Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2
Posté : 28 janv. 2018, 20:12
Bon, je vous le dis tout de suite histoire de ne pas vous faire de fausse joie: je vais rajouter une septième partie. En attendant, bonne lecture!
Sixième partie.
Le temps maussade de la veille avait cédé la place à un soleil resplendissant, qui facilita les préparatifs de départ. Comme Isabella le pensait, Nacir n’aspirait qu’à une chose : continuer à découvrir le monde dès que sa convalescence aurait pris fin. Toutefois, il ne voulait pas être une charge pour ses amis, et aurait consenti à repartir avec Romegas, si Mendoza n’avait pas insisté pour qu’il reste avec eux quelque temps. Il ne comptait pas reprendre la mer dans l’immédiat, du moins pas tant qu’il ne se serait pas expliqué avec Ruiz à propos de la perte du trésor, et il avait une dette envers le jeune pêcheur. Quand il irait à Barcelone, il demanderait à Maria, qui était désormais au service de Pedro et Sancho, de veiller sur Nacir. Il serait comme un coq en pâte et récupèrerait sûrement rapidement. Mendoza hésitait toujours à laisser Isabella là-bas aussi. C’était son projet initial, avant qu’elle insiste pour le suivre en mer. Peut-être accepterait-elle à présent ? Il pourrait prétendre que ce serait pour tenir compagnie à Nacir. De son côté, il repartirait sans doute en mer. Il fallait continuer à payer les dettes. Avant cela, ils se marieraient, pour régulariser leur situation, une cérémonie toute simple. Cela la rassurerait, et ensuite, elle serait sûrement plus sensible aux arguments concernant sa grossesse, après être passée par toutes ces épreuves. Mendoza comptait sur Maria pour la persuader de rester à terre cette fois. Cela ne serait sans doute pas trop difficile, car il s’était aperçu qu’Isabella posait souvent sa main sur son ventre, comme si elle cherchait à communiquer avec son enfant. C’était pour lui la preuve qu’elle commençait vraiment à se centrer sur la future naissance, et qu’elle aurait moins de réticence à être séparée de lui, quand il lui en présenterait la nécessité. Elle se ferait une raison, cette fois, surtout s’il n’était pas question pour lui de partir à l’aventure, mais d’effectuer encore quelques mois des missions marchandes de proximité qui lui permettraient de venir la voir régulièrement. Loin d’elle, tout serait plus facile. Et avec le travail, peut-être l’oubli viendrait-il.
Esteban, Zia, Tao et Indali arrivèrent dans la matinée comme prévu, mais trouvèrent la maison vide. Mendoza et Isabella étaient déjà allés rendre visite à Nacir, et Gabriel les avait accompagnés pour préparer son départ. En voyant la Marie Madeleine ancrée en contrebas dans la baie, les jeunes gens comprirent vite la situation et se hâtèrent d’aller aux nouvelles. Quand Mendoza fit part à Esteban de son projet pour Nacir, celui-ci l’approuva. Le marin ne dit rien encore de ce qu’il avait en tête pour sa future femme. Mieux valait attendre le dernier moment pour en parler. Plus tard elle le saurait, mieux cela vaudrait. On assura à Romegas que Nacir serait bien soigné avec Gonzales et Zia à ses côtés. La jeune Inca raconta qu’ils logeaient dans une maison entre Porto Conte et L’Alguer, assez grande pour accueillir de nouveau pensionnaires, mais il fut convenu que Nacir soit transporté dans un premier temps dans la maison occupée par Mendoza et qu’il y resterait jusqu’à ce qu’on aménage une chambre pour lui. Tout fut fait pour faciliter le départ de la galère, et Romegas constata avec satisfaction qu’il pourrait partir en début d’après-midi sans plus se faire de soucis pour ceux qu’il se sentait le devoir de protéger.
Avant le départ, Gabriel d’Aubusson s’arrangea pour parler seul à seul avec Mendoza.
GA : Tout semble s’arranger pour le mieux. C’est noble à vous d’avoir insisté pour vous occuper de Nacir.
M : C’est la moindre des choses. Nous allons le loger dans le condor.
GA : Le bienheureux ! Sa guérison en sera accélérée ! Je n’ai jamais aussi bien dormi qu’à bord de cet oiseau d’orichalque ! Et votre ami Gonzales ? Profitera-t-il lui aussi de ce confort ?
M : J’ai bien peur qu’il n’hérite de votre couche spartiate dans la remise. Tao s’est montré réticent à l’accueillir, et Isabella avait l’air de penser la même chose. Je peux les comprendre, aussi je n’ai pas insisté, et Esteban non plus. Zia saura veiller sur Nacir. Et puis, Gonzales ne passera que quelques jours ici je suppose. Il faudra bientôt que nous allions à Barcelone.
GA : Pour régler vos problèmes avec Ruiz, je présume.
M : Pour ça, et pour le mariage.
GA : Vous m’apprenez là une nouvelle qui me réjouit fort ! Je m’inquiétais pour vous…
M : Je sais. Mais vous n’avez plus à vous inquiéter. De quels problèmes parliez-vous ?
GA : Eh bien, du fait que Ruiz a menacé Isabella quand il a découvert que le lingot qu’elle lui a fait parvenir, le seul rescapé du trésor, n’était pas en or mais en orichalque. Il a été odieux.
M : En orichalque ?!
GA : Oui, c’est devenu une évidence pour moi quand j’ai fait le rapprochement entre l’oiseau, le lingot qui ne fondait pas, et le récit de Platon. Oh…personne ne vous l’a dit ? Je pensais…
M : Et Ruiz le sait ?!
GA : Non, non, enfin, il ignore la nature exacte du métal, mais il pense avoir été dupé, et c’est pour cela qu’il s’est approprié votre navire. Isabella ne vous a rien dit ?
M : Non. Personne ne m’a rien dit. En orichalque, hein ? Et Hava détient ces lingots…
GA : Eh bien, nous pouvons supposer que oui, encore que rien ne nous l’assure. Craignez-vous que cette criminelle…
M : …s’aperçoive qu’il y a tromperie sur la marchandise et revienne réclamer son dû ? Qu’elle vienne !
GA : Excusez-moi, je vous ai troublé par cette révélation malencontreuse. Je n’ai pas réfléchi….
M : Il fallait bien qu’on me dise la vérité un jour ! Ruiz a mon bateau, Hava possède des lingots en orichalque, et je devrais l’ignorer ?
GA : On a voulu vous ménager…Isabella ou Esteban vous l’auraient dit bientôt sans doute.
M : Evidemment ! Il faut ménager le noyé ! Comme si c’était moi qu’il fallait ménager !
GA : Il est normal qu’Isabella…
M : Elle n’a pas à s’inquiéter !
GA : Eh bien, dites -le lui vous-même. J’ai cru comprendre que vous ne lui aviez toujours pas fait part de vos intentions à son égard, bien qu’elle ait abordé le sujet. Pourquoi attendre ? Le silence fait naître les malentendus, et l’inquiétude s’installe.
M : Vous devriez plutôt tenir ce discours à ceux qui entendent me ménager par leur silence.
GA : Allons, vous savez très bien que j’ai raison. Pourquoi vous emporter ? Il semble que vous considériez ce mariage comme une chose nécessaire à laquelle on vous oblige. C’est en partie le cas, mais si vous cessiez, l’un comme l’autre, de voir les choses ainsi ? Ne croyez-vous pas que cela pourrait constituer la plus belle preuve d’amour ?
M : L’amour n’a rien à voir dans tout ça. J’épouserai Isabella, n’ayez aucune crainte à ce sujet. Je vous remercie d’avoir pris soin de ma future femme en mon absence, et je vous souhaite un bon retour, chevalier d’Aubusson.
Le marin tourna les talons sans un mot de plus, laissant à Gabriel un sentiment étrange. Il avait certes été maladroit, mais les réactions de Mendoza lui avaient paru disproportionnées. Il avait parfaitement senti la violence contenue de sa colère froide. Quelle en était vraiment la cause ? Il savait les Espagnols ombrageux, pour en côtoyer de nombreux parmi ses frères. Mais cela justifiait-il de s’emporter à propos de ce mariage si souhaitable, ou de la sollicitude que chacun lui témoignait, et qui justifiait qu’on ait voulu le ménager en retardant une révélation désagréable ? Il ne restait plus qu’à souhaiter que l’humeur du capitaine s’améliore dans les jours prochains, pour le bien d’Isabella. Gabriel avait cru pouvoir partir l’esprit tranquille, et ce dernier éclat ne le rassurait pas. Quelques prières ne seraient peut-être pas inutiles, même si officiellement, tout cela ne le regardait plus. Il se promit de proposer à Isabella de lui écrire, si elle en éprouvait le besoin.
Les adieux furent brefs, mais l’émotion était palpable de part et d’autre. Romegas n’en finissait pas de se désoler de n’avoir pas pu convaincre Gonzales, et regrettait de n’avoir pas pu faire plus ample connaissance avec Mendoza. Le chevalier d’Aubusson prit la peine d’adresser à chacun des quatre jeunes gens avec lesquels il avait vécu cette aventure unique, tantôt bouleversante, tantôt enthousiasmante, quelques mots qui résumaient son sentiment, accompagné de quelques conseils et encouragements, qui laissèrent Tao rêveur, et Indali confuse, mais heureuse. Il alla prendre congé de Nacir, qui avait été provisoirement installé dans la salle principale de la maison, et lui souhaita une prompte guérison. Isabella l’avait suivi, cherchant manifestement à lui parler une dernière fois en tête à tête, ce qu’ils purent faire brièvement sur le seuil avant de rejoindre Mendoza et les autres qui s’apprêtaient à descendre jusqu’à la plage.
I : Je vous ai vu lui parler tout à l’heure.
GA : On ne peut rien vous cacher. Le ton de votre voix m’indique qu’il ne vous a encore rien dit. Je ne puis donc que vous assurer que vous n'avez pas lieu de vous inquiéter.
I : Pourquoi alors avait-il l’air si contrarié ?
GA : J’ai commis la maladresse de lui révéler la nature des lingots, et de lui parler de la colère de Ruiz. Je croyais qu’il était au courant. Il a mal pris la chose, apparemment. Je suis désolé.
I : Eh bien, ce qui est fait est fait. Je ne vais pas vous accabler de reproches alors que nous sommes sur le point de nous quitter.
GA : Je ne vous en voudrais pas.
I : Vous avez de la chance, je crois que ma grossesse m’a rendue moins véhémente, à moins que ce ne soit l’effet de votre présence. Comme tout bon Chrétien, vous savez pardonner, et vous avez toujours supporté mes sautes d’humeur avec indulgence. Il me faut suivre votre exemple et apprendre à me tempérer.
GA : C’est ce que je souhaite aussi pour le capitaine.
I : Votre souhait est inutile, il reste maître de lui-même en toute circonstance.
GA : Si toutefois vous constatiez qu’il n’en est plus ainsi…il a peut-être changé...enfin, n’hésitez pas à m’écrire si vous avez besoin de vous confier. Je ne pourrai guère vous être utile désormais, cependant…
I : Je vous écrirai pour vous donner de mes nouvelles, et prendre des vôtres. Je n’ai pas besoin d’un autre motif pour le faire.
Gabriel se tourna vers elle et lui sourit.
GA : Je vous remercie de vous montrer si indulgente. Ma proposition était bien maladroite. Quoi qu’il en soit, j’attendrai de vos nouvelles.
Elle hocha la tête et lui rendit son sourire. Puis ils rejoignirent les autres en silence, et tous descendirent à la plage, sauf Isabella qui préférait rester auprès de Nacir. Mendoza s’était rapproché d’Esteban. Tao marchait à côté de lui, tandis que Gonzales les suivait tout en faisant plus ample connaissance avec Zia et Indali. De temps en temps, Tao lançait un regard en arrière, mis en alerte par les éclats de rire des deux jeunes femmes. Mais Esteban ne semblait pas y prêter attention.
T : Je me demande ce qu’il peut bien leur raconter…
E : Peu importe, ça fait du bien d’entendre des éclats de rire, tu ne crois pas ? On n’a pas trop eu l’occasion de s’amuser ces temps-ci.
T : Plus vite il partira, mieux ce sera, si tu veux mon avis.
E : Tu ne vas pas recommencer ! Tout est bien qui finit bien, non ?
T : Peut-être….
E : Tu penses aux lingots ?
M : Ah, ces fameux lingots d’orichalque…
E : Tu es au courant ? Isabella t’en a parlé ? Je croyais que…
M : C’est le chevalier d’Aubusson qui m’a tout dit, sans savoir que vous complotiez pour me cacher la vérité. Inutile de t’excuser, mais ne vous avisez pas de recommencer. Moi, je parie que vous ne savez pas comment Hava a pu s’échapper.
E : Tu as raison, nous n’avons pas eu l’occasion de poser la question.
T : Dis plutôt que tu n’y as pas pensé. Moi, je voulais poser la question au chevalier, mais il était trop occupé, quant à Gonzales…
E : Tu préfères éviter de lui parler, c’est ça ?
M : Elle a utilisé une poudre soporifique puissante. Probablement plusieurs fioles cachées dans un boulet creux et qui se sont brisées quand le boulet a percuté le pont de la galère.
T : C’était donc ça ! Je me disais aussi, j’étais sûr d’avoir percé sa coque la deuxième fois, elle devait être sacrément ralentie, elle ne pouvait naviguer qu’à vitesse réduite sous peine de couler. Et elle savait qu’elle ne ferait pas le poids face aux canons de la galère. Elle s’est donc laissée rattraper pour mieux s’échapper…Mais ça ne m’explique pas comment elle avait pu reprendre autant de vitesse après mon premier coup…
E : Qu’est-ce que tu racontes ? Tu as tiré deux fois ? Tu les avais suivis ?
T : Oui, bon, j’ai oublié de t’en parler, mais je voulais m’assurer que tout allait bien, et j’ai vu que la galère d’Hava distançait celle de Romegas, alors que je l’avais endommagée, alors, j’ai voulu donner un coup de pouce au chevalier. Il n’a rien vu, je me suis arrangé pour rester invisible ! Le canon du Solaris II a une portée incroyable, et il est d’une précision…
E : Bref, tu as joué avec le Diable…et ça n’a pas servi à grand-chose, apparemment. Tu pourrais arrêter de jouer les apprentis sorciers ? Je croyais qu’on s’était mis d’accord là-dessus.
T : Oh, excuse-moi, mais ça aurait très bien pu fonctionner ! Si Romegas avait pu rattraper Hava grâce à moi, qu’est-ce que tu aurais dit ?
E : Mais ce n’est pas le cas.
M : Nous savons au moins grâce à toi que sa galère n’était pas une galère ordinaire.
E : Qu’est-ce que tu veux dire ?
M : Romegas a évoqué une fumée, qui s’échappait de la galère, juste au-dessus de la ligne de flottaison, sans aucun doute après que Tao ait utilisé, quoi donc, Tao, une sorte de rayon comme celui du condor, c’est ça ?
T : Oui, c’est ça.
E : Et alors ? le bois, ça brûle.
M : Romegas a parlé d’une sorte de jet, juste après qu’il ait aperçu une sorte de lumière au ras de l’eau.
T : Le rayon aurait percé la coque et touché ensuite quelque chose qui aurait dégagé aussitôt cette fumée…elle est sortie en jet, dis-tu ? Alors, ça expliquerait…non, ce n’est pas possible !
M : Et comment les lingots ont-ils été récupérés ? Et si elle savait qu’ils étaient en orichalque ? Romegas hier soir m’a aussi parlé des circonstances dans lesquelles elle lui avait faussé compagnie à Benghazi. Sans compter la façon dont la demande de rançon était apparue.
T : On avait déjà réfléchi à tout ça, mais ce que tu nous dis semble confirmer que cette femme n’est pas une simple voleuse.
E : Tu ne crois tout de même pas que sa galère était équipée d’une machine à vapeur ?
T : Et comment expliques-tu sa vitesse incroyable ? Et cette façon d’utiliser des poudres soporifiques, ça ne te rappelle rien ?
E : Tu me prends pour un idiot ? Et qui me dit qu’à force de faire des expériences en cachette, tu n’as pas laissé échapper des savoirs que nous avions convenu de tenir secrets ? D’où tiendrait-elle tout ça ?
T : Tu sais très bien que je fais très attention, et que de toute façon, nous ne sommes pas les seuls détenteurs de certains de ces savoirs !
M : Arrêtez de vous disputer, ce n’est pas ça qui nous donnera les réponses que nous cherchons.
E : Nous n’en finirons donc jamais….
T : Qu’est-ce que tu croyais ? Que tu allais pouvoir vivre une petite vie tranquille ? C’est comme ces pièces que tu as trouvées récemment, il faudra bien que tu en fasses quelque chose, puisqu’on veut que tu les rassembles toutes.
G : De quoi parlez-vous ? Ces dames s’inquiètent de vos éclats de voix, et nous venons pour vous égayer avec des propos plus légers.
Zia, Indali et Gonzales avaient en effet pressé le pas pour revenir à la hauteur des trois hommes quand ils avaient entendu que le ton montait.
E : Oh, on se disputait juste pour..
T : Pour savoir comment on allait placer les invités à table. Pour le mariage.
G : Le mariage ? Quel mariage ?
T : Le sien, avec Zia.
G : Oh, eh bien, félicitations jeunes gens ! Mais n’est-ce pas à la future mariée de s’occuper du plan de table ?
Z : En effet…Mais les hommes aiment se mêler de tout…
G : Tiens, justement, cela me fait penser que vous, Mendoza, devriez aussi songer à vous marier !
M : Eh bien, je vous annonce que ce sera chose faite très bientôt.
G : Vraiment ? Voilà une excellente nouvelle ! Il ne manquerait plus que Tao nous annonce aussi une heureuse nouvelle pour que le bonheur règne en maître parmi vous !
Z : Tu as pris la bonne décision, Mendoza.
M : Oui, et vous êtes tous invités. Nous ferons ça dans quelque temps, à Barcelone. Je ne voudrais pas vous retarder dans vos propres préparatifs, et je comprendrais que vous ne puissiez pas y assister.
E : Nous y serons sans faute !
T : Bien entendu ! Je pourrais tester ma nouvelle invention !
G : Une invention ? Vous êtes inventeur ? C’est très intéressant !
M : Tao est plein de ressources, mais il est trop modeste pour s’en vanter. Un peu comme vous, Gonzales. Vous devriez bien vous entendre.
G : Vraiment ? Eh bien, mon cher Tao, j’espère que nous pourrons échanger un peu sur nos talents respectifs. Si la chirurgie vous intéresse, bien sûr. Quant à moi, je suis un esprit curieux de tout.
T : Hum…A l’occasion, pourquoi pas. Mais je suis très occupé en ce moment. Et vous repartirez bientôt.
G : C’est vrai, Mendoza et moi, nous avons quelques affaires à régler. Mais laissons cela. Inutile d’assombrir ce beau soleil par le rappel de nos soucis.
Ils étaient arrivés à la plage, où la chaloupe attendait Romegas et Gabriel d’Aubusson. Les deux hommes avaient fait le trajet ensemble. Ils se tournèrent une dernière fois vers leurs hôtes et les saluèrent encore avant de monter à bord de l’embarcation. Quand ils furent sur la Marie Madeleine, Tao poussa un soupir de soulagement.
T : Pffiou…J’aurais bien passé encore un peu de temps avec Gabriel, mais je suis bien content que l’autre chevalier soit parti. J’avais toujours peur qu’il ne pose des questions sur notre navire.
G : Et en quoi était-ce si dérangeant ? Oh, je vois…le navire que j’ai aperçu à Anticythère aurait-il des capacités extraordinaires, comme votre oiseau d’or ? Il m’a semblé tout à fait normal cependant. Mais il est vrai que je n’ai guère eu le temps de l’observer, et que j’avais l’esprit absorbé par tout autre chose à ce moment-là. Je me souviens tout de même que Romegas a évoqué un prodigieux coup de canon, et hier soir il a également parlé de cet événement étrange, quand la galère d’Hava a été stoppée dans sa course. Mais personnellement je n’avais rien remarqué.
T : Et vous avez raison, notre navire n’a rien d’extraordinaire, nous l’avons simplement laissé loin d’ici.
G : Et vous êtes revenus avec l’oiseau.
E : Exactement.
G : Il doit être bien caché. C’était en effet plus raisonnable que de révéler son existence à ces chevaliers de l’Ordre de Saint Jean. En tout cas, vous pouvez compter sur moi pour garder le secret, en cas de nécessité.
E : Le chevalier d’Aubusson était au courant, mais il a juré le secret. Nous ne sommes pas toujours très prudents. La preuve, c’est que tout Barcelone connait son existence, vous y compris.
G : Me feriez-vous la faveur de me le montrer de plus près ? J’avoue que ma curiosité…
T : Esteban a déjà commis une imprudence avec le chevalier d’Aubusson, et c’était une de trop !
Il tourna le dos aux autres et se mit en route pour remonter jusqu’à la maison, bientôt suivi d’Indali.
M : Excusez-le, il se montre toujours méfiant envers les personnes qu’il ne connait pas bien. Moi-même j’ai eu du mal à gagner sa confiance autrefois.
G : La prudence est une vertu. Je ne le blâme pas. Et je me souviens aussi que vous ne m’avez pas accordé votre confiance immédiatement.
E : Je lui dirai deux mots.
G : Inutile. Et si vous ne souhaitez pas me montrer votre machine, je respecte votre choix.
Z : Si nous rentrions nous aussi ? Pour ma part, je serais ravie que vous m’expliquiez comment vous avez sauvé Nacir, et si vous avez des conseils pour hâter sa guérison, je veux bien les recevoir. Nous confronterons ainsi nos méthodes.
E : C’est une bonne idée. Zia possède pas mal de connaissances de son côté, vous pourriez aussi profiter de son savoir, Gonzales.
G : J’en serais ravi. Et s’il s’avère que mon avenir dans la marine est définitivement compromis, je pourrai toujours gagner ma vie comme médecin. Si les clients sont prêts à accorder leur confiance à un converti comme moi.
M : En tout cas, vous pouvez compter sur mon appui quand nous irons voir Ruiz.
Sixième partie.
Le temps maussade de la veille avait cédé la place à un soleil resplendissant, qui facilita les préparatifs de départ. Comme Isabella le pensait, Nacir n’aspirait qu’à une chose : continuer à découvrir le monde dès que sa convalescence aurait pris fin. Toutefois, il ne voulait pas être une charge pour ses amis, et aurait consenti à repartir avec Romegas, si Mendoza n’avait pas insisté pour qu’il reste avec eux quelque temps. Il ne comptait pas reprendre la mer dans l’immédiat, du moins pas tant qu’il ne se serait pas expliqué avec Ruiz à propos de la perte du trésor, et il avait une dette envers le jeune pêcheur. Quand il irait à Barcelone, il demanderait à Maria, qui était désormais au service de Pedro et Sancho, de veiller sur Nacir. Il serait comme un coq en pâte et récupèrerait sûrement rapidement. Mendoza hésitait toujours à laisser Isabella là-bas aussi. C’était son projet initial, avant qu’elle insiste pour le suivre en mer. Peut-être accepterait-elle à présent ? Il pourrait prétendre que ce serait pour tenir compagnie à Nacir. De son côté, il repartirait sans doute en mer. Il fallait continuer à payer les dettes. Avant cela, ils se marieraient, pour régulariser leur situation, une cérémonie toute simple. Cela la rassurerait, et ensuite, elle serait sûrement plus sensible aux arguments concernant sa grossesse, après être passée par toutes ces épreuves. Mendoza comptait sur Maria pour la persuader de rester à terre cette fois. Cela ne serait sans doute pas trop difficile, car il s’était aperçu qu’Isabella posait souvent sa main sur son ventre, comme si elle cherchait à communiquer avec son enfant. C’était pour lui la preuve qu’elle commençait vraiment à se centrer sur la future naissance, et qu’elle aurait moins de réticence à être séparée de lui, quand il lui en présenterait la nécessité. Elle se ferait une raison, cette fois, surtout s’il n’était pas question pour lui de partir à l’aventure, mais d’effectuer encore quelques mois des missions marchandes de proximité qui lui permettraient de venir la voir régulièrement. Loin d’elle, tout serait plus facile. Et avec le travail, peut-être l’oubli viendrait-il.
Esteban, Zia, Tao et Indali arrivèrent dans la matinée comme prévu, mais trouvèrent la maison vide. Mendoza et Isabella étaient déjà allés rendre visite à Nacir, et Gabriel les avait accompagnés pour préparer son départ. En voyant la Marie Madeleine ancrée en contrebas dans la baie, les jeunes gens comprirent vite la situation et se hâtèrent d’aller aux nouvelles. Quand Mendoza fit part à Esteban de son projet pour Nacir, celui-ci l’approuva. Le marin ne dit rien encore de ce qu’il avait en tête pour sa future femme. Mieux valait attendre le dernier moment pour en parler. Plus tard elle le saurait, mieux cela vaudrait. On assura à Romegas que Nacir serait bien soigné avec Gonzales et Zia à ses côtés. La jeune Inca raconta qu’ils logeaient dans une maison entre Porto Conte et L’Alguer, assez grande pour accueillir de nouveau pensionnaires, mais il fut convenu que Nacir soit transporté dans un premier temps dans la maison occupée par Mendoza et qu’il y resterait jusqu’à ce qu’on aménage une chambre pour lui. Tout fut fait pour faciliter le départ de la galère, et Romegas constata avec satisfaction qu’il pourrait partir en début d’après-midi sans plus se faire de soucis pour ceux qu’il se sentait le devoir de protéger.
Avant le départ, Gabriel d’Aubusson s’arrangea pour parler seul à seul avec Mendoza.
GA : Tout semble s’arranger pour le mieux. C’est noble à vous d’avoir insisté pour vous occuper de Nacir.
M : C’est la moindre des choses. Nous allons le loger dans le condor.
GA : Le bienheureux ! Sa guérison en sera accélérée ! Je n’ai jamais aussi bien dormi qu’à bord de cet oiseau d’orichalque ! Et votre ami Gonzales ? Profitera-t-il lui aussi de ce confort ?
M : J’ai bien peur qu’il n’hérite de votre couche spartiate dans la remise. Tao s’est montré réticent à l’accueillir, et Isabella avait l’air de penser la même chose. Je peux les comprendre, aussi je n’ai pas insisté, et Esteban non plus. Zia saura veiller sur Nacir. Et puis, Gonzales ne passera que quelques jours ici je suppose. Il faudra bientôt que nous allions à Barcelone.
GA : Pour régler vos problèmes avec Ruiz, je présume.
M : Pour ça, et pour le mariage.
GA : Vous m’apprenez là une nouvelle qui me réjouit fort ! Je m’inquiétais pour vous…
M : Je sais. Mais vous n’avez plus à vous inquiéter. De quels problèmes parliez-vous ?
GA : Eh bien, du fait que Ruiz a menacé Isabella quand il a découvert que le lingot qu’elle lui a fait parvenir, le seul rescapé du trésor, n’était pas en or mais en orichalque. Il a été odieux.
M : En orichalque ?!
GA : Oui, c’est devenu une évidence pour moi quand j’ai fait le rapprochement entre l’oiseau, le lingot qui ne fondait pas, et le récit de Platon. Oh…personne ne vous l’a dit ? Je pensais…
M : Et Ruiz le sait ?!
GA : Non, non, enfin, il ignore la nature exacte du métal, mais il pense avoir été dupé, et c’est pour cela qu’il s’est approprié votre navire. Isabella ne vous a rien dit ?
M : Non. Personne ne m’a rien dit. En orichalque, hein ? Et Hava détient ces lingots…
GA : Eh bien, nous pouvons supposer que oui, encore que rien ne nous l’assure. Craignez-vous que cette criminelle…
M : …s’aperçoive qu’il y a tromperie sur la marchandise et revienne réclamer son dû ? Qu’elle vienne !
GA : Excusez-moi, je vous ai troublé par cette révélation malencontreuse. Je n’ai pas réfléchi….
M : Il fallait bien qu’on me dise la vérité un jour ! Ruiz a mon bateau, Hava possède des lingots en orichalque, et je devrais l’ignorer ?
GA : On a voulu vous ménager…Isabella ou Esteban vous l’auraient dit bientôt sans doute.
M : Evidemment ! Il faut ménager le noyé ! Comme si c’était moi qu’il fallait ménager !
GA : Il est normal qu’Isabella…
M : Elle n’a pas à s’inquiéter !
GA : Eh bien, dites -le lui vous-même. J’ai cru comprendre que vous ne lui aviez toujours pas fait part de vos intentions à son égard, bien qu’elle ait abordé le sujet. Pourquoi attendre ? Le silence fait naître les malentendus, et l’inquiétude s’installe.
M : Vous devriez plutôt tenir ce discours à ceux qui entendent me ménager par leur silence.
GA : Allons, vous savez très bien que j’ai raison. Pourquoi vous emporter ? Il semble que vous considériez ce mariage comme une chose nécessaire à laquelle on vous oblige. C’est en partie le cas, mais si vous cessiez, l’un comme l’autre, de voir les choses ainsi ? Ne croyez-vous pas que cela pourrait constituer la plus belle preuve d’amour ?
M : L’amour n’a rien à voir dans tout ça. J’épouserai Isabella, n’ayez aucune crainte à ce sujet. Je vous remercie d’avoir pris soin de ma future femme en mon absence, et je vous souhaite un bon retour, chevalier d’Aubusson.
Le marin tourna les talons sans un mot de plus, laissant à Gabriel un sentiment étrange. Il avait certes été maladroit, mais les réactions de Mendoza lui avaient paru disproportionnées. Il avait parfaitement senti la violence contenue de sa colère froide. Quelle en était vraiment la cause ? Il savait les Espagnols ombrageux, pour en côtoyer de nombreux parmi ses frères. Mais cela justifiait-il de s’emporter à propos de ce mariage si souhaitable, ou de la sollicitude que chacun lui témoignait, et qui justifiait qu’on ait voulu le ménager en retardant une révélation désagréable ? Il ne restait plus qu’à souhaiter que l’humeur du capitaine s’améliore dans les jours prochains, pour le bien d’Isabella. Gabriel avait cru pouvoir partir l’esprit tranquille, et ce dernier éclat ne le rassurait pas. Quelques prières ne seraient peut-être pas inutiles, même si officiellement, tout cela ne le regardait plus. Il se promit de proposer à Isabella de lui écrire, si elle en éprouvait le besoin.
Les adieux furent brefs, mais l’émotion était palpable de part et d’autre. Romegas n’en finissait pas de se désoler de n’avoir pas pu convaincre Gonzales, et regrettait de n’avoir pas pu faire plus ample connaissance avec Mendoza. Le chevalier d’Aubusson prit la peine d’adresser à chacun des quatre jeunes gens avec lesquels il avait vécu cette aventure unique, tantôt bouleversante, tantôt enthousiasmante, quelques mots qui résumaient son sentiment, accompagné de quelques conseils et encouragements, qui laissèrent Tao rêveur, et Indali confuse, mais heureuse. Il alla prendre congé de Nacir, qui avait été provisoirement installé dans la salle principale de la maison, et lui souhaita une prompte guérison. Isabella l’avait suivi, cherchant manifestement à lui parler une dernière fois en tête à tête, ce qu’ils purent faire brièvement sur le seuil avant de rejoindre Mendoza et les autres qui s’apprêtaient à descendre jusqu’à la plage.
I : Je vous ai vu lui parler tout à l’heure.
GA : On ne peut rien vous cacher. Le ton de votre voix m’indique qu’il ne vous a encore rien dit. Je ne puis donc que vous assurer que vous n'avez pas lieu de vous inquiéter.
I : Pourquoi alors avait-il l’air si contrarié ?
GA : J’ai commis la maladresse de lui révéler la nature des lingots, et de lui parler de la colère de Ruiz. Je croyais qu’il était au courant. Il a mal pris la chose, apparemment. Je suis désolé.
I : Eh bien, ce qui est fait est fait. Je ne vais pas vous accabler de reproches alors que nous sommes sur le point de nous quitter.
GA : Je ne vous en voudrais pas.
I : Vous avez de la chance, je crois que ma grossesse m’a rendue moins véhémente, à moins que ce ne soit l’effet de votre présence. Comme tout bon Chrétien, vous savez pardonner, et vous avez toujours supporté mes sautes d’humeur avec indulgence. Il me faut suivre votre exemple et apprendre à me tempérer.
GA : C’est ce que je souhaite aussi pour le capitaine.
I : Votre souhait est inutile, il reste maître de lui-même en toute circonstance.
GA : Si toutefois vous constatiez qu’il n’en est plus ainsi…il a peut-être changé...enfin, n’hésitez pas à m’écrire si vous avez besoin de vous confier. Je ne pourrai guère vous être utile désormais, cependant…
I : Je vous écrirai pour vous donner de mes nouvelles, et prendre des vôtres. Je n’ai pas besoin d’un autre motif pour le faire.
Gabriel se tourna vers elle et lui sourit.
GA : Je vous remercie de vous montrer si indulgente. Ma proposition était bien maladroite. Quoi qu’il en soit, j’attendrai de vos nouvelles.
Elle hocha la tête et lui rendit son sourire. Puis ils rejoignirent les autres en silence, et tous descendirent à la plage, sauf Isabella qui préférait rester auprès de Nacir. Mendoza s’était rapproché d’Esteban. Tao marchait à côté de lui, tandis que Gonzales les suivait tout en faisant plus ample connaissance avec Zia et Indali. De temps en temps, Tao lançait un regard en arrière, mis en alerte par les éclats de rire des deux jeunes femmes. Mais Esteban ne semblait pas y prêter attention.
T : Je me demande ce qu’il peut bien leur raconter…
E : Peu importe, ça fait du bien d’entendre des éclats de rire, tu ne crois pas ? On n’a pas trop eu l’occasion de s’amuser ces temps-ci.
T : Plus vite il partira, mieux ce sera, si tu veux mon avis.
E : Tu ne vas pas recommencer ! Tout est bien qui finit bien, non ?
T : Peut-être….
E : Tu penses aux lingots ?
M : Ah, ces fameux lingots d’orichalque…
E : Tu es au courant ? Isabella t’en a parlé ? Je croyais que…
M : C’est le chevalier d’Aubusson qui m’a tout dit, sans savoir que vous complotiez pour me cacher la vérité. Inutile de t’excuser, mais ne vous avisez pas de recommencer. Moi, je parie que vous ne savez pas comment Hava a pu s’échapper.
E : Tu as raison, nous n’avons pas eu l’occasion de poser la question.
T : Dis plutôt que tu n’y as pas pensé. Moi, je voulais poser la question au chevalier, mais il était trop occupé, quant à Gonzales…
E : Tu préfères éviter de lui parler, c’est ça ?
M : Elle a utilisé une poudre soporifique puissante. Probablement plusieurs fioles cachées dans un boulet creux et qui se sont brisées quand le boulet a percuté le pont de la galère.
T : C’était donc ça ! Je me disais aussi, j’étais sûr d’avoir percé sa coque la deuxième fois, elle devait être sacrément ralentie, elle ne pouvait naviguer qu’à vitesse réduite sous peine de couler. Et elle savait qu’elle ne ferait pas le poids face aux canons de la galère. Elle s’est donc laissée rattraper pour mieux s’échapper…Mais ça ne m’explique pas comment elle avait pu reprendre autant de vitesse après mon premier coup…
E : Qu’est-ce que tu racontes ? Tu as tiré deux fois ? Tu les avais suivis ?
T : Oui, bon, j’ai oublié de t’en parler, mais je voulais m’assurer que tout allait bien, et j’ai vu que la galère d’Hava distançait celle de Romegas, alors que je l’avais endommagée, alors, j’ai voulu donner un coup de pouce au chevalier. Il n’a rien vu, je me suis arrangé pour rester invisible ! Le canon du Solaris II a une portée incroyable, et il est d’une précision…
E : Bref, tu as joué avec le Diable…et ça n’a pas servi à grand-chose, apparemment. Tu pourrais arrêter de jouer les apprentis sorciers ? Je croyais qu’on s’était mis d’accord là-dessus.
T : Oh, excuse-moi, mais ça aurait très bien pu fonctionner ! Si Romegas avait pu rattraper Hava grâce à moi, qu’est-ce que tu aurais dit ?
E : Mais ce n’est pas le cas.
M : Nous savons au moins grâce à toi que sa galère n’était pas une galère ordinaire.
E : Qu’est-ce que tu veux dire ?
M : Romegas a évoqué une fumée, qui s’échappait de la galère, juste au-dessus de la ligne de flottaison, sans aucun doute après que Tao ait utilisé, quoi donc, Tao, une sorte de rayon comme celui du condor, c’est ça ?
T : Oui, c’est ça.
E : Et alors ? le bois, ça brûle.
M : Romegas a parlé d’une sorte de jet, juste après qu’il ait aperçu une sorte de lumière au ras de l’eau.
T : Le rayon aurait percé la coque et touché ensuite quelque chose qui aurait dégagé aussitôt cette fumée…elle est sortie en jet, dis-tu ? Alors, ça expliquerait…non, ce n’est pas possible !
M : Et comment les lingots ont-ils été récupérés ? Et si elle savait qu’ils étaient en orichalque ? Romegas hier soir m’a aussi parlé des circonstances dans lesquelles elle lui avait faussé compagnie à Benghazi. Sans compter la façon dont la demande de rançon était apparue.
T : On avait déjà réfléchi à tout ça, mais ce que tu nous dis semble confirmer que cette femme n’est pas une simple voleuse.
E : Tu ne crois tout de même pas que sa galère était équipée d’une machine à vapeur ?
T : Et comment expliques-tu sa vitesse incroyable ? Et cette façon d’utiliser des poudres soporifiques, ça ne te rappelle rien ?
E : Tu me prends pour un idiot ? Et qui me dit qu’à force de faire des expériences en cachette, tu n’as pas laissé échapper des savoirs que nous avions convenu de tenir secrets ? D’où tiendrait-elle tout ça ?
T : Tu sais très bien que je fais très attention, et que de toute façon, nous ne sommes pas les seuls détenteurs de certains de ces savoirs !
M : Arrêtez de vous disputer, ce n’est pas ça qui nous donnera les réponses que nous cherchons.
E : Nous n’en finirons donc jamais….
T : Qu’est-ce que tu croyais ? Que tu allais pouvoir vivre une petite vie tranquille ? C’est comme ces pièces que tu as trouvées récemment, il faudra bien que tu en fasses quelque chose, puisqu’on veut que tu les rassembles toutes.
G : De quoi parlez-vous ? Ces dames s’inquiètent de vos éclats de voix, et nous venons pour vous égayer avec des propos plus légers.
Zia, Indali et Gonzales avaient en effet pressé le pas pour revenir à la hauteur des trois hommes quand ils avaient entendu que le ton montait.
E : Oh, on se disputait juste pour..
T : Pour savoir comment on allait placer les invités à table. Pour le mariage.
G : Le mariage ? Quel mariage ?
T : Le sien, avec Zia.
G : Oh, eh bien, félicitations jeunes gens ! Mais n’est-ce pas à la future mariée de s’occuper du plan de table ?
Z : En effet…Mais les hommes aiment se mêler de tout…
G : Tiens, justement, cela me fait penser que vous, Mendoza, devriez aussi songer à vous marier !
M : Eh bien, je vous annonce que ce sera chose faite très bientôt.
G : Vraiment ? Voilà une excellente nouvelle ! Il ne manquerait plus que Tao nous annonce aussi une heureuse nouvelle pour que le bonheur règne en maître parmi vous !
Z : Tu as pris la bonne décision, Mendoza.
M : Oui, et vous êtes tous invités. Nous ferons ça dans quelque temps, à Barcelone. Je ne voudrais pas vous retarder dans vos propres préparatifs, et je comprendrais que vous ne puissiez pas y assister.
E : Nous y serons sans faute !
T : Bien entendu ! Je pourrais tester ma nouvelle invention !
G : Une invention ? Vous êtes inventeur ? C’est très intéressant !
M : Tao est plein de ressources, mais il est trop modeste pour s’en vanter. Un peu comme vous, Gonzales. Vous devriez bien vous entendre.
G : Vraiment ? Eh bien, mon cher Tao, j’espère que nous pourrons échanger un peu sur nos talents respectifs. Si la chirurgie vous intéresse, bien sûr. Quant à moi, je suis un esprit curieux de tout.
T : Hum…A l’occasion, pourquoi pas. Mais je suis très occupé en ce moment. Et vous repartirez bientôt.
G : C’est vrai, Mendoza et moi, nous avons quelques affaires à régler. Mais laissons cela. Inutile d’assombrir ce beau soleil par le rappel de nos soucis.
Ils étaient arrivés à la plage, où la chaloupe attendait Romegas et Gabriel d’Aubusson. Les deux hommes avaient fait le trajet ensemble. Ils se tournèrent une dernière fois vers leurs hôtes et les saluèrent encore avant de monter à bord de l’embarcation. Quand ils furent sur la Marie Madeleine, Tao poussa un soupir de soulagement.
T : Pffiou…J’aurais bien passé encore un peu de temps avec Gabriel, mais je suis bien content que l’autre chevalier soit parti. J’avais toujours peur qu’il ne pose des questions sur notre navire.
G : Et en quoi était-ce si dérangeant ? Oh, je vois…le navire que j’ai aperçu à Anticythère aurait-il des capacités extraordinaires, comme votre oiseau d’or ? Il m’a semblé tout à fait normal cependant. Mais il est vrai que je n’ai guère eu le temps de l’observer, et que j’avais l’esprit absorbé par tout autre chose à ce moment-là. Je me souviens tout de même que Romegas a évoqué un prodigieux coup de canon, et hier soir il a également parlé de cet événement étrange, quand la galère d’Hava a été stoppée dans sa course. Mais personnellement je n’avais rien remarqué.
T : Et vous avez raison, notre navire n’a rien d’extraordinaire, nous l’avons simplement laissé loin d’ici.
G : Et vous êtes revenus avec l’oiseau.
E : Exactement.
G : Il doit être bien caché. C’était en effet plus raisonnable que de révéler son existence à ces chevaliers de l’Ordre de Saint Jean. En tout cas, vous pouvez compter sur moi pour garder le secret, en cas de nécessité.
E : Le chevalier d’Aubusson était au courant, mais il a juré le secret. Nous ne sommes pas toujours très prudents. La preuve, c’est que tout Barcelone connait son existence, vous y compris.
G : Me feriez-vous la faveur de me le montrer de plus près ? J’avoue que ma curiosité…
T : Esteban a déjà commis une imprudence avec le chevalier d’Aubusson, et c’était une de trop !
Il tourna le dos aux autres et se mit en route pour remonter jusqu’à la maison, bientôt suivi d’Indali.
M : Excusez-le, il se montre toujours méfiant envers les personnes qu’il ne connait pas bien. Moi-même j’ai eu du mal à gagner sa confiance autrefois.
G : La prudence est une vertu. Je ne le blâme pas. Et je me souviens aussi que vous ne m’avez pas accordé votre confiance immédiatement.
E : Je lui dirai deux mots.
G : Inutile. Et si vous ne souhaitez pas me montrer votre machine, je respecte votre choix.
Z : Si nous rentrions nous aussi ? Pour ma part, je serais ravie que vous m’expliquiez comment vous avez sauvé Nacir, et si vous avez des conseils pour hâter sa guérison, je veux bien les recevoir. Nous confronterons ainsi nos méthodes.
E : C’est une bonne idée. Zia possède pas mal de connaissances de son côté, vous pourriez aussi profiter de son savoir, Gonzales.
G : J’en serais ravi. Et s’il s’avère que mon avenir dans la marine est définitivement compromis, je pourrai toujours gagner ma vie comme médecin. Si les clients sont prêts à accorder leur confiance à un converti comme moi.
M : En tout cas, vous pouvez compter sur mon appui quand nous irons voir Ruiz.