A la recherche de l'Empire perdu

C'est ici que les artistes (en herbe ou confirmés) peuvent présenter leurs compositions personnelles : images, musiques, figurines, etc.
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Aurélien
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Re: A la recherche de l'Empire perdu

Message par Aurélien »

Xia a écrit : 27 mars 2018, 18:35 :Pedro: un singe et :Sancho: une baleine ???
J'aurais plutôt dit dromadaire pour :Pedro: et poisson-clown pour :Sancho: :x-):
Mais le plus marrant ce sont le trio : :lol:

Esteban : hybride poisson-humain et pas que physiquement
Zia : une déesse paranormal
Tao : tous sauf normal
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The mysterious cities of gold

Las misteriosas ciudades de oro

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Xia
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Re: A la recherche de l'Empire perdu

Message par Xia »

Chapitre 19 : Les adieux


Été 1518, Constantinople, Empire ottoman

Isabella jura de nouveau sous l’œil moqueur de Hürrem. Elle essuya ses doigts sur sa serviette de coton déjà souillée d’innombrables taches de sang.
— Rappelle-moi : tu m’as bien dit que tu avais suivi des cours de couture lorsque tu étais au Portugal ?! demanda son amie avec une pointe d’ironie dans la voix.
Sa protégée lui jeta un regard noir. Oui, c’était bien ce qu’elle avait dit. Mais au lieu de se battre avec une aiguille et un fil comme maintenant, elle arrivait toujours à s’éclipser pour trouver un soldat et croiser le fer avec lui. C’était beaucoup plus instructif et amusant. Mais elle devait bien le reconnaître, elle aurait mieux fait d’assister à une dizaine de cours donnés par sa préceptrice, cela lui aurait évité d’avoir des bandages aux mains chaque mardi.
À la pensée de Flor, son cœur se serra.
Qu’il était loin le temps où elle gambadait joyeusement dans les campagnes avoisinantes du Paço da Ribeira… Les souvenirs du somptueux Palais de la Rive où elle avait grandi en compagnie de l’infante Isabel lui revenaient bien malgré elle en mémoire. Des larmes amères lui montaient aux yeux et menaçaient de trahir des sentiments trop longtemps refoulés. Elle se rendait compte à présent qu’elle n’avait jamais vraiment pris le temps de faire le deuil d’une vie à laquelle elle croyait ne pas être attachée. Et étonnamment, ça lui faisait mal.
Les éclats de rire, les jeux enfantins… Elle n’avait eu qu’une seule amie dans ses jeunes années. Une amie plus qu’improbable, et qu’elle avait longtemps considérée comme une sœur. D’ordinaire, les membres de la famille royale ne se mélangeaient pas aux domestiques. Mais la jeune princesse portugaise s’était obstinée et on lui avait finalement permis de fréquenter la fille de sa première préceptrice. Une amitié sincère s’était tissée entre elles deux avec le temps, malgré leurs différences d’âge et de classe.
Puis elles avaient eu quatorze et sept ans et les temps avaient brusquement changé.
Isabel avait été rappelée à sa destinée et s’était vu se promettre à celui qui deviendrait le futur Charles de Habsbourg, cinquième du nom. Isabella, quant à elle, s’était rapprochée de son père à la mort de Flor et s’était vu offrir la possibilité de quitter cette prison dorée. Une occasion qui ne se représenterait pas une deuxième fois. Elle avait pensé quitter Lisbonne sans regrets et suivi l’ombre paternelle dans une aventure dont elle ignorait à ce moment-là absolument tout. Et fait la connaissance d’Athanase d’Éphèse et Ambroise de Sarle.
Encore perdue dans ses souvenirs, elle regarda ce qui aurait dû être son initiale brodée sur le linge blanc.
Sa nouvelle initiale.
Elle pouvait maintenant oublier le « I ». La fillette fit la moue. Elle avait encore manqué cinq points. C’était déjà mieux que la dernière fois, mais ce n’était pas encore ça. Au lieu d’un « ک », elle se retrouvait avec quelque chose qui ressemblait à un « خ » à l’envers.
Avec un petit arrangement, ça ferait bien un cadeau pour Hürrem, pensa-t-elle.
Pour la remercier de lui avoir éviter de continuer à occuper une chambre avec Dariâ. Celle-ci ne s’était pas fait prier de répondre par l’affirmative lorsque la protégée de la sultane lui avait demander si elle acceptait de laisser partir sa compagne de dortoir. Sans doute s’était-elle réjouie de son départ : elle n’aurait désormais plus rien à craindre pour ses dauphins. À cette pensée, la fillette ne put s’empêcher d’émettre un ricanement bref. Ça se remplaçait quand même la céramique ! Isabella partageait dorénavant ses nuits avec la fille aux cheveux de feu.
Et elle sut enfin comment l’impertinente Sanaz et sa fidèle amie Dariâ avaient appris son plan d’évasion… Son père et ses amis auraient quand même pu lui dire qu’elle parlait dans son sommeil !
Au moins, son chef-d’œuvre ne partirait pas dans les flammes…
Une chose était certaine : ce n’était pas à Kimia que les filles du harem iraient demander la confection d’un vêtement ! Encore heureux.
Après s’être une fois encore épongé les mains, Isabella se leva et rangea le linge sous sa paillasse. Elle le terminerait la semaine suivante. Pas question cette fois de laisser échapper le mince temps libre hebdomadaire dont elle disposait. Des yeux, elle suivit un groupe de jeunes femmes qui entraient dans ce qu’elle considérait le Saint des Saints : la Bibliothèque. À en juger par le livre que tenait l’une d’elles entre ses mains, elles avaient le droit à un cours d’histoire. Quel épisode ? L’Antiquité ? Les temps actuels ? Bien qu’elle connût parfaitement l’Histoire – elle l’avait apprise avec un grand plaisir au Portugal –, elle n’avait pu s’empêcher de se glisser dans les rayonnages dédiés. Un frisson glacial l’avait parcourue quand elle avait vu ce que contenaient les livres. Où donc étaient passées les femmes ?! Elle avait bien compris que la culture ottomane ne les considérait pas à l’égal de l’homme, mais quand même. Pas une mention d’Hypatie d’Alexandrie !
L’Histoire orientale ne retiendrait donc rien de ces femmes qui étaient pourtant éduquées pour chuchoter à l’oreille de leurs futurs époux de bonnes décisions pour l’Empire ottoman ? En Occident, peut-être retiendrait-on le nom des mères des sultans à venir… Même si jusqu’ici presque aucune appellation féminine n’était parvenue à ses oreilles, en dehors des personnages des Mille Contes aux consonances exotiques qui l’avaient toujours fait rêvée. La sultane Hafsa semblait pourtant être partie pour marquer les esprits de son empreinte. L’amour que son fils lui portait était tel qu’il souhaitait conférer un titre à sa mère si celle-ci survivait à son père. Mais après ? Qui pourrait bien succéder à la sultane dans l’Histoire ? Nasreen ? Sanaz ? Hürrem ? Kimia ? Hors de question ! De toute manière, Hürrem y veillait. Non par jalousie, mais parce qu’elle cherchait, comme à l’accoutumée, à la protéger. Selon elle, elle était beaucoup trop jeune, et là-dessus, Isabella lui donnait entièrement raison.
Quelques temps après son arrivée, elle avait eu la désagréable sensation de deviner le regard de Selim couler sur elle. Lorsqu’elle s’était confiée à son amie, celle-ci lui s’était simplement contentée d’hausser les épaules.
— Tu changes, et ça se voit. Selim aussi l’a remarqué, voilà tout.
La fillette n’avait été guère rassurée. Pour elle, Selim était semblable à un vautour. Ce n’était pas pour rien qu’on le surnommait le Terrible dans les pays occidentaux.
— Ne t’en fait pas, petite sœur. Cela passera, lui avait souri Hürrem, en sentant sa détresse.
Son amie lisait en elle comme dans un livre ouvert. Même si en général ça l’agaçait, le fait que sa protectrice l’appelasse par cette dénomination affectueuse apaisait son tempérament de feu. Hürrem l’avait tendrement nommée ainsi depuis qu’elle avait appris qu’Havrylo Lisowski la considérait comme telle. Peut-être sentait-elle que son amie n’était pas du genre à oublier son passé aussi facilement ? Quoi qu’il en soit, « petite sœur » était bien plus préférable aux yeux d’Isabella que « Kimia » !
— Si tu le dis… Mais ça prend combien de temps ce… changement ? avait demandé par la suite la fillette, hésitante.
— Oh… Cela dépend des femmes… Moi, par exemple, ça n’a duré qu’environ cinq ans… Hum… J’ai quinze ans, donc oui, c’est ça, cinq ans !
— Qu… tu n’as que quinze ans ? s’était étonnée Isabella, ahurie.
— Oui pardi ! Quinze ou seize ans…, avait ri son amie. Pourquoi ? Tu croyais que j’avais quel âge ?
Le visage de la jeune Laguerra s’était alors empourpré et elle avait timidement répondu.
— Euh… Dix de plus…
— Quoi ?! Vingt-cinq ans ? Ma parole, mais j’ai le même âge que Sanaz ! Ne nous vieillit pas trop vite s’il te plait Kimia… Nous avons encore tous nos cheveux !
Hürrem avait éclaté de rire à ces paroles et admis que le temps au harem avait plus de prise sur les femmes que si leurs vies s’écoulaient hors des murs du palais.
— D’ailleurs, à ce propos… Comment sais-tu que tu as quinze ans ? Nous n’avons pas de repère temporel ici.
— Oh, ça ! Disons que nous, les femmes, disposons en quelque sorte d’une horloge… Ne t’en fais pas, tu le sauras bien assez vite, petite sœur, avait-elle répondu avec un clin d’œil.
Si Isabella ne voyait pas où la rousse voulait en venir, elle se doutait que cela avait à voir avec l’obligation qu’elle lui avait imposé : suivre les cours du harem pour devenir une diplômée.


Été 1518, République de Gênes

Ambrosius jubilait.
Les paroles de Karl Schweitzer trottaient encore dans sa tête.
Quelques heures plus tôt, les trois alchimistes – las d’entendre toujours la même demande – avaient enfin autorisé l’armateur à pénétrer dans son propre entrepôt. Et lui avaient aussi dévoilé la maquette de la nef en construction. Ébahi, celui-ci n’avait pu s’empêcher de retenir un sifflement admiratif :
— Maitre Ambrosius… Mais c’est tout simplement… Même Maitre Leonardo n’aurait pu faire mieux !
— Maitre Leonardo ? Da Vinci ?! avait demandé Fernando, incrédule.
— Lui-même ! J’ai eu la chance de le côtoyer avant qu’il ne parte pour la France à la demande du roi François. Il était un grand ami de ma regrettée Barbara et d’Anna Maria, avait-il dit, sans voir l’effet que cela procurait sur Ambroise de Sarle.
Le Docteur et Athanaos se regardèrent, mal à l’aise. Leur ami était d’une excentricité… alors le comparer au Florentin ? Exactement ce qu’il ne fallait pas faire !
Toujours sur son petit nuage, le Français se devait absolument de fêter cet évènement autour d’un verre de la taverne qui les hébergeait depuis maintenant trois mois.
Le brouhaha assourdissant de la salle ne semblait étrangement pas avoir de prise sur l’alchimiste, déjà ivre. Ses compagnons le rejoignirent peu de temps après qui ne purent que constater que son état empirait.
— Théophraste n’est pas avec vous ? s’étonna Ambrosius. Qu’est-ce qu’il lui arrive ? Il est toujours dans nos pattes d’habitude !
— Anna Maria est malade, répondit Fernando. Il doit être avec elle.
— Ah oui… c’est vrai qu’on ne l’a pas vue depuis un certain temps… hic ! C’est dommage, j’aurais aimé la voir sauter au plafond tout à l’heure… hic ! quand son père m’a comparé avec Léonard de Vinci…
Un certain temps… Même si officiellement la jeune femme était partie cueillir des herbes médicinales pour ses potions – elle souhaitait suivre les traces d’Hildegarde de Bingen –, les deux alchimistes avaient facilement deviné qu’elle suivait en cure imposée par son cousin. Athanaos et le Docteur avaient remarqué les absences et les légers tremblements auxquelles la jeune femme était parfois sujette. Et on ne mettait pas trois semaines à trouver de la racine d’angélique et de rhubarbe ! Et ces plantes entraient surtout dans la composition d’un remède imaginé par von Hohenheim pour soigner…
— Elle souffre de quoi ?
Laguerra interrogea silencieusement le Grec.
Le dire ou ne pas le dire ?
Il se décida finalement :
— Du mal sacré.
— Ah ! Ça ne m’étonne pas vraiment au fond… si elle est… hic ! possédée par le démon.
Fernando soupira.
J’aurais mieux fait de me taire, comme d’habitude !
— Tu restes sur tes préjugés moyenâgeux Ambrosius, murmura Athanaos. Chez nous, on pensait que ceux qui étaient comme elle pouvaient communiquer avec les Dieux…
Celui-ci le regarda, stupéfait, puis éclata d’un rire nerveux.
— Ha ha ha ! Par pitié ! Ne me dites pas que vous croyez tous les deux qu’Anna Maria Schweitzer est la réincarnation de la Sybille d’Érythrée ?!
— Hein ? Bien sûr que non ! Ce n’est pas ce qu’on a dit… Et s’il te plait, arrête de boire ! s’écria le Docteur, agacé, en essayant de lui arracher son verre des mains.
Tant mieux ! songea intérieurement Ambrosius.
Même s’il n’avait pas les idées totalement claires, il avait craint une fraction de seconde que ses amis étaient vraiment sérieux. Et si la signorina avait lu dans ses pensées… Il réprima un frisson et poursuivit pour lui-même :
— Heureusement que les douze Sybilles de l’Antiquité ont toujours été incomprises… hic !
— ARRÊTE DE BOIRE ! aboya Laguerra.
— Mais voyons Fernando… il a toujours été dit que le vin était excellent pour la santé ! fit une voix mielleuse derrière eux. Voulez-vous que vous resserve, maitre Ambrosius ?
Visiblement sans prêter attention au timbre pourtant familier, celui-ci ne se fit pas prier et avança sa coupe de cristal, tandis que des mains faisaient couler le vin blanc d’une carafe de verre.
— Anna Maria ! Tu devrais rentrer te reposer ! s’écria Théophraste derrière elle.
À bout de souffle, son cousin semblait avoir couru un marathon pour rattraper la jeune femme et s’affala sur un tabouret à côté d’Athanaos. Elle l’observa malicieusement du coin de l’œil :
— Tu ne pourras pas me garder indéfiniment enchainée près de toi, et tu le sais. Je me sens très bien aujourd’hui. Et estimes-toi heureux que j’ai accepté de te suivre demain.
— Hum… si tu le dis…, murmura le médecin. J’allai justement vous informer de notre départ. Nous ne serons probablement pas de retour pour vous présenter nos adieux dans trois mois…
— Oh, quel dommage… hic !
Le Français sentit quatre paires d’yeux braqués sur lui qui le fusillaient. Tous avaient compris la même chose :
Ouf, tant mieux… hic !
Anna Maria monta lentement les marches de l’escalier de bois de l’auberge génoise, en prenant soin de ne pas marcher sur ses jupons. Ce n’était pas le moment de refaire une chute ! Parvenue à un mi-palier dissimulé dans la pénombre, elle fit discrètement signe à Athanaos de la rejoindre. Intrigué, ce dernier s’exécuta sans susciter la moindre réaction chez un Fernando énervé, un Ambrosius ivre mort et un Théophraste exténué, et suivit la jeune femme sur la terrasse du toit qui surplombait la ville.
— Comme vous l’a dit mon cousin, nous partirons demain à la levée du jour pour Milan… J’ignore quand nous reviendrons à Gênes, mais nous ne nous reverrons probablement pas, mon ami.
— C’est bien dommage. Vous auriez vraiment aimé voir la nef dans les airs…, rit le Grec.
— Oh ! Mais comme je l’ai dit sur la galère, j’ai toujours su que les bateaux voleront un jour ! répliqua-t-elle avec malice.
— C’est donc à Leonardo Da Vinci que votre mère a donné quelques plans de construction ?
— Oui, c’est bien à lui… Mais, même s’il est un inventeur de génie, il n’a jamais su quoi en faire. Là-dessus, je dois bien avouer qu’Ambroise de Sarle est un précurseur, et il peut s’en vanter…
Cette constatation la rendait amère et les mots de félicitations lui écorchaient la bouche. Elle poursuivit sur un terrain plus neutre à ses yeux :
— J’espère que vous continuerez à vous servir de la pyramide de Mu comme il se doit, et sans outrepasser ce pourquoi elle a été conçue…
Athanaos hocha la tête en signe d’affirmation.
— Je peux compter sur vous ? insista-t-elle avec une pointe d’inquiétude dans la voix.
— J’y veillerais…
— Merci. Et si jamais vous l’égarez…
À ces mots, elle glissa quelque chose dans la main du Grec. Au contact froid de l’objet, il baissa les yeux et fut surpris de voir dans sa paume le pyramidion d’Atlantis scintiller aux reflets du soleil couchant.
— Mais vous…, commença-t-il.
— Quelque chose me dit que vous en aurez plus besoin que moi. Et donnez-moi de vos nouvelles de temps en temps, maintenant que vous savez comment il marche ! fit-elle dans un clin d’œil. Prenez soin de vous Athanaos…
Elle avait dit cette dernière phrase sur un ton de murmure, et déposa un rapide baiser sur sa joue. Oubliant déjà ses précautions, Anna Maria Schweitzer s’élança dans l’escalier raide et dévala les marches quatre à quatre. Le Grec suivit du regard l’autre Atlante jusqu’à ce qu’elle disparaisse de son champ de vision.
Elle lui manquerait…
Modifié en dernier par Xia le 01 juil. 2021, 15:13, modifié 1 fois.
La terre n’appartient pas à l’homme, c’est l’homme qui appartient à la terre (Tatanka Iyotaka)

Ma fanfic sur la préquelle des Mystérieuses Cités d'or, c'est par ici

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Re: A la recherche de l'Empire perdu

Message par Xia »

Chapitre 20 : Une nouvelle nef pour un nouveau départ


Novembre 1518, République de Gênes

Ambrosius leva des yeux brillants d’excitation en direction de la grue de bois qui s’élevait de plus en plus haut. Il tressaillit légèrement lorsque que la partie du bâtiment principal s’arrêta brusquement à dix mètres du sol et commença dangereusement à se balancer dans le vide.
Non… C’est normal… Inutile de s’inquiéter, tout va bien…
Pourtant, au fond de lui, il n’était guère rassuré malgré ces pensées apaisantes. Mais petit à petit, sa respiration reprit son rythme normal et la crainte de voir la toiture de sa nef s’effondrer sur lui s’amenuisa lorsque le vacillement cessa net. La machine déjà usée par le temps et le travail entreprit de tourner lentement sur elle-même et le toit parvint enfin à sa destination finale.
Le cœur encore battant, l’alchimiste s’autorisa une minute de répit. Il commençait à être las de devoir surveiller toute la journée l’avancée des travaux.
Si encore il n’y avait que cela à regarder…
Cela faisait deux semaines maintenant. Athanaos et Laguerra ne pouvaient donc pas vérifier de temps à autre si Marco et ses hommes n’essayaient pas de recommencer une mutinerie ? S’ils étaient bien tous à leur poste ? Lorsqu’il s’en était plaint à ses amis, il n’avait suscité guère de réactions de leur part. Sinon de la surprise.
— Personne n’a accepté de venir aujourd’hui ? Il faut dire aussi que ça te pendait au nez…
Devant son air interloqué, Fernando avait expliqué :
— Essaye donc de les comprendre, Ambroise ! Ils n’ont aucune idée de ce qu’ils sont en train de construire. Tout ça parce que tu as refusé de leur donner un plan d’assemblage. Tu t’es juste contenté de donner le nombre de mètres de bois à couper aux trois charpentiers, la dimension des verres au verrier, et ainsi de suite. Tout juste si tu n’as pas trouvé un cloutier à qui tu aurais demandé dix-huit mille clous ! Au final, personne ne sait à quoi la nef va ressembler. Encore un miracle qu’ils arrivent à monter tout ça dans le bon sens !
Le Français avait grommelé qu’il voulait simplement garder pour eux la maquette. Moins de personnes la verraient, mieux ce serait… Et plus longtemps il serait le seul détenteur d’un bateau volant. Un raisonnement qui lui avait valu un haussement d’épaules de la part de ses amis. Quand il s’était tourné vers l’armateur pour quémander son aide, celui-ci s’était gardé de donner raison à l’un ou l’autre parti. Mais Karl Schweitzer n’en pensait pas moins.
— On y va, patron, dit un employé, de mauvaise humeur.
Un des cinq menuisiers sans doute…, pensa le petit homme quand il vit les nombreux pansements aux mains.
— Quoi ? Déjà ?! Mais…
— Oui, déjà ! l’interrompit sèchement l’autre. Il va faire bientôt nuit et ma femme et mes enfants m’attendent.
— À demain, osa timidement le Français.
La porte de l’arsenal claqua sans qu’il n’ait obtenu le moindre salut.
Le délai de six mois décrété par Marco allait s’achever dans quelques semaines, mais Ambrosius avait le sentiment que le chantier allait être fini bien avant. Mais il avait aussi appris à connaître le contremaitre et avait la désagréable impression qu’ils allaient tout de même devoir attendre la fin du sursis. Un fait qui n’allait pas adoucir l’humeur du Docteur.
Il était toujours aussi émerveillé devant son chef-d’œuvre que depuis la première fois où il avait vu la nef prendre forme sous ses yeux lorsqu’il avait construit sa maquette. Il ne se souvenait pas d’avoir ressenti une telle allégresse lui envahir le corps depuis… Aucun souvenir. Ce devait donc être la première fois. Même la perspective de faire la rencontre du grand génie qu’était Léonard de Vinci ne l’avait pas empli de joie avec autant d’ampleur que maintenant.
— Elle s’appelle comment ? demanda Fernando avec un air narquois.
La tête encore levée, Ambrosius sursauta lorsqu’il entendit la voix de son ami près de lui.
— Hein ? Qui ?
— La dame ! Tu as le regard rêveur, tu ne nous entends même pas approcher… et en plus, tu rougis !
Maudissant un corps qui parlait pour lui, l’alchimiste bafouilla :
— Mais… personne !
— Et il ne répond même pas aux questions ! rit Athanaos.
Piqué au vif, Ambroise de Sarle ne put que répondre :
— Je repensais juste à mon entrevue avec le Florentin.
— Évidemment…, fit narquoisement Fernando échangeant un regard entendu avec le Grec.
Leur ami avait été victime des flèches de Cupidon. Que cela lui plaise ou non… et il comptait faire tout son possible pour connaître l’identité de la dulcinée d’Ambrosius.
À la grande surprise du Docteur et d’Athanaos, il rendit les armes rapidement lorsqu’ils l’interrogèrent :
— Je ne sais pas…
— Comment ça, tu ne sais pas ? Tu es amoureux d’une femme, et tu n’as même pas pensé à t’enquérir de son nom ?! fit le Portugais, éberlué.
Rougissant de plus belle, l’alchimiste balbutia :
— Je ne l’ai vue que de loin… à Amboise… il y a environ trois ans…
Athanase d’Éphèse essayait tant bien que mal de ne paraître que surpris. D’habitude, il était le premier à se réjouir sincèrement lorsqu’il voyait des couples se former autour de lui sous les effets de l’Amour. Mais Ambrosius… Comment un être aussi égoïste et imbu de lui-même comme lui avait-il pu y succomber ? Celui-ci lui jeta un regard noir lorsqu’il vit que son ami se mordait les lèvres pour ne pas exploser :
— Croyez-moi si vous voulez : cela a été le coup de foudre !


Novembre 1518, Milan, Saint-Empire romain germanique


— Encore une fois, fais attention ! s’écria une jeune fille, tandis qu’une autre, furieuse contre elle-même, baissait sombrement la tête.
— Pardonne-moi, j’ai du mal à me concentrer.
— Rajoute les œufs… ET REGARDE LA CASSEROLE ! Diantre ! Mais pourquoi te retournes-tu sans cesse ?
Hésitante, sa compagne regarda une nouvelle derrière elle, et murmura tout bas :
— J’ai l’impression qu’on nous observe depuis tout à l’heure…
Passablement énervée, son amie releva une mèche de cheveux roux qui lui tombait sur le visage et soupira bruyamment :
— C’est normal : on est devant une glace ! C’est toi qui t’observes ! Maintenant, par pitié, termine ton plat ! Je n’ai pas envie de t’aider à le recommencer la semaine prochaine !
– Je te l’assure : je sens qu’il y a quelqu’un ! siffla-t-elle entre ses dents.


Constantinople !
La fille du Docteur était à Constantinople !
Le cœur battant la chamade, Anna Maria sortit lentement de son lit et grimaça en sentant un liquide froid inonder son corps. Elle s’était endormie sans avoir eu le temps d’enlever le gobelet.
Cette fois, elle en était certaine : la potion avait fait son effet ! Elle tenait indirectement la recette d’un compagnon de Christophe Colomb lorsque celui-ci avait exploré le Nouveau Monde. Ce mélange de plantes était utilisé par les chamans amérindiens depuis la nuit des temps pour invoquer les esprits et recevoir des réponses à leurs questions. Une décoction relativement simple en soi à préparer, mais après laquelle il fallait prononcer une formule après l’avoir bue. Or bien que la jeune femme connût parfaitement le texte, elle avait été incapable de trouver la phonologie et avait plusieurs fois envoyé l’âme du marin brûler en enfer car celui-ci ne l’avait pas retranscrit phonétiquement. Elle avait fait de nombreux essais depuis son départ de Gênes, mais aucun n’avait fonctionné. Jusqu’à la veille.
Étonnante sensation qu’était la transe. À la frontière entre le rêve et la réalité, Anna Maria avait vraiment eu l’impression de se trouver dans ce lieu mystérieux avec Isabella Laguerra. La fillette aussi avait senti sa présence, elle en était persuadée.
Mais pour l’heure, elle se devait de rentrer à Gênes. Sur-le-champ. Car, même si elle connaissait la mentalité obstinée du bras-droit de son père quant au délai imparti, elle n’était pas à l’abri d’un imprévu.
Encore sous l’effet de la drogue, la jeune femme alluma une bougie, chercha à tâtons ses vêtements dans sa chambre puis se figea brusquement.
Ça n’allait pas le faire.
Monter à califourchon avec une robe relevait de l’impossibilité. Elle avait déjà essayé enfant et s’était retrouvée les fesses à l’air. Et il était hors de question de faire plus d’une centaine de kilomètres sur une sambue ! Elle se maudit de ne pas avoir penser à emmener une toilette plus appropriée au voyage.
Une idée traversa fugitivement son esprit, qu’elle entreprit de chasser.
Non… Elle ne pouvait pas faire ça…
Mais la tentation revint, cette fois, plus forte et elle dut admettre qu’elle n’avait pas d’autre choix.
Il comprendra… enfin j’espère !
Anna Maria quitta sa chambre, entrevit sans bruit la porte voisine sur le palier de l’auberge et sourit. Théophraste dormait à poings fermés. Sa bougie à la main, elle se glissa dans la pièce et fouilla dans ses affaires. Elle se redressa soudain et, satisfaite d’elle-même, quitta la chambrée, refermant silencieusement derrière elle. De retour chez elle, la signorina enfila rapidement la tenue de son cousin et noua ses cheveux bruns en un chignon derrière sa tête. Elle n’avait pas de miroir mais elle savait que ces gestes, qu’elle avait maintes et maintes fois effectués dans sa jeunesse, lui donnaient l’apparence d’un homme.
Elle écrivit une note, s’excusant, à l’adresse du jeune médecin qu’elle laissa sur son lit et sortit de la maisonnée.
Il ne lui restait plus qu’à dénicher un cheval et elle prendrait la direction de sa République natale.
Heureusement que j’ai encore quelques heures devant moi, pensa la jeune femme en songeant à la fureur dans laquelle se trouverait Théophraste au petit matin, ne trouvant ni sa cousine, ni ses habillements.


Quelques jours plus tard, République de Gênes

Le jour commençait à pointer sur l’« Orgueilleuse » de Pétrarque et les rayons du soleil se reflétait dans la Méditerranée.
Elle était courbaturée et n’aspirait qu’à descendre d’un cheval aussi exténué qu’elle. D’ordinaire, Anna Maria Schweitzer serait restée contempler la vue du paysage qui s’offrait à elle en laissant l’animal s’abreuver le long du Pô. Du haut de la colline où elle se trouvait, elle pouvait apercevoir les navires en partance pour les colonies génoises. Aucun ne sortait des entrepôts de son père, c’était déjà ça…
Elle avait mis plus de temps qu’elle ne l’avait imaginé à parcourir les deux cents kilomètres qui séparaient Milan de Gênes. Trouver les relais équestres pour changer de monture n’avait pas été une mince affaire, et les gérants s’étaient montrés plus que récalcitrants à louer un cheval à un homme aux allures étranges. Elle avait constaté avec effroi que la fin du délai approchait dangereusement, et s’était surprise à prier pour arriver à temps.
Mais elle connaissait Marco : il s’acharnerait à finir la nef au bout de six mois. Quitte à accélérer ou ralentir le mouvement.
Six mois et pas un jour de plus. Ou de moins.
Elle réussit à pousser sa monture jusqu’à la maison familiale où déjà s’activait le personnel domestique. La jeune femme descendit de cheval et regarda l’intérieur à travers les carreaux.
— Anna Maria ?!
Elle se retourna vivement et se retrouva face à l’homme qu’elle cherchait.
— Tu es déjà revenue ?! Où est Pippo ?
Sans prêter attention à l’avalanche de questions de son père, elle demanda d’une voix légèrement tremblante qui trahissait son agitation :
— Où est le Docteur ? Il faut que je le voie !
— Qu… Tu veux un médecin ? Mais où est Théophraste ? répéta Karl sans comprendre.
— Hein ? Non ! Où sont Laguerra et Athanaos ?
— Oh ! Nos alchimistes ?! Mais ils sont partis !
Anna Maria crut qu’elle allait défaillir.
— Partis ? Mais depuis quand ?
— Depuis cette nuit ! Leur nef marche à merveille ! Selon maitre Ambrosius, c’était le seul moyen pour que Marco et son équipe ne voient pas la fonction exacte de son navire…
L’armateur continuait, excité, à vanter le travail du Français, mais déjà sa fille ne l’écoutait plus.
Partis ! Ils étaient partis !
Comment allaient-ils pouvoir retrouver Isabella à présent ? Parce qu’elle en était certaine : aucun d’eux n’aurait l’idée de s’attarder à Constantinople, surtout du côté du Vieux Palais ! Est-ce que l’idée elle-même leur traverserait l’esprit, de savoir la fillette entre les murs d’un harem ? Et quand allaient-ils s’y rendre, à Constantinople ? Dans un, deux, voire trois mois ? Si au moins elle savait quelle direction ils avaient prise et dans quelle ville ils se rendaient à présent… Alger ? Rabat ? Casablanca ? Tunis ? Elle pourrait faire le voyage. C’était une illusion presque chimérique, mais elle voulait croire qu’il y avait toujours un espoir… de voir leurs chemins se recroiser un jour.
Modifié en dernier par Xia le 01 juil. 2021, 15:25, modifié 1 fois.
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TEEGER59
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Re: A la recherche de l'Empire perdu

Message par TEEGER59 »

La suite! La suite! La suite!
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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Xia
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Re: A la recherche de l'Empire perdu

Message par Xia »

Chapitre 21 : Un vent de liberté


Printemps 1519, Constantinople, Empire ottoman

Le jour qu’Isabella redoutait inconsciemment arriva.
Sans savoir pourquoi, sa poitrine s’était serrée à un point qu’Hürrem avait cru qu’elle allait défaillir et s’était précipitée vers elle pour la retenir. Les deux amies avaient en effet vu avec une certaine appréhension Marzban s’approcher d’elles d’un pas décisif, après s’être longuement entretenu avec des gardes du sultan – chose qu’il ne faisait que très rarement. Et le sourire en coin qu’il arborait sur son visage ne présageait rien de bon.
— Kimia ! Viens par ici, ordonna-t-il sèchement, tandis qu’elle avançait timidement vers lui. Notre bien-aimé sultan te désire près de lui…
Soudainement blême, la fillette écarquilla les yeux et déglutit péniblement tout en s’efforçant de paraître le plus calme possible. Mais au fond d’elle-même, elle sentait son cœur battre la chamade et priait silencieusement pour ne pas chanceler.
— Mais ma place est ici, dans le harem…, essaya-t-elle d’articuler.
Si elle avait su qu’un jour elle se réjouirait de dire cela…
— Il faut que tu saches ma jolie que lorsque le sultan désire quelque chose, ce n’est pas une demande, c’est un ordre ! Tu as deux heures pour te préparer à partir.
La fillette resta interdite. Deux heures ! Elle avait l’impression qu’on lui venait de lui jeter un seau d’eau glacée à la figure et en tremblait littéralement. Partir ? Elle qui commençait tout juste à s’habituer à sa nouvelle vie devait tout quitter pour contenter un homme dont la seule pensée la répugnait ?!
— Il n’a aucun droit Marzban ! Toutes les femmes doivent être ici, entre ces murs ! Il ne peut…, commença Hürrem.
— Comment ça, il n’a aucun droit ? rugit l’eunuque. Tu oublies de qui tu parles : de Selim, neuvième sultan de l’Empire Éternel ! Il fait ce qu’il veut ! Et qui es-tu pour oser t’opposer à lui ? Juste une petite esclave qu’il a daigné capturer pour qu’un de ses hommes te permette de t’instruire. Estimes-toi heureuse de ne pas avoir atterri ailleurs !
Le rouge aux joues, la jeune rousse baissa humblement la tête, mais osa malgré tout :
— Hafsa ne le permettrait pas…
— La sultane n’est pas là ! Tu ne peux pas l’invoquer à chaque fois que ça t’arrange, Hürrem ! Elle est avec son fils à Manisa… mais ça, tu devrais le savoir, vu que tu es toujours fourrée dans ses jupons !
Des rires fusèrent de part et d’autre de la cour à la suite de ses paroles. Les femmes s’étaient toutes attroupées lorsqu’elles avaient entendu les éclats de voix. Profondément humiliée, Hürrem entraina sa protégée dans leur chambre et murmura :
— Pardon Kimia. Je voulais arranger les choses et je ne les ai fait qu’empirer. À cause de moi, ils vont t’avoir à l’œil. Beaucoup plus qu’à leur habitude.
— Ça n’aurait rien changé, tu le sais très bien.
— Oui mais tout de même !
Isabella contenait tant bien que mal sa rage. Inutile de lui donner deux heures. Elle rangea le si peu des effets qu’elle possédait dans un baluchon de toile et se laissa tomber sur sa paillasse, abattue. Au bout d’un long moment, la fille aux cheveux de feu rompit le silence devenu oppressant :
— Au moins, tu ne chercheras plus à te convertir…
Un éclair amusé passa dans les yeux de son amie, comme elle l’avait espéré.
— Oh ! Mais ne t’inquiète pas : je n’avais aucune intention d’embrasser la religion d’Allah juste pour sortir d’ici. Même si je dois bien l’avouer, l’envie m’a souvent titillée…
— D’autant plus qu’on ne t’aurait jamais permis de le faire ! Et ce n’est parce que le Coran interdit d’assujettir les femmes musulmanes qu’elles peuvent quitter le harem si elles abjurent. Beaucoup l’ont fait et n’ont jamais recouvré la liberté. Au moins, à présent, tu peux partir en restant toi-même…
— Oui, si tu le dis, fit la fillette d’un air dépité.
— J’ai quelque chose pour toi.
Hürrem se tourna vers le fond de la pièce et fouilla dans ses affaires. Elle se redressa, triomphante, et revint vers Isabella tenant dans ses mains une chemise et un pantalon.
— Voici ce que je portais quand on m’a vendue à Caffa. C’est très pratique pour voyager. Et pour courir.
Sur ces mots, elle planta ses yeux verts perçants dans ceux de sa protégée. Celle-ci sentit le rouge lui monter aux joues. Comme à son habitude, elle lisait en elle comme dans un livre ouvert. Et savait par conséquent qu’elle n’avait aucune intention d’aller au bout du voyage.
— Fais attention Kimia. Le feu peut protéger comme il peut détruire. Ne joue pas avec. Tu peux le regretter…
Difficile de regretter de servir de dessert au sultan !
Elle acquiesça malgré tout.
— Pourquoi me donnes-tu cette tenue dans ce cas ? railla-t-elle d’un ton moqueur.
Hürrem haussa les épaules.
— Parce qu’on se ressemble et que j’aurais fait exactement la même chose, fit-elle dans un clin d’œil. Sois donc libre pour deux…
La fillette sourit et prit les vêtements que la rousse lui tendait. Elle ôta la tunique turquoise qu’elle portait depuis son arrivée et enfila le caleçon de lin. Il était agréablement doux au toucher. Elle eut une pensée pour Havrylo Lisowski. Qu’est-ce qu’il aurait dit, s’il l’avait vue dans ces vêtements ? Il aurait sauté au plafond, assurément. Une erreur de la Nature… S’il avait connu Hürrem, il aurait su qu’elle n’était pas la seule.
— C’est l’habit traditionnel de ma région… Enfin, en principe : il manque la sarafane… J’ai déchiré la mienne le jour de ma capture, dit-elle avec une pointe de regret dans la voix.
— Oh ! Mais tu es magnifique dedans ! Ça te va à ravir ! s’exclama une voix derrière elles.
Laleh s’avança dans la minuscule pièce à coucher, suivie de près par ses sœurs.
— Je ne comprends pas… Selim aurait dû demander à Nasreen de le rejoindre, pas à toi ! poursuivit-elle.
— Tu ferais mieux de te réjouir pour Kimia ! la réprimanda doucement Maryam. Au moins notre amie aura l’opportunité de parcourir le monde…
La fillette ne sut que penser de cette dernière phrase.
Maryam était plus perspicace que ses sœurs, mais elle ne pouvait tout de même pas avoir…
— Nous sommes venues te souhaiter une bonne continuation, continua-t-elle avec un sourire en coin.
Isabella secoua la tête.
Non… Impossible !
— Je demanderai de tes nouvelles, assura Nasreen en la serrant dans ses bras.
La jeune Laguerra échangea un regard complice avec son amie. Elle risquait fort de ne pas entendre parler de Kimia après ce soir !
Elle sentait toujours sur elle l’œillade malicieuse de Maryam. De plus en plus mal à l’aise et désireuse de changer de sujet, elle lui demanda :
— Ça ne vous fait pas mal ?
— Oh ça ?! Non, rassure-toi…
— Les premiers jours, l’épaule nous a démangées, mais on s’y fait, rajouta Nasreen d’une voix douce.
— Ça nous a même rapprochées ! affirma Laleh en exhibant fièrement son tatouage.
Elle s’approcha et put admirer le travail de l’artiste turc quémandé par les eunuques. Car ceux-ci, las de les entendre se chamailler, avaient finalement décidé de marquer leurs corps afin de les reconnaitre. Désormais, chacune avait sa propre fleur en haut du bras gauche et, à la surprise générale, toutes trois s’en réjouissaient.
Les triplées la saluèrent une dernière fois et sortirent, laissant les deux amies seules. Hürrem leva les mains vers son visage et dégrafa un peigne doré à l’or fin qui lui retenait une mèche de cheveux rebelle.
— Prends ceci… en souvenir de notre amitié.
Elle s’approcha lentement de la fillette et lui noua sa lourde chevelure sur sa tête en l’attachant avec l’accessoire.
— Il te va à merveille ! sourit-elle, les yeux humides en sentant que l’heure des adieux approchait. Ne m’oublie pas s’il te plait… Isabella…
Encore troublée par ce geste inattendu, la fillette aurait voulu lui dire qu’elle n’avait pas besoin d’un objet lui ayant appartenu pour se remémorer les bons moments qu’elle avait passé en sa compagnie. Mais sa gorge resta nouée par l’émotion. C’était la première fois que sa protectrice l’appelait par son prénom.
Hürrem s’apprêta à sortir. Mais au dernier moment, elle prit une grande inspiration et murmura enfin le nom qui lui brûlait les lèvres depuis plusieurs mois :
— Anastasia… On m’a appelée Anastasia les dix premières années de ma vie…
— Je savais que tu t’en souvenais !
— Prends soin de toi, petite sœur…, dit-elle en déposant un baiser furtif sur sa joue.


Printemps 1519, quelque part dans la province de Van, Empire ottoman


Ils avançaient depuis maintenant près d’une semaine sur une terre aride qui s’étendait à perte de vue.
Isabella et la troupe de soldats qui l’escortaient avaient franchi le détroit du Bosphore en barque, traversé bien des villages sous les yeux craintifs de leurs habitants. C’étaient la plupart du temps des paysages désolés ravagés par la guerre qui avait opposé le sultan ottoman Selim au chah safavide Ismaïl bien des années plus tôt. Ils avaient tourné le dos à toute civilisation depuis plusieurs jours, et elle avait la désagréable impression que les cavaliers avançaient à l’aveuglette.
Les journées défilaient sous ses yeux à une vitesse affolante.
Si le jour, elle était réveillée aux aurores par Harfan, la nuit, elle passait son temps à panser ses pieds abimés par la marche et à chercher le sommeil. Elle avait beau demandé dans combien de temps ils allaient rejoindre le campement du sultan, elle n’obtenait jamais de réponse. Par conséquent, elle craignait de plus en plus de voir s’envoler la mince chance de s’échapper.
Alors qu’elle commençait à perdre espoir, la petite troupe des sipahis arrivèrent en vue d’un immense lac, dominé par un lieu sacré sur une ile.
Une idée germa dans l’esprit d’Isabella. Elle attendit néanmoins le repas du soir autour du feu pour s’adresser à Hafan :
— Je peux vous demander une faveur ?
— Tu ne l’auras pas. Mais demande toujours…, répondit le chef de la troupe.
Sans prêter attention au reste des gens d’armes qui ricanaient, elle poursuivit :
— Vendredi prochain, j’aimerais prier le Soleil dans cette église.
Comme ça, la boucle sera bouclée…
Les ricanements cessèrent aussitôt. Harfan leva un sourcil.
— Prier le Soleil ?! Je croyais que tu étais chrétienne ?
— Mais je suis chrétienne ! J’appartiens à la minorité montaniste… où on prie le Soleil… le vendredi, fit-elle d’une voix de moins en moins assurée.
Le capitaine de sipahis la dévisagea un instant, étonné.
— On prie le Soleil chez toi ? interrogea-t-il en se tournant vers un de ses hommes.
De confession orthodoxe, le soldat haussa les épaules, n’ayant jamais entendu parler des chrétiens montanistes, et encore moins de ses coutumes, comme l’avait espéré Isabella.
— Très bien. Soit. On sera vendredi dans trois jours. D’ici là, on sera arrivé sur l’ile et tu pourras y aller.
La jeune Laguerra jubilait.
Enfin elle pourrait mettre son plan à exécution.
Elle dévisagea un instant le chrétien ottoman, ses yeux se posant sur sa cuisse. Elle se figea, incrédule.
Sa rapière !

Le jour tant attendu arriva.
Après une nuit pluvieuse et glaciale, un soleil splendide avait pris place dans le ciel des terres anatoliennes et réchauffait l’air.
Une journée idéale pour prier le Soleil ! pensa la fillette avec ironie.
L’Anatolie… Isabella eut une pensée pour Athanaos. Elle se doutait qu’il aurait très certainement aimé la savoir ici.
Après avoir gravi non sans peine une colline rocheuse, elle fut emmenée sans ménagement au monastère d’Akdamar sous la haute surveillance du garde chrétien. L’édifice religieux surplombait le lac de Van et lui offrait une vue à couper le souffle. Elle admira une fraction de seconde les différentes fresques qui ornaient les murs de l’enceinte. Mais déjà l’homme la poussait à l’intérieur de l’église.
— C’est plus facile de prier les mains libres…, murmura-t-elle en tendant ses poings.
Le sipahi comprit le sous-entendu et trancha les liens.
— Cela fait combien de temps que tu n’as pas prié ? demanda-t-il.
Aucune idée.
— Pas mal de temps.
Hürrem m’a demandé d’être libre pour deux. À présent, je vais prier pour deux… Havrylo n’a pas dû avoir beaucoup l’occasion de le faire…, songea Isabella avec un pincement au cœur, sachant très bien que son ami aurait donné n’importe quoi pour se trouver à ses côtés.
Tous deux se signèrent en posant un genou à terre. Prenant conscience que sa camarade préférait garder le silence, le soldat joignit les mains et ferma les yeux. Si de son côté, la fillette se prosternait de la même manière, mais elle ne formula en revanche qu’une seule prière.
Pourvu que ça ne soit pas trop profond !
Elle prit une profonde inspiration, en demandant intérieurement pardon pour la conséquence de ses actes.
Tout se déroula très vite.
Elle se redressa, suivie de près par l’homme qui venait de s’apercevoir de sa négligence. La jeune Laguerra lui asséna un violent coup de pied qui l’envoya s’effondrer au pied de l’autel. Elle constata avec soulagement qu’il était seulement évanoui. Elle se pencha rapidement pour ramasser son épée. Ce ne fut qu’à cet instant qu’elle entendit les autres guerriers monter les marches quatre à quatre. Le cœur battant, entendant les voix rocailleuses, elle reformula sa prière et, sous les regards effarés des Ottomans, se jeta dans le vide.
Modifié en dernier par Xia le 01 juil. 2021, 15:42, modifié 1 fois.
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Laguerout
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Message par Laguerout »

La suite :D
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Re: A la recherche de l'Empire perdu

Message par Xia »

Chapitre 22 : Urartu


La troupe s’arrêta et le cavalier à sa tête descendit de sa monture. Il fit quelques pas puis s’agenouilla pour baiser la terre aride en signe de respect. L’homme jeta un regard vers le garçon qui venait de le rejoindre ; celui-ci, comprenant l’ordre muet de son ainé, entreprit de faire le même geste solennel.
— N’oublie jamais, mon fils, que nous sommes sur la terre de nos ancêtres. Par cette marque d’estime, nous leur montrons que nous nous souvenons de nos origines.
L’autre hocha la tête en guise d’acquiescement, prenant brutalement conscience du poids de la charge à venir. Il venait d’entrer dans sa treizième année et, comme son père et son grand-père avant lui, son lent apprentissage de la vie de chef de la tribu commençait.
Son père sortit une longue-vue de la sacoche de son chameau et la tendit à l’adolescent. Voyant qu’il hésitait, il l’encouragea d’un signe de tête. Le fils la prit délicatement et la plaça du mieux qu’il put sur son œil.
— Bien, sourit l’homme, rectifiant malgré tout sa posture. À présent, sachant que nous devons aller au nord, quelle distance marcheront les chameaux pour arriver à notre destination ?
L’autre dissimula non sans peine un long soupir. Il détestait ce genre d’exercice ! Il avait l’impression d’avancer à l’aveuglette et il avait horreur de ça. Mais c’était un passage obligé dans son initiation et il comptait bien faire tout son possible pour se montrer à la hauteur des espérances de son père.
Le garçon se répéta mentalement les observations que son paternel faisait durant les voyages lorsqu’il était enfant et commença son inspection des alentours.
— L’eau est en aval à quelques dizaines de kilomètres d’ici. Nous y serons dans une petite heure… Il n’y a rien à signaler à l’ouest… Mais il y a un campement dressé à l’est…
— Que peux-tu dire sur ce campement ?
Au ton du chef, il comprit que celui-ci avait déjà remarqué les tentes de toile, et en fut rassuré. Il n’aurait pas pris le risque d’amener son fils sur un terrain hostile. Il dirigea la longue-vue sur le lieu du cantonnement et fit une description la plus précise possible mais murmura d’une voix blanche :
— Le camp est en rouge et bleu… Père ! Mais ce sont les sipahis de la Porte !
— Calme-toi… Nous n’avons rien à craindre. Les soldats de Selim ne nous feront rien car ils nous respectent. De plus, nous ne sommes pas visibles de là où nous sommes. Nous aurions le temps de nous enfuir si quelque chose n’allait pas. C’est pour cela qu’il faut faire un repérage avant de nous rendre quelque part.
Honteux de s’être laissé dominer par la peur – chose qu’il ne fallait absolument pas faire –, le fils baissa la tête humblement. Il comprenait mieux à présent l’utilité de l’exercice.
— Maintenant, reprend ! Que font les janissaires ?
— Ils détiennent quelqu’un en otage… J’ai l’impression qu’ils vont le jeter dans le lac…
— Le jeter dans le lac ?! Ils tuent mais ne noient jamais personne !
— Pourtant, c’est ce que l’un d’eux a l’air de faire… Non, ils viennent de disparaitre dans l’église…
L’homme ne put cacher son étonnement : depuis quand des soldats – pour la plupart musulmans – se rendaient au monastère chrétien d’Akdamar ?
— Donne ! dit le père en essayant d’attraper l’instrument.
Indifférent aux ordres du chef, l’adolescent garda la longue-vue collée à son œil et fronça les sourcils. Il venait de voir réapparaitre le prisonnier – seul cette fois – et celui-ci semblait bien déterminé à échapper à ses poursuivants en se jetant dans le lac. Le garçon suivit avec effroi la chute et retint son souffle lorsque l’homme brisa la surface inerte de l’eau. Il poussa un soupir de soulagement lorsqu’il vit à travers sa lunette la silhouette remonter. Il ne savait pas quelque crime le prisonnier avait commis pour se retrouver à la merci des sipahis, mais au moins le lac sacré ne serait pas sa dernière demeure. Une impulsion furtive le poussa à mieux discerner le visage de celui qui avait plongé. Il resta un court instant muet de surprise lorsqu’il réussit à voir les traits. Sourd aux protestations et aux appels de son père, il lâcha l’instrument et dévala la pente en courant.

Isabella avait vu sa vie défiler sous ses yeux pendant la chute. Elle ne s’était pas attendue à une aussi grande hauteur. Elle eut l’impression d’avoir été jetée contre un mur tellement l’eau était froide. Lorsqu’elle avait senti ses pieds toucher le fond du lac, elle s’était empressée de donner un violent coup pour remonter. Ce fut avec soulagement qu’elle ressortit la tête de l’eau et put respirer à l’air libre. Le cœur battant, elle essaya de se dissimuler au mieux en se plaquant contre la roche. Au-dessus d’elle, les voix des soldats tonnaient :
— Comment vous avez pu la laisser s’enfuir ?!
— Le sultan la voulait vivante !
— Il ne nous reste plus qu’à la retrouver !
Une demi-heure passa sans qu’ils n’aient trouvé la moindre trace de la fugitive.
— C’est impossible de rester au fond aussi longtemps…
— Si elle était remontée, on l’aurait vue !
— Elle a dû se noyer…
— BANDE D’INCAPABLES !
Peu de temps après, Isabella entendit les soldats remonter sur leurs chevaux et repartir au galop. La voie était enfin libre. Elle ferma les paupières un instant, savourant enfin la liberté qu’elle avait tant attendue… Lorsqu’elle les rouvrit, la jeune fille observa le lieu où elle se trouvait. Des montagnes recouvertes de neige s’étendaient à perte de vue, surplombant un magnifique lac d’une eau presque transparente.
La fillette se raidit brusquement lorsqu’elle sentit une masse visqueuse frôler le bas de ses jambes. Blême, elle regarda l’eau et découvrit avec stupeur l’ombre qui venait de se matérialiser sous ses pieds. Elle crut qu’elle était engourdie par la fatigue, que son esprit lui jouait des tours… Mais après s’être frotté les yeux, Isabella constata avec effroi que la silhouette était toujours là. Le cœur battant, elle nagea à en perdre haleine vers une falaise moins abrupte, qu’elle pourrait escalader. Elle se dépêcha de grimper les rochers tout en jetant de temps à autre un coup d’œil par-dessus son épaule.
La jeune Isabella Laguerra eut la peur de sa vie lorsqu’elle croisa les yeux du monstre.
Elle hurla de terreur en voyant une créature brune s’élever au-dessus d’elle. Elle avait le corps de la déesse hippopotame Touéris mais était pourvue de grandes épines triangulaires sur le dos. Un cou long de deux mètres se terminait par une minuscule tête qui ouvrait une gueule béante. Isabella attendit les paupières closes que les mâchoires se referment sur elle et la broient.
J’aurai quand même eu une belle vie…, songeant tristement que sa dernière heure était arrivée.

Contrairement à ce qu’elle pensait, la mort ne changeait rien. Il n’y avait pas de lumière blanche qui l’enveloppait, pas de main tendue pour l’emmener au Paradis, pas de pesée d’Âme…
Rien. Il n’y avait rien.
Au bout de quelques instants, elle osa rouvrir les yeux et constata non sans surprise qu’elle était toujours accrochée à son rocher, au-dessus du lac de Van. Devant elle, la surface de l’eau était aussi inerte que lorsqu’elle l’avait vue la première fois.
Elle avait donc rêvé ?
Oui, ce devait être cela…
Elle parvint non sans peine à gravir les dernières pierres et s’affala de soulagement sur le sol rocheux.
Son répit ne dura malheureusement pas longtemps. Une silhouette – humaine cette fois – s’avançait dans sa direction. D’instinct, la jeune fille se releva et saisit la garde de sa rapière. C’était un caravanier à en juger par les étoffes qu’il portait. Mais elle n’avait pas échappé aux sipahis pour retomber dans des mains étrangères ! Qui savait ce qu’il allait faire d’elle ? La livrer ?
Il s’approcha en courant et Isabella dégaina.
Son cœur battit à tout rompre. La raison lui ordonnait de fuir. Elle devait pourtant se rendre à l’évidence : cela faisait tellement longtemps qu’elle n’avait pas combattu qu’elle savait son poignet incapable de supporter le poids des lames entrechoquées.
Elle prit une nouvelle fois une profonde inspiration et courut dans le sens opposé. L’ombre grandissait beaucoup plus vite que la sienne. Il se rapprochait dangereusement. Elle l’entendit hurler :
Șadīq ! Attends !
Șadīq
Quelqu’un l’avait déjà appelée comme ça auparavant… mais qui ?
Isabella fit volte-face et se prépara à combattre. Elle écarquilla les yeux de surprise et baissa sa lame à temps avant que celle-ci ne rencontre son adversaire.
— Rachid ?! s’écria-t-elle en reconnaissant son sauveur d’Ormuz.
— Mes yeux ne m’avaient donc pas trompé ! fit le jeune garçon, le visage rayonnant. C’est bien toi, ṣadīq !
Le nomade la détailla longuement et défit un pan de sa tunique qu’il passa autour des épaules trempées d’Isabella. Elle faillit pleurer de joie. Enfin un visage familier ! Après tout ce temps !
— Tu as bien changé depuis notre rencontre…
— Oui, j’ai bien dû prendre quelques centimètres ! railla-t-elle.
— Tu parais surtout… plus mûre, sourit Rachid.
Les jeunes gens furent interrompus par des pas grinçants sur le sable.
— Mon père, Hiram. Père, voici la jeune fille dont je vous ai parlé, de la madrasa d’Ormuz.
— Hum… fit le caravanier en se grattant sa barbe. Je me souviens surtout que tu avais mentionné un garçon, pas une fille…
— Je… je n’étais pas certain de moi, s’excusa Rachid en se tournant vers son amie.
Elle haussa les épaules, en balayant l’air d’un geste sûr, mais ne put dissimuler un sourire mi-figue mi-raisin.
— Excuses acceptées. Mon nom est Kim… Isabella, corrigea-t-elle en s’adressant au père.
Un frisson lui parcourut l’échine.
Isabella était un nom qui sonnait étrangement à ses oreilles.
C’est le mien pourtant ! grommela-t-elle intérieurement.
Oui, c’était le sien… avant. Mais à présent, il allait falloir qu’elle se réhabitue. Cela faisait longtemps. Trop longtemps ! Elle parvint à formuler, non sans peine, la question qui lui brûlait la langue depuis sa fuite du harem :
— Que… quel jour sommes-nous ?
Yawm al-jum`a, lui répondit Hiram.
Vendredi. Ça, elle le savait déjà.
Yawm al-jum`a 3 Rabi`a-Awwal 925, précisa Rachid en voyant son air hésitant.
Isabella sentit sa gorge se nouer.
Yawm al-jum`a 3 Rabi`a-Awwal 925 de l’Hégire… On ne devait pas être loin de la mi-mars 1519.
Cela faisait presqu’un an… Elle ne savait que penser : juste la mi-mars 1519 ou déjà la mi-mars 1519 ?
Quoiqu’il en soit, merci Selim ! songea-t-elle amèrement.
Et tout ça, à cause de cet inconscient d’Havrylo Lisowski et de sa sœur ! Au fait, l’avait-il retrouvée sa sœur ? Probablement non.

— Je suis content que mon fils t’ait secouru, lui dit Hiram quelques heures plus tard, alors qu’elle se réchauffait au coin du feu. À présent, je n’ai plus de doutes, il fera un grand chef.
— Sans vouloir vous offenser, il n’a rien fait : j’étais déjà hors de l’eau…
— Tu étais sortie de l’eau certes, mais le lac sacré a été profané.
La fillette rougit de honte.
J’ai été plongé dans un lac sacré !
— C’était la capitale du royaume d’Urartu, il y a plusieurs millénaires, et nos ancêtres ont bâti une forteresse au fond de ce qu’était alors une vallée. Le savais-tu ?
Isabella secoua la tête.
Urartu… C’était la deuxième fois qu’elle entendait ce nom.
— Il ne reste plus rien de notre civilisation, sauf ces pierres. Quand les eaux ont commencé à monter, le château a été submergé et c’est devenu un lieu saint. Quelqu’un – nos ancêtres certainement – a veillé à ce qu’il soit toujours protégé, poursuivit le nomade.
Devant les sourcils étonnés de la fille du Docteur, il poursuivit :
— Ce lac, vois-tu, continuerait à être défendu.
— N’écoute pas ces sornettes ! ricana Rachid qui venait de les rejoindre. Ce n’est qu’une légende.
Isabella sourit. Elle croyait entendre dans la nuit la voix d’Athanaos lui murmurer à l’oreille : « Les légendes sont peut-être des histoires, mais elles ont toujours un fond de vérité ».
— Tais-toi, mon fils ! ordonna Hiram. C’est une vieille tradition orale qu’on se doit se perpétuer.
— Il est défendu ? Mais par qui ?
— Un gardien aquatique que personne n’a jamais vu ! répondit le garçon, en s’éloignant en courant, sous le regard menaçant de son père.
La fillette manqua de s’étrangler.
— Un gardien ?! Il y a un gardien ?!
— Oui. Si tu as troublé la tranquillité du lieu, il te pourchassera tant qu’il ne connaitra pas tes intentions profondes, et ce même en dehors de l’eau. On prétend même qu’il peut te manger si tu es mauvaise. C’EST POUR ÇA QUE PERSONNE NE L’A JAMAIS VU ! cria-t-il à l’intention de son fils.
Au loin, Rachid leva les yeux en l’air.
— On ne sait pas quelle apparence il peut avoir, murmura le chef.
D’un hippopotame avec des cornes !
— Mais il se fait tard et il est temps d’aller se reposer. Passe une bonne nuit, mon enfant.
Elle lui rendit la pareille d’un hochement de tête.
Hiram observa longuement la fille. Elle avait blêmi lorsqu’il lui avait parlé de la créature.
Personne ne l’a jamais vu… jusqu’à aujourd’hui. Il en mettrait sa main à couper.
Modifié en dernier par Xia le 01 juil. 2021, 15:54, modifié 2 fois.
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TEEGER59
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Re: A la recherche de l'Empire perdu

Message par TEEGER59 »

Enfin des nouvelles d'Isa!
C'était super!
J'ai relevé une mini faute:
Xia a écrit : 11 janv. 2019, 18:48
-Comment vous avez pu la laisser s’enfuir ?!
-Le sultan l'a voulait vivante !
Le sultan la voulait vivante! ;)
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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Re: A la recherche de l'Empire perdu

Message par Xia »

Ah oui... J'ai visiblement apostrophé Isabella en cours de route... :x-):
Merci Dic-Teeger !!! Corrigé ;)
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yupanqui
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Re: A la recherche de l'Empire perdu

Message par yupanqui »

Dick Rivers ? Pour la re-version ?
« On sera jamais séparés » :Zia: :-@ :Esteban:
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