Suite.
CHAPITRE 27.
Sortant des arsenaux construits adossés aux secondes murailles médiévales de la ville, à la manière d'une grande fortification militaire, Mendoza se retrouva devant la façade maritime.
Quelques feux de joie brûlaient non loin, autour desquels des gardes étaient postés. Du couvent de Framenors jusqu'à la tour Regomir, les bateaux se dressaient, silencieux, illuminés par la lune, regroupés sur la plage. Et, cette nuit, ils étaient tous là. Tous! Les petits: felouques, esquifs et gondoles. Les moyens: chaloupes, barques castillanes,
tafureas,
calaveras,
saetias, galiotes et
barquants, puis pour finir, quelques grandes embarcations: nefs,
navetes* et galères, qui malgré leur taille devaient arrêter de naviguer, par interdiction royale, entre les mois d'octobre et d'avril.
Ornée de guirlandes, de drapeaux, de rubans et autres multiples décorations pour les trois semaines de la
Feria de Santa Lucía, la cité couronnée rayonnait comme une jeune mariée le soir de ses noces.
Juan-Carlos Mendoza était de retour là où tout avait débuté. Il allait pouvoir passer aux choses sérieuses. Enfin! Longtemps jugulé, le désir irrépressible de vengeance qui couvait jusqu'ici prit de l'ampleur, étendit ses ailes griffues, vrillant chacun de ses nerfs. Sa mission de
Yeoman n'était plus si importante à présent. Elle se trouvait remisée au second plan, même si le mercenaire espérait encore accomplir l'une et l'autre. Les deux étaient liées, en effet. Elle faisait partie d'une stratégie d'ensemble, élaborée par le seigneur Charles Brandon sur les suggestions du Catalan. Un dû pour Mendoza, en quelque sorte. Le jour de leur rencontre, en 1523, alors que les Anglais envahissaient la Picardie, le duc de Suffolk lui avait promis qu'il pourrait bientôt prendre sa revanche. Il tenait enfin parole, après dix ans de bons et loyaux services à la cour d'Angleterre. L'Espagnol lui en avait longtemps voulu de lui avoir imposé cette longue attente. Mais les années passées l'avaient endurci et n'avaient fait que renforcer sa détermination à retrouver les traîtres responsables de son exil.
:
Serai-je capable d'aller jusqu'au bout, de mener de front ma vendetta et mon devoir? Oh, que oui! (Pensée).
☼☼☼
Ici, l'air était nettement plus frais que dans la vallée cachée de la petite fée Morgane. Les nuages hérauts de l'hiver commençaient à faire leur apparition mais Mendoza n'était pas gêné pour autant, ses nouveaux vêtements le protégeant efficacement du froid.
Il prit quelques instants pour se repérer et constater qu'il n'avait pas oublié la configuration des lieux. D'ailleurs, le tracé ordonné de la cité lui facilitait la tâche.
Au nord,
Jonqueras,
Nou et, du côté de la mer,
San Daniel, les trois grandes portes d'entrées de la capitale donnant sur les Pyrénées. Les bâtiments ramassés en pierre abritant le couvent de
Santa Clara et le quartier du commerce formaient l'un des endroits les plus animé de la ville.
Au sud, au-delà des remparts et de la porte
Trencaclaus, la colline de
Montjuïc dominait la ville et le nouveau port de Barcelone.
À l'ouest, la masse sombre du massif montagneux de la
Collserola séparait la plaine de la
Vallès du monastère de
Pedralbes. Grâce à l’un de ces privilèges, l'édifice religieux était sous la protection directe de la ville, par le
Conseil des Cent, qui s’engageait à le défendre en cas de danger.
À l'est, le barrio de la Ribera de la Mar, où l'on avait construit l'église en l'honneur de la Vierge Marie, s'était développé comme un faubourg de la Barcelone carolingienne, entourée et fortifiée par les anciens remparts Romains. Au départ, il s'agissait d'un simple quartier de pêcheurs, portefaix et humbles de tout poil où s'élevait une petite église,
Santa Maria de las Arenas, à l'endroit où avait été martyrisée en 303, supposait-on, sainte Eulalie. La modeste paroisse devait son nom au sable de la plage sur lequel elle avait été édifiée. Toutefois, la sédimentation, qui avait rendu impraticables les anciens ports de la ville, repoussa les bancs de sable qui formait la ligne côtière de l'église, jusqu'à lui faire perdre sa dénomination originale. C'est pourquoi elle fut alors rebaptisée
Santa Maria del Mar. La côte s'était éloignée d'elle mais pas les hommes qui vivaient de la mer et la vénéraient.
Au fil du temps, Barcelone dut également chercher de nouveaux terrains
extra-muros où installer la bourgeoisie toujours croissante qui ne pouvait plus s'établir dans l'enceinte Romaine. Des trois frontières de la ville, riches et puissants choisirent celle de l'est.
Enfin, au centre, bordé par
El Raval et le
barrio de la Ribera:
El Gòtic.
Construit lui aussi sur l'ancienne muraille médiévale du
Barcino, le palais de
Requesens*. Là où se trouvait l'objectif final de la mission de Mendoza...
Le palais où, malgré ses dix-huit ans, il avait fait ses classes d'apprenti écuyer. L'endroit où tout avait commencé. Si proche et pourtant encore inaccessible. Chargé de souvenirs, de nostalgie.
:
Aujourd'hui, le passé rejoint le présent. (Pensée).
Et ce n'était nullement pour lui déplaire.
:
Le présent vengera le passé... (Pensée).
Juan en fit le serment mais dut s'avouer:
:
Étrange tout de même que de se retrouver ici après cet exil de dix années.
Il se sentit soudain engourdi, désorienté. Mais une formidable exaltation chassa bientôt ce sentiment. Il était de retour! Il allait enfin pouvoir régler ses comptes. Avec dix ans d'intérêts pour faire bonne mesure.
Après avoir réajusté le col de sa cape, sans plus hésiter, il tourna le dos à la mer et remonta
La Rambla afin de se diriger vers les bas quartiers. Il sillonna la grande avenue, à revoir les lieux de son enfance et de son adolescence qui avaient si longtemps fait partie de sa vie. La ville avait peu changé pendant la décennie qu'il avait passé à l'étranger. Malgré la crise, la fourmilière demeurait très active. Barcelone était toujours ouverte sur la mer, protégée seulement par les
tasques*. Il s'inséra à contresens dans le flot de promeneurs en route pour les tavernes du port. Les festivités battaient leur plein. Les larges artères du centre de la ville étaient parcourues par une foule joyeusement désordonnée et personne ne prêtait attention à sa haute silhouette. Malgré l'heure avancée, musiciens ambulants, camelots, jongleurs, fêtards se croisaient avec une bonne humeur contagieuse. Durant toute la durée du marché de Noël, la fête serait la reine des jours et surtout des nuits. Tout en avançant, Mendoza scruta la foule. Elle était principalement composée de marins, d'ouvriers de femmes et d'enfants. L'Espagnol aurait tant aimé reconnaître, parmi les plus jeunes, le gamin à qui il avait subtilisé le médaillon qu'il gardait toujours dans son aumônière. Peut-être celui-ci se trouvait-il toujours aux bons soins de l'homme à qui il l'avait confié.
:
Comment s'appelait ce père, déjà? Fernández? Giménez? Martinez? Ah! Je ne m'en souviens plus... (Pensée).
☼☼☼
El Raval ne bénéficiait pas d'autant d'attentions que les quartiers voisins: moins d'éclairage, moins d'apprêts, moins de sécurité. À lui seul, il était aussi grand que le
Barri Gòtic et la
Ribera réunis. Avec ce qu'il fallait d'encombrement, de saleté et de désordre. Il faut dire que les déchets et les eaux putrides de la ville s'amoncelaient dans le petit ru qui coulait juste à côté de
La Rambla. Il y a un peu plus d'un siècle, c'était déjà un égout à ciel ouvert nommé poétiquement
Cagalell*.
: Pouah! Quand vont-ils se décider à l'assécher?
À cause du terrain accidenté, il débordait sans arrêt, et les eaux stagnaient jusqu'à ce qu'un fonctionnaire de la voirie se décide à faire creuser une dérivation et à pousser les ordures vers la mer. C'était alors que le
Cagalell sentait le plus mauvais.
Mais les services municipaux économisaient leur zèle pour les quartiers riches.
Le Catalan avançait toujours, les pans de sa pelisse ondulant derrière lui tels des serpents de noirceur.
Il évoluait au milieu d'un dédale d'immeubles de deux ou trois étages, penchés, de rues étroites, sinueuses, au pavage imparfait, où il valait mieux garder un œil derrière son épaule.
Jouxtant le quartier peu fréquentable des trafiquants, des prostituées et des maisons closes, devait, d'après ses instructions, se trouver l'officine d'un marchand nommé Pacheco. L'ultime maillon du réseau établi pour lui permettre de réaliser sa mission: rien de moins qu'abattre l'un des seigneurs du
Conseil des Cent!
La nuit était tombée depuis son arrivée dans la capitale. Après une bonne demi-heure de marche, le capitaine s'arrêta dans l'obscurité d'un bâtiment. La boutique se situait au coin d'une rue déserte. Le
Yeoman attendit patiemment. À part quelques rats, il n'y avait pas âme qui vive.
Les vitres de la devanture avaient été peintes en noir. On ne distinguait rien de l'intérieur. Après avoir regardé à gauche et à droite, Mendoza entra dans l'herboristerie pour se retrouver dans une pièce vide et souillée. Il plissa les narines, assaillies par des relents d'urine, de sueur et de nourriture gâtée.
Il poussa la porte du fond et pénétra dans une autre pièce. Une salle humide, aux murs couverts de tentures sombres, sans autre meuble qu'une vieille banquette décrépie dans un coin. Le propriétaire se moquait visiblement du confort de sa clientèle. Des lampes à huile teintées de rouge diffusaient une lueur malsaine. À croire que l'Espagnol était entré dans l'antichambre d'un enfer particulier. Derrière un comptoir rustique se tenait une silhouette massive. Son contact, sans doute.
Chez ce corpulent personnage, la graisse se mélangeait pour une bonne part aux muscles. Aussi solide qu'un chêne, le commerçant avait un visage grossier, rébarbatif, une touffe de cheveux surplombant de petits yeux d'un bleu très pâle, injectés de sang, un nez court et retroussé, des oreilles minuscules et une bouche lippue. Le Catalan préféra ne pas s'attarder sur les effluves que dégageait le sinistre personnage. Il avait un mauvais pressentiment mais s'avança néanmoins vers lui.
:
Holà, hombre! T'as eu raison de venir voir Rodrigo Pacheco.
La voix du gros était ridiculement fluette comparée à sa masse.
R.P: Qu'est-ce que tu veux comme douceur? J'ai de tout. De la morelle noire, de la belladone, de la jusquiame, des feuilles de coca... Tout c'que tu veux! En ce moment, j'fais un prix sur le
membe. Ça te tente?
Un vendeur de stupéfiants. Pas si étonnant que cela de la part de William Howard. C'est le lord qui avait été chargé d'établir le réseau jusqu'ici.
Mendoza s'avança encore en respirant par la bouche. De son regard pâle au pli assoupi, Pacheco le considérait toujours avec un net amusement.
Le capitaine fit un geste discret de la main gauche. Le signal de reconnaissance prévu pour la circonstance. Sauf que Pacheco resta sans réaction. Juan réitéra le geste. Aucun résultat. C'était pourtant bien le bon endroit... Que se passait-il? Risquant le tout pour le tout, le Catalan dit:
: Eh bien quoi? Je me suis identifié... c'est William Howard qui m'a donné ton adresse et je viens de sa part.
L'herboriste écarquilla ses petits yeux et pencha la tête sur le côté, tout en gardant l'étranger bien en vue. Il était bien réveillé, à présent.
R.P: William Howard? Et où est-il mon ami Will...?
:
Un compagnon du lord, en plus? Par la malepeste! L'affaire ne pouvait se présenter plus mal! (Pensée).
Le
Yeoman reprit:
: Il n'a pas pu venir. De toute façon, cela n'a aucune importance. Je suis son supérieur. C'est avec moi que tu dois traiter.
Une lueur menaçante filtrant dans son regard, l'autre glapit:
R.P: Si, c'est très important au contraire! J'te connais pas, toi! C'est Will qui devait venir, il me l'a bien répété dans sa lettre... Si Will n'est pas là... j'annule l'affaire! T'auras rien de moi. Et d'ailleurs, j'aime pas ta tête. Curieux d'ailleurs qu'il ne soit pas là, le Will... J'ai de la marchandise pour lui, une commande spéciale, du premier choix. Et celle-là, je sais qu'il ne l'aurait loupée à aucun prix!
D'un ton patient, Mendoza poursuivit:
: Il doit y avoir un malentendu. Je ne viens pas pour de la marchandise. William ne t'a rien dit à mon sujet?
Le visage du vendeur se ferma définitivement avec la méchanceté comme rideau.
Effaré, l'Espagnol comprit que le lord n'avait pas organisé le réseau selon les instructions.
:
Quel incapable! Comment vais-je entrer dans le palais, à présent? (Pensée).
Il se retrouvait dans une belle impasse...
R.P: Hombre, elle pue, ton histoire. Enfin, tu vas me dire où il est, le Will?
: Je te l'ai dit, il ne viendra pas.
Mendoza eut un pressentiment. Les choses allaient déraper, ça n'allait pas louper.
R.P: Tu veux me contrarier? Très bien,
hombre, à ta guise!
L'homme siffla. Deux escogriffes surgirent de derrière une tenture pour se ranger devant la sortie. Pacheco se rengorgea:
R.P: Voici Mercurio et Marciano, mes p'tits neveux!
Il avait glissé une main épaisse comme une enclume sous le comptoir.
Petits, les neveux ne l'étaient pas vraiment. Bâtis tous deux sur le même format que leur oncle, ils présentaient un air de famille. Mercurio et Marciano agitèrent leurs grosses têtes dépourvues de tout poil. Leur hostilité était palpable.
Mercurio était armé d'un gourdin cerclé de fer, son cousin d'un casse-tête en corne de cerf.
R.P: Hombre, je crois que tu vas maintenant nous expliquer l'absence de Will!
Levant les paumes en signe d'apaisement, le capitaine fit:
: On ne peut pas régler l'affaire autrement? J'ai de quoi vous payer.
R.P: Oh, mais moi j'suis tout pacifique! Par contre, eux, j'suis pas trop sûr. Ils ont pris de l'opium. Ça les excite, en général. Ils ont des goûts bizarres, mes tout beaux.
Avec une expression gourmande, le revendeur se vanta:
R.P: Mais j'suis mal placé pour leur reprocher, c'est moi qui les ai formés!
Avec un sens certain de la repartie, Mercurio scanda:
Mercurio: Ouais! On aime bien les hommes! Et on adore quand ça saigne!
Marciano: T'as raison, cousin!
D'une voix rauque, Marciano surenchérit:
Marciano: Et on aime bien quand ça crie aussi! Hein, oncle Rodrigo!
D'excitation, la brute lâcha un pet sonore. Toute bonhomie retrouvée, Pacheco conclut:
R.P: Tu vois,
hombre, on forme une chouette famille! Ils sont un peu turbulents, les p'tits, pour sûr, mais on s'amuse bien, tous les trois...
Puis, Rodrigo assena une grande claque sur le comptoir. Il n'avait plus envie de rire.
R.P: Où est Will? J'te le demanderai pas une aut' fois!
: D'accord, je vois bien que je ne fais pas le poids. À trois contre un...
Avec une expression faussement craintive plaquée sur le visage, Juan lâcha:
: Je... Je vais tout vous dire.
Il devait les éliminer. Il n'obtiendrait plus aucune aide de leur part et Pacheco avait vu le signe de reconnaissance... Sans compter qu'ils avaient l'intention de le torturer, d'abuser de lui et de le tuer. Mais pas forcément dans cet ordre.
Feignant une attitude soumise, le
Yeoman se pencha vers l'herboriste. Restés derrière lui, les neveux ricanaient grassement.
L'Espagnol prit appui sur le comptoir, se pencha et lâcha quelques mots inaudibles.
R.P: Comment? J'comprends rien!
Pacheco se pencha à son tour pour mieux entendre.
Le mercenaire raidit ses doigts et projeta l'index et le majeur dans les yeux du gros commerçant, l'envoyant hurler de douleur contre le mur du fond. Sans attendre, le Catalan frappa Mercurio d'un coup de pied arrière. Touché à la poitrine, ce dernier fut momentanément coupé dans son élan. Toutefois, sa corpulence lui permit de se rétablir. Il fut cependant dévié sur la trajectoire de son cousin, qui, en conséquence, dut freiner son assaut. D'une volte rapide, le capitaine évita un coup de casse-tête, qu'il laissa passer au-dessus de lui. Il riposta d'un violent coup de coude, en plein dans le menton de Mercurio. La mâchoire brusquement rabattue, celui-ci trancha sa propre langue, crachant l'appendice dans un irrépressible flot vermeil.
Marciano grogna:
Marciano: Cousin, qu'est-ce que t'as?
L'inquiétude suspendit ses gestes. Derrière le comptoir, Rodrigo se frottait les yeux en jurant tout son saoul. Mercurio se tenait courbé au-dessus du sol, émettant des borborygmes affolés. De ses grosses mains maculées de crasse, il tentait de contenir le flot de sang jaillissant de sa bouche, sans autre résultat que de se barbouiller d'hémoglobine. Marciano blêmit devant le spectacle, se tourna vers le responsable et chargea impétueusement.
Mendoza n'attendait que ça. Il devança l'attaque d'un coup de botte sur la rotule. Le bout ferré écrasa l'os dans un bruit écœurant. Marciano saisit sa jambe à deux mains, le visage tordu par la douleur. Implacable, l'ex-marin releva la tête de son ennemi d'un coup de genou, lui brisant la mâchoire par la même occasion. Puis il saisit les testicules du colosse à pleines mains et les serra de toutes ses forces. Un miaulement à consonance humaine retentit dans la pièce. À présent tassé sur le sol à côté de son cousin exsangue, il ne constituait plus une menace. Rodrigo hurla:
R.P: Je vais t'crever!
Armé d'un tranchoir, il avait contourné le comptoir à l'aveuglette. Son faciès déformé par la rage, il bavait de fureur:
R.P: Je vais... Ouuch!
Mendoza brisa l'écart qui les séparait d'une foulée. Il frappa du tranchant de la main sur le larynx de Pacheco. Il eut un rictus de satisfaction devant le visage violacé du gros, qui tentait d'aspirer un peu d'air dans sa gorge meurtrie. Le vendeur y parvint au prix de quelques secondes. Il se redressa, les yeux brouillés par les larmes. Juan avait dégainé sa dague, puis, un grand sourire aux lèvres, il avança sur l'herboriste. La mort dans les yeux, il lui susurra:
: À nous deux,
hombre...
☼☼☼
Lorsque l'homme à la cape bleue quitta l'officine, trois cadavres attestaient de son passage. Il avait brouillé les pistes en décorant leur front de la marque des
valientes*. Qu'ils ne soient pas implantés en ville, du moins à sa connaissance, ajouterait à la confusion. Rien ne pouvait le relier à cet endroit. Trois revendeurs de drogue sur le carreau? La belle affaire! Ni le guet, ni
l'host de Barcelone n'allaient s'en plaindre et crier le
Via fiora sur la
plaza del Blat. L'enquête n'irait pas bien loin.
Vitupérant contre l'incompétence de William Howard, dont les lacunes se faisaient de plus en plus dramatiques au fil du temps, Mendoza s'éloigna dans la nuit. La lune se reflétait sur la mer comme si la rue où il se trouvait se poursuivait jusqu'à l'horizon. Contemplant son sillage argenté sur l'eau, les épaules rentrées, il longeait à présent le quartiers des
Drassanes.
:
Que faire? (Pensée).
Selon le plan établi, Pacheco aurait dû lui fournir toute l'aide nécessaire pour pénétrer dans le palais
Requesens, soigneusement gardé. Étape primordiale qui venait de s'écrouler comme un
château de cartes.
:
Où trouver une aide efficace en si peu de temps? Réfléchis, Juan! (Pensée).
L'idée s'imposa bientôt. Mendoza retrouva son allant. Il savait quoi faire.
À suivre...
*
*Tafureas, calaveras, saetias, barquants et navetes: noms de bateaux spécifiquement Catalans.
*Tasques: Chaîne de bancs de sable parallèle à la côte qui empêche l'entrée des courants maritimes. C'est l'unique défense naturelle du port de Barcelone et constitue un danger pour les navires qui tentent d'y accoster.
*Requesens: Prestigieuse famille de Castille établie à Barcelone.
*Cagalell: Caga signifiant merde en catalan.
*Valientes: Au XVIème siècle, hors-la-loi qui infligeaient des sévices affreux à leurs victimes avant de les tuer. Ils se distinguaient en effet dans les romances par leur propension au meurtre délibéré et gratuit, leur cruauté voire leur sadisme.