Chapitre III : Retrouvailles !
Note de Tao : le voyage jusqu'aux Moluques s'avéra plus mouvementé qu'escompté. S'il fut aisé d'atteindre la côte sud-est de l'Inde puis de survoler le pays du nom de Malacca, la traversée de la mer jusqu'à l'archipel qui était notre destination, ne fût pas une promenade de santé. En effet, le temps devint capricieux et bien qu'il n'y eut pas de tempête à proprement parler, de nombreux nuages se mirent à obscurcir durablement le ciel. Le Grand Condor perdit rapidement de l'énergie et donc de l'altitude ! Il se mit à tanguer et plusieurs fois, réalisa même des piqués, qui manquèrent de peu de nous faire percuter l'océan. Nous ne dûmes notre salut qu'au talent d'Esteban combiné à l'aide de Zia et de ses pouvoirs... Nous n'eûmes donc pas vraiment le loisir d'apprécier le paysage... En outre, certaines des îles de l'archipel n'étaient pas plus grandes qu'une maison et il aurait été risqué d'y poser le condor, au cas où la marée, en montant, aurait submergé l'endroit. Heureusement, alors que notre situation commençait à être désespérée, Isabella aperçut à l'horizon un lieu où atterrir. Après ces émotions, nous nous reposâmes jusqu'au lendemain, avant de poursuivre notre vol. Le temps fut cette fois plus clément. Pendant plusieurs heures, nous explorâmes les environs, survolant de très nombreux îlots. La plupart d'entre eux étaient couverts de palmiers. Vu leur nombre, notre quête du Docteur nous parut un instant insurmontable : fouiller tous ces endroits un par un paraissait impossible. Il y en avait tant ! De-ci, de-là, nous posions pieds sur un atoll et allions nous renseigner auprès de natifs, essentiellement des pécheurs ou des cueilleurs, mais aucun d'eux n'avait aperçu quelqu'un ressemblant à Fernando. Continuant malgré tout nos investigations durant quelques jours, nous vîmes enfin une grande et large bande de terre abritant plusieurs hameaux et villes... L'une d'entre elles était nettement plus étendue et peuplée que les autres. Nous décidâmes de nous poser aux alentours, de cacher le condor, puis d'y mener notre enquête...Hors de l'habitacle de l'oiseau doré, il faisait doux et un petit vent bien agréable soufflait.
A nos grands étonnement et soulagement, notre entrée dans la ville passa inaperçue aux yeux des autochtones : en effet, nous étions loin d'y être les seuls « étrangers ». De nombreux portugais, qu'il s'agisse de marchands, soldats ou simples quidams, arpentaient les rues le plus naturellement du monde... Nous y vîmes aussi de nombreux musulmans. Il n'y avait pas de tension particulière. Les natifs de cette île devaient être issus de nombreux métissages, ou en tous cas être d'ethnies différentes : certains d'entre eux avaient le visage peint de motifs hétéroclites, sans doute en signe d'appartenance à des tribus, tandis que d'autres arboraient des masques de terre cuite...
Satisfaits que tout se passe bien, nous avons poussé notre exploration et déambulé quelques temps dans les rues de cette bourgade, afin de mieux appréhender ce nouvel environnement... Jauger l'endroit... Les maisons présentaient différents styles d'architecture : une partie d'entre elles étaient constituées de briques et arboraient des toits de tuiles, tandis que d'autres paraissaient plus traditionnelles, car elles étaient en bambous ou bois sculpté, reposaient sur de gros piliers et comprenaient des toits dont la forme évoquait celle d'un volcan...
Après avoir pris nos repères, nous avons réfléchi à la stratégie à adopter pour retrouver Fernando. Malheureusement, nos options étaient limitées et chercher une aiguille dans une botte de foin aurait été plus simple. Il fallait bien toutefois commencer quelque part. N'ayant pas de meilleure solution, nous nous mîmes à interroger des résidents... Cela nous prît un temps considérable et là aussi nous fûmes proches de renoncer, mais la chance nous sourit à nouveau.
Intrigué par notre équipée, un jeune insulaire vînt à notre rencontre. Vêtu d'une simple tunique, d'un sarong et de colifichets tribaux, dont un qui ressemblait étrangement au médaillon d'Esteban ou de Zia, en plus grand, il nous indiqua le nom de ce royaume : Ternate, ainsi que celui de cette localité : Ambon. Quand nous l'interrogeâmes sur la présence de nombreux occidentaux, il nous révéla que son suzerain venait de céder cette bourgade aux portugais, en échange de leur aide pour vaincre son ennemi, le roi rival du royaume de Tidore... Encore un conflit ! Visiblement, que ce soit en Europe, dans le Nouveau Monde ou en Asie, ici même, l'homme veut toujours affronter son prochain !
Avant de prendre congé de nous, l'autochtone nous indiqua qu'il avait en effet déjà aperçu un vieil homme répondant à la description du Docteur ! Il ne savait plus où il l'avait déjà croisé, mais il nous suggéra de nous renseigner au port, endroit le plus probable d'où un occidental aurait pu arriver... A la réflexion c'était judicieux : nous étions bêtes de ne pas y avoir pensé plus tôt ! Nous avions trop l'habitude de nous déplacer en Grand Condor au fil des années... Avions perdu du bon sens... Nous suivîmes donc son conseil...
Port d'Ambon. Les Moluques. Après midi.
Impatients, les amis traversent les ruelles en courant en direction du port. Isabella avait bien pensé un instant contenir l'enthousiasme d'Esteban, Zia et Tao. Elle se rend vite compte de l'impossibilité de la tâche... L'aventurière elle-même ne peut contenir l'émotion qui l'envahit, mêlée toutefois d'appréhension, à l'idée de revoir enfin son père... Elle se met finalement, elle aussi, à cavaler, Pichu précédant le groupe. Tous ralentissent quand, devant eux apparaît le quartier portuaire. C'est un endroit de taille importante qui, s'avise Esteban, n'a presque rien à envier au port de Barcelone. Il regorge d'activité et de nombreuses pirogues et esquifs y sont arrimés, ainsi que quelques jonques, et plusieurs navires occidentaux : des trois-mâts, quelques caravelles et une poignée de galions lourdement armés.
De longues minutes, les amis parcourent du regard les différents vaisseaux, à la recherche d'un signe distinctif qui leur permettrait de trouver Fernando, mais rien ne leur saute aux yeux...
Isabella leur suggère d'aller se renseigner à la capitainerie : « les navires d'une certaine importance, leur explique-t-elle, y sont sans doute recensés ».
Suivant son conseil, ils s'y rendent donc. Le bâtiment, n'est pas difficile à identifier : c'est un des rares entièrement en chêne et outre une immense ancre suspendue au dessus de son entrée, de nombreux hommes en uniformes y vont et viennent...
Lorsqu'ils y pénètrent, après avoir frappé à la porte, les amis aperçoivent un homme bourru se trouvant derrière un bureau finement ouvragé en teck. Malheureusement, quand Isabella lui demande s'il a entendu parler d'un individu nommé Fernando Laguerra, son interlocuteur lui répond par la négative... L'ancienne espionne le prie alors de lui présenter le registre du port, mais son vis à vis s'y refuse. L'homme revient toutefois rapidement sur sa décision lorsque la bretteuse lui tend discrètement une petite bourse. Il se baisse et sort d'un rangement un gros livre à la reliure de cuir, qu'il présente au quatuor...
Les compagnons entament de feuilleter l'ouvrage, à la recherche de tout indice pouvant les aiguiller... Cela leur prend un bon moment et s'avère fastidieux car le recueil comporte des centaines de pages et il est écrit avec des pattes de mouche. Le découragement les gagne à nouveau lorsque, soudain, Esteban écarquille les yeux.
« Ca y est ! C'est ça ! affirme-t-il en désignant une ligne. Le Docteur est sur ce navire-là !
- Comment peux-tu en être si sûr ? lui demande Tao qui, lassé, a cessé de lire l'ouvrage depuis quelques temps et s'est éloigné de plusieurs pas pour réfléchir.
- Ah, mais viens voir ! lui intime le Fils du Soleil. Regarde comment ce bateau a été baptisé !»
L'Empereur de Mû soupire, puis se rapproche de l'atlante. Plissant les yeux, il lit la ligne indiquée...
« Oui, Esteban ! s'exclame-t-il soudain joyeux. C'est forcément ça !
La Belle Aztéque !
- N'hésitez surtout pas à m'expliquer ! » souffle Isabella en haussant les épaules.
C'est Zia qui, souriant à son tour, éclaire enfin la lanterne de son amie.
« Quand nous étions au Nouveau Monde, Fernando était accompagné d'autochtones qui cherchaient les cités d'or avec lui. Parmi eux se trouvait une femme redoutable, Marinche. Elle était aztèque...
- Je comprends, fait Isabella. Il a du nommer son navire ainsi en son souvenir ou celui de son voyage au Nouveau Monde... Je ne savais pas mon père si sentimental... Cela semble bien vu, Esteban !
- C'est mince, confesse ce dernier. Mais c'est notre seule piste... Allons-y ! clame le Fils du Soleil en faisant un geste de la main pour entraîner la fine troupe. C'est une caravelle...Il n'y en avait pas tant que cela... »
Ils sortent de la bâtisse, se pressent et après avoir pris quelques renseignements auprès de marins, arrivent très vite au pied du navire recherché. Celui-ci est en excellent état, visiblement bien entretenu. « Il est loin d'être aussi pourri que ne l'était l'Esperanza », pense le dernier des atlantes.
Etudiant à son tour le navire, Zia leur montre également quelques embouchures de canons qui émergent des flancs. L'embarcation a de quoi se défendre...
Quelques marins et portefaix, voyant l'attroupement examiner leur embarcation, s'approchent alors des amis.
« Bonjour, les salue amicalement Esteban en prenant les devants. Nous cherchons un homme, le Docteur Fernando Laguerra, se trouve-t-il à bord ?
- Oui, répond l'un des matelots en posant un lourd ballot. C'est notre capitaine...Suivez-moi, je vais vous mener à lui. »
Les compagnons lui emboîtent le pas, Isabella devinant un peu fébrile, à la fois d'excitation et d'appréhension. Elle tente de se calmer en serrant ses mains gantées.
Devinant bien son anxiété, Zia prend un bras de son amie, pour la réconforter et lui donner du courage. La bretteuse remarque ce geste et apprécie le soutien de l'inca. Elle lui sourit.
La troupe s'engage le long de la passerelle, qui grince sous leurs pas. Une fois arrivés sur le pont, le marin frappe à la porte du bureau du capitaine.
« Qu'y a-t-il ? entend-on d'abord, une voix grave, avant qu'un homme immense ouvre la porte et en émerge. L'individu s'avère être une montagne de muscles ! Haut de près de deux mètres, il a des cheveux noirs lisses et tombants, une fine moustache dépassant les contours de sa mâchoire pour arriver jusqu'au bas de son cou. Ses traits sont durs et ses yeux bruns paraissent cruels. Son torse n'est protégé que de quelques lanières de cuir disposées en croix, aux extrémités desquelles pendent des couteaux, des bourses, ainsi qu'une sarbacane. Son pantalon s'interrompt juste en dessous des genoux, laissant apparaître de puissants mollets.
« Sanjay... bégaie malgré lui le matelot, intimidé. Je suis désolé de te déranger : ces
orang asing souhaitent voir le capitaine... »
La brute pivote d'un quart de tour vers la droite et examine les visiteurs du regard, d'un air un peu méprisant...
- Docteur, dit le colosse avant de s'écarter ensuite de la porte, on vous demande ! Des étrangers... Trois gamins et une belle donzelle... Ils ont un piaf aussi.. Tout vert...
- Trois gamins et un oiseau vert ? » émet une voix surprise depuis l'intérieur de la pièce.
Une voix, qu'Esteban, Zia, Tao et Isabella reconnaissent immédiatement. Rappelant quelques péripéties aux élus et à leur ancien naacal, elle les fait tressaillir un instant.
« Est-ce que, par hasard, reprend la voix, deux de ces jeunes gens portent des médaillons dorés en forme de soleils ?
- Non, répond le dénommé Sanjay lassé de faire le larbin. Pas deux : ils en ont tous les trois !
- Tous ? s'étonne davantage la voix. C'est inattendu ! Bien, j'arrive...»
Quelques secondes interminables s'écoulent, durant lesquelles les amis perçoivent comme des crissements et des frottements qui se rapprochent.
C'est alors que Fernando Laguerra apparaît enfin devant eux. Non pas debout et marchant, mais assis dans une sorte de chaise en bois, avec des roues sur les côtés, qu'il actionne de ses bras pour se mouvoir. Son crâne est toujours si dégarni et il a gardé quelques touffes de cheveux roux soigneusement brossés, sa moustache et sa barbiche. Toutefois, depuis sa dernière rencontre avec Zia, Esteban et Tao, il a pris quelques rides, qui rendent son visage plus sinistre qu'avant, si tant est que cela est possible. Un de ses yeux est devenu vitreux avec le temps, glaçant d'effroi le groupe d'amis. Des pieds aux épaules, l'ancien conquistador est entièrement enveloppé d'un tissu
gringsing: une grande couverture jaune et pourpre en double-tricot. Emmitouflé ainsi tel une personne frileuse, l'ancien ennemi d'Esteban, Zia et Tao paraît à la réflexion presque inoffensif, mais un fouet est cependant bel et bien là, près de lui, accroché à un portant du dossier de la chaise...
« Esteban, Zia, Tao ! s'exclame-t-il, écarquillant les yeux. C'est bien vous ! Et toi...Isabella ? Ma fille... Tu es avec eux ?
- Bonjour, Père, répond simplement l'intéressée... Oui. Nous te cherchions. »
La bretteuse a du mal à réaliser que c'est vraiment son géniteur qui se trouve devant elle et elle ressent plusieurs sentiments à la fois. Outre la surprise, elle est à la fois soulagée de le savoir en vie, tout en étant triste de le voir ainsi diminué...
« C'est impossible ! reprend Fernando toujours sous le choc. Comment cela se peut-il ?
- Tu n'es pas si difficile que cela à retrouver, Docteur ! plaisante Esteban en croisant les bras et savourant l'ahurissement de son ancien adversaire.
- Mais...continue son vis à vis. Vous avez quitté les Amériques ? Le Nouveau Monde ?
- Oh, ça ! répond Tao. Pfiou ! Cela fait un bon moment, maintenant que nous en sommes partis... C'est de l'histoire ancienne...
- Nous vous croyions mort, déclare à son tour Zia. Vous n'avez pas été enseveli lorsque la base des olmèques s'est effondrée ? Vous n'étiez pas dans la zone ?
- Je vous laisse, capitaine, intervient Sanjay. Je sens que cet entretien va être long... Trop à mon goût ! »
Le Docteur, revenant de son étonnement, acquiesce et alors que son sbire s'éloigne, se tourne vers l'inca en affichant un petit sourire.
« Très chère Zia, badine-t-il. Si : Marinche, Tétéola et moi étions bien sur place. C'est votre faute d'ailleurs : si vous nous aviez dit que le Grand Condor était capable de voler, nos alliés ne nous en auraient probablement pas tenu rigueur. Nous n'aurions pas été enfermés...
- Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même, Docteur ! réplique aussitôt Esteban. S'allier aux olmèques était bien la chose la moins censée à faire...
- Enfin, bref, choisit d'ignorer le savant tout en levant un sourcil. Cela est fait... J'ai bien cru ma dernière heure arriver, ce jour-là, en tous cas. Un escalier s'est dérobé sous nos pieds, quand la machine de ces énergumènes aux grandes oreilles est sortie de terre, fracassant tout sur son passage... Nous avons effectué une chute vertigineuse... J'ai néanmoins réussi à ralentir ce plongeon mortel, en m'agrippant à des rebords. J'ai rebondi plusieurs fois sur des escarpements et des marches de l'escalier, chuté à nouveau et ce, je ne sais combien de fois ! Je ne sentais plus mon corps... Ce n'est pas un bon souvenir : la douleur était atroce ! Au final, j'ai eu de la chance : cette cascade s'est arrêtée quand je suis tombé sur Tétéola, qui avait succombé. Sans lui et son corps imposant, je me serai tout bonnement aplati sur le sol... J'en ai glissé et j'ai rampé en direction d'une corniche, pour me mettre à l'abri. Je l'avais presque atteinte quand un roc m'est tombé dessus, me broyant les jambes. Avant de perdre connaissance, j'ai heureusement réussi à atteindre mon but : me placer à un endroit sûr... De nombreuses heures plus tard, des aztèques qui faisaient partie de mon expédition m'ont retrouvé. Mon corps entier n'était que souffrance, mais ils m'ont prodigué des soins d'urgence... Appliqué des cataplasmes... Il m'a fallu des semaines, que dis-je, des mois et des mois, pour me remettre de cette mésaventure... Mes talents m'ont permis de réaliser des attelles et de concocter de puissants élixirs de soins, à base de plantes médicinales que mes hommes de main sont allés chercher tandis que je récupérais... Cela n'a pas l'air de vous étonner ? s'interrompt-il en regardant le groupe, nullement surpris.
- Que tu connaisses la médecine et aies fait des potions ? En effet, ce n'est pas le cas, confirme Esteban. Nous avons fait du chemin, depuis... Nous savons tout, Fernando : que tu es un alchimiste et que tu faisais partie de l'Ordre du Sablier ! De même qu'Athanaos mon père et qu'Ambrosius... Ou "Zarès", ajoute-t-il en mimant des guillemets, si tu préfères l'appeler ainsi...»
A cette déclaration, le dos du Docteur se redresse et il se penche en avant.
« Vous avez rencontré Ambrosius ? Et vous savez pour Zarès ! Et bien que vous connaissiez cela, son secret, vous êtes toujours en vie ! Incroyable !
- Oui, renchérit Zia. Dites-nous, qu'est-il advenu de Marinche ? Est-elle avec vous ?
- Non, reprend l'alchimiste avec de la peine dans la voix ce qui, pour le coup surprend réellement les compagnons. Elle n'a pas survécu à la destruction du Bouclier Fumant».
Son affliction est cependant de courte durée car il continue presque aussitôt, plutôt excité : « mais... et...et la Cité d'Or ? L'avez-vous découverte, finalement ?»
Les trois jeunes gens hésitent à lui répondre... Ils se concertent d'un regard avant que Tao ne se décide à parler : « oui. Nous l'avons trouvée... Celle à laquelle tu penses, ainsi que les autres, d'ailleurs... Elles se trouvaient un peu partout sur la planète. Cela s'est avéré une quête très longue, très dangereuse... C'est fini toutefois ! Il n'y a plus besoin de les rechercher : plus de cités à découvrir et elles ont toutes disparues, Docteur... »
Ce n'est pas tout à fait exact, mais l'Empereur de Mû se retient d'en dire trop : il ne peut décemment pas dévoiler tout ce qu'il sait à son ancien ennemi...
«C'est difficile à croire, rétorque Fernando, suspicieux, pourtant tu me parais sincère...
- Père, demande Isabella... Que fais-tu ici ? A l'autre bout du monde...
- Bah, c'est facile, intervient Esteban. Il cherche encore de l'or, pardi !»
Le Docteur ne dément pas. Il choisit là aussi d'ignorer la remarque insolente du Fils du Soleil.
« Ma fille, je vais te répondre mais, si tu le veux bien, il faut d'abord que tu m'expliques la raison de ta présence auprès de ces jeunes gens...
- J'ai fait leur connaissance en Inde, père, explique-t-elle simplement, quand ils pourchassaient ton confère jusque dans l'un de ses repaires...
- Ambrosius ? A Pattala ? Vous avez été assez fous pour lui donner la traque ? s'exclame le Docteur, ébahi par l'audace des trois amis qui acquiescent avec un sourire.
- Par la suite, continue Isabella imperturbable, je me suis prise de sympathie, puis d'affection pour eux...
- Pour nous, et surtout pour notre ami marin, Mendoza ! » confirme Esteban en lui faisant un clin d'oeil appuyé.
Aussitôt, l'aventurière fait la moue. Cela fait instantanément regretter au Dernier des Atlantes d'avoir révélé cela.
Fernando met un temps à comprendre les implications des paroles du jeune homme, puis ses joues se teintent de rouge et il est explose de colère : « Comment ? Toi, ma fille ? Avec ce Mendoza ! C'est impossible ! Non, cela ne se peut !
- Humpf ! souffle Isabella. A vrai dire, confesse-t-elle, maintenant que cela est éventé, autant que tu le saches : lui et moi nous aimons et tu es désormais grand-père... D'un garçon et d'une fille. Des jumeaux : Soledad et Tyrias. Ils auront bientôt quatre ans... »
L'alchimiste s'étrangle, avant d'afficher un air ahuri, puis dépité. Il regarde le sol, marque une longue pause pour accuser la nouvelle, avant de redresser la tête et reprendre.
«Toi et moi sommes décidément tombés bien bas ! souffle-t-il. Mais, bref ! Pour répondre à ta question, je suis ici en raison de rumeurs insistantes évoquant la présence d'une montagne d'or dans les environs... A l'est... Quelque chose de gigantesque... De ce que vous venez de m'annoncer, il ne s'agirait pas de l'une des Cités d'Or que je cherchais... Soit : les années passent et je ne rajeunis pas... A défaut de découvrir les secrets de Mû et d'Atlantide cachés en leur sein, comme c'était mon but et celui de mon ordre, je me contenterais de devenir immensément riche... Mais dites-moi : que faites-vous ici ? Pourquoi me cherchiez vous ?
- Pour ma part, déclare Isabella, je voulais te retrouver, père... Savoir si tu étais toujours en vie et si tu allais bien. Tu sais à présent pour Mendoza... Sache que tout le reste a aussi changé pour moi depuis ton départ pour le Nouveau Monde... Notre séparation...Y compris mes perspectives et mes buts ! Je ne suis plus espionne pour Charles Quint... Je suis libre et n'ai plus de maître. Tao, Zia et Esteban m'ont ouvert les yeux ! J'en ai eu assez de n'être qu'un outil... Je sais que vous avez eu des différents plutôt sérieux, mais je crois qu'ils pourraient t'aider à trouver une voie honorable... A avoir une belle vie... Tu pourrais venir avec nous, à Pattala. Y poursuivre ta carrière d'alchimiste, tes expériences et y rencontrer tes petits enfants ! Nous pourrions vivre tous ensemble... Heureux !
- Tu te fourvoies, Isabella, rétorque le Docteur : contrairement à ce que tu avances, tu n'as pas changé ! Tu es toujours idéaliste et naïve... Et tu me connais au final bien mal si tu crois que je suis intéressé par une petite vie de famille bien rangée. Surtout avec Mendoza pour gendre ! Seul l'or m'importe. L'or et la science. Dans cet ordre. Ta mère l'avait bien compris...
- Je vois que tu es toujours le même, soupire la bretteuse : toujours obsédé par ce métal ! Tout cela est pourtant vain. J'espérais pouvoir te convaincre de renoncer à tes chimères... Te ramener à la raison et avec moi...
- Pfff ! souffle le Docteur. Sottises que cela... Et vous, ajoute-t-il en regardant les jeunes gens. Vous n'êtes là que pour accompagner ma fille ? Vous avez fait tout ce chemin pour ça ?
- Nous trois, ajoute Zia, nous vous cherchions pour vous faire part d'une demande d'Ambrosius..
- Vous êtes à son service ? s'étonne à nouveau Fernando.
- Ah ! Ah ! Ah ! rit Esteban à gorge déployée. Non ! C'est bien la dernière chose qui pourrait arriver ! poursuit-il allant jusqu'à rire aux larmes.
- Mais Ambrosius est aux arrêts, continue Tao en souriant à la réaction de son ami. Ton confrère nous a chargés de te remettre une lettre qui t'expliquera tout...»
Là-dessus, le jeune homme tire de son poncho le document en question, qu'il tend à leur interlocuteur.
Le savant s'en saisit, déplie le parchemin et mentalement, en entame la lecture.
Une fois celle-ci achevée, il restitue la missive à Tao, qui la range à nouveau.
« Ainsi donc, Esteban, dit l'alchimiste, tu as capturé Zarès ? Enfin : Ambrosius... J'ai du mal à le croire... Comment as-tu fait ? J'imagine qu'Isabella t'a aidé...
- Oui, confirme Esteban. Ainsi que Tao et Zia avec ses pouv... »
Mais l'ancien naacal met la main devant la bouche du Fils du Soleil juste à temps, pour l'empêcher de gaffer. Soudain soupçonneux, le Docteur lève un sourcil, mais l'inca décide de faire diversion en déclarant : « votre fille est en effet une précieuse amie, qui a compris qu'elle avait été trompée... Elle s'est mise de notre côté.
- Mon « confrère » quémande donc mon aide... dit Fernando. C'est très touchant. Nous faisons partie du même ordre, avons des buts communs et parcouru bon nombre de contrées ensemble...Cela dit, nous ne sommes pas si proches que cela... Toutefois, je dois avouer que cette situation m'intrigue et que l'imaginer dans l'embarras m'amuse...
- Viens avec nous ! intime Esteban, un peu lassé. Il est temps de régler cette histoire de procès ! Cela sera vite fait et nous te ramènerons ensuite ici, avec le condor. Tu pourras alors continuer à chercher tout l'or que tu veux, même jusqu'en enfer, si cela te plaît ! Zia, Tao et moi avons autre chose à faire que pourchasser des criminels et des savants fous aux quatre coins de la planète...
- Je vois que tu es toujours très diplomate, Esteban ! plaisante le Docteur. Tu as certes grandi depuis notre dernière rencontre, mais la patience n'est toujours pas ton fort... Je pourrai envisager d'accepter la requête d'Ambrosius. Mais qui me dit que tout cela n'est pas qu'un piège de votre part ? Que vous ne voulez pas m'enfermer moi aussi ? Vous croyez vraiment que je vais tout quitter pour venir seul avec vous ? Partir pour je ne sais où ? Mon confrère n'écrit même pas où il est détenu dans sa lettre... Et j'imagine que vous ne me le direz pas non plus, n'est-ce pas ? »
Soudain gênés les trois jeunes gens se regardent et hésitent : impossible pour eux de révéler l'endroit exact de la cellule d'Ambrosius...
Isabella décide de remédier au problème : « tu me crois peut-être idéaliste ou naïve, père, déclare-t-elle. Cependant, j'ai toujours mes principes et mon honneur ! Esteban, Zia et Tao ont de bonnes raisons de te cacher le lieu de sa détention. Toutefois, si tu veux bien les accompagner, je te garantis qu'il ne t'arrivera rien et que tu reviendras ici ! Je pourrai te promettre de te protéger, mais ce n'est pas la peine : je t'assure qu'ils n'ont aucune mauvaise intention à ton encontre... »
Le savant réfléchit longuement avant de reprendre : « Hum...Bon ! Vous avez assez éveillé ma curiosité ! Je n'ai jamais su résister à un secret et j'ai bien envie de voir ce fameux endroit, maintenant ! C'est entendu ! Je vous accompagnerai ! Mais il ne m'est pas possible de tout délaisser ainsi, que ce soit mon navire ou mon équipage... J'ai aussi des engagements à tenir... Je dois d'abord régler toutes ces affaires... Laissez-moi jusqu'à demain... Revenez dans l'après-midi me chercher...
- C'est d'accord ! consent Esteban, ravi que le Docteur accepte. Après tout, Ambrosius n'est pas à un jour de cellule près ! plaisante-t-il. Ah ! Ah !
- Nous reviendrons donc demain, approuve Zia. Viens, Isabella, ajoute-t-elle en prenant la main de son amie : tâchons de trouver une auberge où rester jusque là...»
L'aventurière est ravie que son père se soit décidé à les accompagner bien qu'elle soit déçue qu'il ait décliné sa proposition. Elle sourit à l'inca et les quatre compagnons s'en retournent, descendant la passerelle puis quittant le port.
Au bout de quelques minutes de marche, le quatuor pénètre dans une taverne et y loue trois chambres, simples mais propres. Leur soirée se déroule agréablement et après s'être régalés au dîner d'un copieux plat de riz frit accompagné d'oeufs, de viande et de légumes, présenté sous le nom de
nasi goreng, les amis prennent un bon repos...
Ambon. Les Moluques. Le lendemain matin.
Après avoir bien dormi et pris un petit déjeuner tardif, Esteban, Zia, Tao et Isabelle décident de découvrir la ville plus avant... Dehors, il fait beau, et Ambon est très animée.
En se baladant, ils découvrent un grand marché aux étals remplis d'épices, de clous de girofle, de noix de muscade... Des fruits aussi, jamais vus... Pichu éternue plusieurs fois en reniflant les effluves émanant des échoppes, faisant ainsi rire les compagnons. Zia fait quelques emplettes : des vêtements, à titre de futurs cadeaux pour Indali et Kushi...
Midi approchant, Esteban s'impatiente. la fine troupe se met alors en route vers le port, d'un pas tranquille. Malheureusement, une mauvaise surprise les y attend...
« Mais ! s'écrie le Fils du Soleil. Où est passé le navire ?
- Il n'est plus là ! renchérit Zia. Il a disparu ! Il était pourtant bien amarré ici ! » dit-elle en désignant un endroit à présent désert.
Tao balaie à son tour l'ensemble de la zone du regard, sans distinguer la caravelle.
« Pichu ! demande-t-il. Vois-tu le bateau ? »
Le volatile s'exécute, s'élance dans les airs et y effectue quelques cercles.
« Pas de bateau ! Pas de bateau ! babille-t-il un instant, avant de s'inquiéter : Alerte ! Alerte ! Danger ! Sauvez-vous ! »
Les quatre amis se mettent immédiatement sur leurs gardes. Et ils font bien : sans l'intervention du cacatoès, ils auraient été pris de court ! Car, tandis qu'ils cherchaient la caravelle du Docteur, ils n'ont pas remarqué que des soldats portugais les ont discrètement acculés, dos à la mer !
Fin du chapitre
Pourquoi les portugais s'en prennent-ils à nos amis ? Pourquoi le Docteur a-t-il disparu ? Où se trouve-t-il ? Vous le saurez en lisant le prochain chapitre des Chroniques de l'Ordre du Condor !
Documentaire
Nos amis se trouvent à Ambon, dans l'archipel des Moluques, en Indonésie. Cet endroit comporte de nombreuses îles paradisiaques, plus de six cents en tout !
Le nom « Moluques »,
Maluku en indonésien, découle de l’arabe
Jazirat al Muluk , qui se traduit en : « île des rois ». Ce sont les marchands arabes qui lui ont donné ce nom au XVIème siècle.
Durant longtemps, la zone fut colonisée par les néerlandais et elle a connu de nombreux métissages au fil des siècles entre Chinois, Indiens, Papous, Portugais, Arabes et Javanais.
L'archipel vit surtout de la pêche et de productions agricoles. Ces îles sont connues pour leurs épices, café, noix de coco et cacao, manioc, patates douces et bananes. La mer fournit aux autochtones des poissons, mais aussi des produits précieux : la nacre et des perles...
Le Scoop de Pichu
« C'est quoi, un Gringsing ? » demande Pichu en regardant encore le Docteur, emmitouflé dans sa couverture.
- Ca, Pichu, répond la voix off, c'est un tissu traditionnel indonésien en double tricot. Selon un mythe local, ce tissu gringsing aurait été inspiré par le dieu du tonnerre lui-même : Indra. La divinité aurait enseigné sa réalisation aux femmes. Ce tissage étant censé capturer la beauté des étoiles, de la lune, du soleil et du ciel...
- Pourquoi ce nom-là ? Interroge le cacatoès.
- Son appellation, continue la voix off, est un mélange du mot «
gring» (qui signifie malade) et «
sing» (non). Celui qui porte un tel vêtement deviendrait donc «non malade» : il repousserait les maux physiques ou spirituels. Nul doute que le Docteur en a bien besoin !
Au revoir, a bientôt !
Chapitre suivant :
Le Façonneur