon avis. Les dispositifs de sécurité de la ville ont été multipliés. De plus, depuis quelques temps, des troupes sont régulièrement acheminées ici, via le port. Par effectifs réduits, pour ne pas éveiller l'attention. À peine débarqués, les soldats sortent de la cité, sans même passer à la caserne, et disparaissent. Il y a plusieurs arrivages par semaine. Et tout ces traîneurs de sabre à transiter comme ça, ils vont bien quelque part, non?
Mendoza se dit mentalement:
:Mendoza: : Ainsi, le traité Franco-Anglais d'alliance contre les Turcs semble bien en cours de réalisation*. Cette situation est d'autant plus étonnante quand on sait que le roi de France a toujours préféré soutenir les ennemis de l'Empereur, comme la ligue des princes protestants Allemands et l'Empire Ottoman, avec lequel il a fait plusieurs fois alliance. Charles Quint ne l'ignore pas. Il prend juste des précautions en cas de revirement.
L'Espagnol demanda:
:Mendoza: : Pourquoi m'aides-tu, Manuel? Tu ne me parais pas du genre à te mêler des affaires des autres...
Patakon: Mon garçon, il y a plusieurs raisons: d'abord, je te trouve sympathique. Et puis, je déteste voir Cadell bafouer l'honneur de la Fraternité. Enfin, à vrai dire, je m'ennuie.
Patakon jeta un coup d'œil désabusé à sa chope. Juan leva le bras pour commander une autre tournée.
Patakon: J'ai réalisé de très beaux coups. Tiens, par exemple la nuit où avec les Royalistes...
:Mendoza: : Les Royalistes?
Patakon: C'est le nom de ma bande. On a interverti les meubles du prévôt et ceux de l'ancien président du gouvernement de Catalogne... Quelle rigolade! Et le plus drôle c'est que le prévôt devait déjeuner le lendemain chez Francesc de Solsona! Ça, c'était un coup pour l'honneur de la Fraternité. Les jeunes, tu vois, ils n'ont aucun amour du métier bien fait. Aucun respect des valeurs. Ah, le profit, ça, le profit, ça les fait bouger! Le profit, moi, je m'en moque. C'est pour mes six enfants, tu comprends? En particulier pour ma fille unique. Tous mes bénéfices sont pour ma petite dernière. Elle étudie la médecine à l'université de Salamanque. C'est pour ça que j'ai besoin d'argent, pour qu'elle ne manque de rien. Sa mère est morte en la mettant au monde, elle n'a plus que moi, un vieux voleur solitaire. Elle est si douce. Comment un vieux mécréant dans mon genre a-t-il pu créer un tel miracle? Je me le demande encore. Si tu la voyais...
Cet accès de vague à l'âme de la part du bon bandit gêna Mendoza. Il préféra détourner la conversation. Sortant de sa tunique son sachet médicinal, il en préleva un petit paquet rembourré qu'il tendit à Madariaga.
:Mendoza: : Tiens! Puisque tu sembles tant aimer fumer...
Patakon: Du chènevis! Mille écus! Tu sais ce que ça vaut?
Patakon caressa tendrement les petites fleurs séchées du bout des doigts. Ses yeux étincellaient devant un tel trésor.
Patakon: Il n'y a que des têtes, en plus!
Il rangea aussitôt son rouleau de feuilles de maïs.
Amusé devant l'enthousiasme du manuel, Juan rétorqua:
:Mendoza: : Ce n'est pas mon péché mignon, le cannabis. Comme je n'en ai pas l'usage, je te le donne...
Patakon: Et c'est tant mieux pour moi! Je ne sais pas où tu as pu te procurer un tel trésor, mais je vais tout de suite le goûter.
Le voleur venait de retrouver tout son aplomb et sortit du papier fin. Ses mains se mirent à œuvrer avec assurance, confectionnant un cylindre à fumer de forme impeccable qu'il s'empressa d'allumer. Il s'exclama:
Patakon: Tu vas me sentir ça!
Mais Mendoza connaissait bien cette odeur, d'ailleurs pas désagréable. Friands d'herbes à fumer, les incas cultivaient une production de chanvre renommée pour sa qualité. Composée de feuilles fines et d'une tige cannelée souple et creuse, la plante produisait une douce euphorie. À force d'abus, cette euphorie pouvait cependant se transformer en intense torpeur. Une drogue idéale pour se détendre, aux effets moins pervers que l'alcool. Il suffisait d'un peu de sommeil pour récupérer mais elle entraînait l'accoutumance.
Pour sa part, l'Espagnol était trop méfiant pour se laisser aller à ce genre de plaisirs. D'ailleurs, quels plaisirs se permettait-il de vivre? Jamais il ne s'abandonnait. Aucune drogue ni alcool, pas de femmes pour le réconforter ou le faire oublier. Il n'y avait qu'en combattant qu'il se sentait vraiment vivre.
:Mendoza: : Juan-Carlos, qu'as-tu fait de ton existence depuis ton exil, toi qui t'étais jadis promis un si brillant destin de marin? Servir l'Angleterre sur les champs de bataille, dans les ruelles sombres de Londres ou les landes sauvages? Tu n'as aucune vie à toi, aucune compagne ni famille pour t'attendre. Tu risques ta vie et tu délivres la mort. Voilà qui peut le mieux résumer ton présent. Et tu t'es révélé plutôt bon à ce jeu-là, n'est-ce pas? Très bon, même. Et ton avenir, tu as bien du mal à te l'imaginer, hein? Incapable que tu es de voir plus loin que la mission en cours. Ni rêves, ni projet pour te nourrir, à part ces chimériques cités d'or. Quant à ton passé, il n'est source que de tourments et d'amertumes, tu le sais bien. Aujourd'hui, tu as l'idée de vengeance pour te réchauffer, mais après? Si tu réussis, que feras-tu?... Assez! (Pensée).
Sa vie, sa survie, en équilibre avec la mort qu'il réservait à ceux qui se dressaient sur son chemin. Voilà qui suffisait. Et il verrait bien où ça le mènerait.
Ignorant des pensées tourmentées de son interlocuteur, Patakon fumait béatement, exhalant la fumée en produisant des enchaînements de cercles parfaits.
Patakon: Mendson, tu es un frère. À partir de maintenant, tu peux compter sur moi! Par la Fraternité que je garde en esprit, ma seule véritable maîtresse, j'en fais le serment!
Sur cette tirade, Madariaga cracha sur le sol, étendit ses jambes et se rencogna dans son siège. Il se mit à créer une nouvelle géométrie, réussissant à produire des volutes imbriquées. Le spectacle de la fumée façonnée avait un effet hypnotique. Alors que le bandit tirait résolument sur son bâtonnet, Mendoza se secoua.
:Mendoza: : Fais attention, tout de même. C'est fort, il vaut mieux en avoir l'habitude.
Patakon: Tu me prends pour un novice? Ne t'inquiète pas...
Les pupilles rétrécies par la substance, Manuel sourit largement.
Patakon: ... Je l'ai coupé avec du tabac...
Et cependant que le voleur entreprenait derechef de se rouler une seconde tige, le Catalan songea à ce qui l'attendait demain. Une journée chargée, à priori. Les Compagnons étaient-ils conscients de son retour? La mort suspecte de Pero Laxo devait avoir été rapportée, à présent. Pedro Folc de Cardona devinerait-il qu'il était à l'origine de cet empoisonnement? Au fond, Mendoza espérait que oui.
:Mendoza: : Transpire un peu, Pedro, j'arrive. Oui, quoi que tu décides, j'arrive! (Pensée).
D'autres questions l'interpellaient. Demain serait un jour décisif. Cadell aurait-il les renseignements demandés? Un piège, peut-être? Non, un piège, sûrement.
Juan n'avait pas besoin de la mise en garde de Manuel pour se méfier du bâtard. Ce dernier paraissait bien du genre à avertir les Compagnons afin de doubler ses bénéfices. Et s'il y avait un traquenard à attendre, ce serait de la part d'Alfonso... Alfonso Beyra. Raison de plus pour y aller. De toute manière, il avait besoin de ces informations pour sa vengeance.
Au bout d'une vingtaine de minutes, l'Espagnol se rendit compte que Madariaga ne disait plus rien, demeurant immobile à sa place, son deuxième cône entre ses doigts. Le regard vague fixé droit devant lui, le voleur souriait d'abondance à un poteau.
Le visage adouci par un bref, rare et réel sourire, Mendoza regarda son compagnon planer et demanda:
:Mendoza: : Alors, comment tu le trouves, le chanvre, finalement?
Les paupières à demi fermées, Manuel eut un geste flou de la main, accompagné d'un haussement de sourcils et d'un oscillement de la tête. Son faciès ébahi exprimait avec éloquence les mérites du chènevis. Avec une bouffée d'affection inattendue, le Catalan lança:
:Mendoza: : Hé! Manu, descends!
Pas de réponse.
:Mendoza: : Vieux fou! Bon, j'ai compris... C'est fini pour ce soir, on va se coucher.
Il parvint à faire monter Patakon jusqu'à sa chambre. Manuel grimpait les marches en gloussant. Mendoza le mit au lit. Le voleur se laissa faire tel un bébé mais il était plus lourd qu'il n'y paraissait. Et plus musclé. Un dernier gloussement s'échappa de sa bouche, alors que l'Espagnol le bordait. Ce geste vint tout naturellement, comme il l'avait fait maintes fois il y a des lustres, avec ce petit braillard sauvé des eaux.
À peine redressé, Juan entendit un ronflement léger s'élever du lit. Même cela, Manuel le faisait discrètement.
Le mercenaire dut s'avouer qu'il lui plaisait vraiment, ce vieux brigand. Sans savoir pourquoi, il se mit à songer à ce père qu'il n'avait pas connu. Il pensa aussi à sa mère, Raquel Mendoza, plongée dans le déshonneur et la ruine. Et ça aussi, Juan allait leur faire payer.
Le Yeoman laissa le manuel à ses rêves. Il barricada la porte, puis, pris d'une impulsion soudaine, il passa son autre tenue, la plus sombre, ouvrit la fenêtre et fit quelques pas sur la terrasse pour effectuer une dernière ronde.

66.PNG

Tenant sa liste sans la main, il le pressentait... Le lendemain serait mouvementé.

CHAPITRE 30.

Le jour suivant, le ciel était couvert d'un escadron batailleur de nuages aux multiples nuances de gris. Un vent froid, tombé des montagnes, battait les artères de Barcelone. Le signe avant-coureur d'un hiver rigoureux, disait la rumeur. Mendoza s'était levé tôt, frais et dispos après une nouvelle nuit exempte de cauchemar. Manuel avait disparu. Le capitaine avait beau avoir le sommeil léger, il n'avait rien entendu.

67.PNG

Il terminait de s'habiller, quand il entendit un grattement léger à la porte de la chambre. Presque une caresse. Le mercenaire se saisit de son épée, restée à côté de son lit. Il ouvrit doucement la porte, en la bloquant avec le pied pour éviter qu'on ne force le passage.
Dans le couloir mal éclairé, il n'y avait qu'un nuage de fumée que le Catalan reconnut sans difficulté. Le nuage se dissipa et Patakon apparut, la silhouette à demi dissoute dans la pénombre ambiante.
Patakon: Viens, fiston. On doit parler de qui tu sais, mais pas ici. Rassemble tes affaires, on va aller manger un morceau.

☼☼☼

Dix minutes plus tard, ils avaient quitté "La truie qui file". Après un solide petit déjeuner pris dans une gargote, les deux hommes s'engagèrent dans les rues de la capitale qui se révélaient tout aussi fréquentées que la veille. C'était une journée grisâtre. L'air était froid mais sec. Madariaga avait l'air un peu embrumé mais il marchait d'un pas sûr. Il avertit Mendoza:
Patakon: J'espère que tu n'as rien oublié, parce qu'on ne reviendra pas à l'auberge. Si Cadell t'a vendu, comme je le pense, l'endroit est à éviter. Je te trouverai un meilleur refuge. Pas cher et plus sûr.
:Mendoza: : On?
Patakon: Bien sûr, on. J'ai décidé de rester avec toi: on rigole bien et tu as de quoi payer.
:Mendoza: : Je ne suis pas certain de vouloir d'un assistant.
Patakon: Un assistant? Moi, un assistant? Je préfère nettement le terme de "guide". Comment tu feras, si tu es recherché par les yeux de la Fraternité dans toute la ville? Moi, je peux t'aider. Penses-y.
:Mendoza: : Combien?
Patakon: Voyons, étant donné que je suis le meilleur voleur de la capitale, mais que je te trouve acceptable, je te fais un prix d'ami: pas plus de soixante réaux d'argent pour la durée de la Feria.
:Mendoza: : Ma foi, tu es plutôt cher.
Patakon: Je te l'ai dit, c'est pour ma fille. D'ailleurs, Mendson, que t'importe! Ça m'étonnerait que tu sois le genre bourse-serrée avec les deniers d'un autre...
:Mendoza: : Un point pour lui. Cet argent n'est pas le mien.(Pensée).
Effectivement ces subsides étaient ceux du roi Henri VIII.
Songeant à la veille, le capitaine demanda:
:Mendoza: : Tu es sûr que ça va aller?
Patakon: Ne t'inquiète pas. J'ai pris une claque hier, c'est vrai. Mais j'ai une certaine habitude de ces petites douceurs. Je récupère vite... Voilà, c'est ici, L'hôtel de Bou!
Le sourcil haussé, Mendoza l'interrogea:
:Mendoza: : Ici que quoi?
Patakon sourit et leva un index jauni par le tabac.
Patakon: Tu vois, notre ami le bâtard a un gros défaut: ses petites habitudes. Et dans notre profession, comme dans la tienne, les habitudes, ça tue. Cadell déjeune ici presque chaque jour. Toujours dans le même cabinet particulier. Au premier étage, le troisième sur la gauche. Je suis certain qu'il a déjà collecté tes informations. Ce serait intéressant que tu lui fasses une petite surprise, n'est-ce pas? Tu as tout le temps d'explorer les alentours, avant d'y aller, Cadell est un lève-tard, il ne vient jamais avant une heure. Je te laisse. Sois prudent. On se retrouve à l'endroit que je t'ai montré en chemin... Dis donc, une petite chose, je t'ai déjà parlé de mes cales?
:Mendoza: : Tes cales?

CHAPITRE 31.

:?: : Ça suffit! Diego, je ne veux plus rien entendre de ce genre.
La voix du seigneur Alfonso Beyra claqua tel un fouet. Le grand brun vêtu de noir se tenait les bras croisés. Son visage étroit aux joues grêlées était barré d'un sourire mauvais. Son regard pâle luisait de colère.
Diricq de Melo ajouta:
D.M: Tu ne veux tout de même pas décevoir Pedro? Tu sais ce qui arrive quand on déçoit notre ami!
Le colosse cachait mal son envie de cogner. Ses petits yeux bruns, furibonds, ne quittaient pas Diego. Sa barbe touffue qui lui mangeait le visage frémissait de mépris pour l'homme blond.
A.B: Diego, il est mort, je te le répète. Dois-je te le rappeler? Juan-Carlos Mendoza est mort... il y a dix ans! Tu étais sur place...
À Portaferrisa, au premier étage du luxueux "Hôtel de la Massa", établissement proche du palais épiscopal, les trois hommes profitaient du confort d'un cabinet particulier. Sur la table, malgré l'heure matinale, plusieurs cadavres de bouteilles s'étalaient.
À l'aube, Diego, qui n'avait pas fermé l'œil de la nuit, avait envoyé un message à Pedro Folc de Cardona. En conséquence de quoi, sur les instructions de ce dernier, Alfonso Beyra avait provoqué une réunion extraordinaire des Compagnons, à l'hôtel où ils se retrouvaient d'habitude pour leur déjeuner hebdomadaire.
Passant une main tremblante dans sa chevelure blonde, Diego d'Ordongnes rétorqua:
D.O: Qu'en sais-tu finalement, Alfonso? Tu évoques ce fameux soir... Je m'en souviens parfaitement. Comment l'oublier? Tu es sorti en même temps que moi de la cellule. Pero et Diricq nous ont aussitôt suivis et alors Mendoza était encore vivant. Seul Pedro est resté et c'est lui qui nous a ordonné de sortir. Le lendemain, tout ce qu'on a retrouvé de Moustique, c'est sa veste d'uniforme baignant dans une mare de sang. On a cherché le corps partout et on ne l'a jamais retrouvé. Nos supérieurs se sont contentés de classer l'affaire sans chercher à en savoir plus. Ils ne l'ont pas ébruitée de peur que le viguier et les conseillers de la ville mettent tout en œuvre pour découvrir ce qui s'était passé. La disparition d'un Barcelonais méritait amplement un Via fora!
Pour une fois, le blond faisait preuve de caractère. Diricq cracha:
D.M: Qu'est-ce que tu nous chantes, Diego? Tu oses mettre en doute la parole de Pedro? Tu as encore abusé de ton mambe! Tu en consommes trop... ou trop peu...
Hérissé par son attitude, le colosse barbu secouait ses larges épaules, manquant de faire éclater son pourpoint turquoise décoré aux armes de Pedro Folc de Cardona, membre de la noblesse ecclésiastique, archevêque de Tarragone et député du Conseil provincial de Catalogne. Les yeux enfiévrés, le ton buté, Diego s'écria:
D.O: Le mambe n'y est pour rien! Je l'ai vu, en face de moi, hier soir, à trente pas... Moustique! C'était bien lui, Juan-Carlos Mendoza... dans le centre. Vous devez me croire, il est revenu d'entre les morts pour se venger! D'ailleurs, il à déjà eu Pero Laxo...
Alfonso contra:
A.B: Pedro n'y croit pas. Il a lu les rapports. La mort de Pero n'a rien à voir avec tout cela.
D.O: Ah oui, Pedro, le premier des nobles Compagnons, notre chef inspiré? De toute façon, depuis qu'il est député ecclésiastique, depuis qu'il s'est hissé dans les hautes sphères du pouvoir, il se fiche bien de vous comme de moi. Il est devenu bien trop important pour frayer avec nous autres, hein, Alfonso? Qu'en dis-tu, toi qui exécutes ses basses besognes?
La réaction du brun ne se fit pas attendre. Il se contenta de lever un index. Diricq, qui n'en attendait pas plus, renversa une chaise dans sa hâte d'écraser le dos de sa main poilue sur la bouche de l'épave qu'était Diego.
La chaise vola dans une direction, la frêle carcasse du blond dans une autre. Écrasé sur le parquet, il resta prostré, sans réagir. Sans même essuyer le sang de ses lèvres déchirées en train de goutter sur le sol.
L'odeur de cire faillit le faire vomir. C'était la première fois que Diricq le frappait. Mais le garde du corps attitré de Folc de Cardona se retenait depuis longtemps. Diego le savait, le colosse détestait la faiblesse sous toutes ses formes. Et la sienne, en particulier. Oui, la faiblesse rendait le barbu encore plus hargneux que de coutume.
A.B: Cela suffit, Diego. Tu n'es pas assez solide pour résister aux coups de Diricq, alors n'exagère pas. Tu as l'air épuisé. Tu devrais te reposer. Aller respirer le bon air de la campagne. Le mambe te rend fragile, mon ami, tu dois faire plus attention à toi...
La sollicitude soudaine de Beyra ne trompa pas Diego. Contrairement à ce que pensaient les autres, si son corps était effectivement dévasté par la consommation effrénée de mambe, son esprit avait gardé toute sa clarté. Diego n'était pas dupe une seconde. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il s'intoxiquait. Malgré la substance, il n'était dupe de rien. C'était tout le fond du problème, sa malédiction.
D.O: Ma santé t'intéresse-t-elle vraiment ou c'est mon silence que tu désires?
Un nouveau geste d'Alfonso, et Diricq s'avança pesamment pour redresser Diego et le rasseoir sur sa chaise. Il retint un gémissement de douleur.
A.B: Voyons, Diego, ne sommes-nous pas camarades depuis des années? Les Compagnons. Te rappelles-tu nos folles nuits quand nous faisions nos classes? Nous n'étions encore que des aspirants, jeunes et insouciants?
Le blond aurait voulu répliquer:
D.O: Je m'en rappelle parfaitement. Nous étions six, unis par l'amitié et l'honneur. Nous avons trahi le meilleur d'entre nous. J'ignore encore pourquoi, et je n'ai jamais eu le cran de demander à Pedro...
Au lieu de quoi, il répondit:
D.O: Bien sûr, Alfonso. C'était la belle époque. Comme tu l'as dit, nous étions si insouciants... Je crois que je vais rentrer car je ne me sens pas très bien.
De fait, il transpirait à grosses gouttes.
A.B: Bonne décision. Diricq, appelle Luis. Qu'il raccompagne notre ami dans sa demeure. Prends soin de toi, Diego, et donne-nous de tes nouvelles.
Diego d'Ordongnes ne prit même pas la peine de saluer. Il sortit, de sa démarche de vieillard, escorté par le dénommé Luis, un solide gaillard. Un des membres de l'équipe de Pedro et accessoirement son neveu, autrement dit, un assassin.
D.M: Maintenant que ce rabat-joie de Diego est parti, on peut faire monter les filles, non? J'ai besoin de me défouler!
A.B: Eh bien, tu t'amuseras sans moi. Pedro attend mon rapport. Profite de ton après-midi, tu n'auras qu'à me rejoindre au palais.

À suivre...

*
*Le traité Franco-Anglais d'alliance contre les Turcs sera sans lendemain.
Modifié en dernier par TEEGER59 le 20 août 2020, 23:55, modifié 2 fois.
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
Avatar du membre
Este
Maître Shaolin
Maître Shaolin
Messages : 1709
Enregistré le : 02 avr. 2020, 15:06
Genre : Homme
Localisation : Kûmlar
Âge : 16
Contact :

Re: Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

Message par Este »

De très bons chapitres et décidément j'aime bien Patakon !!
Saison 1 : 18/20 :D
Saison 2 : 13/20 :roll:
Saison 3 : 19/20 :-@ :-@ :-@
Saison 4 : 20/20 :-@ :-@ :-@ :-@ :-@

Perso préféré : Laguerra
Couple préféré : Mendoza et Laguerra
Avatar du membre
TEEGER59
Grand Condor
Grand Condor
Messages : 4538
Enregistré le : 02 mai 2016, 14:53
Localisation : Valenciennes
Âge : 46
Contact :

Re: Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.

Message par TEEGER59 »

Suite.

CHAPITRE 32.

L'heure du déjeuner approchait. Sans tarder, Alfonso avait rejoint le palais de Requesens. Il entra sans bruit dans les appartements de son seigneur, le nouveau propriétaire.
Vêtu uniquement de hauts-de-chausses bouffants, un homme athlétique jouait seul à la paume dans un tripot, une salle conçue pour ce jeu. Ses membres se mouvaient harmonieusement, sans effort apparent, faisant rebondir l'éteuf sur les quatre murs.
Sans s'annoncer, Beyra, resté dans la galerie couverte en surplomb entourant la salle de jeu, demeura un long moment à contempler le corps magnifique en action, une étrange expression peinte sur le visage. Il pouvait rester ainsi des heures sans rien faire d'autre que d'admirer la beauté virile de l'ancien vice-roi de Catalogne.
Ce dernier acheva sa partie solitaire et saisit une serviette pour essuyer son torse. Pedro Folc de Cardona, l'actuel archevêque de Tarragone. Également héritier d'une des familles les plus illustres car ses ascendants étaient issus de la deuxième maison la plus importante de la Couronne d'Aragon, juste après les rois catholiques.
Grand, large d'épaules, la taille bien prise, il avait un visage altier au teint parfait, des traits nobles, ciselés, encadrés d'une abondante chevelure ondulée d'un châtain lumineux. Il était l'un des plus beaux éphèbes de la cité et il ne l'ignorait pas.
Ses yeux s'éclairèrent en constatant enfin l'arrivée de son homme de confiance.
PFC: Alfonso, c'est toi! Descends, je te prie...
Beyra s'exécuta.
PFC: Parle, mon ami... Comment se portent nos petites affaires?
Sa voix était d'une tonalité élégante, profonde, enjouée. Personnalité éduquée et influente, il était un protecteur de la culture en soutenant les artistes et en publiant des livres, dont une version des Usages de 1505. Mais sous ses airs de grand mécène, Alfonso gérait en son nom un important réseau de trafic d'antiquités.
A.B: Aucun problème de ce côté-là. Les bénéfices devraient augmenter de vingt pour cent. Il y a toujours une forte demande durant la Feria.
PFC: Ah! Excellent... Alors parle-moi donc de cette histoire, la réunion s'est-elle bien déroulée?
Avisant l'air hésitant du grand brun, Pedro quitta son ton badin:
PFC: Alors, qu'est-ce que c'est que cette histoire? Annonce! Je n'ai rien compris aux élucubrations de Diego.
A.B: Il croit effectivement avoir vu Moustique. Il venait de s'approvisionner chez son vendeur de mambe, dans le centre, lorsqu'il l'a vu marcher dans la foule.
Moustique... L'évocation de ce surnom surgi d'un passé qu'il croyait définitivement enterré ébranla visiblement Cardona.
PFC: Délire de drogué! Ses névroses le font divaguer. Il a cru voir un fantôme, c'est tout... Pauvre Diego! Lui autrefois si brillant. Inutile de s'inquiéter de ce pauvre fou.
La mine grave, Alfonso rétorqua:
A.B: Je le croyais au début. Plus maintenant, après avoir eu un petit échange... musclé avec lui. Je ne l'avais jamais vu dans cet état! Diego est devenu un débris, c'est d'accord, mais pas un imbécile. Et n'oublie pas la mort de Pero. C'était peut-être le premier de la liste... Mon instinct me dit qu'il se passe quelque chose.
Nettement confiant, l'archevêque répondit:
PFC: Il est impossible que ce soit Mendoza. Il est mort... de ma propre main. Je lui ai dessiné un second nombril, si tu vois ce que je jeux dire. Non, il doit y avoir une autre explication. Occupe-t'en. Je n'ai vraiment pas besoin de ça en ce moment, j'ai suffisamment à faire avec le Conseil provincial! La situation avec la France peut dégénérer à tout moment. Nous devons nous préparer à riposter si nos ennemis nous attaquent. Et nous aussi, faisons partie des effectifs.
En effet, il devait commander l'host, mille hommes de guerre, deux cent chevaux et six pièces d’artillerie, en cas de conflit. De nouveau contrarié, Pedro Folc de Cardona jeta sa serviette à travers le tripot. Il reprit, les mâchoires serrées:
PFC: Je déteste l'idée de quitter la capitale. Maudite guerre! Et comment allons-nous faire pour notre réseau?
A.B: Le cas est réglé, Pedro. J'ai un homme qui veillera sur nos intérêts si nous devons nous absenter. Il a trop peur de moi pour tenter quoi que ce soit.
PFC: C'est bien, Alfonso. Heureusement que tu es là. Je sais que je peux me reposer sur toi.
A.B: Pour cette histoire avec Moustique...
PFC: Je t'ai dit que je ne voulais plus en entendre parler!
Beyra était le seul homme capable de braver la colère de l'archevêque. Il continua:
A.B: Je propose néanmoins que l'on parte du principe que c'est du sérieux, cette histoire. Car, si ce n'est pas Mendoza, il se pourrait tout de même que quelqu'un en ait après toi, non? Et ce quelqu'un peut également avoir découvert des choses sur le passé. Il y va de ta sécurité, Pedro, et c'est mon devoir d'y veiller.
PFC: Que proposes-tu? Comment être sûr?
Le député avait pleine confiance en Alfonso. Ce dernier avait réponse à tout. Bien souvent, une réponse définitive.
A.B: Prenons des mesures pour te protéger, nous n'y perdrons rien. Je vais faire doubler la garde. Dorénavant, tu te déplaceras en carrosse avec une escorte. Diricq ne te quittera pas. Et je vais me charger de faire circuler le signalement de Moustique en ville. Je sais qu'elle est bondée, mais on verra bien... Ça ne fera pas de mal à mes hommes de se remuer.
PFC: Fais à ta guise. De toutes manières, le Conseil va occuper tout mon temps.
A.B: Je vais mettre sur l'affaire mon contact de la Fraternité, Cadell. Il devrait nous trouver quelque chose. Tranquillise-toi, Pedro. Je m'occupe de régler cette affaire.
PFC: Parfait, je suis soulagé. Viens me rejoindre, ce soir. Nous ferons quelques passes à l'épée. Et amène des courtisanes. Des nouvelles. Ah, n'oublie pas de faire surveiller ma sœur. On ne sait jamais...
A.B: Ce sera fait. Ton neveu et ses hommes s'en chargeront. À ce soir... Et... oui, je sais, tu voudras aussi du vin. Je m'en charge.
Depuis toujours, Alfonso Beyra devançait les moindres désirs de son maître. Même les plus malsains. Il avait décidé de ne pas parler du message qu'il avait reçu de Galceran Cadell. Le signalement donné par le bâtard correspondait parfaitement à celui de Moustique. Encore que n'importe quel homme brun de haute taille, pouvait porter une cape bleue et rouge.
Pedro avait été clair. Il ne voulait plus entendre parler de cette histoire. Mieux valait donc ne plus l'inquiéter avec ce problème. Ces temps-ci, le député devenait de plus en plus irritable. Alfonso préférait le préserver. Il allait s'occuper de cet imposteur, ce soir même, chez Cadell. Et si c'était bien Mendoza... voilà qui promettait. Beyra s'occuperait de son cas et irait ensuite porter sa tête à Pedro. Il était prêt à tout pour lui. Pour l'un de ses sourires, pour obtenir son approbation. Cardona était sa raison d'être, son soleil. Cardona qu'il adorait d'une passion aussi incandescente qu'inavouée.

☼☼☼

Après le départ de son second, Pedro Folc de Cardona annula sa leçon quotidienne d'escrime. Il se mit à faire les cent pas, la mine soucieuse. Comment croire à cette éventuelle réapparition, pour le moins inattendue et pour le moins inopportune... C'était impossible! Un frisson d'inquiétude le saisit, chassant un instant son habituelle assurance. L'ancien vice-roi se sentait soudain menacé. Il détestait cette sensation.
Devait-il en parler à l'autre? Non. Ils avaient instauré une certaine distance à mesure que leurs pouvoirs respectifs grandissaient au sein de la hiérarchie de l'Empire. Ils évitaient de se fréquenter, sauf quand l'autre lui donnait une mission. En général, éliminer un gêneur. Alors Pedro envoyait Alfonso.
En vérité, le député se souciait fort peu de politique. Au faîte de son pouvoir, il avait préféré se plonger sans vergogne dans les divers plaisirs de la chair. Heureusement, un programme quotidien d'exercices de musculation et de massages lui permettait de conserver et d'entretenir sa splendide silhouette.
La longue période de paix lui avait permis de délaisser sa charge, tout en donnant le change. Mais à présent, les choses bougeaient et balayaient toute cette tranquillité. La guerre entre la France et l'Empire couvait à nouveau et Pedro allait devoir rattraper toutes ces années gaspillées en multiples plaisirs. Si la huitième guerre d'Italie éclatait, il allait devoir mener le régiment d'élite au cœur du duché de Savoie. Quelle responsabilité soudaine pour lui, archevêque de Tarragone!
Non, mieux valait ignorer cette inepte histoire de Moustique revenu d'entre les morts. Alfonso allait s'en charger. Comme toujours... Ils se comprenaient si bien, tous les deux.
Pedro s'étira. Un bon massage lui ferait le plus grand bien. Il gagna sa chambre pour se dévêtir, passer une serviette propre autour de ses reins, et prit la direction de la salle d'eau.

68.PNG

Il s'arrêta à mi-chemin et fit demi-tour, jusqu'au mur où reposait un râtelier d'armes pour y prélever un poignard, qu'il glissa dans une autre serviette. Alors enfin, il repartit rejoindre son masseur.
Dorénavant, il ne se déplacerait plus sans une arme. Où qu'il aille.

CHAPITRE 33.

Quelque part dans Calais.

Mary: Tiens, voilà tes informations. C'est tout ce que j'ai pu trouver.
Mary jeta un dossier soigneusement plié sur le lit. Le gouverneur du Languedoc s'exclama:
Anne: Mais c'est parfait, ma tigresse!
Ils se trouvaient dans une chambre d'auberge. Le duc s'empressa de ranger dans son manteau le dossier apporté par la jeune femme. Celle-ci cracha:
Mary: Paye-moi, à présent!
Anne: Tiens, voilà cinq sachets. Tu les as bien mérités.
Les mains sur les hanches, l'épouse de Charles Brandon annonça:
Mary: J'en veux sept!
Anne: Tu marchandes? Fort bien. Mais tu devrais songer à ralentir un peu avec le mambe.
Mary: Mêle-toi de tes affaires, Anne!
Anne: Oh, je m'inquiète de ta santé, c'est tout...
Elle s'énerva:
Mary: C'est ça, chante-moi une ballade romantique, pendant que tu y es!
Montmorency se moquait bien de la réaction de son amante. De même qu'il se moquait du prix qu'elle avait demandé. Plus elle en consommerait, plus elle s'enferrait dans les tourments de cette substance. D'ailleurs, il trouvait sa résistance remarquable. Tout autre individu que la jeune femme serait déjà complètement asservi. C'était loin d'être le cas de la sœur du roi Henri.
Mary rangea les sachets dans les poches de son pourpoint en agneau. Cachant sa déception, le maréchal demanda:
Anne: Alors, tu n'en prends pas, finalement?
Mary: Non, je préfère la garder pour plus tard, quand je serai seule et tranquille, puisque tu veux tout savoir.
Anne: Dis-moi... ces informations, tu peux en avoir d'autres?
Mary: Ce n'est pas impossible. Mais pas tout de suite. Je dois me faire oublier. Et puis, j'en ai assez de parler. Si nous passions à plus important?
Elle ôta son pourpoint tout en poursuivant sans le regarder:
Mary: Trouve quelque chose de nouveau. J'ai besoin de me défouler, ce soir.
Sans attendre, elle s'allongea sur le lit. Anne la contempla un bon moment, se repaissant de sa beauté si sensuelle, de son comportement si provocant.
Anne: Ça tombe bien parce que j'avais en tête quelque chose d'un peu spécial.
Il siffla entre ses doigts.
Comme s'il n'attendait que ce signal, ce qui était le cas, un robuste gaillard fit son entrée dans la pièce. Il faisait partie du service de sécurité du duc de Montmorency. Mary ne lui fit ni chaud ni froid mais attendant ses ordres, le Seigneur de Nançay ne pouvait s'empêcher de la regarder.
Après un léger moment de surprise, la jeune femme dit:
Mary: Tiens donc, tu as besoin d'un renfort! Ou alors, cela veut dire que tu ne restes pas...
Anne: En effet, ma tigresse. J'ai du travail en retard et François est un maître exigeant. Mais ce n'est que partie remise! Songe que je paierai généreusement de nouveaux renseignements sur ce que tu sais... En attendant, La Châtre est là pour te tenir compagnie...
Mary: Eh bien, tant pis pour toi si tu dois t'en aller! Je me contenterai de celui-là.
Le duc faillit se raviser et rester pour profiter de l'appétit de sa maîtresse. Mais il ne pouvait pas. Il devait absolument voir le roi et trouver avec lui un moyen de vérifier les informations fournies par sa nouvelle espionne. Il soupira de frustration mais se morigéna. Il aurait l'occasion de se rattraper. Mary était toujours prête à partager de nouvelles expériences. Il susurra à l'oreille de son sous-fifre:
Anne: Je te laisse la place. Ne la ménage surtout pas, elle aime ça!
Au moment où il franchissait le seuil de la chambre, il entendit résonner la voix chantante de la duchesse qui s'élevait par-dessus l'épaule du capitaine déchu en train d'ôter à contrecœur ses vêtements.
Mary: Tu as entendu, toi? Vas-y franchement!

À Barcelone.

Galceran Cadell trottinait dans la rue, de fort bonne humeur, sa démarche dandinante laissant transparaître une profonde satisfaction.

69.PNG

Pourtant, le début de la journée avait été chargé pour celui dont les grasses matinées représentaient le plus inoffensif des vices. Au moins, cela lui avait donné l'occasion de tester ce nouvel onguent miton-mitaine sans grande efficacité pourtant recommandé par ce cher Gomez.
Ce matin, il avait été convoqué par Alfonso Beyra, suite à son message. Ensemble, ils avaient évoqué le cas de cet étranger. Satisfait des propos du bâtard, Alfonso lui avait jeté une bourse d'or en lui donnant des instructions. Ce soir, quand l'homme à la cape bleue viendrait chercher ses renseignements, il aurait une mauvaise surprise, bien mauvaise.
Ensuite, Cadell s'était rendu à son bureau de la Fraternité pour apprendre de son intendant des finances que la Feria s'annonçait des plus fastes pour la guilde des Voleurs. Déjà trente pour cent d'augmentation des bénéfices, et la semaine de Noël n'était que dans trois semaines!
Porté par cette vague de réussite, Cadell avait quitté son officine pour se rendre aux bains. Évidemment, ceux fréquentés par les gens de qualité. Là, il s'était longuement fait masser. Ensuite, pris d'une impulsion, il s'était rendu dans l'échoppe d'un barbier où, grâce au brou de noix, Galceran s'était fait teindre les cheveux d'un divin châtain sombre.
À présent délassé, le bâtard aspirait à un bon repas. En gourmet qui se respecte, il avait établi ses habitudes à L'hôtel de Bou, un des meilleurs établissements de la capitale, dont il apercevait l'enseigne au bout de la rue. Après, il irait probablement rendre visite à ce cher commandant Gomez et lui faire admirer sa nouvelle teinture.
Un peu en retrait marchaient deux hommes trapus, vêtus de justaucorps de cuir, crâne rasé et barbe courte, blonde pour le premier, grise et torsadée pour le second. Gonzalo de Ayora et Sancho Garcia étaient ses gardes du corps. Les anciens Monteros de Espinosa* veillaient à sa sécurité depuis trois ans, avec une efficacité tout à fait satisfaisante.
Galceran était vêtu de l'une de ses tenues les moins voyantes. Il avait choisi de la porter avec ses bottes grises, son manteau fait de losanges roses et bleus ainsi que son pendentif Aigue-Marine. Il n'était pas stupide, le Cadell, et savait que son apparence pour le moins outrancière, reflétant réellement ses goûts, lui offrait un parfait camouflage. Qui aurait soupçonné cet homme étique, efféminé, d'être un des maîtres principaux de la Fraternité? Connu comme marchand, il était censé tenir une boutique d'antiquités, où il ne mettait en vérité que rarement les pieds.
Après avoir brièvement salué le restaurateur, le bâtard monta directement dans son cabinet particulier, laissant à ses gardes le soin de faire barrage en bas de l'escalier. Galceran avait apporté quelques croquis de son tailleur car il avait décidé de renouveler sa garde-robe pour cet hiver. Quelles teintes choisir pour aller avec la nouvelle couleur de ses cheveux? Et quelles matières? Quelque chose de fluide, évidemment. Des questions primordiales qui occuperaient son repas.
Après quoi, il devrait planifier la réception du beau brun ténébreux. Bien sûr, il s'était bien gardé de dire à Alfonso Beyra qu'il comptait tout de même donner à cet homme les renseignements qu'il avait demandés. Cadell ne livrerait l'Apollon que lorsque celui-ci l'aurait payé. Double bénéfice!
Il espérait que Madariaga ne serait pas trop abîmé dans l'histoire. Malgré son sale caractère, le vieux râleur représentait un trop bon élément pour les intérêts de la Fraternité.
Galceran s'installa confortablement sur la banquette. L'atmosphère feutrée du cabinet, ses tentures décorées de scènes de chasse et de paysages forestiers, l'odeur sucrée de l'encens qu'il préférait, celle du bois de pin verni des murs favorisaient à merveille son délassement. Il posa ses esquisses à portée de main et s'abîma dans la lecture du menu. Allait-il prendre la truite saumonée au beurre de rose citronné ou les roulés de veau à la florentine?
Une haute silhouette, vêtue d'une chemise blanche immaculée, surgit de derrière une tenture. Le bâtard sursauta de surprise, laissant échapper la carte des mets.
:Mendoza: : Bien le bonjour, messire Cadell. Comment vous portez-vous? Je viens chercher mes renseignements. Oui, je sais, je suis un peu en avance. Je ne vous dérange pas au moins?
Interloqué, Galceran Cadell ne sut que répondre. Il se mit à se tortiller sur son siège, cherchant vainement une échappatoire. Mendoza s'approcha de la porte d'entrée devant laquelle il s'attarda quelques secondes, avant de reprendre:
:Mendoza: : Au fait, quelle belle teinture vous avez choisi! Je prends ça pour un compliment. Mais vous semblez bien nerveux, messire. Comment se fait-il que vous transpirez ainsi? Vous avez des bouffées de chaleur? Y aurait-il un problème?
G.C: Mais pas du tout! Je... je n'ai pas encore les renseignements que tu désirais. Ils sont dans mon bureau. Passe me voir ce soir, comme convenu.
De son inquiétant regard sombre, Mendoza transperça l'homme fardé. Son visage dur n'annonçait rien de bon. Plus question de le traiter avec déférence, le tutoiement s'imposait.
:Mendoza: : Tstt-tstt-tstt. Ce n'est pas bien de me mentir, Cadell. Et pas conseillé. Tu vas avoir grand mal à te maquiller si je te coupe les doigts...
G.C: Non, euh... je plaisantais, bien sûr. J'ai ce que tu veux. Le carnet rose, dans ma sacoche.
De son pied botté, le Yeoman plaqua le torse de l'homme contre le dossier de la banquette. Saisissant la serviette, il trouva sans peine le petit calepin qu'il ouvrit. Sur la dernière page, les noms y figuraient, ainsi que les adresses, accolées. Celles de Diego d'Ordongnes et de Catalina de Cardona n'avaient d'ailleurs pas changé. Il aurait pu s'en douter. Pedro résidait au palais Requesens. Cela non plus n'était pas surprenant. Alfonso et Diricq étaient censés partager un logement dans le quartier commerçant mais le Catalan doutait qu'ils y passent beaucoup de temps. Ils devaient plutôt habiter dans les quartiers du député.
Toujours prisonnier de la botte du mercenaire, Cadell suait maintenant à grosses gouttes, ruinant son maquillage. Que faisaient ses hommes? Et les serveurs? Ils allaient bien finir par entrer!
Un coup frappé à la porte, la poignée que l'on tourne sans succès. Un bruit de pas qui s'éloignent. Tentant de reprendre contenance, le bâtard souffla:
G.C: Mes gardes vont venir.
Il tenta de repousser le pied du capitaine mais la charge s'avéra trop lourde pour lui. Mendoza ricana:
:Mendoza: : Cela m'étonnerait qu'ils parviennent à franchir cette porte. Je t'assure que nous ne serons pas dérangés.
En effet, il avait tout simplement bloqué l'entrée avec deux cales fournies par Manuel le manuel. Un procédé des plus sommaires mais combien efficace.
L'Espagnol agita le carnet devant le nez de Cadell et annonça presque joyeusement:
:Mendoza: : Parfait, messire! Ce sont bien les informations que j'attendais.
Il le glissa dans sa botte gauche. L'arrivée de plusieurs personnes se fit entendre sur le palier. Des jurons s'élevèrent derrière la porte que l'on tentait une nouvelle fois d'ouvrir. Celle-ci persistait à résister. Galceran tenta:
G.C: Comme tu vois, j'ai tenu mes engagements. Tu vas donc pouvoir me payer.
:Mendoza: : Oh non, je t'avais prévenu, Cadell. Tu as voulu me trahir. Je tue!
Tandis que les coups et les jurons redoublaient de l'autre côté de la porte, Juan se pencha sur l'homme impuissant. Crochetant ses narines, il tira brusquement son nez vers le plafond. De son autre main, il sortit sa dague de sa botte droite. La lame qu'il brandit effectua un rapide arc de cercle avant de retrouver son fourreau. Elle ne passa qu'une seule fois en travers de la trachée offerte du bâtard mais cela suffit amplement. La mort de Galceran Cadell se déroula sans aucune élégance. Vagissants, crachants et bavants, ses derniers instants se révélèrent plutôt lamentables.
:Mendoza: : Adios, messire Cadell...
La porte menaçait de céder. Plusieurs hommes devaient s'acharner dessus. Le Yeoman ouvrit la fenêtre et passa sur le balcon.
Il courait dans la rue à perdre haleine. Une dizaine d'hommes étaient à ses trousses. Des spadassins de Cadell, de Beyra ou du Guet. Peu importait pour l'instant. Les promeneurs s'écartaient prudemment sur son passage, peu désireux de se frotter à ce gaillard au visage si rébarbatif.
L'Espagnol dépassa un croisement, puis un deuxième. Il manqua la rue qu'il avait sélectionnée comme voie de repli. Au lieu de quoi, il s'engagea dans une ruelle transversale. Mal lui en prit. Au bout d'une cinquantaine de toises, un tournant. Celui-ci donnait sur une impasse.
Un sifflement venu des toits retentit. Mendoza leva la tête pour voir une corde à nœuds descendre du ciel. Une voix moqueuse et familière résonna du haut des murs de la ruelle:
Patakon: Alors fiston, tu te dépêches? C'est franchement pas le moment de faire la sieste!
Manuel était-il partie prenante du piège? Malgré la sympathie qu'il commençait à éprouver pour le voleur, le capitaine ne pouvait pas ne pas se poser la question.
Il n'avait pas vraiment le choix, en fait. Il saisit fermement la corde et commença son ascension. Un bras maigre mais cordé de muscles fermes l'aida à prendre position sur la corniche.
En pleine forme, Patakon tonitrua:
Patakon: Qu'est-ce que j'avais dit! Cadell t'a vendu. Un de mes informateurs l'a vu ce matin sortir de chez Alfonso Beyra. Le sale empoudré! J'espère que tu t'en es occupé!
Sans gaieté de cœur, le mercenaire passa son pouce en travers de son cou. Le voleur jugea la réponse suffisamment éloquente.

70.PNG

Ses moustaches relevées par un franc sourire, il s'écria:
Patakon: À la bonne heure! Ce porc n'aurait pas dû ainsi bafouer la Fraternité. Ton acte relève l'honneur de la Guilde, Mendson... Tu sais, tu as de la chance que j'aie décidé de veiller sur toi et que je connaisse les toits comme ma poche! Je me doutais que tu aurais besoin d'un peu d'aide. Viens, fiston! Il est temps de changer d'air.
Madariaga roula sa corde qu'il fit disparaître sous sa tenue. Il ajouta:
Patakon: Je passe devant. Si j'ai bien compris, tu vas vouloir rendre visite dans les quartiers nobles. Je connais un chemin sûr. C'est par là.
Mendoza le suivit alors que s'élevaient des exclamations de rage venues d'en bas.

CHAPITRE 34.

L'après-midi s'étirait paresseusement. Catalina de Cardona habitait dans un magnifique hôtel particulier à trois étages, demeure familiale située dans le plus beau quartier de la ville, au nord-est de la capitale, proche des murs du palais de Requesens. Malgré le temps écoulé, Mendoza se remémorait bien le tracé rectiligne des avenues pavées de pierres, où se croisaient quelques luxueux carrosses aux laques brillantes.
Bien moins fréquentés que le Barri Gòtic, les hauts quartiers de La Ribera affichaient avec un faste certain la richesse de leurs propriétaires. Les architectes de la ville avaient fait preuve d'ingéniosité afin que chacune des opulentes demeures reflète un caractère unique tout en préservant l'harmonie de l'ensemble. La pierre de taille claire de la meilleure qualité, les façades travaillées à la main, les colonnades décorées, les jardins particuliers rehaussés d'arbres rares ou de statues, les sculptures et les fontaines mélodieuses taillées dans le marbre blanc le plus pur rivalisaient d'esthétisme. Sans oublier la présence rassurante des patrouilles chargées de veiller à ce que rien ne dérange la quiétude des mieux lotis.
Voitures et carrosses remplaçaient allégrement la foule bruyante du quartier commerçant. Avec sa chemise blanche bien coupée, Mendoza pouvait déambuler sans s'inquiéter, passant aisément pour un noble en promenade.
Le climat avait changé. Le rouge soleil d'automne n'habillait plus les remparts de flamme et de sang... Il était bien pâle aujourd’hui, chassant les vestiges de l'été de la Saint-Martin jusqu'à l'année prochaine. Juan rabattit sa capuche, mais il se moquait du temps.
:Mendoza: : Catalina. (Pensée).
Il lui fallut dix minutes pour repérer les sentinelles postées discrètement autour du domicile de la jeune femme. Trois hommes, des coupe-jarrets, dont la mise jurait avec la vêture soignée des résidents. Ils étaient manifestement peu motivés par leur tâche de surveillance. Cette négligence ne leur coûta qu'une perte de connaissance temporaire.
Le Catalan assomma le premier sous un porche, lui laissant une belle bosse sur le crâne. Il donna un violent coup de pied dans l'entrejambe du second et écrasa son poing sur le nez du troisième, qui s'était établi près d'une fontaine. Le tout en moins de cinq minutes. Il les avait bâillonnés et ligotés en un clin d’œil pour éviter qu'ils ne donnent l'alerte.
Il profita d'une échauffourée dans la rue, provoquée par une bande d'ivrognes braillards, (en réalité des comparses du précieux Patakon), pour entrer en douce dans la propriété et se camoufler parmi les arbres. Il gagna l'arrière de la façade sans rencontrer personne et entreprit de grimper à la vigne vierge aux belles couleurs flamboyantes.
Sous peu, les poivrots s'esquiveraient, entraînant les éventuelles patrouilles sur leur passage.
Du toit d'ardoises soigneusement assujetties, le capitaine n'eut qu'à se laisser glisser sur un des larges balcons du dernier étage, où, il le savait, se situaient les appartements de la sœur de Pedro. Ainsi, la jeune femme n'avait pas quitté la demeure familiale.
Catalina, la femme qui lui avait fait oublier définitivement Carlotta. Catalina, celle qu'il aurait du épouser après ses classes.
Elle était bien là. Dans sa chambre, en plein rituel. Occupée à lisser sa longue chevelure rousse, elle ne remarqua pas son arrivée. Un déshabillé d'étoffe bleu moiré, évanescente, fluide, rehaussait la finesse de sa taille.
Mendoza ressortit de la pièce et visita l'étage à pas de loup sans voir personne. Il ne prêta que peu d'attention au riche décor, vérifiant par contre que nul ne dérangerait leur tête-à-tête. Selon la tradition, la plupart des domestiques devaient avoir obtenu leur congé pour profiter de la Feria. Les deux seuls serviteurs qu'il croisa dans les cuisines, un couple inoffensif, il les boucla dans le cellier, sans brutalité. Satisfait, il retourna à la chambre de Catalina.
Le souvenir que le bretteur avait gardé de sa promise ne lui rendait pas justice. Toujours occupée à la même tâche, la jeune femme avait encore embelli avec les années. Malgré la trahison, l'Espagnol du s'avouer à nouveau conquis par son indéniable beauté. Son visage ovale au teint de lait, ces traits d'une pureté inégalable. Et ces yeux semblables aux reflets d'un lac, un soir de lune...
Catalina, muse de nombreux poètes, "l'amie des miroirs" comme on la surnommait à la cour.
De toutes les femmes croisées par le Yeoman, elle était bien la plus belle. Seule l'inconnue aperçue hier soir dans la rue pouvait peut-être rivaliser. La rousse Catalina et l'aventurière brune. Physiquement, il n'aurait pu les départager.

☼☼☼

Contemplant son reflet, la jeune femme humecta sa bouche carmine, conçue pour offrir le baiser le plus doux. Le Catalan se souvenait encore de cette caresse exquise et il en avait les entrailles nouées.
Catalina s'examina une dernière fois dans son miroir. Pleinement satisfaite, elle lâcha un rire cristallin.
:Mendoza: : Ce rire! (Pensée).
Catalyseur de tous ses malheurs, il transporta le mercenaire dix ans en arrière. Au temps de l'insouciance, des amis et de l'Amour.
Les braises de cet amour, un amour qu'il croyait ruiné, dépassé, se ravivèrent. Il ôta sa cape et fit un pas en avant, sans pouvoir se contrôler.
La jeune femme se retourna et le reconnut. Ses yeux s'écarquillèrent d'une surprise qu'elle parvint toutefois à maîtriser. Sa voix soyeuse électrisa Juan.
C.C: Tu viens enfin me tuer? Comme tu dois me détester...
Au contraire de Galceran Cadell, elle s'exprimait d'un ton calme, ne trahissant aucune peur, aucune nervosité. Mendoza souffla:
:Mendoza: : Telle était mon attention, mais...
Il ne put terminer sa phrase.
Catalina se jeta à ses pieds. L'échancrure de sa robe dévoila la naissance de sa poitrine ferme et rebondie. Elle s'écria:
C.C: Oh, Juan-Carlos! J'ai peine à croire que tu me sois revenu. Je suis si heureuse de te revoir. Si tu savais comme je m'en suis voulu... Je t'aime! Depuis toujours! Pedro m'avait forcée à te trahir. Il... Il... m'a fait des choses... c'était horrible. Mais peu importe puisque tu es vivant. Que Dieu en soit remercié!
Elle releva la tête, le suppliant de la voix et du regard.
C.C: Pourras-tu me pardonner, mon aimé? Le pourras-tu? Nous étions si jeunes... Je ne savais pas ce que je faisais. Je n'ai compris qu'après, à quel point tu comptais pour moi. J'ai prié, tous les jours, j'ai chéri ton souvenir. Et à présent, tu es là... Oh, Dieu Tout-Puissant!
Ils se regardèrent.
"Prends-moi, Juan", le suppliaient les yeux humides.
La belle jeune femme se rejeta en arrière, se détournant pour cacher ses pleurs.
Le Mendoza d'autrefois aurait pu tout oublier. Pardonner. Quand il était encore un homme bon, compréhensif, idéaliste, ne vivant que pour l'honneur. Si naïf, en définitive...
Avant.
Jusqu'alors aussi acéré qu'une hache de bourreau, l'austère visage de l'homme à la cape bleue s'adoucit.
Constatant sa réaction, Catalina enchaîna avec un rire cristallin:
C.C: Oh, mon Juan, évidemment que tu vas me pardonner! Car c'est le destin qui nous a finalement réunis. Ne le comprends-tu pas? Il nous offre une seconde chance. Tu vas voir, je vais t'aimer comme jamais on ne l'a fait! Tu vas venir t'installer ici avec moi. Non, mieux encore, nous allons partir dans mon domaine à La Roda. J'ai tant à te dire... À expliquer... Nous allons pouvoir rattraper le temps perdu.
Catalina redoubla de son rire charmant. Ce rire particulier qui avait ponctué chaque cauchemar de l'Espagnol. Ce rire autrefois adoré qu'il avait appris à haïr. Synonyme de la trahison qui avait bien failli entraîner sa mort, cette fameuse nuit d'autrefois...
Ce rire qui l'électrisait encore, malgré lui.
Le capitaine se baissa pour empoigner la jeune femme et la redressa. Celle-ci en profita pour user de ses charmes. Sa bouche entrouverte se rapprocha de celle du bretteur, s'y posa.
Et tandis que leurs lèvres se joignaient, que leurs langues se mêlaient, un frisson très agréable traversa Catalina. La boule qui lui glaçait le ventre depuis l'arrivée de Juan avait totalement fondu.

71.PNG

La jeune femme se lova dans ses bras, calant son bas-ventre contre la jambe du Yeoman. Il reconnut l'odeur de lavande que laissait son baume pour les cheveux. Son désir pour elle s'attisa soudainement. Plaquée contre lui, elle sentit sa rigidité et ondula des hanches pour l'entretenir, un sourire éblouissant ourlant ses lèvres parfaites.
C.C: Dis donc, "Moustique", vu ce que je sens là, je constate que je ne te laisse pas indifférent... (Pensée).
Déjà éveillée par le baiser, son envie à elle monta d'un cran, avivée par ce relent d'interdit et de danger. Sans prévenir, elle fit glisser sa main sur le ventre du Catalan, tâtonnant jusqu'à caresser sa virilité qu'elle se mit à flatter.
Mendoza ne put s'empêcher de lâcher un gémissement. Les sens en feu, les paupières closes, il la laissa faire tandis qu'elle entreprit de dégrafer son pantalon. Finalement, il s'écarta d'elle et se rhabilla en souriant.
:Mendoza: : Plus tard. Je t'ai apporté un présent, Catalina. À la mesure de mes sentiments pour toi!
Alors qu'elle fit un pas en avant, intriguée, Juan fouilla dans son aumônière, dévoilant une petite fiole de verre opalescent, hermétiquement fermée.
Il fit lentement danser le flacon dans la lumière, expliquant à la jeune femme manifestement intéressée:
:Mendoza: : C'est un cadeau très rare: une fleur appelée "couscouille". Il n'en existe pas de pareille par ici. Je l'ai trouvée il y a longtemps en montagne. Je l'ai cueillie pour toi, cette fleur, et je l'ai soigneusement conservée, espérant qu'un jour j'aurais la chance de te l'offrir. Tu vois, moi non plus je ne t'ai pas oubliée.
De sa main libre, il caressa la joue soyeuse de la jeune femme. Telle une chatte, elle se prêta à son toucher mais son intérêt était capté par la fleur.
:Mendoza: : Tu devrais la sortir de son flacon. Elle est encore vivante, tu sais? Elle met plusieurs années pour fleurir. Vas-y prends-la en main...
Happée par le magnétisme du délicat végétal, Catalina ne vit pas que son interlocuteur avait enfilé une paire de gants. Elle ne voyait plus que la couscouille. Habituée depuis sa plus tendre enfance aux égards et aux cadeaux, elle ne s'en lassait pas. Et cette fleur recelait un pouvoir si puissant!
Totalement captivée, Catalina ne prêtait plus aucune attention à Juan. Ce dernier détourna la tête un instant, passant la main sur son visage, puis se redressa.
La jeune femme ne put se contenir plus longtemps. Elle ouvrit la fiole et fit glisser la fleur dans sa paume. Une petite fleur chétive, aux pétales flétris d'un bleu profond, mais rappelant par sa forme, le capuchon d'un moine. Elle était dotée d'une tige largement feuillée d'un vert très vif.
Un mélange de fragrances subtiles envahit la pièce. La traîtresse s'extasia:
C.C: Elle est si belle! Et ce parfum. Tu sens?
:Mendoza: : Je vois, ma chérie, qu'elle te plaît! Je m'en félicite... tu n'imagines pas à quel point! Maintenant, assieds-toi. Là, devant moi. Écoute...
Ils s'installèrent sagement sur le lit, face à face.
D'une main, Catalina gardait la fleur sur son cœur. Elle regarda Juan, manifestement étonnée par un tel traitement. L'espace d'un instant, sa mine altière se fit perplexe, puis calculatrice, avant de retrouver tout son charme. Le Yeoman poursuivit:
:Mendoza: : Voilà, Catalina. Tu vas tout savoir sur cette fleur. Elle est vraiment particulière, vois-tu. En vérité, je t'ai menti. Ce n'est pas une couscouille mais une aconit. On les confond souvent à cause de leurs feuilles. Si la première se relève inoffensive, ce n'est pas le cas de la seconde. C'est une plante redoutable, l'une des plus dangereuse de la flore.
Mendoza sourit cruellement en voyant le si beau visage de son amante se décomposer. Elle avait compris et savait que toute la fleur était vénéneuse. Elle en avait déjà entendu parler. C'était le plus actif des poisons. La confection de bouquets avec cette espèce s'avérait dangereuse si on ne portait pas de gants.
Catalina leva sa main libre qui fusa vers le visage du capitaine. Ce dernier était toujours aussi vif. Par pur réflexe, il intercepta aisément son geste et l'empoigna pour l'immobiliser. Il la tira vers lui sans ménagement et continua impitoyablement ses explications:
:Mendoza: : Tu vas ressentir les premiers symptômes très vite, Catalina: la plante engendre sueur, salivation et troubles de l'équilibre jusqu'à la mort. Une mort par paralysie des différents systèmes vitaux, respiratoire et circulatoire. Il n'existe aucun antidote à cette toxine.
Tétanisée par ce qu'elle venait d'entendre, la jeune femme s'était figée.
:Mendoza: : C'est ça, ma vengeance! Ma chère Catalina, elle est à la mesure de ta trahison. De ce que j'ai souffert. Au revoir, mon trésor, ou plutôt adieu.
Et sur cette tirade, Mendoza la rejeta sur le lit. Il récupéra sa cape et quitta la pièce sans un remords, sans même un regard en arrière.
En descendant le lierre de la façade, il put entendre un hurlement féminin résonner par le balcon. Un trémolo d'horreur, de rage et de désespoir.
C.C: Je te hais! Tu entends? Je te hais, Juan-Carlos Mendoza... Sache que je ne t'ai jamais aimé! Je me suis bien amusée à tes dépens, avec mon frère. Puisses-tu être englouti par les ténèbres! Noon! Reviens...! Dis-moi que ce n'est pas vrai!
Dans la rue Montcada, le mercenaire fut rejoint par Patakon, non loin de la chapelle romane Saint Marc. Le vieux bandit annonça d'emblée:
Patakon: Personne ne te suit, j'ai vérifié. Au fait, ça s'est passé comme tu voulais, ta visite?
L'Espagnol se contenta de répondre:
:Mendoza: : Ça s'est passé exactement comme je voulais.
Madariaga n'était pas du genre à s'effrayer. Il avait affronté bien des périls dans son aventureuse carrière. Pourtant, la tonalité sauvage de sa voix, la fixité polaire du regard de son jeune compagnon lui donnèrent la chair de poule.
Constatant le recul de son interlocuteur, Mendoza ajouta d'un ton adouci:
:Mendoza: : Trouve-nous un endroit tranquille... sous peu, le coin risque de grouiller de gardes.

À suivre...

*
Monteros de Espinosa: Gardes spéciaux de la cour de Barcelone.
Modifié en dernier par TEEGER59 le 18 août 2020, 09:38, modifié 1 fois.
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
Répondre