Bah, apprends-leur à chanter.
Nos Chemins sous la Lune - 28-31
« Dis...qu'est-ce que tu ferais, si tu ne priais pas au Dieu Soleil? »
Killa haussa les épaules, et soupesa une autre pierre.
« Je tisserai des vêtements, je suppose. »
Elle la lança dans l'eau, et elle rebondit sur la surface scintillante avant de retomber et de couler.
« Et toi? Tu as trouvé ta voie? »
Athanaos prit le temps de choisir une pierre assez plate, la retournant dans sa main.
« Je suis un alchimiste. C'est ce que je fais. »
Il observa la surface de l'océan, et la lança d'un mouvement expert du poignet, pour la faire ricocher joliment.
« Je fais des remèdes. J'aide les gens. J'aide la science. »
« – Un peu comme un herboriste, tu veux dire. »
« – Mais avec plus d'amusement. »
L'océan lapait le sable rocheux de la plage, touchant leurs pieds de ses lentes vaguelettes qui s'écrasaient en gouttelettes entre les milliers de petites pierres venues de la montagne comme de la vapeur condensée. Suivant son exemple, elle ramassa une pierre plate, polie par l'incessant mouvement des marées au fil des années.
« Où est l'amusement, dans tous ces appareils et machines bizarres? », demanda-t-elle, la passant d'une main à l'autre.
« – Des machines bizarres? C'est une insulte envers des siècles de pratiques et de connaissances. Vous m'offensez, ma bonne dame. »
« – Il n'y a nulle offense dans mes mots, uniquement la vérité. »
« – Tu dis ça car tu ne sais toujours pas te servir d'un filtre mécanique, pas vrai? »
Elle afficha un sourire narquois, et jeta la pierre plus loin encore. Elle ricocha deux fois, avant de se heurter à un mur d'écume.
« Peut-être. », admit-elle.
« – Tu sais quoi? Ça me va. Comme ça, j'aurai l'occasion de te montrer à nouveau. »
« – T'es vraiment un frimeur. »
Il sourit, et lançant aussi loin que possible, fit rebondir son caillou plusieurs fois.
« Peut-être bien. »
Elle pouffa, enroulant ses cheveux autour de ses doigts de manière joueuse.
« Le plus grand frimeur du monde. »
« – Ainsi on me nomme, en effet. Comment puis-je vous aider? »
« – Tu pourrais utiliser tes dons de frimeur pour me montrer comment marche ce truc. »
Elle lança une autre pierre, qui coula à pic, le faisant renifler.
« Tu n'y arriveras pas avec un boulet comme celui-là. Prends-en une plate, pour qu'elle glisse sur l'eau. »
Il en fit ainsi, ramassant une pierre plate qui ressemblait à une petite assiette. D'un autre tour du poignet, il la fit rebondir au moins cinq fois avant qu'elle ne retombe dans le bleu de l'eau. Elle siffla d'admiration.
« C'est un talent très utile. »
« – Je saurai te défendre de tout poisson qui voudrait s'en prendre à toi, ma bien-aimée. »
« – Tout? »
Elle sourit malicieusement.
« Tu pourrais donc me défendre contre... »
Elle se baissa, et ramassa avec soin un crabe qui venait de sortir de sous le sable.
« Le grand et puissant
centolla? »
Athanaos fit mine d'être effrayé.
« Pas le centolla! J'admets ma faiblesse, je l'avoue! »
« – Tu es donc si faible? »
Elle essaya de poser le crabe grouillant et épineux sur lui, et il fit semblant d'avoir horriblement peur de la bestiole innocente, lui donnant de petites tapes faibles. Elle rigola devant sa défense pitoyable et essaya de lui faire embrasser le crabe, mais le jeu s'arrêta quand l'animal effrayé lui pinça la main. Paniquée, elle le frappa jusqu'à ce qu'il abandonne et retourne dans l'eau, et prit la main d'Athanaos dans la sienne.
« Eh bien...tu m'as défendue. », admit-elle. « Merci d'avoir donné ta vie pour moi, grand guerrier. »
Ce n'était qu'une petite morsure de crabe, mais ça avait tout de même l'air de faire mal. Athanaos fit mine d'agoniser, et tomba dans ses bras de manière dramatique.
« Ainsi, d'un pincer je meurs. », fit-il avec bien trop de clarté pour un « mourant ».
« – Alors meurs avec honneur, guerrier vaincu. Je te donnerai la plus belle des tombes, et supplierai le Dieu Soleil d'avoir pitié de toi. »
« – ...ne puis-je avoir un baiser pour me ramener à la vie? »
Killa sourit de ses yeux dorés de petit chiot, caressant ses cheveux, sa tête posée contre sa poitrine. Pouvait-il être plus mignon encore?
« Avec plaisir, mon guerrier. »
Il ferma les yeux, et elle fut tentée de coller une palourde ou une caillasse mouillée contre ses lèvres pour le dégoûter, mais ignora cette idée, et lui donna le baiser qu'il désirait. Ses lèvres avaient un goût délicieux, et elle commençait à l'adorer. Comme elle avait rêvé de sa présence avec elle, là où rien ne pourrait les empêcher de s'aimer! Et comme elle s'en sentait heureuse!
Quand leurs lèvres se séparèrent, elle ne put s’empêcher de le regarder doucement, toute attendrie. Il était si précieux, si heureux dans ses bras, et elle l'adorait. Il la faisait se sentir heureuse, confortable, comme personne d'autre ne pourrait. Et elle n'en serait jamais assez redevable. Prise d'une autre envie de chérir cet être de rires et de joie, elle l'embrassa partout sur son visage, le faisant rigoler et se tortiller sous ses lèvres. Ses joues mal rasées lui étaient familières, ses pommettes dures reconnues par ses doigts. Tout chez lui respirait le confort domestique, et elle l'aimait tant.
« Killa? », demanda-t-il dans un souffle.
« – Qu'y a-t-il? »
Peu à peu, elle sentit sa main prendre la sienne. Elle le regarda, et son doux regard doré chassa ses peurs.
« On y arrivera ensemble. On trouvera le moyen. »
Elle ne put s'empêcher de sourire, fascinée par son optimisme. Un optimisme que malgré tout, elle voulait partager.
« On y arrivera. », assura-t-elle.
Et, guidés par l'harmonie de leurs cœurs battants comme les vagues sur la plage, ils s'embrassèrent à nouveau.
~~~~~
« Qu'est-ce que tu fais? »
En guise de réponse, il se contenta de sourire, et de poser une autre planche sur la table de sciage.
« Si nous voulons voyager, il va nous falloir un bateau. », expliqua Athanaos, se mettant à la couper en deux. « Et vu qu'on ne peut pas en trouver ici, on va devoir construire le nôtre. »
Elle siffla, contemplant la pile de bois qu'il avait déjà façonné en planches recourbées.
« Tu pourrais vraiment construire tout un bateau par toi-même? »
« – Bien sûr! »
Il regarda le large couteau cranté qu'il utilisait en guise de scie.
« Enfin. Ça prendra un peu de temps, mais ce ne sera pas un problème. Plus vite on s'y met, plus vite on pourra partir. »
« – C'est une tâche conséquente… Je crois qu'on serait plus à l'aise sur terre. »
« – Pendant un temps, c'est vrai. Mais on ne pourra pas aller bien loin. Alors que j'ai de l'expérience en navigation, je sais manœuvrer et me repérer en mer. »
Killa montra les dents, douteuse.
« Bon, eh bien...si tu crois en être capable, je te fais confiance. »
« – Vraiment? »
Elle prit son temps avant de répondre.
« Je suppose que je ne suis pas vraiment à l'aise à l'idée de partir. Ce serait décevoir tout le monde... »
« – Tout va bien. Tu n'as pas à choisir, pour l'instant. Mais juste au cas où, il vaut mieux avoir un bateau de prêt quand on aura envie de partir, pas vrai? »
Il se remit à scier.
« De plus, ça me donne quelque chose à faire. Quelque chose de productif. »
Elle dut admettre qu'il n'avait pas tort. Voyant qu'il avait un peu de mal, elle vint prendre la planche pour la maintenir sur la table alors qu'il sciait.
« Tu ne t'amuses plus à faire tes études d'alchimie? »
« – Si, mais j'ai fait le tour avec ce que j'ai. Je préfère passer le temps à faire quelque chose d'utile. »
Il lui sourit entre deux sciées.
« Par exemple, construire notre vie ensemble. »
Ça la fit pouffer.
« Je croyais que tu construisais un bateau? »
« – Plus ou moins. Pour nous autres marins, nos vies et nos navires sont la même chose. »
Elle sourit, mais il voyait bien que quelque chose l'inquiétait. Une fois la planche coupée, il la mit avec les autres, et relut ses plans.
« Est-ce qu'on va y vivre? », demanda-t-elle, curieuse.
« – Peut-être, si on voyage beaucoup. Mais ne t'en fais pas, c'est très agréable quand on s'y habitue. »
« – Je n'ai jamais mis le pied sur un bateau de pêche...donc un navire? Tu plaisantes. »
« – Je t'apprendrai. »
Il lui toucha le menton, ses doigts couverts d'une fine couche de sciure.
« Je t'appendrai à naviguer, à manœuvrer. Et je ne doute pas que tu deviendras une excellente navigatrice. »
« – Oh, voyons. C'est ton rôle, ça. »
« – Plus vraiment. On choisit nos propres rôles, maintenant, tu te souviens? »
Elle sourit.
« Nos propres rôles. »
Elle regarda les plans à son tour, puis l'océan au loin.
« Personne ne pourra nous arrêter. Nous tracerons nos propres chemins. »
« – On ira où l'on voudra. »
« – On verra tout ce que le monde a à offrir. »
« – Et plus encore! »
Il se tint près d'elle, pour voir ce qu'elle voyait, pour contempler l'horizon avec la même sensation de rêve qu'elle. Pour partager son monde une fois encore, un autre moment.
« Tu sais... », dit-elle. « Tu construis notre vie future, en fait. »
« – Ah bon? »
Sans que leurs yeux ne quittent l'océan, leurs mains s'unirent lentement, leurs doigts s'enlaçant.
« On dirait bien. »
« – Alors...alors oui, c'est ce que je fais. »
Sa main était si douce contre sa paume, si douce contre la sienne. Il s'en sentait tout papillonnant à nouveau.
« Est-ce que...tu veux y pense un peu plus, avant qu'on ne continue? », demanda-t-il.
« – Ce n'est pas important. »
« – Ça l'est. Tu as dit que tu ne voulais plus être victime de ton destin. Que tu voulais choisir ce qui t'arrive. Alors... »
Sa prise se resserra légèrement.
« Si tu veux qu'on emprunte ce chemin, je veux que tu me le dises. Comme ça, je saurai que c'est ce que tu veux. »
Elle ne répondit pas. À la place, son autre main se glissa sous son col, pour en tirer le petit disque solaire qu'elle gardait à son cou. Elle le lui tendit, et il vint le prendre; mais sa main se referma dessus, et elle le rangea dans sa bourse avec un sourire.
Il sourit à son tour. Ils n'avaient pas besoin de mots, après tout.
« Très bien. Mais tu m'aides à construire le bateau. »
« – Je ne te fais pas confiance une seule seconde pour faire du bon travail sur les voiles. »
« – Et j'en suis ravi. »
Il renifla à cette phrase sans sens. Mais malgré son amusement, l'idée semblait adorable. Non seulement il aurait son propre navire; mais il le construirait avec la femme qu'il aimait, comme une preuve de leur relation contre-nature. Et sa détermination s'en attisa encore.
Bientôt, ils partiraient sur les mers. Bientôt, il lui montrerait toute l'étendue de son monde. Bientôt, très bientôt, il devrait juste être patient.
Bientôt, il trouverait son foyer.
~~~~~
« Tu ne m'attraperas pas! »
Elle courut entre les arbres, aussi vite qu'un souffle de vent. Elle ne connaissait que trop le terrain, et n'avait aucun problème à se glisser entre les buissons et les branches pour lui échapper encore plus.
« C'est ce que tu crois! »
Il sauta par dessus un rocher, essayant de lui barrer la route, mais elle s'écarta au dernier moment pour changer de direction. Peu importe ce qu'il faisait, Killa restait aussi élusive qu'un esprit du vent, une nymphe qu'il ne pourrait jamais attraper. Un être hors de ce monde.
Il trébucha sur une racine, et tomba dans l'herbe, ce qui la fit rire. Comme il était drôle quand il essayait d’être sérieux!
« Mon bon chasseur a-t-il besoin d'aide? »
« – Je n'ai nul besoin de la pitié d'une gracieuse vigogne! »
Elle rit de plus belle, flattée d'être ainsi comparée à un animal royal, et s'inclina alors qu'il se relevait. Mais avant qu'il ne puisse se remettre debout, elle s'enfuit à nouveau, vers les plaines herbeuses. Le souffle haletant, il la suivit, essayant toujours de la toucher.
Quand avaient-ils commence à jouer comme des enfants? Ils ne le savaient pas. Et ils s'en fichaient bien, car ils faisaient ce qu'ils voulaient, sans personne pour les juger. Ils s'amusaient, seuls dans les plaines herbeuses, alors que la nuit tombait et que la ville en dessous s'endormait. Ivres de liberté et de jeunesse revigorante, ils avaient cédé à leurs pulsions enfantines sous les étoiles de l'automne naissante. Et personne ne pourrait les blâmer ou les gronder, ou leur ordonner de cesser. C'était leur choix, et ils l'adoraient.
Athanaos se précipita pour l'attraper; ou plutôt, il sauta. S'accrochant à sa manche flottante, il réussit à l'attraper, l'arrêtant dans son élan, et elle eut un cri de surprise en tombant presque. Il la regarda d'un œil triomphant, riant malgré ses halètements.
« Je t'ai eue. »
« – J'avoue, tu m'as eue. »
Elle sourit, reprenant son souffle alors qu'il la laissait aller. Toute cette chasse l'avait épuisée, pour ne pas dire plus.
« C'est donc tout ce que tu as? », charria-t-elle tout de même. « Je croyais que tu étais plus rapide que ça. »
« – Je le peux quand la situation le demande. Pourquoi, doutes-tu de mes capacités, noble gazelle? »
Elle n'avait aucune idée de ce qu'était une gazelle, mais l'ignora.
« J'en doute. »
Il se recula, d'un ton hautain.
« Alors montre-moi les tiennes! Attrape-moi, si tu le peux! »
Et il courut vers les plaines. Elle bouda d'offense, et courut après lui pour saisir son petit visage idiot.
« Tu ne m'échapperas pas pour toujours! »
« – Est-ce que tu doutes de moi? »
« – Oui! »
Elle tenta de foncer, ses poumons brûlant sous le coup de toute cette course. Que c'était épuisant! Ne pourrait-elle jamais l'attraper? Non, elle ne devait pas baisser les bras si vite. Elle lui montrerait de quoi elle était capable!
Comme s'il sentait sa fatigue, il se mit à ralentir, pour lui donner une chance. Mais ce fut une terrible erreur: s'en servant à son avantage, elle sprinta, et sauta sur lui si fort qu'ils en tombèrent tous deux dans l'herbe. Ça lui fit mal sur le coup, mais lorsqu'ils se regardèrent, le ridicule de leur situation fit effet et ils se mirent tous deux à rire.
Elle était allongée sur lui, pressant sur son dos; mais d'un coup, il roula sur le côté, et parvint à la faire tomber et à la piéger entre ses membres comme un oiseau en cage. Toute route lui était barrée, maintenant; mais bizarrement, elle n'avait pas envie de bouger. Pas quand elle avait une telle vue juste au-dessus d'elle.
« ...bien le bonjour, ma gazelle. », sourit-elle. « Tu vois, je t'ai attrapé. »
« – Peut-être. »
Ses genoux se resserrèrent et piégèrent ses jambes.
« Mais maintenant, c'est moi qui te tiens. »
Sa voix était si séduisante qu'elle ne put s'empêcher de rougir. Elle était si faible quand Athanaos faisait son effet sur elle.
« Et donc...qu'est-ce que tu en penses? Tu...aimes la vue? »
Elle dévoila son cou, comme elle avait vu faire Athanaos. Ça le fit sourire encore plus.
« Oh, je l'adore. C'est une vue magnifique. »
Et il embrassa son cou, la faisant rire. Ce fourbe, il savait qu'elle était chatouilleuse! Elle se tortilla dans sa prise, souriant d'à quelle point elle se sentait toute légère.
« Arrête~ », couina-t-elle. « C'est illégal! »
« Ta beauté est la seule chose illégale que je vois. »
Ses lèvres remontèrent vers son oreille, la faisant rire encore plus. Elle ne durerait pas longtemps! Pas face à ses lèvres si douces, son souffle si chaud...son corps si lourd, si réel sur le sien. Ils haletaient et transpiraient toujours de par leur course, et bien que ce fut un rien déplaisant, elle s'en sentait...très étrange. Un genre d'étrange qu'elle n'avait jamais connu auparavant, et qui l'intriguait plus que tout. Une sensation agréable lui parcourut le corps, la faisant frissonner légèrement alors qu'il continuait d'embrasser son cou, lui offrant un monde de délices qu'elle n'avait jamais connus auparavant. Elle voulait qu'il se rapproche, qu'il guide ses lèvres plus bas encore, qu'il embrasse le moindre de ses petits frissons.
Elle n'était pas naïve. Elle avait entendu parler des choses dont de respectables vestales ne devaient pas parler. Elle savait ce qu'on faisait aux épouses et parfois aux servantes, et bien qu'elle n'en connaisse pas les détails, elle savait que ça pouvait lui arriver. Et dans des moments comme celui-ci, elle se disait que peut-être, elle
voulait que ça lui arrive. Quand Athanaos se tenait si près d'elle, il la faisait penser à des choses très obscènes, à toutes sortes de fantasmes qui la faisaient rougir, et se demander ce qui n'allait pas chez elle. Est-ce qu'elle pensait vraiment ainsi de lui? Et qu'en pensait-il? Est-ce qu'il accepterait jamais de la joindre dans de telles...de telles...
manières?
Elle ne savait pas comment faire ces choses-là. Elle ne savait rien. Et de plus, elle n'était pas sûre d'être prête. Peut-être que c'est pour ça qu'Athanaos s'arrêta au bout d'un moment, sentant son malaise.
« Tu veux que j'arrête? »
Elle détourna le regard, visiblement embarrassée. Et elle finit par acquiescer. C'était définitivement un peu trop pour elle, et ça pourrait escalader. Il acquiesça à son tour, et se releva, la libérant.
« Tu...tu crois qu'on jour, on pourrait…? »
Sa question rendit ses joues encore plus rouges, et ses yeux plus fuyants encore. Sans nul doute le malaise venait-il de grandir entre eux, et il n'en était pas indemne non plus. Heureusement, quelque chose vint apaiser cette tension.
« Ah, tu as perdu ta chaussure. »
Elle baissa la tête, et vit qu'en effet, son pied droit était nu. Sa chaussure avait sans doute glissé lorsqu'elle lui avait sauté dessus. Elle se releva, regardant autour, mais Athanaos fut plus rapide.
« Tiens, voilà. »
Il ramassa sa chaussure, et s'agenouilla devant elle pour la lui remettre. Mais avant qu'il ne puisse le faire, Killa retira son pied avec un bruit choqué. Surpris, Athanaos releva la tête.
« Qu'est-ce qu'il y a? »
« – Tu...tu n'allais quand même pas faire ça, dis? »
Il haussa un sourcil, regardant la chaussure. Comme si elle était le problème!
« Tu...tu n'as vraiment aucune idée? »
« – Je...non? Pourquoi, il y a quelque chose sur ton pied? Je ne... »
Elle le regarda, toujours choquée. Puis soupira.
« Tu ne sais vraiment pas... »
Elle se rassit dans l'herbe.
« Quand un homme remet une chaussure au pied droit d'une femme, ça veut dire... »
Elle détourna le regard, ne sachant comment le dire.
« C'est...c'est quelque chose de sacré, c'est tout. Une promesse qu'il lui fait. »
« – Quel genre de promesse? »
Elle le regarda avec insistance. Et lentement, il sembla comprendre.
« ...ah. »
Ses joues se teintèrent de rose, et il regarda sa chaussure comme si elle venait de se changer en or.
« ...ah! Je- je veux dire...ce n'était pas mon intention de...oh, grands Sages, ç’aurait été... »
Il eut un petit rire nerveux.
« On...on n'est pas encore prêts, pas vrai?
Elle lui sourit, mais sa question la fit s'en poser d'autres. Est-ce qu'ils étaient prêts? Prêts pour la prochaine étape? Prêts à entrer la véritable vie domestique?
Est-ce qu'ils étaient prêts à se marier?
Athanaos baissa les yeux, peu sûr de lui. Le malaise de Killa semblait être partagé. Alors, comme un enfant pris à chaparder, il la lui rendit lentement. Killa tendit la main; mais d'une pensée soudaine, elle la retint.
Ils avaient déjà pensé à se marier, mais ç'avait toujours été une possibilité, une fantaisie plutôt que quelque chose de réel. Et maintenant qu'ils en avaient vraiment la chance, elle ne savait plus quoi penser. Pendant un moment, toutes ses peurs de la vie conjugale lui revinrent en mémoire dans un souffle d'anxiété, la faisant douter d'elle-même. Mais ses yeux passèrent de la chaussure au visage de l'homme qui la tenait, et ses inquiétudes se calmèrent quelque peu, remplacées par de la tendresse. Ce ne serait pas si mal, se dit-elle. Elle préférait l'épouser lui plutôt que quiconque à qui elle aurait pu penser un jour.
Dans sa culture, on ne se faisait pas la cour. Tout était arrangé, les unions décidées par les parents et les aînés. Si les époux n'étaient pas satisfaits, ils pouvaient attendre quelques années et se séparer. Mais pour ce qu'elle en savait, personne ne se mariait de sa propre initiative. Personne ne se mariait par volonté, mais par obligation morale.
Killa était une vestale du Soleil, destinée à rester vierge jusqu'à sa mort. Athanaos était un étranger, qui n'avait pas été invité à rejoindre les coutumes de cette terre. Ni l'un ni l'autre n'étaient poussés de se marier...mais s'ils le faisaient, alors ce serait leur décision. Leur choix.
Leur chemin.
« ...Athanaos? »
« – Qu'y a-t-il? »
Il avait l'air aussi pensif qu'elle. Peut-être que les mêmes questions se posaient dans son esprit en ce moment même. Elle n'était pas sûre de savoir quoi dire, quoi demander, ou même quoi penser, car tout semblait aller si vite et si soudainement. Une telle demande impromptue en aurait effrayé plus d'un...mais ce n'était pas comme s'ils n'y avaient jamais pensé auparavant, pas vrai? Elle vit la manière dont ses mains portaient délicatement sa chaussure, l'anxiété qui lui crispait les doigts. Leurs regards se rencontrèrent à nouveau, et le sien était rempli de douceur et d'amour.
Elle sourit. Puis, lentement, elle repoussa sa main.
« Ma chaussure a glissé...et je pense qu'il est temps que tu me la rendes. Tu...tu veux bien? »
Il cligna des yeux, la regardant avec surprise. Et puis, son visage s'illumina, ses inquiétudes chassées.
« Avec grand plaisir. »
Il lui prit le pied avec une grande révérence, et y passa délicatement sa chaussure.
Puis, elle l'invita à se relever, et le serra fort dans ses bras.
« Maintenant, nous traçons vraiment notre chemin, pas vrai? »
« – Je suis heureux de te dire que oui. »
Elle sourit, l'embrassant dans le cou. Il sourit en retour, et la souleva d'un coup, pour la porter comme une jeune mariée.
« Je suis désolé de ne pas pouvoir t'offrir une grande maison pour t'y porter. Mais dès que notre bateau sera construit, tu n'auras plus à t'en faire. »
« – Nous laisserons le vent guider nos voiles, vers un nouveau futur. »
« – Exactement! »
Et avec un rire joyeux, il la fit tourbillonner avec lui. Elle rit à son tour, s'accrochant fort à lui.
« J'ai tellement hâte! »
« – Pour l'aventure de nos vies! »
Leurs lèvres se rencontrèrent au milieu d'un tour, et elle savait qu'elle en aurait le vertige. Mais elle s'en fichait. Pourquoi se soucier de telles broutilles, quand elle avait tout le futur à quoi penser?
Cette nuit-là, alors qu'il la portait vers sa maison, vers
leur maison, elle se sentit plus heureuse qu'elle ne le fut jamais dans sa vie.
~~~~~
« Tu peux me passer de la corde? »
« – Ça vient. »
La femme d'Athanaos lui envoya un rouleau de corde fraîchement tressée, qu'il attrapa au vol sans tomber de l'échelle.
« Merci, chérie. »
Il saisit les extrémités de deux pôles de bois, et les attacha fermement ensemble pour former un cadre solide.
« Il te faut encore du roseau? »
« – Ça va pour l'instant. Mais on ferait mieux d'en stocker, il nous faut toujours couvrir le pont. »
« – J'irai en chercher tout à l'heure. »
Le mari de Killa descendit lentement à terre, pour relire les plans. Grâce aux corrections qu'elle a apportées, le bateau se construirait plus vite, et nécessiterait moins de matériel. C'était là une bonne chose, car il n'était pas vraiment sûr de pouvoir construire toute une caravelle tout seul. Et pourtant, ils faisaient des progrès! Il n'avait qu'à voir le squelette de bateau qu'ils avaient assemblé en deux semaines pour le prouver.
Ce ne serait pas un si grand bateau, car ils n'auraient pas besoin d'équipage. Mais il serait solide, assez pour les emmener en haute mer. Un vaisseau d'aventure, un petit nid flottant sur lequel ils pourraient vivre confortablement jusqu'à devenir nostalgiques de la terre ferme.
Il avait prévu tant de choses! Par exemple, il avait pense à utiliser le pouvoir de la vapeur pour le faire avancer de lui-même, sans voiles ou rames; ce serait difficile à mettre en place, mais possible! Il en trouverait le moyen! Mais Killa préférait mettre des voiles tout de même; non pas qu'elle ne lui faisait pas confiance, mais elle était du genre à se baser sur des valeurs sûres. Et ça ne le gênait en rien, car ça les sauverait sûrement sur le long terme.
Ils allaient vivre tant d'aventures, sur leur navire de rêve. Et il avait hâte.
« Il a l'air joli, non? », demanda-t-il, s'asseyant une fois son assemblage terminé.
« – C'est vrai. Mais ce n'est que le début. »
Pour ne pas attirer l'attention, ils avaient choisi de le construire dans un champ délaissé hors du village, où plus personne ne venait suite à la mauvaise récolte de l'année dernière. Il ne leur faudrait que peu d'efforts pour le faire descendre la faible pente jusqu'à l'océan une fois terminé; d'ici, ils avaient une jolie vue de la plage rocheuse où ils aimaient faire des ricochets. Au loin, ils pouvaient voir les maisons de pierre du village, et les collines herbeuses plus loin encore. La terre qu'ils appelaient la leur, et qui les rejetait tous deux.
« J'ai vu Chami en ville, aujourd'hui. », dit-elle alors qu'ils mangeaient le repas qu'elle avait amené. « Et elle n'avait pas l'air très heureuse de me voir. Depuis mon départ, elles doivent s'imaginer toutes sortes de méchancetés sur moi. »
« – Laisse-les faire. Ce qu'elles pensent ne peut pas te blesser. »
« – Peut-être...mais c'est difficile d'accepter le fait que je ne sers plus Inti. C'est un concept si étrange! »
Elle soupira.
« Je ne peux m'empêcher de penser que ça nous apportera de mauvaises choses. J'en ai...le pressentiment. »
« – Le pressentiment? »
Athanaos n'était guère superstitieux. Mais tout de même, toutes ces histoires de bonne ou de mauvaise chance lui donnaient des frissons s'il y pensait trop.
« Tu...tu voudrais retourner comme avant? », offrit-il. « Je suis sûr que les vestales accepteraient ton retour. »
Elle secoua la tête.
« J'ai pris ma décision. Je veux rester avec toi, et te suivre où tu iras. Je ne veux plus subir ma propre destinée. »
Il savait à quel point cette décision était difficile pour elle. Il enlaça sa taille de son bras, et elle se reposa sur lui.
« Alors je te soutiendrai. Je m'assurerai que tu ne le regrettes jamais. »
« – Merci beaucoup. »
Ses lèvres lui effleurèrent le cou, comme une chatouille qui le fit sourire.
« Sache que je ne le regrette pas du tout. Tu es un homme si attentif, si attentionné. Jamais je ne me serais attendue à tant de bonté de la part de quiconque. »
« – C'est un peu beaucoup, tu ne crois pas? »
« – J'ai peur d'être sérieuse. »
Son visage se nicha dans son cou, alors que sa main venait caresser ses cheveux d'ébène. Comme il aimait les peigner au petit matin, quand elle était encore toute endormie et que ses yeux n'étaient que des croissants de lune!
« Eh bien, si c'est là ce que tu penses de moi, je dois m'en montrer digne. Je te donnerai le meilleur de moi-même. »
« – Tu le fais déjà si bien. »
« – Mais je peux te donner encore plus! »
Il lui embrassa le front, affectueusement.
« Je peux t'offrir de rares bijoux. Des châles de laine de vigogne. Les plumes d'oiseaux qui n'existent même pas sur ce continent! »
« – Athanaos. »
« – Des bracelets d'opale des îles aborigènes? »
« – Naoooooos. »
« – Quoi? N'est-ce pas assez pour toi? Sache que je pourrais sauter dans le cratère d'un volcan actif pour en pêcher les plus beaux morceaux de verre d'obsidienne pour t'en faire des souliers! »
« – Voyons, Naos! Tu sais bien que je n'ai pas besoin de tout ça! »
Elle rit à sa liste stupidement longue de richesses matérielles, et l'étreignit plus encore.
« Non? », demanda-t-il, étonné. « Mais alors, que voudrais-tu? »
Elle fit mine d'y réfléchir.
« Eh bien...j'aimerais bien avoir du coton, pour t'en faire des vêtements. »
« – C'est un peu bas, tu ne crois pas? Tu mérites mieux que ces tâches domestiques. »
« – Ça ne me gêne pas. J'aime bien cette idée. »
Elle sourit, contemplant l'océan.
« Je te tisserai de solides vêtements, alors que tu navigues sur un océan houleux. Je m'occuperai de l'entretien des cordes et des roseaux alors que tu traces notre route. Et quand tu m'auras appris l'art de naviguer, je prendrai la barre de nuit pour que tu te reposes. »
Sa main entoura la sienne.
« On sera un équipage formidable. », sourit-il. « Voyageant sur les mers, sans rien pour nous retenir. Ce sera juste toi et moi. »
« – Juste toi et moi. »
Elle acquiesça, heureuse à cette idée. Juste eux deux, leur navire, et la mer bleue tout autour.
Mais toutefois...une petite voix de doute lui chuchota à l'oreille une question sur laquelle il ne s'était pas encore penché. Et ça le fit réfléchir pendant un moment, son regard fixé sur l'eau qui léchait les roches de ses gouttelettes d'écume. Il regarda sa compagne, et remarqua qu'elle affichait une légère moue pensive.
« Killa? »
Elle se tourna vers lui.
« Je...je sais que ça va te sembler étrange comme question, mais... »
Oh, Coyolite. Il ne saurait pas trouver les bons mots, n'est-ce pas? Il ne ferait que rendre les choses plus difficiles encore…
« ...mais? »
« – Mais...est-ce que tu penses que...c'est juste hypothétique, bien sûr, et en rien une vraie demande, mais...est-ce que tu voudrais que...qu'un jour, toi et moi... »
Il respira profondément.
« Est-ce que tu voudrais que toi et moi, nous ayons...de la compagnie? »
Elle haussa un sourcil.
« ...de la compagnie? »
« – ...de la compagnie. »
Il avait définitivement choisi les mauvais mots, pas vrai? Elle n'eut pas l'air de comprendre.
« Tu...voudrais emmener Hermès avec nous? »
« – Quoi? Oh, non, c'est...je veux dire, il est très bien là où il est. C'est juste que... »
Le feu lui monta aux joues, et il se détourna.
« ...oublie. Je crois que c'est encore un peu tôt pour penser à ça...et de plus! Nous devrions profiter de notre vie actuelle. La vie en haute mer ne sera pas de tout repos, et il nous faudra nous y habituer. On ne va pas...on ne va pas y ajouter de nouveaux éléments tout de suite. C'est plus sage. »
Elle le regarda intensément, puis sourit.
« Je ne savais pas que tu avais un tel côté. »
Oh oh.
« Un tel côté? Quel côté? », nia-t-il.
« – Oh, tu sais bien de quoi je parle, Messire Est-Ce-Que-Tu-Veux-De-La-Compagnie. »
« – Non c'est pas vrai. »
« – Si c'est vrai. »
« – Nnnnnon c'est pas vrai. »
Elle lui tapota la joue, et il regarda ailleurs, embarrassé. C'était dur de se retenir de rire devant ses doigts et leurs chatouilles!
« Allez, avoue-le! Tu n'es qu'un gros chaton là-dedans. »
« – Je ne vois pas de quoi tu parles. »
« – Un gros chaton aux airs de marin gaillard! C'est ce que tu es. »
« – Je refuse d'admettre en aucune sorte de telles accusations! »
Elle sourit malicieusement, et avant qu'il ne s'en rende compte, elle l'avait cloué au sol, dans l'herbe.
« Oh, ce sont loin d'être des accusations, Naos. C'est la vérité. »
Elle lui embrassa le nez.
« Et la vérité, c'est que j'ai épousé un homme adorable, au cœur aussi doux que du miel. »
« – D'accord, là tu me flattes. »
« – Peut-être bien. »
Elle lui tapota le nez.
« Qu'est-ce que tu vas faire~? »
« – Eh bien...pour commencer, ça. »
Il prit son visage dans ses mains, et l'embrassa profondément. Le geste la surprit, la fit couiner, mais très vite elle s'y attela. Elle prit même les devants, lui arrachant plus de sons adorables, ses mains descendant le long de son corps pour le sentir remuer et rougir. Très vite, cette sensation agréable revint se loger en elle, au creux de ses reins, et elle bougea les hanches sans même y penser, ce à quoi il répondit de même. Il voulait sentir son corps se presser contre le sien, plus près encore qu'ils ne l'avaient jamais fait, et toutes sortes de pensées secrètes lui revinrent en tête. Très vite, la chaleur du moment, l'émergence de ses désirs refoulés, le besoin vital de se rapprocher d'elle se réveillèrent sous son toucher, et son corps réagit de plus belle, la sensation s'intensifiant au point de devenir intime. Confuse de cette réaction, elle le regarda alors, et rencontra son regard tout aussi hésitant que le sien. Le silence régna pendant quelques secondes, durant lesquelles elle pouvait sentir la chaleur de son corps sous ses mains.
Il n'y avait rien autour d'eux sinon le murmure de l'océan, le bruissement des hautes herbes et la caresse du vent chaud. Son cœur battait à s'en rompre, et il ne le ressentait pas que dans sa poitrine. Tout doucement, il se frotta contre sa cuisse, comme pour lui demander de continuer; et un instant plus tard, elle en fit de même. Il sourit, rassuré, et laissa ses yeux se fermer pour mieux apprécier l'instant. Guidée par ce sentiment qu'elle savait maintenant mutuel, elle l'enlaça de ses bras et l'embrassa à nouveau, laissant son corps se détendre alors qu'il lui rendait ses affections.
C'était un moment où plus rien ne semblait compter, où toute notion de bon sens avait quitté leurs esprits, pour ne laisser que leurs instincts humains basiques guider leurs gestes. L'hésitation laissa place à la certitude, la tentation à l'envie, et les quelques doutes qu'ils avaient encore se turent pour les laisser faire ce nouveau pas vers l'inconnu. Ils n'eurent qu'à s'échanger un regard attendri, une caresse délicate, un hochement de tête complice, avant de s'abandonner l'un à l'autre sans regrets. Et pendant un temps, plus rien au monde n'importerait alors que ces deux amoureux, ici et maintenant.