A la recherche de l'Empire perdu

C'est ici que les artistes (en herbe ou confirmés) peuvent présenter leurs compositions personnelles : images, musiques, figurines, etc.
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TEEGER59
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Re: A la recherche de l'Empire perdu

Message par TEEGER59 »

Salut Xia.
Ce préquel est superbement écrit. Vivement la suite!
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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Akaroizis
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Re: A la recherche de l'Empire perdu

Message par Akaroizis »

J'adore. J'aime beaucoup comment c'est écrit, et tu nous mènes là où on ne s'attendrait jamais... :)
Le présent, le plus important des temps. Profitons-en !

Saison 1 : 18.5/20
Saison 2 : 09/20
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smilemma
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Re: A la recherche de l'Empire perdu

Message par smilemma »

J'apprécie toujours autant, l'histoire est prenante et très bien écrite :D
"Pardonne-moi Esteban, mais la mort ne m'émeut plus."
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Xia
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Re: A la recherche de l'Empire perdu

Message par Xia »

Merci beaucoup !!!
Je suis toujours ravie que ça vous plaise autant :D
La terre n’appartient pas à l’homme, c’est l’homme qui appartient à la terre (Tatanka Iyotaka)

Ma fanfic sur la préquelle des Mystérieuses Cités d'or, c'est par ici

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Xia
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Re: A la recherche de l'Empire perdu

Message par Xia »

Chapitre 16 : Un État dans l'’État


Avril 1518, République de Gênes

— Et ça, qu’est-ce que c’est ? demanda l’homme d’un ton bourru.
— Ça ? Et bien… c’est un…
— Une cheminée, intervint le Docteur lorsqu’il vit qu’Ambrosius ne s’en sortait plus.
— Une cheminée ?! Sur un navire ?! s’exclama le maitre d’œuvre. Savez-vous au moins qu’un bateau, par définition, est fait pour voguer sur l’eau. Et par conséquent, il bouge constamment. Alors si vous renversez ne serait-ce qu’une infime portion d’huile, ça fait…
Il mima, non sans exulter en voyant la mine déconfite des alchimistes, ce qui serait provoqué : une immense explosion.
— Je le sais car, voyez-vous, le neveu du signore Schweitzer m’a très bien expliqué les dangers que peuvent engendrer ce genre… d’expérimentation…
Les deux amis se regardèrent, déconcertés.
— Merci beaucoup Théophraste, grommela Fernando.
— Un garde-manger… Nous comptons nous en servir pour en faire un garde-manger, déclara Ambrosius après un instant de réflexion.
L’homme leva les yeux au ciel.
Un garde-manger ! Ils avaient déjà assez de place dans la coque de leur nef pour entreposer de la nourriture pour trois ans et ils voulaient faire un garde-manger supplémentaire ! Déjà que leur histoire de voile à l’envers qui était censée faire avancer leur nef plus rapidement ne tenait pas debout, et voilà qu’ils comptaient rajouter un soi-disant garde-manger qui leur servirait de cheminée ! Il n’y avait aucun doute : c’était bien des amis d’Anna Maria Schweitzer !
La fille de son patron lui en avait déjà fait voir de toutes les couleurs dans sa jeunesse et son adolescence. Entre les ponts tournants, les mitrailleuses et les catapultes, la jeune femme avait suivi les traces de sa mère : lui faire construire des engins impossibles à construire. Elle, tout comme feue Barbara Schweitzer, devait s’avouer vaincue à chaque fois. L’armateur maudit en silence le vieux fou qui leur avait mis ces idées dans la tête. Comment s’appelait-il déjà ? Son nom n’avait pas vraiment marqué son esprit. Il se souvenait vaguement qu’il avait quitté l’Italie pour la France quelques années plus tôt. Bon débarras ! Mais voilà qu’elle lui ramenait d’autres dégénérés.
— Mais qu’est-ce qu’ils font, Athanaos et… elle, grinça Ambrosius. Ça fait maintenant plus de deux heures qu’ils sont partis !
Le Français avait renoncé à appeler Anna Maria par son prénom depuis leur altercation sur le Poséidon. Plus vite ils quitteraient Gênes – et cette maudite femme –, mieux ce serait.
— À ton avis ! rit Fernando en faisant allusion au curieux manège de la signorina avec leur ami plus tôt dans la journée.
— Qu’ils se dépêchent, dans ce cas !
Ambroise de Sarle soupira en regardant le maitre d’œuvre s’éloigner. Si cela continuait ainsi, ce n’était même pas la peine de construire une nef. Surtout avec un artisan pareil. D’habitude, ils étaient censés se plier en quatre pour satisfaire les exigences de leurs clients. Eh bien là, non. Il aurait même juré que cet homme borné s’évertuait à leur mettre des bâtons dans les roues. Ce n’était quand même pas si compliqué, mettre une voile carrée et un âtre sur un navire !
— Je m’en occupe Marco, dit une voix féminine, à la fois douce et ferme.
L’homme leva les yeux vers la nouvelle venue. La signorina Schweitzer avait bien changé depuis la dernière fois qu’il l’avait vue. Trois ans… Il avait l’impression que cela faisait plus longtemps. Elle était accompagnée par un homme à la haute stature aux cheveux noirs.
Encore un autre dégénéré.
Il haussa les épaules et tourna les talons. Autant laisser les fous avec les fous. Qu’il fût loin le temps où la pieuse signora Aloysia modérait les impulsions sa belle-fille et la guidait dans le droit chemin. Un temps trop vite révolu, malheureusement, et qui avait précipité le départ de la signorina et son cousin pour le tour de la Méditerranée.
Anna Maria attendit que l’employé de son père ait quitté l’entrepôt pour leur demander l’autorisation de voir les plans de la nouvelle nef. Après les avoir examinés attentivement, elle hocha la tête :
— C’est très ingénieux… Vous avez fait ça tous seuls ?
— Évidemment ! Je suis inventeur, s’exclama Ambrosius. Que croyez-vous ?
— Je ne doute pas de vos capacités, messire. Ce que je veux dire, c’est que c’est tellement précis – surtout la partie centrale qui réagit avec le Soleil –, on dirait presque que c’est une invention d’une intelligence supérieure…
Fernando et Ambroise se regardèrent, éberlués. Elle avait vu juste, une fois de plus. Mais de là à parler de l’intelligence supérieure des Muens… Et comment avait-elle pu savoir que c’était censé réagir aux rayons lumineux ? Elle avait beau être la fille d’un armateur, voir cela sur un dessin – à moins de connaître la fonction exacte du navire – était autre chose.
— Traitez-moi d’imbécile, tant que vous y êtes ! s’emporta le Français.
Un mince sourire se dessina sur les lèvres de la signorina. Voir Ambroise de Sarle perdre ses moyens et son sang-froid la faisait jubiler.
Elle joue avec le feu…, songea Athanaos.
Il surprit le regard suppliant que lui lançait le Docteur. Il avait raison : il fallait rapidement faire quelque chose avant que la situation ne s’amenuise.
— Pourriez-vous convaincre votre Marco de bâtir cette cheminée ?
— Non. Mon Marco est bien trop fier pour s’abaisser à construire quelque chose qu’il a auparavant refusé de faire.
— Dans ce cas que proposez-vous ?
Laguerra et Ambrosius se dévisagèrent une nouvelle fois. Mais à quoi jouait-il ? Leur ami n’allait tout de même pas demander à quelqu’un qui ne savait pas de quoi il était question de refaire les croquis réalisés depuis plus de deux mois ! Leur incompréhension augmenta lorsqu’ils virent l’œillade appuyée d’Athanaos sur eux.
— Il a l’air de savoir ce qu’il fait…, chuchota le Portugais.
— Oui… Et ça ne me plait pas. Mais alors pas du tout !
— Pourquoi tenez-vous absolument à mettre ceci entre trois murs ? interrogea Anna Maria en désignant les miroirs qu’Ambrosius avait conçus. Si vous enlevez ces parois, ce sera plus facile à manœuvrer.
Ils en eurent la chair de poule. Mais ils devaient se rendre à l’évidence : elle savait de quoi elle parlait. Qu’est-ce qu’Athanaos lui avait raconté, bon sang ?!
Les membres du second Ordre du Sablier se penchèrent sur les plans. Effectivement, c’était plus facile. Fernando et Athanaos fulminaient. Leur ami avait refusé de les laisser voir les tracés et le fait que ce que soit la jeune femme qui l’ai fait remarquer n’allait pas arranger les relations entre les deux alchimistes.
De son côté, Ambrosius se maudissait, mais c’était plus fort que lui. Il avait toujours mis un point d’honneur à respecter sa devise : pourquoi faire simple quand on pouvait faire compliqué ? Et ce n’est pas aujourd’hui que cela changerait. Il se sentit toutefois obligé de se justifier pour ne pas perdre la face :
— Pour éviter que ça se casse.


Avril 1518, Constantinople, Empire ottoman

S’asseoir au bord du bassin central était devenu une habitude où l’ombre des palmiers apportait un semblant de quiétude dans un endroit sans cesse en effervescence.
Isabella avait installé cette routine depuis quelques semaines déjà. Elle ne savait plus depuis combien de temps elle avait échoué au harem impérial du Vieux Palais de Constantinople. Elle avait arrêté de compter les jours depuis que Dariâ s’était interrogée sur l’origine de la détérioration des céramiques de dauphins d’azur de leur chambre. En réalité, c’était surtout à cause du fait de voir les barres s’accumuler les unes à côté des autres. Elle ne savait pas trop ce qu’elle espérait en accomplissant ce geste quotidien. Sinon une déprime assurée.
La fillette leva les yeux vers le ciel et plissa les yeux. Il lui semblait que le soleil était plus haut que les autres jours à peu près à la même heure. Donc les jours étaient de plus en plus longs. De mars à juin. Logique. Même si elle avait cessé son décompte, elle savait que le temps n’avait pas pu s’écouler aussi vite et que par conséquent, il était impossible qu’on fût dans la seconde partie de l’année. Or si on ajoutait ceci au fait que Constantinople soit au bord de la Marmara, laquelle était au nord-ouest de la Méditerranée, on était donc… Isabella soupira. Le Vieux Palais était au nord ou au sud de la ville de Constantin ? Elle dut finalement se résigner : on était le lendemain de la veille.
— Aujourd’hui, c’est mon tour !
Une voix stridente la ramena brutalement à la réalité. Elle distingua au loin une silhouette fine aux cheveux sombres qui hurlait de toutes ses forces et sourit. Laleh disputait encore l’entrée du hammam avec un eunuque. À moins que ce ne fusse Maryam ? Non, celle avec le visage allongé s’appelait Nasreen.
Isabella avait eu la surprise de sa vie lorsqu’elle avait rencontré pour la première fois les trois sœurs. C’était le jour de son arrivée et après six heures de marche, elle avait été obligée de faire le tour des pièces du harem. Elle s’était retrouvée nez à nez avec une belle jeune femme… multipliée par trois. Elle avait compris par la suite qu’il s’agissait de triplées – et que non, son esprit pourtant bien engourdi de fatigue ne lui avait pas joué de tours.
— Tu as déjà été hier ! Tu sais très bien que tu dois attendre trois jours avant de pouvoir y retourner. Et surtout, ne me fais pas le coup habituel : j’ai compté, répliqua l’homme.
Nasreen enrageait. Qui de Laleh ou de Maryam avait profité de bains supplémentaires ? Ses sœurs savaient pourtant que le sultan viendrait la visiter cette nuit. Elle ne serait assurément pas à son goût et il irait trouver une autre concubine. Et surtout, à cause d’elles, elle risquait de perdre sa place de favorite. Après tout, peut-être devrait-elle lui révéler la supercherie ?
Surtout pas ! pensa-t-elle.
Selim en rirait et le résultat serait le même.
— Hé ! Regarde où tu vas, petite étourdie !
Nasreen releva la tête. Ruminant sa colère et élaborant mentalement sa vengeance, elle n’avait pas vu venir Sanaz et avait manqué de la renverser. Cette dernière la toisa de son air supérieur habituel, ce même air méprisant qu’elle arborait en permanence et qui faisait frémir plus d’une femme au harem.
— Si tu veux que le gardien te croie, tu ferais mieux de demander ce qu’elle a vu, fit-elle en désignant Isabella du menton. Elle observe tout depuis qu’on est arrivées.
— Non. Hürrem nous a dit de la laisser tranquille. Et ce n’est pas moi qui lui désobéirais.
Sanaz leva les yeux au ciel.
— Hürrem nous a dit de la laisser tranquille… Seigneur ! Mais qui commande ici ?! Hürrem ou Hafsa ?!
Malgré elle, Nasreen baissa les yeux, comme une petite fille qu’on aurait pris en faute. Elle se maudit. C’était un de ces traits de caractère qui la distinguait de ses sœurs, et elle s’en serait bien passé. La faiblesse et l’humilité n’étaient pas la bienvenue ici, où la force et l’égoïsme régnaient en maitre. Mais c’était peut-être cela qui plaisait au sultan, finalement…
— Je t’ai posée une question !
La plus jeune des sœurs regarda l’autre d’un air malicieux, et choisit délibérément de ne pas répondre. Si sa camarade voulait rester dans ce lieu, elle allait devoir apprendre le respect des ainées. Et surtout qu’on ne discutait pas les ordres de la protégée de la Baš Haseki. Si les femmes du harem impérial étaient toutes des esclaves, il n’en était pas moins que cette société autonome était organisée en hiérarchie. C’était un État dans l’État. On y trouvait les épouses, dont Hafsa qui en était la première, puis la favorite en titre. Venaient ensuite les concubines, les diplômées, les élèves et les femmes de service. Hürrem n’était là que depuis quelque temps, mais le fait que Hafsa ait pris son aile une simple diplômée lui conférait un statut particulier. Personne n’était dupe - sauf Sanaz apparemment. À la mort de Selim, Hafsa deviendrait la mère du sultan – des commérages circulaient sur la création d’un titre – et elle ferait tout ce qui serait en son pouvoir pour que son fils remarque cette jeune femme. Autrement dit : ne pas se mettre à dos une éventuelle future épouse de Süleyman.
Isabella observait la scène d’un regard goguenard. Quel crêpage de chignon pour si peu de chose ! Heureusement pour elle, elle serait sortie d’ici le soir même. Si sa stratégie fonctionnait, évidemment.
Elle ne regretterait personne et personne ne la regretterait. La jeune fille avait veillé à mettre des distances entre elle et les autres pensionnaires du harem. Elle n’avait jamais adressé la parole à quiconque depuis son arrivée, ce qui en avait étonné plus d’une. Des rumeurs allaient d’ailleurs bon train à son sujet, ce qui la faisait secrètement sourire. Pour certaines, elle était muette, pour d’autres, elle était simple d’esprit et ne comprenait pas leur langue. En revanche, pour Sanaz qui l’avait déjà entendue hurler, elle était tout bonnement folle.
Sanaz… Pourquoi il avait fallu qu’elle atterrisse avec elle dans cet endroit ? Avec cette fille arrogante de Caffa qui valait vingt altun aux yeux d’un ennuque ! Elle n’aurait su dire pourquoi ni comment, mais une guerre froide s’était installée entre elles deux pendant le voyage. Peut-être parce qu’elle avait inconsciemment jouer un rôle de sœur en essayant d'éloigner Havrylo de ce parasite…
Les heures passaient. Il était à présent temps pour Isabella de mettre son plan à exécution. Elle se glissa derrière un bosquet de verdure et attendit. Son ombre la protégerait des sentinelles aux yeux perçants qui scrutaient le jardin en permanence.
Le temps défila moins vite qu’elle ne l’avait espéré.
Devant elle, elle vit deux ou trois ombres qui se mouvaient au rythme d’une musique effrénée. Dommage… Elle aurait bien été les rejoindre. Elle se surprit à regretter les animations des débuts de soirée, elle qui n’avait jamais prêté la moindre attention à ces spectacles ridicules à son goût. Un étrange sentiment l’avait saisie par surprise.
Ne pas penser… Surtout ne pas penser…
Trop tard.
Isabella commença à regarder d’un œil nouveau les murs de la façade de l’enclos. Les mosaïques d’un bleu turquoise qui brillaient à faire mal aux yeux le jour lui apparaissaient au crépuscule comme une douce lumière venant du fin fond des Mille Contes… Elle n’avait jamais remarqué qu’elle se trouvait dans un palais digne de celui de Schéhérazade. Il était beau à visiter, mais pas pour y vivre.
Le tintement de la cloche la ramena à la réalité. C’était le signal. Dans quelques minutes, toutes les femmes seraient à diner dans leurs quartiers respectifs, et on ne remarquerait son absence que si Dariâ daignerait compter les dauphins – ce qu’elle avait arrêté de faire depuis plusieurs jours. La voie était donc libre. Isabella patienta de nouveau quelques instants, un des nombreux eunuques noirs sortirait et irait comme de coutume à la volière chercher l’oiseau qui aurait le malheur de servir de repas au sultan et à sa cour. Elle avait remarqué qu’ils avaient souvent tendance à laisser la porte ouverte plus longtemps que nécessaire. Il lui suffirait de se glisser discrètement derrière lui, attendre qu’il ressorte et franchir la porte Kuşhane. Le seul problème était qu’elle ignorait totalement ce qui l’attendait derrière. Tant pis, elle aviserait. Avec un peu de chance, elle arriverait aux cuisines…
La fillette retint sa respiration lorsque le gardien passa près d’elle. Elle savait qu’elle n’aurait que quelques secondes pour traverser le long passage qui séparait la cour des concubines où elle se trouvait de celle des eunuques.
Plus que trois mètres… deux…
Elle suivait l’homme du regard, le cœur battant.
Pourvu que ça marche… Un…
Isabella s’élança… avant d’être rattrapée par deux fortes mains qui la retenait fermement par les épaules. Elle essaya de se dégager, en vain.
— Où tu comptais aller comme cela, petite ? Tu croyais pouvoir t’échapper ?
Marzban n’attendait pas de réponse de sa part.
Ravi de l’avoir prise sur le fait, l’eunuque en chef la traina dans la cour des favorites, s’arrêtant au passage devant la salle où les femmes prenaient leur repas. Aux cris d’Isabella, toutes avaient relevé la tête, intriguées.
— Notre amie comptait nous fausser compagnie dans nous dire au-revoir…
Un murmure de réprobation s’éleva.
— Qui peut lui dire ce qu’on fait à celles qui essayent de s’enfuir ? Car visiblement, elle n’a pas compris. Ou elle n’a pas froid aux yeux.
Isabella devint livide.
Jamais elle ne s’était retrouvée dans une situation pareille, et cette fois-ci, elle n’y voyait pas d’échappatoire.
— Le fouet…, répondit l’une d’entre elle, d’une voix blanche.
Personne, ici, n’appréciait de voir ce genre de spectacle, et ce n’était pas parce que cette fille était nouvelle parmi elles que cela ferait une exception.
— Exactement, cinquante coups de fouet ! ricana Marzban, mauvais.
Il entraina une Isabella à demi-morte de peur vers la tour de Justice, avant qu’une jeune femme n’accoure vers eux et ne les arrête.
— Attend ! Ne fais pas ça !
— Ah oui ? Et peux-tu me dire pourquoi ?
Loin de se sentir agressée par le ton menaçant de son interlocuteur, la rousse aux yeux verts poursuivit calmement :
— Si tu la touches, Selim n’en voudra plus.
Si tu la touches, Selim n’en voudra plus.
La fillette eut un haut-le-cœur. À la réflexion, le fouet était peut-être préférable.
— Ça, ce n’est pas mon problème !
— S’il te plait…, susurra-t-elle, en posant la main sur l’avant-bras de l’homme.
Cette caresse n’échappa pas à la jeune fille, mais elle eut l’effet que l’autre avait espéré.
— Très bien…, dit-il à contrecœur après un instant d’hésitation. Mais vraiment parce que c’est toi.
— Merci, Marzban.
Elles regardèrent l’eunuque quitter la cour sous les causeries des autres pensionnaires du harem. Ce ne fut qu’à ce moment qu’Isabella vit avec effroi le regard haineux de Sanaz.
Modifié en dernier par Xia le 01 juil. 2021, 13:39, modifié 1 fois.
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Xia
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Re: A la recherche de l'Empire perdu

Message par Xia »

Chapitre 17 : Le bracelet d'or de Kimia


Allongée sur le ventre, Isabella sentit les mains de sa compagne monter et descendre le long de sa colonne vertébrale. Ce massage relaxant lui faisait du bien, lui relâchait les muscles tendus par la colère qu’elle avait refoulée en elle. Mais elle ne put s’empêcher de grimacer de douleur lorsque les doigts passèrent sur ses plaies en sang.
— Tu as de la chance. Les lanières n’ont pas entravé ta peau. Je te mettrai cette huile le matin et le soir. Dans une semaine, tu ne sentiras plus rien.
— Merci…
La fillette maugréa.
Une semaine… Autant dire une éternité !
— Il n’y a pas de quoi. Entre nous, tu viens de gagner mon admiration… Je n’ai jamais vu quelqu’un recevoir dix coups de fouet sans crier, fit-elle dans un clin d’œil.
Malgré la promesse qu’il avait faite à sa sauveuse, l’eunuque en chef avait changé d’avis.
Pour donner l’exemple et en dissuader d’autres de tenter la même chose, avait-il déclaré dans un rictus.
Isabella avait manqué de rétorquer, qu’à première vue, aucune n’avait envie de s’enfuir de cet endroit. Elle avait ravalé à temps ses paroles. Dix coups, c’était suffisant. Pas la peine d’en rajouter.
— Au fait, nous n’avons pas été présentées : mon nom est Hürrem.
— Hürrem ? Ainsi, c’est toi, le tyran du harem ?
— Je tyrannise ?! On me craint donc à ce point ? rit-elle.
— C’est ce que j’ai entendu dire…
— Et toi ? Comment t’appelles-tu ?
— Laguerra. Isabella Laguerra.
La protégée de la sultane s’arrêta et regarda sa nouvelle amie.
— Non. Isabella, c’était ton nom avant. Mais à présent que tu es entrée ici – même si c’est contre ton gré – tu fais partie de ce harem. Que tu le veuilles ou non. Tu dois t’en choisir un nouveau. Persan, de préférence.
Elle s’avança puis baissa la tête pour planter ses yeux dans ceux d’Isabella.
— Ne te fais surtout pas d’illusions : tu ne sortiras pas d’ici.
L’autre déglutit péniblement.
Elle eut l’impression qu’on venait de la poignarder en plein cœur. Voir ses tentatives se solder par un échec aussi cuisant était une chose, mais qu’une fille de sa condition actuelle lui annonce – si crûment – que ses efforts étaient vains en était une autre. Hürrem dut percevoir l’effet que lui avait procuré sa réplique, car elle poursuivit doucement :
— Hürrem signifie « la joyeuse ». C’est Hafsa, l’épouse de notre bien-aimé sultan, qui l’a choisi car elle trouvait que j’étais toujours de bonne humeur et que je riais constamment.
— Je ne connais pas de noms persans…, murmura Isabella. Je te laisse choisir pour moi.
La rousse la regarda et réfléchit longuement, tout en reprenant ses douces frictions.
Quel trait de caractère définissait cette fille ? Elle l’avait souvent observée à son insu depuis son arrivée. Elle était étrange – c’était le moins qu’on puisse dire. Toujours réservée, qui ne parlait à personne… D’un tempérament énergique, également.
C’était la première fois qu’elle avait à choisir un nom, mais elle n’aurait jamais cru cet exercice aussi difficile.
— Kimia…, dit-elle dans un souffle à peine audible. Cela veut dire « rare ». Deux comme toi, je n’en ai jamais vu. Oui, Kimia t’ira à merveille !
Kimia…
La fillette sourit. Hürrem ne croyait pas si bien dire. Elle ne connaissait pas vraiment la langue des Perses, mais elle n’aurait pas été surprise si le nom Kimia signifiait également « l’alchimiste ».
— Les prénoms des autres pensionnaires ont une signification particulière aussi ? s’enquit-elle.
Elle ne la voyait pas d’où elle se trouvait, mais Isabella sentit que Hürrem avait souri au mot « pensionnaires ».
Elle lui détailla avec plaisir les racines persanes des surnoms des femmes et la raison pour laquelle on les appelait ainsi. La fillette se perdit rapidement dans le brouillard des étymologies des attributs, mais réussit tout de même à en retenir quelques-uns. Elle apprit ainsi que les triplées portaient le nom de trois fleurs : Nasreen était une « rose sauvage », Laleh une « tulipe » et Maryam une « fleur blanche ». Au passage, la rousse n’avait pu s’empêcher de narrer leur histoire, en guise de témoignage de l’affection qu’elle leur portait.
— Leurs parents les ont vendues comme esclaves pour gagner de l’argent. Et aussi pour s’assurer qu’elles aient de quoi se nourrir pour les années à venir. Elles ont atterri ici, parce qu’elles étaient trois.
— Juste pour ça ?
— Va savoir ce qu’il se passe dans la tête des hommes. Au début, elles sont restées proches et solidaires, mais depuis que Selim a repéré Nasreen et en a fait sa favorite, rien ne va plus entre elles. Elles se disputent constamment et essaient de se faire passer l’une pour l’autre. On s’est toutes aperçue que Laleh et Maryam avaient réussi à partager plus d’une fois la couche du sultan. Selim, lui, n’y a vu que du feu…, railla Hürrem.
Isabella remercia secrètement la Nature pour le corps féminin qu’Elle lui avait donnée. À ses yeux, les hommes demeuraient et demeureraient toujours un mystère… Son père était on ne peut plus manipulable, Ambrosius d’une misogynie quasiment maladive et Havrylo pieux à la limite du fanatisme. Athanaos, quant à lui, était juste – et heureusement – l’antipode de ces derniers et Waga Fayat la sagesse incarnée… Sa connaissance de l’espèce masculine – Dieu merci – s’arrêtait là et c’était déjà largement suffisant.
— Et toi, comment as-tu échoué ici ? interrogea-t-elle.
Sa jeune protégée apprécia le ton compatissant qu’elle avait employé dans sa dernière phrase. Elle lui raconta sa rencontre avec Havrylo, le différent qu’ils avaient eu et qui les avait conduits à s’isoler. Elle lui raconta aussi leur capture par les bandits de grand chemin, puis la vente à Caffa… Elle avait la désagréable impression que plus elle parlait, plus un nœud se nouait dans sa gorge et l’étouffait.
Hürrem l’écoutait sans rien dire, consciente que laisser parler sa compagne la soulageait d’un poids inutile. Elle devait impérativement se libérer de ces émotions enfouies au plus profond d’elle-même si elle voulait s’adapter à sa nouvelle vie. De tout façon, elle n’avait pas le choix. Elle s’arrêta et lava ses mains dans l’eau du bassin qu’elle avait auparavant versé dans une cuve.
— Havrylo ? fit-elle, un léger sourire sur les lèvres. Qui est-ce ? Ton promis ?
La fillette devint rouge comme une pivoine.
— N… non… bien sûr que non ! balbutia-t-elle. Je suis trop jeune, voyons !
— Trop jeune, dis-tu ? Quel âge as-tu ? Neuf… dix ans ?
— Huit.
— Huit ans. Alors détrompe-toi : dans bien des sociétés, bon nombre de filles de ta génération sont mariées depuis des années… Dans l’Antiquité par exemple, les épouses romaines avaient déjà l’anneau passé à l’annulaire.
Laguerra leva vers elle des yeux étonnés. Comment savait-elle cela ?
— Aulu-Gelle. Nuits attiques. Tu le trouveras dans la bibliothèque.
— Il y a une bibliothèque ici ?! demanda la jeune fille, incrédule.
— Oui. Comme tu dois déjà le savoir, il y a des élèves dans le harem. Elles ont pour vocation d’épouser des hauts fonctionnaires et apprennent certaines choses qui pourront leur être utile par la suite. Car on ne le dit pas assez souvent, mais derrière chaque décision politique se trouve une femme…, sourit-elle avec un éclair de malice dans les yeux. Alors si cet Havrylo n’est pas ton fiancé, qui est-ce ?
— Un jeune homme qui cherche sa sœur. Il s’est joint à nous par commodité. C’est plus facile de voyager à cinq que tout seul… Surtout à cause des brigands.
La preuve que ça nous a bien réussi.
— Aleksandra Lisowski. C’est son nom, poursuivit-elle.
— Lisowska, corrigea Hürrem. C’est d’origine polonaise, me semble-t-il. Lisow est la racine, il faut rajouter –ski pour les hommes et –ska pour les femmes. Havrylo Lisowski, Aleksandra Lisowska.
— L’explication se trouve dans un livre de la bibliothèque, je présume ?
— Très certainement… Ne me demande pas lequel, je ne sais plus.
La fille aux cheveux de feu lui sourit.
— Et tant que nous en sommes aux confidences, Fais attention à ton bracelet. Tu ferais mieux de le mettre en lieu sûr. Si nous sommes solidaires, il y a toujours des jalouses… Tu vois de qui je veux parler ?
Isabella baissa les yeux sur la relique de sa mère. Oui, elle voyait très bien de qui elle voulait parler… Et n’en déplaise à Hürrem, elle le garderait constamment sur elle. Elle n’allait tout de même pas s’en séparer. Autant l’exhiber aux yeux de toutes avec une banderole « Ceci m’appartient. Il est en or. Alors, de grâce, n’y touchez pas. » Deux minutes après, il aurait disparu.
Tandis que son amie s’éloignait, elle trouva enfin le courage de poser la question qui lui brûlait les lèvres :
— Et tant que nous en sommes aux confidences… Puis-je connaître ton nom ? Tu connais le mien et presque tout de moi…
— Je te l’ai dit : je m’appelle Hürrem.
— Non. Je parle de ton nom de baptême. Je ne t’embêterai plus avec ça après, tu as ma parole !
L’autre semblait hésiter.
— Tu ne comprends pas, Kimia… Je… je ne m’en souviens plus. J’ai perdu la mémoire lorsqu’on m’a faite prisonnière. Mais je ne m’en plains pas : je n’ai pas à regretter ma vie d’avant puisqu’elle m’est étrangère…
— Tu dois tout de même t’en souvenir… Ce ne sont pas des choses qu’on oublie…, murmura Isabella, consciente d’avoir touché une corde sensible.
— N’insiste pas.
Elle tourna rapidement les talons et disparut dans les ombres du palais, laissant derrière elle sa protégée désemparée. Cette dernière avait cru voir une larme perler dans ses yeux verts et ne comprenait pas. L’avait-elle blessée à ce point ?
Modifié en dernier par Xia le 01 juil. 2021, 14:44, modifié 1 fois.
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TEEGER59
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Re: A la recherche de l'Empire perdu

Message par TEEGER59 »

superbe, comme toujours!
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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Re: A la recherche de l'Empire perdu

Message par Xia »

Chapitre 18 : Six mois ou rien


Mai 1518, République de Gênes

Anna Maria rajouta les noms du Caire et d’Alger et relut sa liste pour la énième fois. Elle soupira en constatant le cœur serré que ces deux villes ne faisaient que s’ajouter aux innombrables autres localités. Elle aurait pourtant juré les avoir déjà inscrites sur sa feuille. Jusqu’où allait continuer ce maudit inventaire ? Elle était loin d’avoir fini de recenser les marchés d’esclaves officiels, alors qu’en serait-il lorsqu’elle allait s’attaquer aux officieux ?
Pourvu qu’il ait trouvé quelque chose de son côté !
Même si elle ne voyait pas ce qu’il pouvait faire de plus, Théophraste s’était proposé de l’aider dans ses recherches. Il avait jugé utile d’avoir un portrait d’Isabella pour demander aux marchands du port s’ils n’avaient pas vu la fillette. Sa cousine s’était alors ouvertement moquée de lui :
— Parce que tu crois vraiment qu’ils n’ont que ça à faire ?! Et comment veux-tu qu’ils se rappellent d’une fille qu’ils auraient peut-être aperçue deux secondes il y a quatre mois ? Autant chercher une épine dans une botte de foin !
Il s’était contenté d’hausser les épaules. Si elle ne voulait pas de son aide, tant pis pour elle ! Il la laisserait se débrouiller toute seule.
De son côté, Anna Maria avait dû reconnaître que c’était une bonne idée… pour retrouver quelqu’un perdu depuis deux jours. Elle avait finalement rendu les armes et les jeunes gens avaient interrogé Fernando discrètement pour ne pas lui donner de faux espoirs. À leur grande surprise, celui-ci – sans doute au comble du désespoir – s’était montré extrêmement loquace et n’avait pas bronché lorsqu’ils lui avaient demandé de leur faire un dessin de sa fille. Ils s’étaient cependant abstenus de tout commentaire lorsque le père leur avait mis l’esquisse entre les mains.
Lorsqu’ils l’avaient quitté, von Hohenheim avait murmuré :
— Cela m’étonnerait beaucoup qu’il ait pris des leçons auprès de Maitre Leonardo…
— Même un singe aurait griffonné mieux que lui, avait renchéri Anna Maria, songeant avec tendresse à Congo, le chimpanzé dessinateur qu’ils avaient rencontré à Carthage. Mon cher, je crois que tu vas devoir te contenter des descriptions d’Athanaos…
Cela faisait à présent une demi-journée que son compagnon était parti à la recherche d’indices, une demi-journée durant laquelle elle avait récolté huit noms qui venaient s’ajouter aux trente-cinq autres trouvés depuis une semaine. Quarante-trois au total… Elle en donnerait un cinquième à Laguerra, et le reste en cachette à Athanaos. À condition que cette liste ne s’allonge pas.
— Il est mort !
Elle sursauta et tourna la tête vers celui qui avait parlé.
— Il est mort ! répéta le vieil homme. Gênes n’a désormais plus rien à craindre !
Anna Maria s’approcha doucement et demanda :
— Qui est mort ?
Il la toisa d’un regard mauvais.
— Comment ça ? Tu n’as pas entendu la nouvelle ? Et d’où tu sors toi d’abord ? On ne voit pas beaucoup de filles dans ton genre par ici ! fit-il en ricanant.
La jeune femme s’empourpra et balbutia :
— Je n’ai pas à vous répondre ! Je suis libre d’aller où je veux…
Même si elle voulait se donner un air détaché, elle n’était guère rassurée. Autour d’eux, venait de se rassembler un groupe de gens que son père aurait facilement qualifié de « petits vauriens ». Quelle idée de s’être éternisée seule dans ce quartier inhospitalier ! Théophraste ne lui en aurait pas voulu si elle l’avait attendu seulement quelques rues plus loin. Ce dernier arriva à cet instant et réussit tant bien que mal à faire reculer la foule et à l’entrainer au loin.
— J’ai une bonne nouvelle pour toi ! chuchota-t-il lorsqu’ils furent hors de portée de toute oreille curieuse.
— Dis-moi que tu as trouvé quelque chose !
— Euh… non, pas vraiment…
Sa cousine le regarda sans comprendre. S’il n’avait rien appris pour la fille du Docteur, quelle était cette bonne nouvelle ? Et pourquoi diable parlait-il à voix basse ? Avec tout le vacarme que faisaient les riverains, c’était à peine si elle entendait ce qu’il disait.
— Le Raïs a été assassiné à Tlemcen…
Elle écarquilla les yeux :
— Et tu appelles cela une bonne nouvelle ?! Grands dieux ! Mais quel médecin es-tu donc, Théophraste von Hohenheim ?
— Calme-toi ! Il est mort assassiné, pas avec le vif-argent que je lui ai administré… Tu n’as donc plus rien à craindre, on ne peut plus remonter jusqu’à toi…
— Jusqu’à toi, tu veux dire ! railla la jeune femme avec une pointe de malice dans la voix.
Si cet épisode lui était complètement sorti de la tête, ce n’était pas le cas de Théophraste. Lui qui espérait secrètement ne plus jamais entendre parler du Bras d’Argent par crainte de se voir accuser d’empoisonnement avait vu rouge lorsqu’il avait appris qu’Anna Maria avait signé une reconnaissance de dettes à son nom. Avec un air faussement outré quant au sous-entendu calomniateur, il acquiesça d’un léger signe de tête et dit simplement :
— Nous ferions mieux de rentrer, il se fait tard.

Le cabaretier fusilla du regard l’homme aux cheveux roux assis en face de lui tandis qu’il ramassait les débris tombés sur le comptoir.
Il aurait tout de même pu faire attention ! Sa taverne était l’une des premières de toute l’Europe à proposer à ses habitués des verres en verre. Et il n’avait fallu qu’une phrase à cet individu présent depuis seulement cinq minutes pour que sa coupe vole en éclats. S’il n’en avait qu’à lui, il l’aurait volontiers flanqué à la porte. Mais il s’en était abstenu en raison de la présence de Karl Schweitzer, un de ses plus fidèles – et plus riches – clients. Ce n’était quand même pas si dramatique, que sa nef soit construite six mois plus tard !
Il lui resservit du vin, mais cette fois dans un ancien gobelet en terre cuite. Le rouquin ne parut même pas s’en apercevoir et but cul-sec la boisson fermentée. Il fit tout de même une grimace lorsqu’il reposa le godet sur la table, ce qui arracha un sourire à l’aubergiste.
Bien fait pour toi, mon bonhomme !
Il devait l’admettre : le goût du blanc issu des vignobles des Cinque Terre, situés aux alentours de Gênes, dans de la terre cuite était infect. Raison pour laquelle il s’était empressé de commander des récipients en cristal aux manufactures de Murano. L’absence du détestable arrière-goût de l’eau-de-vie avait tout de suite séduit les habitants liguriens coutumiers de l’établissement et le résultat avait tel qu’il avait presque doublé sa clientèle en deux mois. Dommage pour lui, l’homme aurait senti la différence.
Devant lui, Fernando ne décolérait pas. Malgré sa main en sang, il avait une envie furieuse de rattraper Marco dans la caruggi et de lui mettre son poing dans la figure.
Six mois !
Comment pouvait-il espérer retrouver sa fille saine et sauve auprès un laps de temps pareil ? Laguerra avait la désagréable impression que le Français avait raison : l’employé de l’armateur faisait tout pour les ralentir.
— Je vous avais bien dit que nous aurions dû aller à Bordeaux, murmura Ambrosius entre ses dents. Ils auraient été plus vite !
— Peut-être… Mais ils n’auraient certainement pas construit tes aménagements sans poser de questions, lui fit remarquer Athanaos.
Ambroise de Sarle marmonna quelque chose dans sa barbe naissante que personne ne comprit – ou plutôt ne voulait comprendre. Car une chose était incontestable : Marco n’avait assurément pas changé d’avis tout seul.
Il avait été sommé d’accompagner son patron à la taverne afin d’annoncer aux alchimistes qu’il acceptait de bâtir leur navire avec les changements d’Ambrosius. Cependant, il s’était gardé d’attendre que le signore ait tourné le dos pour leur préciser que le chantier durerait au moins six mois. Et heureusement pour les autres membres de l’Ordre du Sablier, le Docteur avait fait éclater sa coupelle avant d’avoir entendu la fin de la phrase.
Six mois ou rien.
Modifié en dernier par Xia le 01 juil. 2021, 14:56, modifié 2 fois.
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Re: A la recherche de l'Empire perdu

Message par kally_MCO »

Xia a écrit : 25 mars 2018, 16:25 Et heureusement pour les membres de l’Ordre du Sablier, le Docteur avait fait éclaté sa coupelle avant d’avoir entendu la fin de la phrase.
Six mois... ou rien.
J'adore les quatre derniers mots 8)
Bon, c'est quand qu'il retrouve sa fille, le petit (vieux) Fernando ? S'il continue sur cette lancée, il peut être sûr de perdre les derniers cheveux qu'il lui reste, le pauvre...
En plus, le nouveau nom de Laguerra junior me stresse...
— Regarde toi : la finesse d'une enclume et la loyauté d'un bigorneau !
— Et toi, capitaine Mendoza, tu fais quoi d'honorable à part chasser les mouches avec ta cape ?!
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Re: A la recherche de l'Empire perdu

Message par Xia »

kally_MCO a écrit : 26 mars 2018, 16:03 S'il continue sur cette lancée, il peut être sûr de perdre les derniers cheveux qu'il lui reste, le pauvre...
Je ne suis pas une experte capillaire (loin de là ^^) mais je pense qu'en 1518, :Docteur: avait plus de cheveux qu'en 1533 :x-):
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